Une leçon d’histoire, côté jardin. Une cour de récréation pour nous tous qui avons tant besoin de repenser le monde, encore et toujours.
Jean Rouzaud – Nova
Qu’y a-t-il de commun entre les Amish, les Ranters et Barbe Noire ? Entre les hippies, les beatniks et les communards du XIXe ? Entre les indignés, les hackers, ces nouveaux pirates de la cyberculture, et Prométhée ? C’est ce que cet ouvrage se propose de vous expliquer.
Contre-culture(s) dépeint une histoire originale des dissidences à partir des années deux mille et en remontant jusqu’à l’antiquité grecque, au seuil de notre civilisation judéo-chrétienne. Si le terme de « contre-culture » a été théorisé dans un cadre très précis, la contestation tous azimuts des turbulentes années soixante, l’auteur a voulu remonter le temps pour écouter les voix dissidentes qui se sont fait entendre, fouiller les microsociétés qui ont tenté de se pérenniser en marge de l’ordre établi.
Vaste panorama historique des tentatives de rébellion et de réalisation d’utopies, Contre-culture(s), des Anonymous à Prométhée permet de remonter la riche lignée de la logique contestataire, d’en dresser une sorte de généalogie, de rétablir la voix des vaincus.
C’est un peu une histoire populaire de la contestation, à rebours de l’ordre chronologique et des canons établis.
Revue de presse
Il y doit y avoir quelque chose dans l’air de Pigalle. Du Grand Duc au Sans Souci de la Locomotive au New Moon, du Bus au Folie’s Pigalle : le quartier reste le point névralgique d’une certaine idée de la nuit, de la fête et des marges. Aujourd’hui à l’honneur dans le cadre de la RBMA, i-D s’est penché sur l’histoire de ce quartier mythique, des clubs de jazz des années 1920 au bordel actuel du Titan.
« Pigalle, c’est la poésie de la nuit noire crevée par le battement d’enseigne des cœurs électriques. C’est un peu de pluie mêlée aux roulis de pianos », écrivait le scénariste René Fallet, en 1949. Les néons sont aujourd’hui fatigués : les lettres du Folie’s Pigalle grillent à mesure que la clientèle délaisse le club. Les rideaux de velours des cinémas porno ont la couleur des étoffes trop exposées au soleil. Les prostitués ne sont quasiment plus. Pourtant, bien au-delà de l’aura touristique qui amène encore des cars massifs devant le Moulin-Rouge, Pigalle vit toujours la nuit. « Pigalle c’est un quartier où tu peux encore cloper dans certains clubs, où tu croises des artistes, des dealers, des djihadistes en devenir, de vieilles prostituées. Un endroit carte postale un peu cheap mais qui reste authentique, un endroit où le smoothie sans gluten ne règne pas encore totalement en maître, décrit Guillaume Sorge, le directeur artistique du Festival Red Bull Music Academy (1), qui a imaginé une déambulation nocturne dans le quartier.
D’aussi loin que remonte l’histoire de Pigalle, le quartier n’a cessé de mêler les paumés, les artistes, les bien-nés en manque de frisson, les déchus, les hors-normes… « Il y a des endroits telluriques. Pigalle est certainement une zone comme ça. Je ne sais quelles racines il y a dans le sol et qui engendre ce phénomène fait d’amours et de rencontres », explique Claude Dubois, historien de Paris (2). Pigalle est ce quartier fait de fantasmes qui tient entre deux stations, Pigalle et Blanche, le boulevard Rochechouart et de Clichy et les rues perpendiculaires à la place Pigalle. « Historiquement, le quartier se situe aux marges géographiques, culturelle et sociale de Paris, c’est aussi un lieu où l’ordre et la loi avaient moins de prise. Un lieu de confrontation entre la norme et la dissidence : c’est la conjoncture parfaite pour faire croître une micro-société correspondant au profit de la contre-culture », analyse Steven Jezo-Vannier, historien et essayiste (3). Alors Pigalle en a vu passer des artistes, ceux qui refusaient de s’accommoder d’une certaine réalité, donnant naissance à des cultures en marge, tombées ensuite dans le mainstream ou tuées dans l’œuf par refus de la concession.
Investi par la mafia corse, qui s’ennuyait ferme sur l’île de Beauté et qui avait appris les rudiments du commerce du sexe dans les villes portuaires de Toulon et de Marseille, le quartier Pigalle se fait vider de ses petites frappes, toutes tuées par règlement de compte, dans la deuxième décennie du XXe siècle. C’est l’époque du jazz et de l’épopée d’Eugene Ballard. Enfant d’esclave, cet Américain n’a qu’un rêve : vivre en France. Pendant sa traversée de l’Atlantique, il débarque malgré lui àLiverpool où il devient docker, puis boxeur. Après un combat victorieux à l’Elysée-Montmatre, en 1913, il décide de s’installer à Pigalle. Seulement, c’est la veille de la Grande Guerre, et il est enrôlé dans l’armée. À son retour, il se marie avec une fille de comtesse et se paie Le Grand-Duc, au 52, rue Pigalle. Charlie Chaplin, Francis Scott Fitzgerald, Ernest Hemingway, Man Ray, Louis Amstrong fréquentent ce club ouvert jusqu’à l’aube en pleines Années Folles. Tout à côté, il y a chez Bricktop’s, fondée par la chanteuse afro-américaine Ada Smith, où l’on échauffe ses pieds sur du charleston, qu’elle a importé. Django Reinhardt, lui, fréquente le sulfureux New Monico, temple du tango. La Deuxième Guerre mondiale met fin aux bars à bulles.
Il y a des endroits telluriques. Pigalle est certainement une zone comme ça. Je ne sais quelles racines il y a dans le sol et qui engendre ce phénomène fait d’amours et de rencontres
Les bandits corses continuent de faire leurs petites affaires : proxénétisme, trafic de drogue…Joseph Marini est le chef de la pègre. Régulièrement, il fait exécuter des adversaires par fusillade. Il ne fait pas bon de se promener au pied de la Butte. Mais Pigalle continue de fasciner, notamment les garçons de bonne famille qui rêvent d’être gangster. Comme Monsieur Bill, de son vrai nom Georges Rapin, gérant du Sans-Souci né dans le 16e bourgeois qui s’invente une vie de crapule jusqu’à tuer sa maîtresse prostituée en 1959. Il sera décapité par la justice. Pigalle a le goût du drame.
Dans les années 60, la police tente de nettoyer le quartier, et c’est la période des yéyés, fils à papa bien mis qui vont danser le jerk au Bus Palladium ou à la Locomotive. La légende les compare aux Mods londoniens. Chacun rivalise de bon goût : Johnny Halliday se prend pour Elvis, François Hardy scintille en Paco Rabanne au concert des Who.
[…]
Steven Jezo-Vannier a déjà publié plusieurs ouvrages sur les expériences alternatives des sixties, la culture rock et la presse parallèle. Avec Contre-culture(s), il ouvre l’angle d’observation et propose une histoire
à rebours des contestations débutant par la présentation des mouvements contemporains d’opposition à l’ordre dominant (Hakers, Anonymous, Indignés, Raveurs…) puis remontant le temps pour en retrouver les fondements.
À l’instar des Diggers, un collectif artistique dont le slogan est Tout est gratuit, fais ton propre truc !, et dont le nom est emprunté à une communauté du XVIIe siècle, le propos est d’éclairer la tradition des dissidences, de rapprocher les formes et d’appliquer le principe clef de l’action au présent.
Cette généalogie inversée de l’esprit d’utopie, des séditions, des pirateries, des radicalités qui osent se frotter aux conformismes de la tradition et du bon sens aussi bien qu’aux autorités les plus inclémentes, apparente des hommes et des femmes tous impatients de justice et d’émancipation : Punks et Hippies, Dadaïstes et Provos, Communards et Transcendantalistes, Bégards, Rustauds, Cyniques et Orphiques…
Et comme ces hautes lignées qui aiment à afficher un pédigrée pompeux, quelques ancêtres héroïques, parfois une extraction divine, elle accorde à cette famille composite d’idéalistes éloquents et de sans voix de l’histoire, une ascendance mythologique du côté de Dionysos, Pan et Prométhée.
On perçoit aisément ce qui relie ces trois figures tutélaires aux modernes contestataires dans une manifestation comme, entre autres exemples, le Burning Man Festival qui se tient chaque année dans le désert de Black Rock au Nevada et s’achève par la crémation festive d’un mannequin géant : regroupement initiatique, mystères improvisés, euphorie collective et création débridée, en plus du malin plaisir à contourner les règles sévères du quotidien.
Quant au détournement prométhéen de la technique, il est illustré par les Anonymous arborant le masque de Guy Fawkes, conspirateur anglais du XVIe siècle, proclamant Nous sommes légion, redoutez-nous ! Et invitant chacun à mettre au jour les secrets du pouvoir et du savoir, afin que les hommes deviennent souverains d’eux
mêmes.
Pour rester bien sur terre, il est deux manières d’ouvrir l’ouvrage bien documenté de S. Jezo-Vannier. La première est d’approcher, au gré des curiosités, chacun des chapitres comme un tableau dans une galerie de
portraits.
Déjà, la précision des détails aide à se repérer dans le paysage changeant et par nature diffus de la contre culture informatique.
Les enjeux du contrôle du monde numérique ressortent de l’antagonisme entre white hats et black hats, bricoleurs agissant dans la perspective de socialiser la micro-informatique et hakers mercenaires aux objectifs troubles ou malfaisants.
Le cas de R.Tappan Morris met en lumière la prolifération et le glissement quelques fois incontrôlé des intentions. Il est l’auteur du premier ver informatique. Lancé depuis le MIT, son invention avait pour but de dénombrer les machines connectées à Internet. Elle s’est démultiplié causant de nombreux dégâts et lui procurant un peu de notoriété et plusieurs condamnations en justice.
Rarement théorisé, l’ensemble des valeurs et des engagements qui parcourent l’espace virtuel, s’y fédèrent ou s’y heurtent, se décante à l’exposé de la déclaration d’indépendance du cyberespace de John Perry Barlow (Gouvernements du monde industrialisé, géants fatigués de chair et d’acier, je viens du cyberespace, le nouveau domicile de l’esprit… Vous n’êtes pas les bienvenus parmi nous. Vous n’avez aucune souveraineté sur le territoire où nous nous assemblons) et des manifestes d’Hakim Bey (pseudonyme de Peter Lamborn Wilson) promoteur d’un terrorisme poétique et d’un Web où surgissent pour aussitôt se volatiliser des zones d’autonomie temporaire.
La seconde approche de Contreculture(s) consiste à accepter la parenthèse du titre et donc le fil conducteur d’un apparentement entre des mouvements éloignés dans le temps dont chacun porte un regard oblique et indocile sur son présent.
En d’autres mots, comment se détacher des historicités ? Et peut-on parler de contre-culture avant que l’expression n’apparaisse ? C’est-à-dire avant que T. Roszak ne pose le terme à la fin des années 60, pour coaliser dans un même élan de contestation Beat Generation, révolution psychédélique, pacifistes et nouvelle gauche, activistes noirs, écolos et premiers bidouilleurs du net. Soit, aux États-Unis plusieurs centaines
de milliers de personnes qui tentent l’aventure communautaire, sacrifient à l’idéologie rustique, marient spiritualités orientales et exploration des entrailles des calculateurs des universités…
On s’affranchira, le temps de la lecture, de l’anachronisme en séparant l’esprit et la doctrine, le dogme auquel parfois l’émancipation conduit et le principe de sa mise en oeuvre.
Ce qui rapproche les mouvements ici inventoriés ne sont pas la contestation et le défi de l’autorité.
C’est l’immédiateté : la construction dans les marges d’autres possibles, sans attendre de meilleurs lendemains ni compter sur d’autres ressources et forces que les siennes propres.
On pourra, dès lors convoquer les farfelus qui sans trop se soucier de la raison immédiate ont, d’âge en âge, inventé des expériences généreuses et des rêves concrets dont le point commun est l’accord instable de la liberté individuelle et de la vie en société.
Dans Utopia, l’un d’eux, T. More écrivait en 1516, l’année même où Rabelais imaginait l’Abbaye de Thélème : Partout où la propriété est un droit individuel, où toutes les choses se mesurent par l’argent, là on ne pourra jamais organiser la justice et la prospérité sociale, à moins que vous n’appeliez juste la société où ce qu’il y a de meilleur est le partage des plus méchants…
_Contre-culture(s) trousse et retrousse l’archaïque tension entre le doute et la certitude, entre l’ordre et le dérèglement. Et puisque ce panorama emprunte à l’image de l’arbre dépeint depuis les jeunes pousses jusqu’aux racines profondes, on pourra en le refermant se souvenir du dialogue que l’inventif Chesterton dans Le nommé jeudi, fait se tenir entre Syme, poète-policier et Gregory, poète tout court.
Il fait nuit. Gregory désigne de sa canne le réverbère. L’ordre, c’est cette mince lampe de fer, laide et stérile. Puis un arbre voisin, voici l’indiscipline riche, vivante, féconde, dans sa splendeur verte et dorée. Pourtant, réplique Syme avec patience, en ce moment on ne peut voir l’arbre qu’à la lumière de la lampe.
Soit mais qui aurait idée de faire la sieste sous un réverbère plutôt que sous un arbre, là où viennent lesplus beaux songes ?
Née de l’opposition aux sociétés consuméristes et puritaines, la contre-culture a pour vocation de provoquer le débat, voire le combat, et d’ouvrir à des questions dépassant largement le domaine de la culture. Mais a-t-elle encore un rôle à jouer dans un monde de plus en plus homogène ?
Dans un monde saturé d’images, de marchandisation culturelle ou de modernisation à outrance, peut-on encore se positionner en marge d’une culture majoritaire ou d’une idéologie dominante? Dans un tel contexte, la notion de contre-culture fait-elle encore sens ? La réponse dépend du sens accordé à ce terme, défini en 1968 par Theodore Roszak dans son essai The Making Of A Counter Culture (publié en français en 1970, sous le titre Vers une contre-culture). Ni avant-gardiste, ni marginale, la contre-culture y désigne l’effervescence contestataire, à la fois sociale, politique et culturelle, d’une partie de la jeunesse américaine des sixties. Dans le contexte européen, son champ diffère quelque peu, notamment en France, où se développent rapidement des courants de pensée antiaméricaniste. « Contre-culture et avant-garde sont deux phénomènes très différents, analyse Christophe Bourseiller, co-auteur avec Olivier Penot-Lacassagne de Contre-Cultures ! [éd. CNRS]. Un mouvement avant-gardiste, c’est une phalange d’artistes conscients qui se lancent à dessein dans des pratiques expérimentales. Une contre-culture, c’est à l’inverse un phénomène de masse, largement spontané, un dispositif de réponse globale à la culture dans laquelle nous baignons. »
Au (re)commencement était dada : de cette dynamique de dé(con)struction des conventions vont naître des mouvements en phase avec le réel, de la poésie brûlante et chaotique de la Beat Generation au théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud, des rites psychés de Timothy Leary aux théories combatives de Gilles Deleuze et de Michel Foucault, en passant par la démesure sonore du métal. Seulement voilà : si, selon Christophe Bourseiller et Olivier Penot-Lacassagne, les contre-modèles s’abreuvent à la même source – le dadaïsme – et sont forcément postérieures à la seconde moitié du XXe siècle, Steven Jezo-Vannier, dans Contre-Cultures : des Anonymous à Prométhée (éd. Le Mot Et Le Reste), met quant à lui en évidence une longue tradition de la dissidence. Ce que Marcelo Frediani, sociologue spécialisé dans les contre-cultures et auteur de Sur les Routes : le phénomène des New Travellers (éd. Imago), confirme : « Tout dépend des spécificités et des caractéristiques d’une civilisation. Les courants radicaux des années 1950, par exemple, sont nés dans un domaine économique critique mais culturellement homogène. Dans ce sens, et sans vouloir créer la polémique, on peut dire que le christianisme était un mouvement contre-culturel, étant donné le contexte de judaïsme dans lequel il est apparu. »
Fortement sujette à débat, cette analyse a au moins le mérite de faire écho au livre, dense et ambitieux, de Steven Jezo-Vannier dans lequel l’auteur relève des traces de contre-culture dans le comportement, entre autres, des flibustiers au XVIIIe siècle, dans le Paris bohème des années 1920 ou encore dans les revendications des diggers d’Angleterre au XVIIe siècle. Ceci dans le but de comprendre les mouvements contemporains, tels que les hippies, qu’il considère comme de simples stéréotypes médiatiques, et les punks. C’est d’ailleurs le punk qui symbolise le mieux cette culture alternative que le système rejette jusqu’au moment où la mode, les institutions muséales et les sciences sociales se l’approprient, transformant le phénomène en simple objet d’étude ou, pire, de consommation – la signature des Clash sur la major CBS en janvier 1977 en offre un bon exemple. A ce moment, le punk n’est plus le son inquiétant de la ville qui s’écroule, mais celui, pittoresque, normalisé par les médias de masse. Un point de vue partagé par Olivier Penot-Lacassagne : « Aucune contre-culture n’échappe à ce cycle qui mène de l’opposition à la spectacularisation et à la banalisation. La contre-culture punk est devenue en quelques mois une sous-culture que se partagent “des idiots à colliers de chien”, des poseurs et des marchands. »
Dossier dans son intégralité ICI
Théorisé dans les années 1960, le concept de contre-culture remonte en fait à très loin, au moins jusqu’à l’Antiquité. Historien et spécialiste de ces mouvements alternatifs, le jeune auteur Steven Jezo-Vannier a décidé d’en remonter le fil pour nous faire comprendre les points communs entre tous ces courants (beatniks, hippies, diggers, hackers) dans un livre ambitieux intitulé “Contre-culture(s), des Anonymous à Prométhée”. Rencontre.
Entretient disponible ici
Ces deux ouvrages parus au même moment reviennent sur un objet d’études similaires : la contre-culture et ses formes extrêmement variées au point d’être obligé d’utiliser le pluriel pour exprimer sa diversité.
L’ouvrage dirigé par Bourseiller et Penot-Lacassagne est finalement un objet de forme classique, issu d’un colloque universitaire tenu dans un lieu ad hoc, Cerisy-la-salle, alors que celui de Steven Jezo-Vannier procède d’une analyse elle-même contre culturelle, refusant les codes chronologiques, philosophiques pour — en partant du présent et remontant jusqu’à l’antiquité — décrire et comprendre ce refus des normes, et présenter finalement la contre-culture comme tous les refus du système, des utopies pirates aux hackers.
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Ces ouvrages sont à l’image de la contre-culture, parfois confus et partant dans tous les sens, ils sont profondément liés à leur objet d’étude qui justement répond à cette double caractéristique, ressemblant à une balade entre les utopies pirates et les analyses de Debord, le tout avec une bande-son, bien sûr, à laisser au choix du lecteur.
Néanmoins, on peut s’étonner des choix ou de certains oublis. Pour ne retenir qu’un exemple, Georges Brassens, avant d’être intégré au Panthéon de la chanson française, a longtemps été à sa marge, ne fait-il alors pas partie de la contre-culture ou, tout du moins, de ses origines directes ?
Depuis l’antiquité, chaque autorité a provoqué sa résistance ! La preuve.
Enfin un livre français qui nous rappelle pas moins de vingt siècles de dissidences, de contre-cultures, de regroupements de tous ceux qui refusent l’autorité aveugle, les lois injustes, les règles souvent absurdes ou inadaptées des pouvoirs successifs
Contre Culture(s) (éditions Le Mot et Le Reste) commence aujourd’hui avec les hackers du net, comme ceux qui tentent de communiquer uniquement avec le maillage wi-fi pour échapper à toutes les infrastructures téléphoniques ou satellitaires… et puis l’auteur remonte le temps : les années 1970 où le terme “contre culture” a été inventé, au vu des mouvements mondiaux et de la free-press.
Des Beatnicks aux Hippies, des Pranksters aux Diggers, des féministes aux Black Panthers, on prend une leçon de modestie quand on énumère les tentatives passées de restos gratuits, de solutions écologiques, communautaires… et pas toutes utopistes !
Cette remontée dans le temps est de plus en plus instructive et surprenante. Vers 1870 en France, la bohème littéraire va avoir ses Punks, ses Freaks : les hydropathes, les hirsutes, les fumistes et les zutiques! Anarchistes, libertaires, humoristes radicaux qui mèneront aux pataphysiciens, aux dadaïstes, aux situationnistes jusqu’aux Pranksters californiens des années 60.
Voilà l’intérêt de ce livre-compilation : nous faire remonter jusqu’aux ancêtres des mouvements parallèles, de voir se former les idées et les opinions jusqu’à nous, et de constater que ce qui était taxé de marginalité, de minorités négligeables et dérivantes, trouvent un écho de plus en plus grand à mesure des siècles qui passent.
Au 19eme siècle, les transcendantalistes s’opposent à tout commerce, salaire, exploitation de l’homme. Reste la nature nourricière et le troc !
Le chapitre sur l’épopée pirate, dès 1650, est un vrai roman: un territoire libre sur des mers chaudes, des utopies sur des îles, et en dehors des abordages et des courses, une véritable philosophie communautaire multi-ethnique. On parle de « culture inversée ».
Pirates donc, corsaires, flibustiers, princes des mer, boucaniers, frères de la côte… autant de noms que de nuances dans l’idéologie pirate, qui était taxée de pure utopie : comme l’idée de créer Libertalia à Madagascar, un projet de cité corsaire où le religieux et le politique sont présents.
Car ces fameux pirates ont tenté de grandes idées, des siècles avant le reste du monde: sécurité sociale, communisme, assurances et mutuelles, autogestion, égalitarisme, liberté de penser et d’agir…
De là à penser qu’ils sont l’avant-garde des révolutions française et américaine, il n’y a qu’un pas… que Fourier, Diderot ou Voltaire franchiront allégrement.
Les anglais aussi vont se lancer passionnément dans des projets de sociétés plus justes, à la recherche du «naturel», de l’homme originel.
Depuis l’_Atlantide_ de Platon, l’_Utopia_ de Thomas More, L’abbaye de Thélème de Rabelais, l’_Eldorado_ de Voltaire ou le Candide de Rousseau, nous ne cessons de chercher une cité idéale, un système social heureux, et l’harmonie à tout prix.
Exemples fameux vers 1516 : Thomas More et Rabelais écrivent leur projet. Ces livres ont du succès, servent d’exemple, de mode d’emploi à un essai de société tolérante, basée sur l’égalité et la justice, femmes égales aux hommes, partage, bien-être… hédoniste avec Rabelais, plus puritain avec l’anglais More.
Autour des religions, faisant suite à Luther et Calvin, on découvre toutes sortes de sectes puristes: les niveleurs, diggers, behmenistes, grindletoniens, barrowistes, muggletoniens, etc.. C’est en fait le début des communautés rurales plutôt fermées, partisanes du «do it now», repris par les hippies. Ces groupes vont marquer le début des communautés rurales bibliques américaines genre Quakers, Amish et autres…
À l’inverse, au même moment, ressurgissent les adamites, increvable secte chrétienne, pratiquant l’amour libre et le refus du travail !!
Apparue à l’antiquité, réapparue au 13eme siècle, puis au 16eme donc, en référence à Adam et aux premiers hommes !!
Et cela ne cesse jamais, de Rome, où des chrétiens hédonistes vont encore plus loin avec un désir de liberté totale, jusqu’à la Grèce antique ou l’exemple du philosophe cynique Diogène reste célèbre jusqu’à nous : vivant de rien, esprit critique totalement libre, ermite absolu au beau milieu des autres, ancêtre de tous les beatnicks, routards, hippies..
Lorsqu’Alexandre, héros mythique et empereur des armées, vient le voir et lui demander ce qui lui ferait plaisir, Diogène lui répond: ”ôte toi de mon soleil !”.
Tout est dit ; la contre culture est déjà là, elle ne veut ni pouvoir, ni argent, ni armée, seulement vivre le mieux possible, en harmonie avec les éléments, les autres, la nature, le temps.
Des dizaines d’autres exemples émaillent ce livre-monde, jusqu’à l’invraisemblable. On en sort abasourdi devant la résistance et l’imagination des humains.
Une leçon d’histoire, côté jardin. Une cour de récréation pour nous tous qui avons tant besoin de repenser le monde, encore et toujours.
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Le livre de Steven Jezo-Vannier élu livre du mois de mars!
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