Parution : 14/03/2006
ISBN : 9782915378238
536 pages (21 x 14,8 cm)

26.00 €

Épuisé

Histoire du Premier Mai

Le 1er Mai, en dépit de ses points faibles, de sa tendance à des manifestations stériles, conventionnelles, infécondes, d’une part, à des manifestations bruyantes, spectaculaires, sectaires d’autre part, comme à ces déformations qui, en le sclérosant, l’éloignent de son principe originel, reste une des plus nobles aventures qui aient traversé notre époque.
On peut ne pas croire à l’éternité des choses, et il faut convenir que les bouleversements formidables en perspective balaieront bien des institutions et des expériences. Il est néanmoins difficile d’admettre que dans une société où le travail, toujours indispensable, sera devenu souverain, la journée qui lui est consacrée disparaîtra. Elle prendra des formes nouvelles, voilà tout, et la sève qu’elle porte s’accordera avec les exigences d’un corps social en continuelle transformation.
Le passé enseigne l’avenir. Le 1er Mai, qui, pendant plus de soixante ans, a su résister à toutes les bourrasques et a su élargir considérablement le champ de son activité, saura se dépasser en se renouvelant.
[...] C’est qu’il y a dans chacune des éclipses de cette épopée vécue par l’âme ouvrière un secret qui, pour être profondément enfoui, n’en est toujours pas moins toujours vivant et se révèle avec éclat après les années de cauchemar. On croit mort le 1er Mai et il n’est que replié sur lui-même. Et, de même, au plus fort de ses meurtrissures et de ses déformations, le peuple lui garde sa vertu. Aucune tendance centrifuge ne peut remettre en question ce qui est acquis. Il laisse des assises si fortement ancrées dans la conscience populaire, il porte en lui un si haut souvenir et un espoir si tenace qu’il conserve, malgré tout, sa raison d’être. On doit donc reconnaître et affirmer fortement qu’il y a quelque chose d’irréductible et de permanent dans le 1er Mai et, en ce sens, on peut dire que c’est un grand jour promis à l’avenir. (Maurice Dommanget)

L’amalgame libéral/liberté est un des principaux lieux communs qui fait des libertés fondamentales un élément consubstantiel de l’économie de marché. Un simple regard en arrière suffirait pour voir qu’elles n’ont pas été généreusement octroyées par les classes dominantes mais conquises de haute lutte durant deux siècles, si « les travestissements de l’histoire » ne les avaient pas fait passer aux oubliettes. « Parmi ceux qui défilent paisiblement le 1er Mai, combien savent qu’ils commémorent la grève sanglante de 1886 aux usines McCormick à Chicago ? » Nul doute qu’ils ne soient guère nombreux. Mais pour que les premiers intéressés — ces travailleurs, syndiqués ou non, qui défilent le 1er Mai — puissent l’apprendre, encore aurait-il fallu que cette histoire-là soit accessible aux lecteurs. Une grande histoire du 1er Mai avait bien été écrite par Maurice Dommanget, mais ce livre n’était depuis longtemps plus disponible.

[...] S’il est encore trop tôt pour juger du devenir, de l’élargissement et de l’enracinement de cette initiative, elle illustre parfaitement la nécessité d’un renouvellement de la problématique du 1er Mai tenant compte des modifications de fond du salariat et du système capitaliste — certains s’interrogent sur la naissance d’un précariat en passe de le remplacer. Si d’autres journées de contestation tentent de s’imposer, comme, par exemple, la journée sans achat, au mois de novembre de chaque année, elles sont encore loin de pouvoir rivaliser avec le 1er Mai qui garde le bénéfice d’une existence séculaire et d’une symbolique forte. Pour revenir à ses orgines subversives, il lui faudra avant tout adopter une revendication unifiante, telle celle des huit heures au XIXe siècle, autour de laquelle une classe salariale morcelée et précarisée pourrait se retrouver majoritairement afin d’imposer de nouveaux droits, indispensable premier pas non seulement pour arrêter les reculs sociaux enregistrés depuis une vingtaine d’années, mais aussi pour refonder en actes l’espoir d’une autre société enfin humaine et solidaire. (Charles Jacquier)

Préface de Charles Jacquier
L’Histoire du Premier Mai de Maurice Dommanget est le seul ouvrage majeur réalisé, en langue française, par un témoin contemporain sur cette vaste manifestation. Il y développe une réflexion sur les luttes socio-politiques qui ont amené cette date à être la journée internationale des travailleurs à partir de 1889, puis la fête du travail, jour chômé. Un important travail de recherche lui a permis de nous donner à lire les heures sombres et glorieuses de ces manifestations, commémorations du 1er Mai sanglant de 1886 à Chicago. Au travers de cette réédition, c’est tout un pan de l’histoire sociale du XXe siècle qui se déroule sous nos yeux, jusqu’aux années soixante-dix.

Revue de presse

Histoire du Premier Mai Marcel Leglou À contretemps Septembre 2006
- La bibliographie de cette « personne » qu’est le 1er mai Angélique Schaller La Marseillaise 26 avril 2006
- Histoire du Premier Mai Jean-Jacques Gandini Le Monde diplomatique Août 2006
- Le poing ou le muguet François Roux Le Monde libertaire, n°1436 27 avril 2006
- Histoire du Premier Mai Anarlivres.free.fr

Histoire du Premier Mai
Classique entre les classiques, cette Histoire du Premier Mai, épuisée depuis fort longtemps, méritait une réédition. Celle que nous donne l’éditeur marseillais le mot et le reste vaut d’être saluée pour sa qualité et le sérieux de sa réalisation. Vaste, cette histoire embrasse sa trajectoire des origines aux années 1950 à l’échelle internationale.
Marcel Leglou
À contretemps Septembre 2006

- La bibliographie de cette « personne » qu’est le 1er mai

Parmi ceux qui défilent paisiblement le 1^er mai, combien savent qu’ils commémorent la grève sanglante de 1886 aux usines Mc Cormick à Chicago ? », interroge Charles Jacquier dans sa préface de Histoire du Premier Mai de Maurice Dommanget, que les éditions marseillaises « Le mot et le reste » viennent de publier.

Accéder à cette histoire redevient donc possible. Instituteur né en 1888, syndicaliste dans sa conception révolutionnaire, auteur ignoré d’une cinquantaine d’ouvrages, Maurice Dommanget a écrit cette histoire en 1953. Rééditée en 1972 puis en 1980, elle restait malgré tout inaccessible. D’où la décision de la maison marseillaise de la remettre en scène.
Aux côtés d’un travail sur les livres d’artistes, les écritures contemporaines ou les débats critiques sur les arts, Le mot et le reste compte aussi la collection Attitudes, qui lui permet « d’intervenir aussi dans le champ social en exhumant des livres permettant de comprendre comment la population ouvrière de la fin du XIXe siècle a su se coaguler, trouver des idées et les développer », explique l’éditeur Yves Jolivet.

Des utopies au congrès

En quelque 500 pages, Maurice Dommanget retrace donc l’histoire de ce qui deviendra l’un des symboles forts du mouvement ouvrier international (avec le drapeau rouge (1). Cette histoire se décline en deux temps, la période « héroïque », de sa naissance aux années 20, avec les revendications autour de la journée de travail de 8 heures, puis son institutionnalisation.
L’ouvrage ne débute cependant pas en 1886 à Chicago. Les premières lignes remontent à… 898 et Alfred d’Angleterre ! Égrenant succinctement les dates et les lieux d’une histoire précédée et annoncée « d’utopies et de phénomènes plus modestes ».
Maurice Dommanget nous emmène ensuite dans l’Amérique des années 1830, « grosse » des utopies et batailles portées par les migrants, forte d’un syndicalisme en construction. Il nous conduit chez les charpentiers de Philadelphie en 1827, nous fait rencontrer le « monomaniaque des 8 heures », Ira Stewart à Chicago, nous raconte les luttes pour les 10 heures, les bagarres qui passent par la case de la loi, les échecs. Il nous mène sur le banc du congrès de Chicago qui en 1884 décide de faire du 1er mai une journée revendicative autour des 8 heures, retrace les deux longues années qui seront nécessaires à la mise en place, dit les premières victoires qui s’accompagneront de baptême dans le sang à Milwaukee et devant les usines Mc Cormick.
Après la genèse, Maurice Dommanget revient en France où dans une société laminée par l’expérience de la Commune et le chômage, le développement des idées sur les « 3×8 » passera par la Suisse mais où 1889 sonnera comme l’internationalisation de ce 1er mai qui sera célébré partout et de manière synchronisée l’année suivante.
Il entre dans le détail de l’année noire 1891, dans un paisible bled du Nord de la France, Fourmies, où le paternalisme fonctionne sans empêcher la crise, la manifestation vire à la boucherie. Il sait dire les filles qui dansent dans la joie de la revendication, les tirs, les cervelles éclatées. Il écrit les noms de Maria Blondeau, Louise Hublet ou Émile Cornaille qui a 20 ou 11 ans, sont morts d’avoir revendiqué.
C’est tout le précieux de cette histoire, écrite année après année, lieu après lieu et surtout, noms après noms. Car si, depuis, le 1er mai s’est institutionnalisé, s’il a su continuer même après avoir obtenu gain de cause sur la revendication des 8 heures, son histoire est celle d’une conquête où rien n’a été donné.

Nécessité d’une « revendication unifiante »

Maurice Dommanget écrit « comme s’il s’agissait d’une vie, de la bibliographie de cette « personne » qu’est le 1er mai ». Yves Jolivet y voit, lui, « quasiment un polar où chaque année, on se demande s’il va tenir ». Il tiendra, et s’institutionnalisera. Avec des changements, des abandons, des tentatives de récupérations. L’ouvrage s’arrête dans les années 50 mais la préface judicieusement confiée à Charles Jacquier en dit beaucoup sur la période actuelle.
Ces batailles ont été menées par des hommes et des femmes qui travaillaient, sans droit, sans règle et dans la précarité la plus terrible. Beaucoup de points communs avec aujourd’hui donc, à l’exception du fait que le travail est remplacé par le « précariat » pour reprendre la formule de Jacquier. Mettant en garde contre la tentation nostalgique, Charles Jacquier tire comme enseignement de cette page d’histoire qu’il « faudra avant tout adopter une revendication unifiante, telle celle des 8 heures au XIXe siècle, autour de laquelle une classe salariale morcelée et précarisée pourrait se retrouver majoritairement afin d’imposer de nouveaux droits, indispensable premier pas non seulement pour arrêter les reculs sociaux mais aussi pour refonder en actes l’espoir d’une autre société enfin humaine et solidaire ». Des informations précises, une bibliographie complète, Histoire du Premier Mai propose aussi un recueil des déclinaisons dans les poésies et chansons populaires.

1 : qui fera l’objet d’une nouvelle publication en septembre prochain.

Angélique Schaller
La Marseillaise 26 avril 2006

- Histoire du Premier Mai
Parmi ceux qui continuent à défiler chaque 1^er Mai, combien savent qu’ils commémorent la grève sanglante du 3 mai 1886 aux usines McCormick, à Chicago, pour l’instauration de la journée de huit heures, et le meeting de protestation qui s’ensuivit le lendemain à Haymarket au cours duquel une bombe tua huit policiers. Huit anarchistes furent arrêtés, quatre furent pendus, malgré les pétitions et protestations innombrables venues du monde entier, le 11 novembre 1887, avant d’être innocentés et réhabilités publiquement en 1893. Les martyrs de Chicago vont faire du 1er Mai un symbole de la lutte des classes et de l’identité du monde ouvrier à partir du congrès socialiste international de Paris de 1889 : il s’agissait de fonder en actes le projet d’une société émancipée, libérée du travail contraint. Alternant les hauts et les bas au fil des années, ce symbole sera tout de même à l’origine des lois sur le repos hebdomadaire en 1906 et des huit heures en 1919, avant de se banaliser après être devenu en 1947 un jour chômé et rémunéré.
Jean-Jacques Gandini
Le Monde diplomatique Août 2006

- Le poing ou le muguet

Depuis son adhésion à la S.F.I.O. de Jean Jaurès, en 1909, jusqu’à L’École émancipée et la Libre Pensée, en passant par le Parti communiste, puis la CGTU, Maurice Dommanget aura milité pendant soixante ans au sein du mouvement social et arpenté bien des cortèges du 1er Mai. En 1952, il entreprend de raconter l’histoire de cette journée-symbole, comme s’il s’agissait de la vie d’une personne, et c’est toute l’histoire des luttes ouvrières qui défile en cinq cents pages limpides et passionnantes. Quatre ans avant sa mort, en 1972, il publie une nouvelle édition augmentée de ce livre qui est reprise aujourd’hui.

Le Premier Mai étant intimement lié à la revendication de la journée de huit heures, Maurice Dommanget commence par rappeler d’où remonte l’idée de répartition des heures du jour en trois tiers. On la trouve dès le haut Moyen-âge, entre travail, sommeil et exercices de piété, puis à partir du XVIIIe siècle, l’éducation ayant remplacé les prières, dans les projets de sociétés idéales. À l’aurore de la société industrielle, les réformateurs clairvoyants qui militent pour l’amélioration de la condition ouvrière dans l’intérêt de la production et du capital, prônent à leur tour la limitation du temps de travail. En toute logique, c’est dans le pays où est née la révolution industrielle, l’Angleterre, que sont organisées les premières grèves pour les huit heures, à partir de 1825, avant d’apparaître peu de temps après sur le continent. L’idée d’une date synchrone pour arrêter le travail suit le même chemin quelques années plus tard.
Le lien entre la journée de grève pour la revendication des huit heures et la date du 1er mai va se nouer aux États-Unis, terre d’émigration anglaise où l’appétit de profits des employeurs ne connaît pas de limites. Le 1er mai 1886, les organisations ouvrières appellent à travers tout le pays à une journée de lutte pour les huit heures. Bien que le « droit à la résistance » figure dans la Déclaration des droits de l’homme de la démocratie nord-américaine, c’est à coups de fusil que la police et les milices privées répriment toute revendication des pauvres : on relève neufs morts au soir de ce 1er Mai. L’agitation se poursuit les jours suivants, et particulièrement à Chicago, temple du capitalisme triomphant, mais également quartier général du mouvement anarchiste d’Amérique. Dans la capitale de l’Illinois, les prolétaires travaillent encore jusqu’à quatorze heures par jour, et le Chicago Times peut écrire sans vergogne : « La prison et les travaux forcés sont la seule solution possible de la question sociale. Il faut espérer que l’usage en deviendra général » Le 3 mai, devant l’usine Mc Cormick, les mercenaires de l’agence Pinkerton et les policiers ouvrent le feu sur les grévistes, faisant six morts et des dizaines de blessés. Le lendemain, les groupes anarchistes organisent un meeting de protestation. Lors de la dispersion, les flics chargent la foule. Une bombe jetée dans leurs rangs en tue huit. S’ensuit un véritable massacre dont le bilan n’a jamais pu être établi. Appréhendés, jugés dans des conditions iniques, quatre des organisateurs du meeting, Albert Parsons, Auguste Spies, Adolphe Fischer et Georges Engel sont pendus le 11 novembre 1887. Leur camarade Louis Lingg s’était suicidé l’avant-veille.
Le supplice des anarchistes de Chicago fit du 1er Mai un symbole de la lutte des classes, d’abord pour les travailleurs américains, puis pour l’ensemble du mouvement ouvrier à partir du Congrès socialiste international de 1889.

La première journée de revendication organisée internationalement par la classe ouvrière date donc du 1er mai 1890. Grèves et manifestations revêtent une ampleur impressionnante dans les démocraties industrialisées, tandis que l’événement passe pratiquement inaperçu dans les pays pauvres, les colonies et les dictatures.
Les anarchistes français boudent tout d’abord l’idée de manifester à date fixe pour réclamer des droits. Pour eux la grève ne doit pas être revendicative, mais donner le signal de la révolution « la guerre des poings fermés, fermés sur le manche d’un couteau où la crosse d’un pistolet ». Ils se rallient malgré tout à la manifestation mais s’organisent pour donner à ce 1er mai 1890 un caractère insurrectionnel. Bien informée par ses indicateurs, la police les devance et coffre préventivement les militants à travers tout le pays, sauf à Vienne où Louise Michel, le compagnon Thennevin, Pierre Martin et Joseph Tortelier appellent les ouvriers et les ouvrières à la révolte. Brandissant des drapeaux rouges et noirs, la foule des pauvres investit la rue et prend d’assaut les fabriques des « affameurs ». La grève dure cinq longs jours au terme desquels la petite ville, soumise à un véritable état de siège, doit plier devant le légalisme républicain.
Chaque 1er Mai prend désormais le pouls de la lutte des classes aux quatre coins du monde. En France, celui de 1891 se solde par le massacre de Fourmies. L’année suivante, il tombe juste après le procès de Ravachol, et peu de manifestants osent défiler. Quelques années plus tard, en 1905 puis en 1906, la jeune CGT, alors révolutionnaire, montre sa force et sa capacité à mobiliser les travailleurs. C’est l’époque où les fonctionnaires, bien que l’Etat patron ferme les yeux sur leurs arrêts de travail, protestent qu’ils ne veulent pas être payés en ce jour de lutte : « Si les travailleurs de l’État acceptaient d’être payés le Premier Mai, ce jour-là ne serait plus considéré par eux comme une manifestation, mais comme un jour de réjouissance. Or ce n’est pas le cas . »
Le 1er mai 1914, la guerre est dans tous les esprits : « Cinquante millions d’hommes s’unissaient avant tout dans cette suprême pensée dans toutes les capitales, dans toutes les villes, jusqu’à Sofia où le prolétariat manifesta dans les rues […] » Deux jours plus tard, les élections envoient plus de cent députés socialistes au Palais-Bourbon. En Allemagne, le SPD est déjà le premier parti politique du Reich. Mais la montée en puissance de l’Internationale socialiste cache une mortelle faiblesse. Mise au pied du mur lors de la mobilisation d’août 1914, elle se délite et se soumet plutôt que d’appeler à la grève générale illimitée, seule action capable d’arrêter la guerre. Le mouvement ouvrier ne s’en relèvera jamais.

Pour récompenser les travailleurs de s’être bien fait tuer, le gouvernement de la République française vote la loi des huit heures le 25 avril 1919, quelques jours avant le premier 1er Mai de paix depuis cinq ans. Pourtant, cette année-là, les manifestations dépassent en amplitude tout ce qu’on avait vu avant la guerre, comme si la classe ouvrière se réveillait d’un long cauchemar, et plus d’un militant, devant cette démonstration de force, dût regretter amèrement la reddition sans combat du 1er août 1914.
1920 mobilise encore plus de monde, mais deux ans plus tard, les effectifs ont fondu : le congrès de Tours vient d’entériner la scission du mouvement ouvrier, et ceux qui ont assisté alors au 1er mai 1922 témoignent d’une journée « de découragement et d’abdication ».
En 1933, c’est vers l’Allemagne que les regards se tournent. Le chancelier nouvellement élu, après avoir fait assassiner ou emprisonner des milliers de militants de gauche, récupère le Premier Mai des travailleurs en lutte pour le transformer en une gigantesque parade militariste : des centaines de milliers d’ouvriers réquisitionnés défilent devant le führer, encadrés par les SA. Trop heureux que leurs organisations n’aient pas encore été interdites, les leaders des syndicats libres ont appelé leurs adhérents à participer aux manifestations nazies. Hitler les remercie dès le lendemain en les faisant jeter en prison. À quelques milliers de kilomètres de là, les ouvriers russes défilent pareillement devant le maître du Kremlin.
Comme les premiers Mai d’avant la Grande guerre, celui de 1937 rassemble en France des foules considérables, plus même qu’en 1920, mais cette force apparente est bien trompeuse pour qui ne se laisse pas griser par les flonflons. Car, pour la première fois, la fête s’invite à la journée de lutte. Déguisements, musiques, bals : la classe ouvrière fête ses récentes victoires et le gouvernement du Front populaire lui déroule le tapis rouge. La foule déambule, bon enfant, à travers Paris, et passe sans s’émouvoir devant le bureau du tourisme allemand où flotte le drapeau nazi. Certains militants protestent contre « une parodie de festivités bourgeoises » ; les journaux de droite, eux, se réjouissent de la fin d’une « mystique », celle de la révolution sociale.

Le 1er Mai devint officiellement chômé et rémunéré pour les Français en 1947. Le patronat avait depuis longtemps accordé les huit heures, il pouvait même, bon prince, payer en prime aux salariés leur journée de « fête du travail » Que représentaient ces aumônes alors que la productivité avait été multipliée par 20 depuis le début du XIXe siècle ?
Maurice Dommanget ne vécut pas assez longtemps pour voir la gauche française arriver au pouvoir et se vautrer dans le capitalisme, ni le système soviétique imploser, battu à plate couture sur le terrain de la production, ni la mondialisation libérale submerger jusqu’à la Chine marxiste-léniniste — tout cela rendant de plus en plus dérisoires les défilés étiques de Bastille à République parcourus par des « damnés de la terre » avant tout préoccupés par la vente du muguet syndical.
À chaque époque ses luttes. Le 1er Mai des revendications pour un partage moins injuste des fruits de la croissance est mort, car nous allons entrer, de gré ou de force, dans l’ère de la décroissance. Pour préserver leur pouvoir et leurs rentes, les profiteurs du capitalisme vont devoir reprendre un à un les droits concédés au fil des décennies. L’opération a déjà commencé.
Les exploités se retrouvent toujours devant la même alternative : revendiquer des aménagements du système ou le changer de fond en comble ? La première voie nous a conduits là où nous sommes, au terme d’une longue décadence dont les 1er Mai des dernières décennies furent les fidèles reflets. Les initiateurs de l’EuroMayDay, 1er Mai alternatif né en Italie en 2002 et en passe de s’enraciner à travers toute l’Europe sur des bases anti-capitalistes et internationalistes, proposent clairement la voie de la transformation sociale, faisant ainsi écho à la dernière phrase du livre de Maurice Dommanget, qui sonne comme un appel : « Le 1er Mai […] saura se dépasser en se renouvelant »

François Roux
Le Monde libertaire, n°1436 27 avril 2006

- Histoire du Premier Mai

La réédition de l’ouvrage de Maurice Dommanget (1888–1976) doit être saluée comme il se doit. Parcourir l’histoire de ce jour si particulier, c’est partir à la découverte de l’histoire sociale de la fin de XIXe siècle aux années 70. C’est remonter aux origines, les luttes lointaines pour la limitation du temps de travail et ce funeste 1er mai 1886 à Chicago.
Un important travail de recherche a permis à l’auteur de faire vivre comme un être humain ce jour si chargé de symboles.

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