Quand certains « penseurs » ne cessent de s’accaparer la figure de Thoreau, le plus souvent en la caricaturant, Michel Granger fait de son côté un précieux travail démontrant sa complexité et sa richesse.
Adrien Meignan – Addict Culture
Revue de presse
Certains diront qu’il faut avoir lu l’œuvre d’un auteur pour découvrir un essai sur lui. Pour comprendre ce qu’il a bien pu vouloir dire dans ses écrits, pour comprendre les sous-textes ou les implications de telles ou telles paroles et actions. D’autres penseront que de lire le même essai avant le reste de la bibliographie de l’auteur permet de mieux appréhender les différents points de vue qu’il y expose. Michel Granger, avec Henry D. Thoreau, Mr Walden, peut mettre tout le monde d’accord avec cet essai passionnant sur un auteur américain aux convictions très marquées.
Henry David Thoreau
Cet auteur américain a vécu au XIX siècle (1817–1862). Il s’inscrit dans le mouvement de « renaissance » littéraire aux États-Unis, c’est-à-dire dans cette catégorie d’auteurs américains désirant s’émanciper de la littérature originaire d’Angleterre et d’Europe, afin d’explorer d’autres veines d’écriture purement Américaines, rendant compte de ce qu’est la vie dans ce pays encore jeune. Il se place également dans le mouvement transcendantaliste initié par Emerson.
Petit à petit, au fur et à mesure de ses interrogations, Henry D.Thoreau va creuser sa propre voie, choisissant la pauvreté à la consommation, la campagne à la ville, et toute sa philosophie ressortira de ses écrits, le plaçant, presque un siècle avant que le terme ne soit inventé, dans une mentalité de décroissance. Il prônera en outre, contre le consumérisme en tant que fin, le retrait de la société et l’émancipation par la culture.
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L’essai est captivant. Michel Granger se base sur les écrits de Thoreau pour argumenter son propos, sans être pour autant catégorique sur les aspects où persiste un doute. L’emploi du « il semble » nous paraît alors renforcer les affirmations portées dans le bouquin cr celles-ci reposent dès lors sur de solides arguments. Le portrait qu’il dresse de Thoreau est à même de nous donner envie de lire son œuvre (enfin, nous il nous a convaincus), combien même cette littérature n’est pas romanesque.
Des aveux de l’auteur Michel Granger pourtant, cette œuvre ne se départit pas d’une certaine poésie, parfois contemplative, qui nous rend le personnage de Henry David Thoreau décidément sympathique. Malgré un relatif anonymat, il se voit aujourd’hui réhabilité (en partie seulement) pour ses positions radicales et environnementales (celles concernant la désobéissance civique étant un peu plus tues).
Bref, cet essai captivant touche sa cible sobrement, relativement brièvement, ce qui ne fait que renforcer l’impact de sa lecture. Ce livre nous fait nous dire qu’il nous faut absolument découvrir Henry D. Thoreau !
La chronique intégrale est en ligne
Quand certains « penseurs » ne cessent de s’accaparer la figure de Thoreau, le plus souvent en la caricaturant, Michel Granger fait de son côté un précieux travail démontrant sa complexité et sa richesse.
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Michel Granger met en avant l’œuvre de Henry D. Thoreau depuis plusieurs années notamment en collaborant avec les éditions Le mot et le reste. Avec la publication de Henry D. Thoreau, Mr Walden, réécriture d’un premier livre publié aux éditions Belin en 1999, il produit un des textes les plus éclairants sur cet écrivain.
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Le philosophe Henry David Thoreau (1817–1862) est célèbre pour son livre “Walden” qui raconte ses années passées dans la nature… Pourtant, tout sauf un ermite, Thoreau est un penseur engagé qui voit dans la nature un miroir du monde qu’il questionne. De quel héritage politique est-il l’auteur ?
Henry David Thoreau est né à Concord dans le Massachusetts aux Etats-Unis en 1817.
Il a 20 ans lorsqu’il découvre un texte intitulé Nature, dans lequel son auteur, l’ancien pasteur Ralph Waldo Emerson, propose une réflexion inédite sur la place de l’homme au sein de la nature.
Thoreau rencontre Emerson qui enseigne alors à l’Université de Harvard, et qui l’initie au transcendantalisme… Les deux hommes se lient d’amitié et chacun progresse dans son œuvre… Leurs journaux intimes laissent entendre que derrière l’amitié qu’ils se portent, se trouvent plus enfouis et plus profonds des sentiments durs, parfois critiques et réciproques, qui conduiront à un éloignement progressif.
Aujourd’hui, le nom de Thoreau appelle celui de Walden, le livre dans lequel il relate les deux ans et deux mois de vie qu’il a passés dans une cabane construite de ses propres mains. Parfois, l’expression de désobéissance civile lui est associée, mais sait-on que c’est le titre en Français de l’un de ses textes ? Sait-on que ses pages sur la marche à pied qu’il effectue tous les jours dans les forêts du Maine, recèlent des trésors de langage ? Que son journal nous délivre des pépites littéraires et philosophiques et que Walden est bien plus qu’une bible écologiste ? Et si Thoreau avait tout compris ?
Partie 1 : Henry David Thoreau, l’anticonformiste
avec Michel Granger, professeur émérite de littérature américaine à l’université Lyon 2, spécialiste de Thoreau
Thierry Gillyboeuf, écrivain et traducteur de l’œuvre de Thoreau
et Thomas Constantinesco, maître de conférences à l’Université de Paris, spécialiste de littérature américaine du 19ème siècle
Thoreau, un original engagé
À son époque, Thoreau était un original, on se souvient de lui notamment pour son opposition à l’esclavage dans la suite de la guerre que les Etats-Unis mènent contre le Mexique au milieu des années 1840, et qui lui vaut quelques nuits en prison à Concord, sa ville de naissance, à côté de Boston, et dont il tirera ce texte qu’on connaît sous le titre français “La Désobéissance civile”.
Thomas Constantinesco
Partir dans les bois et vivre à fond
À travers sa correspondance, j’ai découvert un homme plein d’humour qui avait un lien fort avec ses proches, pas un ermite ! Et l’expérience de “Walden” est tout sauf une expérience érémitique, ce qu’il tente c’est une expérience d’auto-suffisance. Thoreau est un homme cohérent, en 1837, à Harvard, quand il prononce son discours de remise des diplômes, alors jeune étudiant, il fustige l’esprit commercial de ses concitoyens alors que les Etats-Unis traversent leur première grande crise financière… Dans cette Amérique gagnée par le matérialisme, Thoreau prône l’otium, le temps pour soi.
Thierry Gillyboeuf
Walden et le transcendantalisme
Le terme de transcendantalisme résulte d’une série de contre-sens qui ont à voir avec la façon dont la philosophie européenne traverse l’Atlantique au début du 19ème siècle, c’est un terme qui renvoie à la tradition aristotélicienne, qui renvoie aussi à l’idéalisme allemand, Kant, filtré via le romantisme anglais… Ce qu’en retiennent Emerson, Thoreau et plusieurs autres penseurs et écrivains de la Nouvelle Angleterre, c’est l’idée de la toute-puissance de la raison, raison qui, chez Kant, s’oppose à l’entendement, mais ces penseurs c’est surtout la raison comme synonyme de l’esprit, dont ils voient une sorte de miroir dans la nature qu’ils contemplent, c’est aussi ça l’expérience de “Walden”.
Thomas Constantinesco
Paradoxes de Thoreau
Il faut essayer de dater l’évolution de la pensée de Thoreau… à l’époque de la nuit en prison, il en est au geste symbolique qui reste ignoré, sauf qu’en 1849, il y a la publication de “La Désobéissance civile”, un petit public le lit mais en dehors de tout ça personne n’est au courant. C’est seulement à la fin des années 1850, lorsqu’il écrit un plaidoyer pour John Brown, activiste abolitionniste, qu’il est pour la violence… Il a complètement changé. Ce qu’on appelle la désobéissance civile, qui est à mon avis un mauvais terme, dans notre esprit c’est Gandhi et Martin Luther King, des mouvements de masse, qui bloquent la société, or Thoreau n’a fait qu’un mouvement individuel pour rester propre, « je m’en lave les mains » dit-il, donc c’est de l’objection de conscience. Dans la pensée de Thoreau il y a une évolution vers la violence et vers une action plus collective, avec des limites.
Michel Granger
Partie 2 : Henry David Thoreau, à l’origine d’une pensée politique contemporaine ?
avec Sandra Laugier, philosophe, professeure à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, spécialiste de philosophie du langage et de philosophie morale, chroniqueuse à Libération
et Manuel Cervera-Marzal, philosophe et sociologue à l’Université d’Aix-Marseille
La désobéissance civile, une nouvelle forme d’action
Il y a deux raisons qui expliquent l’écho de “La Désobéissance civile”, réédité par plusieurs éditeurs répondant à une demande de la société civile : on vit une période des inégalités à tous les niveaux, c’est une première forme d’injustice, et l’autre élément qui caractérise notre époque c’est la catastrophe climatique qui s’annonce, il y a deux grandes urgences et face à ça on cherche des moyens nouveaux de lutter. Le deuxième élément c’est qu’on observe que des modes de contestation assez traditionnels comme le fait de voter pour un parti radical, manifester, pétitions, sont des choses insuffisantes… Les gens vont chercher de nouvelles formes d’action plus radicales, subversives, efficaces, la désobéissance civile fait partie de cette panoplie de ces nouvelles formes d’action.
Manuel Cervera-Marzal
La voix individuelle en politique
L’œuvre de Thoreau est la source d’une pensée politique très présente, subversive, un peu étouffée aujourd’hui puisque de fait, la politique est souvent présentée comme la recherche du consensus, et l’idée d’une voix dissonante paraît dérangeante ou non politique, et tout ce font Emerson et Thoreau et leurs héritiers aujourd’hui c’est de dire que la politique est en fait ancrée là, dans cette voix individuelle qui veut aussi se faire entendre et qui peut parfois être exclue du consensus. Ce retour de la désobéissance civile c’est lié aussi à une critique de l’idée même de consensus puisque de plus en plus on s’aperçoit que ce consensus exclue par définition tout un ensemble de voix, de personnes qui ne peuvent pas s’exprimer, sont défavorisées, le consensus devient alors tyrannique et conformiste.
Sandra Laugier
Le podcast de l’émission est disponible sur le site de France Culture