Revue de presse
Le matin, Jacques Tassin, Penser comme un arbre (On le relit pour la troisième fois de suite tellement ce livre est riche) en alternance avec A l’écart, d’André Bucher qu’on lira plusieurs fois certainement aussi.
Dans le sac à main, Pedro Salinas, La mer lumière.
Le soir, Ragnar Jonasson, Snjor, qu’on a fini par racheter car, sans l’avoir lu, on l’a prêté à quelqu’un, qui l’a prêté à quelqu’un qui l’a prêté à quelqu’un qui l’a prêté à quelqu’un et on ne sait plus du tout à qui on l’a prêté finalement.
Rendez-vous sur Bonheur de jour
André Bucher (bu-chère, il est d’origine alsacienne) a développé l’image du paysan-écrivain. Agriculteur bio (aujour- d’hui retraité) dans la Drôme, il a publié de la poésie puis s’est fait connaître dans le domaine romanesque avec « Le cabaret des oiseaux » chez Sabine Wespieser. Il édite dorénavant chez Le mot et le reste. Il y a sept ou huit ans, j’ai réalisé, sur lui et avec lui, pour les éd. du Petit Véhicule, un recueil de la collection Chiendents (n°17) titré « Une géographie intime ». Par la suite il m’invita deux fois au petit salon du livre qu’il organise dans son village de Montfroc. Je le savais proche de Jim Harrisson, l’auteur américain, il m’en a parlé. « À l’écart » est un curieux livre, et la présentation qu’A.B. en a faite à La grande librairie (6 mai 2016) traduit bien sa nature si difficile à cerner. Ce serait une sorte de portrait autobiographique composé de textes de natures différentes : récit de vie, C.V. ,mais aussi discours en faveur de l’agriculture bio (il s’y consacre depuis 1970) et contre le productivisme, réflexion sur l’aménagement du territoire et la notion de justice démocratique (la rareté des services publics dans sa vallée du Jabron), l’écriture de la nature (le nature writing « du Montana » à quoi on le rattache) et plusieurs textes brefs qui en témoignent. En somme un portrait multiple. Il me semble que mes réserves sont justifiées par le sentiment d’une adaptation imparfaite de la langue et du processus de pensée d’A.B. au propos – sentiment qui ne cesse de me tenailler à revoir la vidéo avec François Busnel. La parole est hésitante, le propos peu clair. Prenons l’exemple de l’écriture de la nature. Bucher utilise successivement les termes d’écopoétique et d’écocritique sans vraiment les distinguer, ce qui perturbe la compréhension. Point de départ de la réflexion : le principe anthropocentriste, assis sur le dogme religieux, fondant «l’exploitation du règne animal, minéral et végétal». S’ensuit un survol confus de l’usage de la nature en littérature, dont évidemment le cadre bucolique et romantique. Mais pourquoi se poser la question de la légitimité de l’écrivain à interpréter les réactions de la nature qui, à l’évidence, de par son essence même, ignore de telles projections, car « elle ne possède pas de voix distincte » ? Bucher pense sans doute éclairer son propos en nommant les composantes de cette galaxie américaine du nature writing. Hélas, sa liste déborde et il finit par y intégrer Faulkner, Carver – j’ai lu tout Carver et jamais n’ai eu le sentiment que la nature était son propos –, Steinbeck, Hemingway – pour « Le vieil homme et la mer » ? Ceci juste après la phrase : « La nature est omniprésente et irrigue de façon tangible leurs romans ».
Je pense que cet ouvrage pêche par sa forme. L’écrivain s’y exprime en toute liberté et ne parvient pas à organiser avec pédagogie son propos, il se laisse entraîner d’une idée à l’autre. Il n’a personne face à lui pour lui faire préciser les concepts dont il use ni pour creuser une idée. Cela transparaît aussi dans la dernière partie, « Les mythes », qui démarre par cette affirmation «Qu’on le veuille ou non, les mythes nous influencent et nous façonnent ». Affirmation convenue mais gratuite, qui s’inscrit dans le droit fil du religieux et ses velléités à structurer la pensée et la vie sociale. Mais que contre-dit la pensée laïque qui, heureusement, s’est construite et affirmée au fil de l’Histoire. Les problèmes sociaux d’aujourd’hui ne relèvent pas du mythe. Et seule une très mince frange de l’écriture contemporaine – notamment poétique – continue de s’appuyer sur le mythe. Je tiens cet ouvrage pour écrit « en marge » d’une œuvre romanesque originale et nécessaire.
À la rencontre d’André Bucher, sur ses terres, chez lui. Un reportage de France 3 Provence-Alpes.
Diffusé le lundi 4 juillet à 19h00 (à partir de 12’08).
Voir le reportage en replay sur le site de France 3
Note : 5/5
Quatrième titre de « notre » « écrivain-paysan » ou « paysan-écrivain » chez Le mot et le reste et je crois que l’on pourrait le considérer comme une sorte de bilan, d’auto-analyse.
Il justifie son titre par le fait qu’il est à l’écart des modes, des lieux où il faudrait être, des styles, etc. Il explique comment il en est arrivé là. Et ce qu’il dit de l’endroit qu’il habite nous laisse présumer qu’il mène une vie « tranquille » mais pas tout à fait sereine tant le poids de la société et du monde pèse autour de lui. J’ai relevé trois citations qui vous donneront une idée du bonhomme, de l’honnête homme que l’on sent marcher dans la campagne d’un pas rythmé par la réflexion.
« Mêmes les plus remarquables expériences, les plus belles initiatives, si on n’y prend garde, finissent par être dévoyées. (Le rock des années soixante, par exemple). Ce que Guy Debord en son temps (1967) intitula La Société du spectacle. Pour illustrer le propos, j’ai régulièrement une grave crise d’urticaire, lorsque j’entends la chanson de John Lennon. Qui aurait cru qu’un jour son titre servirait de slogan publicitaire pour glorifier l’imagination et servir de vulgaire promotion au Crédit Agricole. »
« Que de fois n’entendons-nous pas : « On ne va pas revenir à la bougie ! » Dans la bouche de supposés intellectuels, je trouve cela affligeant. »
« Par analogie, si nous nous préoccupons de l’état de la planète que nous léguerons à nos enfants, en revanche on peut tout autant s’interroger sur quels enfants nous laisserons à cette même planète. »
Je ne sais pas vous, mais moi, il me semble qu’un individu qui tient ce type de propos mérite d’être lu plus avant. Mais peut-être est-ce parce qu’il est né en 1946 ? Peut-être aussi que les jeunes lecteurs d’aujourd’hui n’ont pas les mêmes préoccupations.
Bonne lecture.`
Retrouvez la chronique de Noé Gaillard sur le site de Daily Books
François Busnel invite André Bucher sur son plateau pour parler de son nouvel ouvrage À l’écart et de la réédition de son “magnifique roman” Fée d’hiver.
Revoir l’émission sur le site de France 5
Une pause. Poèmes, nouvelles, carnet de voyage et 8 romans tracent la voix littéraire du paysan écrivain André Bucher. Le montagnard de Montfroc (26) a planté sa vie à l’écart, enfouissant d’abord ses mots pour animer son idéal de liberté et nourrir sa famille. Ce n’est qu’à partir de 1990 qu’il s’autorise à réécrire dans la nature qui l’habite.
Edité chez Sabine Wespieser, Denoël et Le mot et Le reste, repris en poche, l’âpre paysan n’a pas détourné ses pas, ni écouté les corneilles du succès. Il revient dans un ouvrage d’une centaine de pages en ellipses, réflexions, critiques, fragments… sur l’éclosion, l’expression et les fondements de son écriture.
Loin de l’autobiographie, son exégèse est tranchante, extrêmement fine. Se rattachant au courant du «nature writing» («quitte à se voir attribuer une étiquette»), André Bucher se raconte, analyse et épluche. Pudiquement, résolument. L’aveu de l’abandon de la mère permet vite de laisser s’envoler sa poétique, souvent qualifiée de voix singulière. «... j’ai pensé à mon tour que l’écriture de la nature, entre autres actions, permettait de déplacer le curseur de l’engagement mais paradoxalement elle vous invite, vous appelle au silence et au doute. C’est peut-être de cette tension, de ces instants magiques et fragiles, que se nourrit ma relation à la nature et qui produit ce que je nommerais «une écriture de l’incertitude.»
Agriculture écologique, rapport à la nature, inscriptions dans le temps et l’espace, relations aux
animaux… ce ne sont pas des convictions, des définitions. C’est une géographie intime, une typologie de l’écriture, une carte de la mémoire. Présupposé de lecture d’«A l’écart» : avoir lu André Bucher ! ou aimer les procédés de fabrique.