Revue de presse
Vous connaissez au moins les deux premiers – vous avez sans doute lu le second et vu le premier sur des images – le troisième n’a pas, dans notre vieille Europe, la même notoriété que les deux autres. Cela ne veut pas dire qu’il est sans intérêt. Ce livre en tout cas parle de leurs séjours dans le Paris de la fin des années 50 et du début des années 60. Un Paris fréquenté par les jeunes Américains bohèmes en mal d’existence, d’individualité. Un Paris disparu comme l’hôtel qui les accueillait.
Un Paris où flottaient encore, pour eux, les mannes de Rimbaud et des surréalistes, où ils venaient chercher l’inspiration et trouvaient leur créativité. C’est là que Burroughs expérimenta la technique du “Cut Up“ (inspirée d’un jeu surréaliste) dont la page 214 vous donne ici le mode d’emploi. “Une page de texte dactylographié, ou une page imprimée, était coupée verticalement, puis horizontalement, ce qui donnait quatre rectangles de texte. Ceux-ci étaient réarrangés dans un ordre différent pour créer une nouvelle page.” Les surréalistes, eux, découpaient des mots dans un journal, les mélangeaient dans un chapeau et écrivaient le texte en les tirant au hasard… Cette Beat Generation doit aussi beaucoup à Rimbaud et à sa lettre dite du “Voyant” qui préconise un long et lent dérèglement de tous les sens…
Ce livre offre un bon moyen de faire connaissance avec ces poètes et écrivains un peu méconnus. Ceux qui ont peut-être la nostalgie de cette bohème seront contents d’y retrouver les noms de ceux qu’ils apprécient ou ont enviés. Il fixe un temps, une époque et des gens dans l’histoire littéraire alors que les conséquences de leurs expériences jouent encore au présent.
Ce matin-là, BEAT HOTEL était le coup de cœur de Christophe Bourseiller dans la Matinale de France Musique.
Réécoutez l’émission sur le site de France Musique
Dans son excellente émission dominicale consacrée à la BD, la musique (rock surtout), la contre-culture, Olivier Valério nous parle de Beat Hotel de Barry Miles.
A réécouter (fichier en ligne) !
Generation B. Aujourd’hui, chacun se prend pour une grande star de la création artistique. Dit Jérôme Bourgeois. Sans doute se rappelle-t-il le mot de Warhol en 1968 : Dans le futur, chacun aura droit à 15 minutes de célébrité mondiale. Nous sommes, à présent, dans le futur. Et ce futur-ci est notre présent. Et Jérôme Bourgeois n’aura pas forcément droit ici à son quart d’heure.
Bien avant la X Generation, il y eut la Beat Generation. C’est Kérouac qui lança la formule en 1948. Holmes en publia le manifeste dans le New York Times Magazine, le 16 Novembre 1952 : The origins of the word « beat » are obscure, but the meaning is only too clear to most Americans. More than mere weariness, it implies the feeling of having been used, of being raw. It involves a sort of nakedness of mind, and, ultimately, of soul ; a feeling of being reduced to the bedrock of consciousness. In short, it means being undramatically pushed up against the wall of oneself.
Le mouvement Beat est né contre les préjugés et le puritanisme américain d’après-guerre. Alcools, drogues et délires doivent être repensés en termes d’effets et non de causes. Produit par et surtout dans le Système (ici réhabilité…), le mouvement Beat est dépréciation revendiquée par ironie sur son sort, synchronisation et coïncidence, instantanés et connexions, arc électrique tendu en vécu expérimental et Universel historique.
Quelques exemples :
– Le fameux poème de Corso : Bomb. Calligramme en forme de champignon atomique. (http://www.litkicks.com/Texts/Bomb.html)
– Le cut-up, inventé par le plasticien Gysin et repris par Burroughs en littérature. Un nouvel espace littéraire est créé.
– La machine à rêver de Gysin et Sommerville, ancêtre de la techno actuelle.
– L’accident du jeu de Guillaume Tell survenu à la femme de Burroughs qui rencontra une balle tirée par son compagnon (coïncidence qui déclencha son œuvre mais dont tout créateur devrait ne pas trop tirer parti, of course).
L’exemple d’un lieu, improbable, et précisément du Beat Hotel. Aujourd’hui disparu et ressuscité par Barry Miles en 2000 et magnifiquement traduit et édité en Français en 2011.
Pourquoi cet hôtel précis ? Madame Rachou, Why not ? Incertain et évident, délabré et pas cher, ce lieu de non culte n’est insolite que pour les nostalgiques. C’est le Paris misérable et vivant des années 50 (10.000 personnes se réchauffent aux bouches des égouts – Ont-ils entendu le cri de l’Abbé Pierre ?). C’est l’ambiance de certains films de Cassavetes. C’est aussi le Paris de Papon et des Arabes tabassés et jetés dans la Seine. On aurait préféré le Paris de Pascal.
Madame Rachou, tenancière peu regardante de l’Hôtel du Vieux Paris, 9 rue Gît-le-Cœur, 42 chambres sans confort, accueillera sans le savoir la Beat Generation.
Corso débarque le premier. Il côtoie de très près Genet. Picasso le fera virer d’une exposition à Nice par ses gardes du corps. Gentil Picasso. Corso a étudié de 16 à 18 ans dans une prison américaine : il y aura lu le dictionnaire.
Ginsberg le rejoint. Censuré pour obscénité, il imagine Paris libéré. Il poursuivra sa quête vers l’Orient et les amphétamines.
Extrait de Kaddish de Ginsberg :
Mère, qu’aurais-je dû faire pour te sauver
Aurais-je dû mettre le soleil dehors ?
Aurais-je dû ne pas appeler la police
Aurais-je dû être ton amant
Aurais-je dû te tenir la main et marcher dans le parc
A minuit pendant soixante ans ?
Je suis un poète, je vais mettre le soleil dehors.
En écho, Corso entonne : « la poésie qui doit être détruite doit l’être, même si cela revient à détruire sa propre poésie ».
Le Beat Hotel est un vrai laboratoire littéraire, où chacun s’encourage dans des expériences inouïes de créations inédites.
Le génie de ce livre, fruit d’un travail colossal de recherches et de témoignages, plongera ses lecteurs ébahis dans des vies qui font œuvres et dans des œuvres qui ont inventé de nouvelles possibilités de vie. Jimmy Morrisson, Michaux, Takis, Brigitte Fontaine, Zappa, David Bowie, Bono, Bukowski, Brian Eno, Laurie Anderson, Richard Pinhas et tant d’autres ARE BEAT.
Quel fut le grand mouvement artistique qui « suivit » ? La question est ouverte.
Baltrušaitis soutenait que l’art authentique annonce les modes de vie et de pensée à l’avance, antérieurement aux découvertes scientifiques et aux inventions techniques. Beat Hotel est un de ces creusets, un point focal, un nœud borroméen, un espace-temps fractal. Barry Miles épouse la méthode du grand esthéticien de l’histoire de l’art qui affirmait : « J’ai une seule méthode de travail : aller à la source, chercher les vrais textes, au-delà des articles de synthèse […]. C’est en allant à la source qu’on arrive à une vision exacte des choses ». Les Editions Le Mot et Le Reste se sont occupées du reste et de l’essentiel : Beat Hotel est la source de la Beat Generation, le lieu d’inspirations folles, l’espace des créations actuelles. Leurs effets de surface, que l’on n’identifiera pas aux seules extravagances désignées comme telles par les juges et les moralistes, ondoient sans nous noyer, nous irradient sans maladie opportune. Beat Hotel est notre temps.
Dans son émission Book Box sur Radio Nova, Richard Gaitet a lu des extraits de Beat Hotel.
Une fois encore, le Mot et le Reste nous régale d’un sujet précis, original et largement ignoré jusqu’à ce jour. A savoir l’aventure parisienne de quelques figures majeures de la Beat Generation. Allen Ginsberg, William Burroughs, Gregory Corso ou encore Bryon Gysin tous __ sauf Kerouac __ sont passés par ce petit relais pourri qu’était le Beat Hotel entre 57 et 63. Alors que dans les rues de Paris régnait la crainte des attentats du FLN, cette poignée de poètes, peintres et écrivains a su créer son propre paradis terrestre au milieu des rats et des cafards, dans l’obscurité et la puanteur.
Bourré d’anecdotes hilarantes, Beat Hotel nous ramène à cette époque lointaine où la Bohème avait encore une signification. Et la littérature, le sens de l’humour et de la démesure.