Extrait :
En plein été, le Causse soudain se mettait à parler d’hiver, de gorgées de lait chaud, de flambée de bois, de châtaignes grillées, de doigts ou de chiens frigorifiés. Il y avait si peu d’hommes, si peu de hameaux et si peu d’arbres au demeurant. Quelques brebis seulement, par ci, par là, et une carcasse blanchie contre laquelle mon pied vint butter.
Nadine Ribault aime la marche et la nature. Elle écrit des romans, mais après chacun d’entre eux, après cet acte de création et de résistance, cette inspiration, elle a besoin de s’ancrer à nouveau dans son existence, de s’appuyer sur le réel, d’expirer. Cela, elle le réalise en écrivant ce qu’elle nomme des Points d’Appui, sortes de carnets d’écrivain, comme le peintre a son carnet de croquis, mais élevés au rang de pièces maîtresses. Ces Points d’Appui sont tous rattachés à un lieu, ici les Cévennes.
Dans les Carnets des Cévennes, Nadine Ribault nous raconte sa marche à travers les Cévennes – les drailles, les fleurs sauvages, le Mont Aigual et le défilé des nuages. Chemin faisant, sa rêverie ouvre la voie à des questionnements esthétiques et philosophiques, intimes parfois, et à une mise en perspective de l’acte d’écriture qu’elle maîtrise au demeurant parfaitement bien : le mot est toujours juste, jamais en trop, la phrase est ciselée et légère.
Revue de presse
C’est de la marche, du corps en mouvement, qu’émane une certaine pensée autonome. Telle est la dé-marche de l’auteure, Nadine Ribault, qui pérégrine à travers les belles Cévennes (avec une escale culturelle à Londres, oubliée dans le titre). Au fil des drailles* et de sa sensibilité, elle convie tantôt la poésie reçue directement du paysage, tantôt la philosophie sous forme d’invisible, d’absolu ou d’infini, toujours emportée et portée par l’amour du beau. Elle montre à quel point la culture émane aussi d’une confrontation de l’homme/femme à la nature.
Trouvant en certains lieux privilégiés un « point d’appui » (du pied d’abord version Rilke, puis de l’esprit), elle y développe une écriture distincte des « saccades temporelles » propres au roman. Ainsi certaines montagnes sont « bousculées » (Aigoual), d’autres sont « posées comme les oiseaux qui ont replié leurs ailes. Là, « la terre avait poussé d’elle-même » au Chaos de Nîmes-le Vieux », cet « âpre plateau rocheux où tout, sous l’effet du vent des rafales, des pluies, a poussé de travers… ». La promenade commune (on découvre la présence d’un compagnon de cheminement) est ponctuée de beaux instants de contemplation : « « Sur cet à-plat, allongés sur le dos, nous contemplions le ciel, nous prenions la mesure du silence et de comment la montagne tendait les bras vers le ciel et l’attirait vers elle ».
L’œil de la marche est ici œil de l’esprit. Selon l’auteure, « les mots ne fixent pas. Ils embrasent ». Elle invente un langage qui dit ses états d’âme en néologismes (déconsolation, greffure, assemelation, précipiteux, rapter le cerveau…). Véritable guide, le langage intègre et prolonge aisément sa vision d’un monde au-delà des apparences : « On ne se bat pas contre l’invisible. On ne s’interpénètre pas avec l’invisible. On le porte en soi. » Nul besoin de convoquer tout à la fois Camus, Sophocle, Pierre Louÿs- Simone Weil, Kazantzakis, Ravel, Epstein, Proust, Charlie Chaplin, etc. Trop émaillé de références, le texte perd sa puissance évocatrice. Sa marche dans les Causses aurait pu nous conduire à la seule liste de noms étrangers des résistants cévenols. Le lecteur aurait été comblé par le rappel grave de cette mémoire collective.
Festival Du Livre Et De La Presse D’ecologie