On est donc émerveillé par l’émerveillement de cette écrivaine aventureuse et féministe, amie de Jack London, face aux miroitements subtils de la Sierra Nevada. Modestie, patience… L’écologie avant l’heure.
Arnaud Gonzague – Terra Eco
Revue de presse
Petit livre très dense : un trésor.
Le Pays des petites pluies n’est pas un roman. Il s’agit de courts textes décrivant autant que possible le désert du Sud de la Californie. Encore que le terme « désert » soit loin d’être exact. Austin refuse en effet l’emploi de ce terme qui englobe toute une région dans une seule appellation du point de vue de l’être humain et en particulier du colon blanc, qui est souvent aveugle aux réalités du lieu.
Au milieu du désert, où le bétail est absent, il n’y a pas de charognards, mais si vous vous enfoncez suffisamment loin dans cette direction vous avez toutes les chances de sentir sur vous l’ombre de leurs ailes relevées. Rien de la taille d’un humain se déplacer inaperçu dans cette contrée et ils savent très bien comment cette terre traite les étrangers. On peut trouver là des indices de la manière dont un territoire impose de nouvelles habitudes à ceux qui l’habitent.
Or elle s’attache à détailler toute la diversité des existences de la faune et de la flore au fil des saisons, les altitudes, les climats… Elle en montre toute la richesse et l’originalité et présente surtout les interactions entre les modes de vie de chacun, entre une herbe et un rongeur, un oiseau et une certaine heure du jour. Ce territoire est observé à hauteur de musaraignes ou de petits oiseaux : les sources, la moindre goutte d’eau, les sentes dans l’herbe, les bruits des plantes qui poussent, le son de la rivière. La vie est passionnante vue d’en bas !
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Retrouvez toute la chronique chez Mark et Marcel
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Les amis américains
Tendance lourde cette année : l’abondance de traductions de textes de référence en matière de philosophie de la pensée écologiste, et d’auteurs de “nature writing”, la littérature inspirée par la nature, très en vogue aux États-Unis. Wildproject veut ainsi donner accès aux ouvrages américains qui ont construit le courant de l’éthique environnementale. (...) Dans un registre similaire, l’éditeur marseillais Le Mot et Le Reste a lancé en janvier Le Pays des petites pluies, un des grands classiques de la tradition américaine de “nature writing”, écrit par Mary Austin. Est également prévu en août Histoire naturelle de Selborne, ouvrage paru pour la première fois en 1789 et écrit par Gilbert White, considéré comme l’un des pères fondateurs de la pensée écologiste. L’année dernière, la nouvelle version française de Walden de Henry D. Thoreau par Brice Matthieussent, le traducteur notamment de Jim Harrison, avait obtenu un gros succès, les 4000 exemplaires étant aujourd’hui épuisés. (...)
Le titre du livre de Mary Austin, Le pays des petites pluies, a une grâce intrigante : celle de ces ondées qui font hésiter une seconde sur son contenu : recueil de poésie amérindienne ? de géographie à vocation hydrographique (faibles précipitations) ? etc. De fait, à partir de 14 récits, se reconstruit un monde autre – au tout début du XXe siècle – où règne encore une certaine harmonie et/ou complicité entre l’homme et la nature.
L’ouvrage est bouleversant (1) car il propose un véritable renversement de perspective : il est une véritable parole de la nature, comme si celle-ci avait des yeux pour s’observer et des mots qui affleuraient pour révéler sa propre vie.
Le désert du grand ouest (californien et mexicain) et ses habitants – paiutes, shoshones, etc. – parlent. Que disent-ils ? Les paysages d’abord. La montagne a « un visage » et » pleure », le lac est « l’œil de la montagne », les collines possèdent « un langage », les prés sont « heureux », une force cachée (geysers ou laves) ronge et brûle le sol, les étoiles rendent « insignifiante l’agitation du monde ». Les animaux ensuite : pour les « petites bêtes », les sentiers sont des routes de campagne, le coyote sait « décider et éviter le terrain à découvert comme un homme », les cerfs suivent le « plus court chemin pour traverser la vallée », corbeau et coyote s’épient car ces rivaux se partagent les mêmes proies. Les végétaux enfin : le pin dont les branches ploient sous le poids de la neige, le bouleau qui « contrarie les plans des autres » en étouffant la rivière qui le nourrit, le sapin qui consacre son énergie à « parfaire ses élégants cônes lustrés ».
Les habitants s’inscrivent dans et émanent du paysage. La vannière célibataire et aveugle vit « dans un paysage qui lui ressemble » en fabriquant des paniers qui vont « au-delà de l’habileté » (car porteurs d’art). L’homme médecine est tué pour n’avoir pas su vaincre une épidémie de pneumonie. Les shoshone qui vivent comme les arbustes mesquite séparés entre eux par de grands espaces. Le chercheur d’or (pourtant non indien) sans fusil et trappeur, heureux n’importe où « en plein air ».
Au-delà de cette description de la nature, l’auteure se désigne par sa religiosité (référence à St Jérome, Moïse, Déborah, etc.) ou sa culture ( L’Iliade, Shakespeare, la botanique), l’émergence du « Je » dans un désir d’achat « d’un pré » aux églantiers et herbes folles, ou la perception aiguë d’instants fulgurants : une corne de mouflon entravée dans la fourche d’un pin qui y préserve les os crânien. Sa démarche littéraire transmet la saveur de ce monde dans lequel elle est en osmose, sans jamais oublier son intelligence intrinsèque : le Far-West se mue en Near-West.
Au terme de ce livre initiatique, l’univers n’est plus celui de nos habitudes anthropocentriques (orgueil et narcissisme en font un usage démesuré jusqu’à la destruction). Ces « petites pluies » engendrent un ouragan dans nos têtes : la nature, aussi importante qu’un homme, est une interlocutrice incontournable. Voila une invitation secrète à se dépouiller des « préjugés » et des scories civilisatrices, « comme le lézard de sa peau ». Après tout, In the wind est in the mind, n’ont qu’une lettre de différence !
Festival du livre et de la presse d’écologie
Jane Hervé
Mary Austin, Le pays des petites pluies, Attitudes, Le mot et le reste, 2011, 16 euros
Avec Eléonore Sulser (Le Temps), Jacques Sterchi (La Liberté) et Sylvie Tanette (Espace 2)
Animation : Jean-Marie Félix
Les livres au programme:
– Michel Layaz, Deux sœurs, Editions Zoé
– Kossi Efoui, L’Ombre des choses à venir, Editions du Seuil
– Dominique Fernandez, Pise 1951, Grasset
– Hubert Mingarelli, La lettre de Buenos Aires, Editions Buchet-Chastel
Les coups de cœur des critiques :
* Eléonore Sulser : Mary Austin, Le Pays des petites pluies (trad. de François Specq qui paraît chez Les Mots et le Reste)
* Sylvie Tanette : François Cavanna, Lune de miel (Gallimard)
* Jacques Sterchi : Kenneth White, La Carte de Guido (Albin Michel)
Pour écouter l’émission, rendez-vous sur le site Internet :
Radio Suisse Romande
Un mot de l’auteur Mary Austin d’abord car son nom n’est pas connu en France, auteur prolixe, théâtre, nouvelles, c’est ce récit publié en 1903 qui l’a fait connaître et en a fait le chantre de la nature à l’égal de John Muir ou Thoreau, elle fut amie avec Willa Cather et Jack London.
C’est le désert qui est ici au cœur du livre, Mary Austin aime le désert car dit-elle « Pour tout ce que le désert prend à l’homme il donne une contrepartie, des respirations profondes, un sommeil profond et la communion des étoiles. Il nous vient à l’esprit avec une force renouvelée, dans les silences de la nuit ».
14 courts chapitres initialement écrits pour les journaux qui vont vous faire parcourir le désert des chercheurs d’or, celui où des fables nourrissent l’imaginaire, vous pourrez repérer les sentiers qui mènent aux sources, admirer « cinquante sept busards, un sur chacun des cinquante sept poteaux de clôture du ranch El Tejon, par un matin de septembre favorable au mirage, vous enfoncer sur les terres des indiens shoshone « Le pays du mouflon, du wapiti et du loup. »
Tout est prétexte à émerveillement pour Mary Austin, tenez par exemple, le pré de son voisin, convoité, échangé, acheté, revendu, traversé d’un ruisseau, il finit un peu abandonné, la nature reprend ses droits « il est intéressant de voir cette reconquête d’un ancien territoire par les plantes sauvages que l’homme a bannies ». Le pré change de couleur au gré des saisons « Depuis le cœur de l’été jusqu’aux gelées la note dominante du pré est l’or clair, tournant à la teinte rouille de la bigelovie sur le déclin, une succession de couleurs plus admirablement réglées qu’un changement de décor au théâtre ».
Canyons, sierras, mesas, sentiers sont son domaine mais les histoires des hommes aussi tels ses gardiens d’écluse en un pays où l’eau est un trésor. Attentive à la beauté, l’auteur observe et note avec précision en naturaliste passionnée. Ses récits dégagent une grande poésie, un certain lyrisme et un immense amour pour ce pays « de rivières perdues, où il n’y a pas grand-chose à aimer ; et pourtant un pays vers lequel on ne peut que revenir une fois qu’on l’a jamais visité. »
Ecoutez son appel : « Venez donc vous qui êtes obsédés par votre importance dans l’ordre des choses, et qui ne possédez rien qui n’ayez obtenu sans peiner, venez par les sombres vallées et les collines charnues, jusqu’au pays des jours paisibles, et faites vôtres la générosité, la simplicité et la sereine liberté. »
François Specq traducteur et préfacier dit du livre « magnifique célébration de la beauté sauvage », si vous aimez Edward Abbey ou John Muir, si Walden est un livre important pour vous, si vous avez aimé Elisée Reclus et son Histoire d’un ruisseau, alors Le pays des petites pluies ne vous décevra pas.