Parution : 15/02/2005
ISBN : 9782915378139
105 pages (14,8 x 21 cm)

14.00 €

Nous disions donc, Matteo, que le bruit de la mer empêche les poissons de dormir ?

« Ne rien faire, au bord du monde, où de vagues cailloux usent le temps sans souci, et les objets perdus. Rien n’est pour rien, mais les rivages sont pour le vide et l’abandon; à ce qui roule et se tait là; jusqu’à l’autre ligne, l’extrême, la régulière, à l’opposé de celle-ci que tourmente le baiser sourd des pierres et de l’écume. 

La terre et la mer se prennent et se quittent. Aucune fonction n’est attribuée au passant, rien n’attend qu’il intervienne. Le sable, quand la chose lui incombe, retient encore un peu d’humide hasard, puis cède, offrant une place fugace à la trace. Tout est en mouvement, rien n’agit. Ne rien faire est la condition de l’accord. Une fois établi, révocable, alors, le soir, après la pluie, au moment juste où le crépuscule glace tout — les crêtes, dans le dos, coupent soudain le soleil —, on peut suivre des yeux, aux mouchetis de leurs pattes, les errances des oiseaux partis ; en tous sens ils ont couru là, on dirait tout fous.

*

Communication terrestre – I

Qui saurait dire combien de temps s’est écoulé depuis que l’on n’aperçoit plus rien d’autre que le halo jaune où l’on se précipite ? Il reste un peu du monde, à toute allure qui vient à l’encontre, en un instant passé.
Avant, il y a eu de grands éclats de garance et de pourpre, le crépuscule, et des nuages de grisaille et de carmin, aux cumuls entrecoupés de gloires. Et la nuit est là, sans être venue. Le rêve de la fin du jour a effacé ce qui sombrait : tout s’est réduit à cette plus simple expression — qui sait comment ? On est assis à l’ombre, à poursuivre une bulle indécise de lumière, dans laquelle on n’entrera pas. Au delà d’elle, rien, peut-être infiniment ; la nuit, le vide, et la ténèbre. Pas question de réfréner l’emportement, c’est la beauté des choses.
Dans les collatéraux, à contre-sens, roule en parallèle du blanc qui donne à entendre l’insoluble moteur de la contradiction, comme s’engendre l’âme, d’une tension entre vieux poèmes et répons, un chant du mortel, une prière à qui ? la trajectoire se place au plus juste entre ces lignes-là — elles-mêmes ne sauraient se rencontrer qu’à l’infini — , au plus près, tantôt, de l’une et de l’autre, jusqu’à l’osculation, suivant l’inflexion de la courbe.
Toi, avant le terme ultime de la lumière, n’arrête pas de créer les choses. L’espace, de la sensation de soi contre le dossier à l’extrême portée du regard, est le champ du possible : épuise le, mon âme, des pieds et des mains, l’œil rivé où il n’est dimension ni mesure, ni rien à percevoir — confiante, en deçà, dans le surgissement continu du réel. »
Proses brèves
L’auteur nous fait lire des proses brèves où l’image enlumine des paysages secs et spirituels, ivres de poussière et de vent. Les narrations, concises, s’ancrent dans un ailleurs et dans la mémoire écrasée du temps.

Revue de presse

- Nous disions donc, Matteo, que le bruit de la mer empêche les poissons de dormir ? André Ughetto Autre sud n°31

- Nous disions donc, Matteo, que le bruit de la mer empêche les poissons de dormir ?
Des « proses brèves » annoncées en sous-titre du recueil, mais qui font place à quelques poèmes versifiés (dont un sonnet parodiant « La Beauté » de Baudelaire) et fonctionnent sur plusieurs registres d’écriture. Le poème liminaire, adressé à la « fausse Lesbie de Catulle », tout comme l’« Évocation » suivante de « Circé l’épervière », rappellent discrètement la culture classique de ce grand traducteur du grec et du latin. Et il y aura encore, çà et là, des allusions que la philosophie antique peut éclairer, ou des personnages — Hector, Calypso… — légués par Homère.
Mais l’intérêt principal est autre. Connaître ou non la Physique d’Aristote n’affecte en rien l’immédiate sensation d’humour dégagée par ces textes et le sentiment critique dont ils témoignent dans la perception qu’ils suggèrent du réel. Une fraîche amertume emplit la voix qui parle à notre oreille interne. Elle nous confie une riche expérience d’observateur, de voyageur, d’amant… Le récit est d’ailleurs ce qu’elle développe avec prédilection, en alternance avec des notations de « choses vues » dont la brièveté est plus congruente que les narrations par rapport au sous-titre (partiellement mais volontairement inexact). Ce que nous dit cette incongruence, c’est que la poésie n’est pas (ce que d’ailleurs nous savons tous) un genre défini par des critères extérieurs, mais une certaine pénétration aiguë du regard au coeur des affaires humaines et cosmiques. Sans jeu de mots, c’est la vertu comique, la vis comica (hommage au latiniste !) qui me séduit le plus, mais qui ressort d’autant mieux qu’elle pratique des pauses en des moments de contemplation qui oscillent entre le « sentiment tragique de la vie » (pour reprendre un beau titre d’Unamuno) et la dérision jetée sur toute métaphysique présente et à venir. La mise en scène qui fait apparaître la vieille Nunzia-Maria, qu’une vendetta a réduite au veuvage depuis quarante ans, la narration qui s’ébauche pour dire la « rigueur de l’hospitalité » chez un paysan solitaire, et son amplification lorsque le narrateur pénètre dans un labyrinthe d’habitations troglodytes où il lui faut consentir à baiser finalement « La Bouche de la Murène » (selon le titre de l’épisode), enfin l’évocation en deux parties du siège de Bétulie — diptyque aux panneaux séparés par une dizaine d’autres textes — montrant comment la belle Judith (la plus rayonnante veuve de ce recueil qui en comporte plusieurs) parvint à séduire et à tuer le général ennemi Holopherne, tous ces récits paraissent d’un excellent nouvelliste, pour qui cependant la tension poétique ne baisse pas en vue du dénouement vise. Ces (fausses) proses rigoureusement agencées, stylistiquement sans défaut, dispensent une jouissance véritablement gustative, que l’on recommande aux gourmets.
André Ughetto
Autre sud n°31
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