C’est une réussite, d’autant plus agréable que la mise en page élégante donne leur place, ici ou là, aux charmants petits croquis de Thoreau lui-même, nous rendant le “philosophe des bois” plus émouvant et plus proche. Idéal pour qui aime lever les yeux de ces écrans, sortir au grand air, exercer avec une humble exigence sa faculté d’observer, et méditer, une graminée à la bouche, sur la place qu’il peut occuper dans notre vaste monde.
Claude Grimal – La Nouvelle Quinzaine littéraire
Revue de presse
Adèle Van Reeth consacre quatre épisodes de ses Chemins de la philosophie à l’œuvre de Henry D. Thoreau. Pour le quatrième et dernier épisode, elle se consacre au Journal et invite notre spécialiste de Thoreau pour en discuter.
Découvrez, en compagnie de Michel Granger comment David Henry Thoreau, ce penseur excentrique fait surgir l’extraordinaire au sein de l’ordinaire.
Le Journal est le lieu où Thoreau construit sa pensée à partir de la contemplation de la nature : en brouillant la limite entre l’humain et l’animal, Thoreau utilise les enseignements tirés de la faune et de la flore de son village Concord, afin de créer un art de vivre.
Réécouter Michel Granger en interview sur la page des Chemins de la philosophie
Le Journal de Thoreau est un grenier de pensées qui passent, conduisent et reviennent. Plus-que-Journal que nous relisons par dessus son épaule, sous l’épais toit de pages qu’il forme quand on a reposé le livre ouvert à l’envers – cabane à tranche pré, relai de multiples explorations de Nouvelle-Angleterre à jambes de fourmi.
Journal-poème d’historien naturel au bâton de marcheur écrivant, capteur de traces de vies accordées au manche du monde, débusquées jusque sous les galets des rivières à formes d’oreilles et d’yeux qu’ils prennent au fil du courant – de ces oreilles qui vous poussent, de ces yeux qui se dilatent au fil de l’écriture de Thoreau.
Mais l’oreille plaquée au sol décrit aussi le mouvement des bêtes à la traque comme celui des hommes affolés qui ignorent leur affolement – et l’oreille au rail des machines à raccourcir le temps prédit leur retard dans une langue anglaise en train de s’américaniser.
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Un autre Thoreau. Thoreau intime. Thoreau extime. Il était grand temps de sortir le Journal de Thoreau de sa « quasi-obscurité ». Michel Granger a tranché dans les 7000 pages du journal de Thoreau. Avant de choisir, il faut arpenter le champ de l’écriture d’une vie, le travail d’une vie. Saluons la ténacité, la patience, la passion raisonnée et la science de l’homme du choix. Ici, c’est un travail de jardinier respectueux des règles mêmes de la nature de son objet monumental. Qui lirait un journal de 7000 pages s’étalant sur près de 25 ans ?
Thoreau (1817–1862) est mort « jeune » (au regard de notre époque et de nos lieux). C’est dire le temps pris sur une vie pour l’écriture. Il prenait du temps pour marcher, pour contempler et pour « gagner sa vie honnêtement ». Une telle quantité de pages recèle inévitablement de la qualité. De quoi s’agit-il ?
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Deux précisions en couverture : « Sélection de Michel Granger » et « Traduction de Brice Matthieussent ». Des informations non négligeables. Le traducteur faisant partie du petit groupe des meilleurs et la sélection des pages étant une obligation. On imagine mal un lecteur lisant les 7000 pages de l’intégralité du Journal.
Attention ! il s’agit d’un livre qui se lit nécessairement à petites doses et donc qui va être beaucoup manipulé – par vous ou vos invités. Je vous conseillerais d’en faire une lecture à raison de trois à quatre jours à chaque fois et peut-être de vous laisser guider par le hasard pour ce qui est des passages. Une lecture de hasard. Pour éviter de peut-être vous lasser, pour vous faire la surprise de la découverte et peut-être surtout pour avoir le plaisir de mettre en relation les passages lus
Si j’osais, je rangerais ce livre entre Les Essais de Michel de Montaigne et Les Nourritures terrestres d’André Gide… Un homme s’y raconte, un homme y vit de sensations, de sensualité et il analyse ses semblables – les blancs sont durement traités. Allez, par exemple, directement aux pages 411 et 412 à la date du 30 décembre 1856, il y est question des blancs et des Indiens… (on notera une mise en page intelligente : le chiffre de l’année du journal voisinant le numéro des pages). Et si l’ensemble s’écrit au 19e siècle, à une époque techniquement bien loin de la nôtre, on constatera que Thoreau voyait bien au-delà de son présent.
Vous me connaissez, je ne résiste jamais au plaisir de la citation, alors en voilà quelques unes ( à vous de vous faire les vôtres) :
« Ce qu’on appelle la foi est un immense préjugé »
« Célébrez non pas le jardin d’Eden mais le vôtre »
« Il est stupide que l’homme accumule surtout des biens matériels des maisons et des terres »
« Un écrivain, un homme qui écrit, est le scribe de toute la nature; il est le maïs et l’herbe et l’atmosphère écrivant »
« Les grandes pensées sanctifient n’importe quelle tâche »
« Le langage est l’œuvre d’art la plus parfaite du monde »
« Pour être seul je trouve nécessaire d’échapper au présent : je m’évite »
« Des faits que l’esprit a perçus, des pensées que le corps a pensées, voilà mon sujet ».
Bonnes lectures.
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Aujourd’hui, zadistes de terrain ou de coin du feu peuvent bénéficier d’une sélection de l’imposant journal que Thoreau rédigea de 1837 à 1861, c’est-à-dire de la fin de ses études au Harvard College à la période précédant immédiatement sa mort. Les lecteurs les plus vaillants se tourneront ensuite, histoire de prolonger et d’approfondir le plaisir de cette lecture si particulière, vers le feuilletage des sept mille pages de l’édition originale, ou bien attendront leur publication complète aux éditions Finitude (trois tomes, sur la quinzaine projetée, ont déjà paru, dans la traduction de Thierry Gillybœuf, que, par une omission peu gracieuse, la bibliographie du présent ouvrage ne mentionne pas).
Les six cents pages choisies du Journal constitueront, pour le lecteur d’aujourd’hui un très utile antidote à l’addiction consommatrice et à la fascination pour le trivial qui caractérisent l’époque. La sélection de Michel Granger, spécialiste de Thoreau, est judicieuse : les textes sont beaux, entrent en résonance avec des préoccupations contemporaines, ou parfois au contraire sont en dissonance complète avec elles ; ils sont suffisamment variés pour faire percevoir les différentes facettes de la pensée de celui qui est un philosophe de la nature et de l’individualisme éthique. L’introduction donne des repères permettant de comprendre les conditions et les enjeux du Journal : ce n’est pas œuvre autonome, séparée du reste des écrits de Thoreau, mais un cahier de brouillon, un aide-mémoire, et un vaste travail qui, selon Michel Granger, présente “une variété de visages avec lesquels l’auteur n’avait pas prévu d’affronter le regard d’autrui” (une partie de ce Journal semble bien pourtant avoir été écrite avec un œil sur la postérité, ne serait-ce que parce que s’y développe une réflexion sur la vocation littéraire, et en particulier sur le rapport entre l’écrivain et ses lecteurs).
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Ce Journal permet ainsi de faire, en compagnie de son auteur, une expérience de la sensibilité et de l’intelligence. C’est une réussite, d’autant plus agréable que la mise en page élégante donne leur place, ici ou là, aux charmants petits croquis de Thoreau lui-même, nous rendant le “philosophe des bois” plus émouvant et plus proche. Idéal pour qui aime lever les yeux de ces écrans, sortir au grand air, exercer avec une humble exigence sa faculté d’observer, et méditer, une graminée à la bouche, sur la place qu’il peut occuper dans notre vaste monde.
Article dans son intégralité :
Le journal d’Henry Thoreau paraît en France. Un naturaliste, poète et libertaire en avance sur son temps.
Au cœur du XIX’ siècle, alors que les naturalistes conservateurs français s’enferment encore dans la nomenclature des espèces sans s’interroger sur les relations entre la politique, la société et la protection de la nature, un Américain mène une profonde réflexion sur son environnement naturel. Henry David Thoreau, né en 1817 dans le Massachusetts et mort en 1862, discerne déjà toutes les interrogations liées à un concept qui ne sera nommé ”écologie” qu’une quinzaine d’années après sa disparition. Un mot inventé par le naturaliste allemand Ernst Haeckel, libre-penseur partageant avec Thoreau une saine méfiance envers les explications données par la religion sur le monde et la nature. Dans son journal de 7000 pages, dont de larges extraits sont pour la première fois publiés en France, le naturaliste américain écrit dès les années 1840 : « Le voyageur laisse son chien attaquer les marmottes, mais lui-même ne s’arrête pas, tant l’homme a peu progressé depuis l’état sauvage. Bientôt il reviendra sauver la Nature et le législateur promulguera peut-être des lois pour sa protection. » Une prophétie précédant d’une vingtaine d’années la création du premier parc naturel américain, Yosemite, en 1864. Alors qu’il faudra attendre 1963 pour que les deux premiers parcs nationaux français soient créés, la loi sur la protection de la nature ne voyant le jour qu’en 1976. Libertaire, militant de l’abolition de l’esclavage, avocat de la protection des Indiens, objecteur de conscience et désobéissant civil, refusant de payer ses impôts pour protester contre la guerre menée par son pays au Mexique, Thoreau a passé son existence à réfléchir et à écrire sur les rapports entre l’homme, la nature et l’agriculture. Non pas en ermite, comme on l’a trop souvent raconté, mais en scientifique autodidacte qui voulait explorer les rapports unissant ou opposant l’espèce humaine à son environnement. C’est son livre publié en 1854, Walden ou la vie dans les bois, récit de ses deux années passées au plus près de la nature dans une cabane forestière, près de Concord, sa ville natale, qui lui a forgé cette image d’homme des bois. Thoreau a voyagé à travers le Nord des États-Unis, New York, Boston et dans le Sud du Canada, mais il vécut principalement à Concord. Après des études à Harvard, où il provoqua un premier scandale en ponctuant la remise de son diplôme par un discours sur « l’esprit commercial des temps modernes », il devint instituteur, avant de démissionner car il refusait d’appliquer des châtiments corporels à ses élèves. Le début d’une existence au cours de laquelle il fur précepteur, poète, écrivain, conférencier et auteur fécond. Pour vivre, il fut aussi géomètre-arpenteur, puis aida sa famille à gérer une petite manufacture fabricant les crayons à mine de graphite avec lesquels il rédigeait quotidiennement son journal de naturaliste et de philosophe. Dans ce journal, Henry David Thoreau a noté ses observations sur les espèces végétales et animales, sur les activités agricoles, livrant aussi ses sentiments sur l’esclavage ou le sort des Indiens, mêlant ses réflexions sur la société américaine dans laquelle il évoluait. Écrivant ainsi, plus d’un siècle avant les écologistes français: « Nous vivons trop vite et grossièrement, tout comme nous mangeons trop vite, sans connaître l’authentique saveur de nos aliments. » Déjà contempteur de la société de consommation, il note après l’acquisition de jumelles pour observer les animaux : « Je n’achète les choses qu’après les avoir, longuement désirées. » Fustigeant les citadins, ignorants de la nature et « craignant d’attraper toutes sortes de maladies quand ils se promènent dans la forêt », il évoque « les imbéciles qui achètent un billet de loterie ». Découvrant une variété de gentiane qu’il ne connaissait pas, il inscrit dans son journal : « Tant de fleurs naissent pour s’épanouir sans être vues par l’homme. Je rends visite à des fleurs comme je rends visite à mes voisins. » Humaniste, Thoreau participa activement à la lutte contre l’esclavage, n’hésitant pas à aider ceux qui fuyaient vers le Canada. II ne ménageait ni les esclavagistes, ni les politiciens, ni la religion : « Sans la mort et l’enterrement, je crois que l’institution de l’Église sombrerait. [... ) L’homme qui croit à un autre monde et non à celui-ci me dégoûte du christianisme. » Comme il détestait les élus, il leur réservait de nombreuses flèches, dont cette dernière résume bien sa pensée: « Le plus vieux, le plus sage des politiciens se transforme en chapardeur. Il prend l’habitude de congédier le Bien, le Mal et la morale au profit du droit de la politique, il se suicide à petit feu. » Henry David Thoreau mérite d’être lu et relu attentivement car, à chaque page, il parle de nous et du XXI’ siècle, même quand il raconte la vie d’un voisin ou les moeurs d’un écureuil volant.
À l’occasion de la traduction d’un superbe article du New York Times sur Thoreau, Books tire les traductions de texte de notre Journal et annonce la sortie de l’ouvrage.
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