Ce journal de marches dans des parcs américains sur les traces de l’écrivain et écologiste Edward Abbey réussit le petit prodige de nous emmener dans cette épuisante promenade avec une aisance et une jubilation rares.
Agnès Léglise – ROCK&FOLK
Revue de presse
Quel plaisir de lire le récit du périple de ce couple de français qui sillonne en voiture l’Ouest Américain ! Surtout quand on a soi-même effectué ce genre de voyage et qu’on connaît bien cette région du monde. On y retrouve exactement les impressions que l’on y a eues, les observations faites, les contigences du tourisme de masse (que l’on contribue à aggraver…), comme si on avait écrit soi-même ce texte. Mais en plus, il y a l’humour léger de l’auteur, son sens de la dérision, son enthousiasme aussi et son amour de ce continent si vaste et si surprenant. Une lecture qui rappellera des souvenirs ou qui donnera fort envie de découvrir toutes ces merveilles.
Journal des Canyons – Theoliane
Direction le sud ouest des Etats-Unis, en compagnie d’Arnaud Devillard et de sa compagne Cécile. Nourri de rock-folk (d’où des passages marrants sur son écoute au volant) et de Désert solitaire d’un certain Abbey, Arnaud Devillard va donc découvrir sans trop d’étonnement que quarante ans après, les craintes d’Abbey étaient bien fondées. Place au touriste roi. Visitor centers, parkings, shop gifts, chemins goudronnés et balisés, plateformes d’observation, hôtels, restaurants, agences de voyages, s’agglutinent tout près (mais vraiment tout près) du moindre site grandiose (les sites grandioses sont légion dans le coin).
“Edward Abbey raconte son affolement quand il apprend que le Bureau des routes publiques projette de tracer une route goudronnée dans le parc des Arches. Il pouvait retenir son souffle, ce n’était qu’un gentil début.”
Tout est fait pour que le touriste soit pris en main et fasse le moins d’efforts possible. Et business is business, par exemple un million de visiteurs au parc national des Arches. En 2008. Quand Abbey y était ranger, en 1956, pas de route goudronnée, voitures interdites, 30 000 visiteurs sac au dos.
L’auteur est parfaitement conscient que lui aussi est un touriste qui suit les mêmes sentiers balisés (comment faire autrement si on veut découvrir le coin?) et parfois ressent du malaise, en particulier en visitant des villages indiens.
Cependant, quels coins fabuleux! Durant ma lecture j’avais les images plein la tête. Même si depuis 1995, date d’un voyage par là-bas, cela a dû changer, et pas en s’améliorant.
Vous arrive-t-il de temps à autre, alors que vous êtes en train de lire un roman, le journal d’un écrivain ou un essai, de vous dire : “ J’aurais aimé écrire ce livre !” C’est une impression subjective et souvent fugace mais bien réelle. Tout lecteur a dans un coin de sa tête ce livre certes hypothétique mais qui correspondrait à son imaginaire, sa créativité et ses convictions. Cette impression je l’ai eue dernièrement en dévorant – c’est le terme adéquat – LE JOURNAL DES CANYONS d’Arnaud DEVILLARD. Voilà un ouvrage qui est en vérité bien plus qu’un journal car il en dit assez peu sur le diariste lui-même sinon quelques repères autobiographiques mais révèle beaucoup plus sur un périple qui va l’amener avec sa compagne à visiter quelques grands parcs nationaux aux Etats-Unis. DEVILLARD ne part pas comme un vulgaire touriste décidé à rapporter les meilleurs clichés d’un voyage aux Etats-Unis afin d’exécuter ses amis dès son retour lors de séances de rétroprojections qui finiront par en faire ses pires ennemis. Non, ses motivations sont au fond plus nobles puisqu’il s’agit de revenir quarante ans plus tard sur les traces de l’écrivain écologiste Edward ABBEY, auteur de DESERT SOLITAIRE et du GANG DE LA CLEF A MOLETTE. Pas n’importe qui en vérité car Edward ABBEY a été un militant convaincu de la cause écologiste et plus précisément de la défense des zones naturelles que la création des parcs nationaux était censée protéger.
Ce journal est en vérité celui d’un voyage qui démarra le 15 juillet 2008 et s’acheva le 15 août de la même année. Quelques jours à New York qui nous valent quelques pages passionnantes : “ La première chose qu’ont fait les Hollandais en s’installant sur Manhattan a été de creuser un canal et de monter des façades flamandes. Mais le meilleur exemple de cette philosophie reste le fameux plan à damier de New York. Lorsque le responsable du cadastre Simeon DE WITT l’imagine en 1811, la ville n’occupe que la pointe de Manhattan. La “grille” est donc pensée pour une ville qui n’existe pas encore…”
Après avoir quitté New York, atterrissage à Las Vegas qui nous vaut quelques descriptions pleines d’humour. S’ensuivront trois semaines de traversée de l’Arizona, l’Utah ou le Colorado en voiture ou à crapahuter dans des espaces sublimes sous un cagnard de tous les diables au point de connaître des moments de sévère désydratation. DEVILLARD aime les grands espaces américains et il respecte profondément l’oeuvre d’ABBEY. Il n’est pas le seul car les ouvrages d’ABBEY marquèrent toute une génération de lecteurs. Pour l’anecdote, ABBEY trouva moyen après sa mort de se faire enterrer par ses amis dans un endroit connu d’eux seuls, en plein coeur d’une nature qu’il vénérait.
Tout au long de ces trente jours de plongée au coeur de l’Amérique d’ABBEY, l’auteur découvre que les pires craintes de ce dernier se sont réalisées, les parcs nationaux restent des lieux d’exception ou la nature grandiose semble contempler son oeuvre mais désormais des autoroutes amènent chaque année des millions de touristes qui se répandent chaque jour comme des insectes à deux pattes parmi les plus beaux panoramas du monde. Le gigantisme n’est plus seulement celui de la nature mais aussi celui des infrastructures humaines dont le but est évidemment de ramasser des royalties.
DEVILLARD et sa compagne prennent tout de même du plaisir car les lieux et la mythologie américaines fonctionnent, mais ils peuvent éprouver parfois des sentiments contradictoires: “En dînant au Hogan Restaurant, juste à côté de l’hôtel, nous nous découvrons l’un et l’autre une difficulté à gérer une vague sensation de gêne à faire les touristes dans une réserve. Monument Valley fait soudain figure de cache-sexe à un climat latent de soumission et de dépossession. Wounded Knee et Kit Carson sont peut-être loin, rien à faire, quelque chose ne passe pas.” On l’a compris l’auteur n’est pas un touriste béat, il s’interroge sur le système hyper consummériste que les Américains ont mis en place dans ces zones qu’ABBEY imaginait plutôt comme des sanctuaires.
Tout au long du périple du couple le lecteur découvre des lieux d’anthologie comme le “John Ford Point”, belvédère naturel dominant Monument Valley où le cinéaste tourna “La Chevauchée fantastique” fin 1938 dans un parc désormais géré par les Indiens Navajos. Le Grand Canyon évidemment et son “Skywalk”, plate-forme d’observation transparente pour offrir une vue à la verticale sur l’abîme et la Colorado River donnant l’impression de marcher au dessus du vide. Les Navajos “ ont construit le “Skywalk” pour trente et un millions de dollars. Ce n’est qu’une étape. Ils comptent bâtir tout autour un complexe du genre du Grand Canyon Village…”
DEVILLARD égraine les play list des radios locales qu’ils écoutent dans leurs voitures : Rolling Stones, Deep Purple, Eagles, Neil Young, Led Zep, Boston, Clapton, Creedence, U2, Mötley Crüe, Deff Leppard … Pas un artiste noir. Mais faut-il s’en étonner dans cette région des Etats-Unis ? Finalement les clichés ont la vie dure
Quelques petits coups de griffe au passages vis-à-vis des touristes français qu’on aimerait ne pas avoir à rencontrer, mais comme les parcs nationaux nord-américains font penser à la tour Eiffel aux heures de pointe, le touriste français finit inexorablement par se diluer dans le flot ininterrompu des nationalités. DEVILLARD se perd dans les parkings bondés des lieux touristiques malgré leurs tailles titanesques, cherche un peu d’ombre, apprécie la climatisation après s’être fait passer au lance-flamme d’une journée de marche, mange avec appétit l’”Andoulie Sausage Pasta” et rêve d’un autre monde, celui d’Edward ABBEY d’avant les années 70. Au passage il nous gratifie d’anecdotes savoureuses pleines d’autodérision et complète habilement notre culture littéraire et musicale. Je ne l’écris pas souvent mais ce JOURNAL DES CANYONS est un grand livre, érudit, intelligent et pas prétentieux pour deux sous !
Je vous laisse, il faut que je me procure rapido l’intégrale d’Edward ABBEY !
Voyage ô combien plus vaste géographiquement pour un bouquin aux beaucoup plus modestes ambitions, ce journal de marches dans des parcs américains sur les traces de l’écrivain et écologiste Edward Abbey réussit le petit prodige de nous emmener dans cette épuisante promenade avec une aisance et une jubilation rares. L’auteur, Arnaud Devillard, Français nourri dit-il de westerns, de road-movies et de guitares blues, marche ici dans les pas d’Abbey, cet excentrique et magnifique emmerdeur activiste qui prédisait dans les années 70 les hordes de visiteurs à l’assaut d’une nature de moins en moins vierge que nous connaissons aujourd’hui et dont les derniers mots ”no comment” à l’issue d’une vie agitée et contestatrice résument bien l’humour et le non-conformisme réjouissant de cet ”eternally cranky sonofabitch” que ses amis escamotèrent après sa mort (comme Gram Parsons, cet autre allumé) et enterrèrent clandestinement avec un pack de bières, quelque part dans la Cabeza Prieta, en Arizona, face à ces paysages pour la préservation desquels il se battait farouchement.
Mais cet épatant livre ne se résume pas à cette nostalgique ballade. De motels à touristes en guérites à rangers, Devillard et sa belle arpentent littéralement les sentiers les plus poussiéreux de ces véritables monuments américains que sont les parcs naturels et le récit — haletant, il fait très chaud et ça grimpe sec — de ces incursions en territoire indien ou dans des cafétérias bondées se lit avec délectation et un sentiment d’évasion unique. “Sweet Home Alabama” partout, Cimino, les fantômes des Mescaleros disparues à Bosque Redondo, Townes Van Zandt, John Wayne ou Cash reprenant Dylan marcheront avec le lecteur dans cette athlétique ballade savante et écolo totalement dépaysante que l’érudition discrète, l’humour et la tendre attention de l’auteur à la nature magnifique et à ses habitants originaux rendent tout à fait captivante.
Un autre livre, d’un éditeur qu’on aime beaucoup dans Easy Rider, Le Mot et Le Reste, éditeur marseillais qui sort cette fois-ci Journal des Canyons d’Arnaud Devillard, dans la collection “Attitudes”.
Ça raconte l’histoire d’un mec, donc, Arnaud Devillard, et de sa nana, qui décident de partir l’été 2008 sur la route des canyons aux États-Unis, parce qu’ils sont très fans d’un bouquin qui a été écrit une quarantaine d’années plus tôt par Edward Abbey, Désert Solitaire. Edward Abbey était tombé complètement amoureux de tout cet Ouest américain fantasmé, mais il en avait déjà décrit les problèmes touristiques, ça commençait déjà à se dénaturer à cette époque-là.
Ils décident de refaire la même route pour se rendre compte que bien sûr, aujourd’hui, c’est encore pire. C’est assez rigolo, la description du Grand Canyon avec ses centaines d’hôtels, ses quatre millions de visiteurs par an, Las Vegas qui apparait comme la Sin City, la ville du péché, et qui n’est autre aujourd’hui qu’une ville avec des touristes en tongs et bermudas, une sorte de Disneyland pour adultes.
Le livre est très influencé musicalement, il cite Gram Parsons, Steppenwolf, Frank Zappa aussi, enfin tous les gens de cette époque. C’est un très bon road-movie, je le conseille vraiment parce que ça se lit extrêmement bien, très vite, et que c’est très bien fait.
C’est en 2008 qu’Arnaud Devillard – et Cécile – partent en touristes dans les fantastiques paysages désertiques des États-Unis, dans les pas d’Edward Abbey (1927–1989), personnage emblématique et contestataire, le plus célèbre des écrivains écologistes de l’Ouest américain, auteur notamment en 1968 de Désert solitaire. Le Journal des canyons est le récit de ce voyage : Arnaud Devillard nous raconte simplement, au jour le jour, comment ça s’est passé. Un récit assez marrant, mais qui finit pas donner un sentiment un peu tragique, par (me) mettre mal à l’aise : qu’est-ce que c’est que ce cauchemar ? Comment pouvons-nous nous faire piéger ainsi ? Comment faire ? Comment ne pas avoir envie d’aller voir ce qui est présenté – et qui est sans doute réellement – comme des merveilles de la nature ? Le problème c’est que tout le monde détient la même information, part avec le même besoin plus ou moins créé, le même guide, le même créneau dans le temps. Et qu’à l’autre bout les vautours attendent de pied ferme la masse – la manne – des touristes. Et que ça devient un enfer.
Après une escale à New York et, déjà, un rappel de quelques égarements dans lesquels notre société semble se complaire, puis un passage obligé à Las Vegas, pire encore, là où « même l’illusion est une illusion », nos deux touristes prennent la route dans un « désert de poussière gris-rose » et arrivent en Arizona, le pays du « désert intuitif et sans peine. Rentable aussi. » Edward Abbey disait que « les parcs nationaux n’ont pas besoin de routes de macadam, de complexes hôteliers, de gaz d’échappement, d’embouteillages et de bateaux de plaisance à moteur. » C’est exactement ce que les touristes trouvent en arrivant dans l’Ouest des États-Unis. Quarante ans après Désert solitaire « les parcs nationaux sont devenus des parc d’attractions, des centres commerciaux, l’argent gouverne tout et tout le monde. » Le Parc national de Zion, l’Arizona, Le Lake Powell, les Canyonlands et la Colorado river, Moab et les Arches, les vestiges anasazis de la Mesa Verde, Petrified Forest, Monument valley – dont la visite, épique, est l’un des morceaux de bravoure de ce récit… Certainement des endroits magnifiques, assurément une nature exceptionnelle, mais il faut bien le dire : « la seule aberration, ici, c’est notre présence. » Surtout celle de milliers de personnes au même moment.
Une fois quitté le motel, avalés les kilomètres sur la Highway – Utah, Colorado –, garé le gros 4X4 de location – il n’y a pas de petites voitures aux USA ? – et parcourus, sous un soleil accablant, les premiers hectomètres des sentiers balisés – parfois goudronnés – il faut reconnaître que les paysages sont grandioses – et qu’en un sens il est normal qu’ils soient accessibles. Ces « mondes inconnus, qui ne sont pas à notre échelle », cet « océan de grès rouge et rose », cette « brutalité statique », ces « points de vue sur la plus démente des sauvageries », sont courants ici où « tout est trop grand, trop fruste, rien ne correspond plus à des souvenirs de grand ou petit écran. »
Ce récit de voyage d’une virée aux US est une vive dénonciation – sur un mode très humoristique et avec beaucoup de dérision – du tourisme de masse, de son organisation et de sa récupération. On y parle aussi d’écologie, de musique – de country music – de cinéma (Kevin Costner), de littérature « voyageuse » (Hillerman, Isabella Bird, John Muir…) et de l’histoire de ces « terres indiennes » des Hopis, des Anasazis, des Navajos. Bref : d’une grande partie de ce qui fait la « culture » américaine. Alors, y aller ou pas ? Peut-être la littérature suffit-elle…
Les premières lignes : « Moab, Utah. Nous arrivons du nord-ouest par la State Highway 191. L’entrée du Arches National Park, un pont sur la Colorado River et la route devient Main Street. De part et d’autres, une enfilade ininterrompue d’agences de location de VTT, moto-cross, quad, des organisateurs de balades à dos de mule, en bus, en jeep, en raft. Des restaurants, des motels. Des magasins d’accessoires de randonnée. Des bars, des hôtels. Et là, une librairie indépendante, Back of Beyond books, nom emprunté à une raison sociale fictive que l’on trouve dans les pages d’un livre de Edward Abbey. »