Revue de presse
Le titre de l’ouvrage, porteur de légende ou de rêve, m’intriguait. André Bucher est un auteur imprévu, dont l’écriture naît de ses activités successives de paysan, bûcheron, berger ou même de débardeur (alias docker !) et de pionnier du bio.
Le premier chapitre sait accueillir des « gerbes d’étoiles », « des étoiles assoiffées », des « fumerolles de brouillard », des nuages qui sont autant « d’enfants fuyards de l’espace vide », un « tressage de bras d’eau » d’où émerge un « héron neurasthénique ». Cependant un entrepreneur-repreneur saccage ce bel environnement de montagne en créant une « autoroute » et une retenue d’eau, en déversant la terre dans un trou-cratère ou en détournant l’eau des sources pour construire – est-ce certain ? – un centré aéré. Voila qui fera fuir les bêtes, poussera les espèces en danger vers la disparition. À ce moment, les ombres deviennent des « phalènes de géomètre » fluctuantes, les abîmes sont autant de « balafres », les empreintes des cerfs laissent leurs « cartes de visite » dans la neige, la lune devient « décatie » et le vent qui souffle transforme « les échines des pins en catapulte ».
En vérité, « les lieux ont des histoires à raconter ». Celle de cette ferme isolée, emprisonnée dans le paysage, en proie à un lacis de difficultés familiales et sociales. Le paysan, pris dans l’engrenage du défi climatique et des récoltes défaillantes, s’endette par divers emprunts auprès des banques. Son épouse perd la mémoire et son fils la liberté par son séjour en prison (il est le « fils du chagrin » ). Le patriarche doit vendre. À cet arrivant qui détruit le « canyon ». Ce drame humain et économique s’élabore sur le modèle du cheval remplacé par un tracteur, de l’ancien rattrapé par une modernité peu humaine. Seul le berger Tony dénonce les méfaits de la tronçonneuse, tire au fusil et met le feu aux engins de chantier. Le compagnon du fils-taulard, lui, trouve sa place à la ferme reconnu par la mère à la mémoire trompeuse !
Des expressions paysannes authentiques émaillent le récit (« la vache louche de la jambe »). Des comparaisons simples du ciel jonché d’étoiles à « une passoire tamisant les vers luisants ». Et ce constat d’une bouleversante profondeur : « Tout ce que j’ai perdu m’appartient ».
L’article est consultable sur le site du Félipé
Créer des images évidentes, incontestables mais que nos sens d’aujourd’hui peinent à déceler, exemple « On entend, de la respiration décrochée des arbres, soupirer dans leur chute les gouttes d’eau. Elles viennent froisser, trembler la lumière d’une caresse furtive à la surface et étreindre les voix d’eau. » Après une description d’un paysage bucolique on entre en raison pour faire la connaissance des personnages principaux. Un fils condamné pour escroquerie à l’assurance et dont les parents ont endossé la faute – la mère est frappée d’Alzheimer – et un fils abandonné à lui-même qui est devenu jeune délinquant. La ferme du père de l’escroc a été vendue à un entrepreneur qui va vouloir modifier le paysage. Vous avez compris, André Bucher oppose deux types d’individus, ceux qui vivent de et avec la nature et ceux qui pensent utilisation et rentabilité. Il nous laisse prendre position pour ou contre les uns et les autres. Mais comme chez Pierre Pelot, le vosgien, ou chez Jean Giono, le provençal, le lecteur attentif découvre vite que ces auteurs vont au-delà de la simple opposition nature/homme… Il me semble que tout repose sur la nature de l’homme, sur son éducation, sur ce qui donne naissance à ses envies. En gros quelque chose d’indicible… Et si André Bucher raconte poétiquement son histoire c’est sans doute pour en rendre la violence plus supportable.
Une citation pour la route ? : » – En fin de compte, je me dis qu’il y a pire que d’être pauvre.
– Se retrouver ruiné ?
– Non, être avide. »
ARTICLE A CONSULTER SUR DAILY BOOKS
Le samedi 4 avril, André Bucher est venu dédicacer son dernier livre, La Montagne de la dernière chance, qui est son huitième ouvrage. Une séance de dédicaces précédée en matinée, comme habituellement maintenant, par un échange entre l’auteur et son public, qui fut dense et fructueux, dans les deux sens…
Pas de lien véritable entre les divers ouvrages d’André Bucher, même si l’auteur conçoit l’idée d’un certain fil entre ses trois derniers écrits, mais plus spirituel que tangible…
André Bucher se dit écrivain-paysan. Il peut revendiquer ce statut, lui qui vit dans le village de Montfroc, “dans l’extrême pointe sud de la Drôme”, dans sa ferme d’altitude qui fait face à la montagne de la Lure. Paysan depuis 44 ans, il a été un des pionniers de la culture bio. Dans cette voie, il a été longtemps président d’Agribio-Drôme, et a siégé dans de nombreuses instances de sa profession. Il est aussi à l’origine de la grande foire bio de Montfroc, depuis 1984, où, chaque premier week-end d’octobre, plus de 180 stands de producteurs bio s’y regroupent. Quant à l’écriture… “Je suis tombé dedans? J’ai toujours aimé écrire, et lire, alors que mes parents n’aimaient pas ça. Mais j’ai eu aussi des institutrices qui ont su me mettre le pied à l’étrier. À 20 ans, j’avais déjà écrit trois recueils de poésies, et un récit. Pourtant j’ai tout arrêté, et pendant vingt-cinq ans, parce que mon métier de paysan m’a entraîné vers d’autres engagements…” Ce n’est qu’en 1988 qu’il se remettre à écrire, “l’hiver et la nuit”, parce que ses journées sont déjà bien occupées par sa deuxième passion, la culture bio. André Bucher est co-fondateur de l’enseigne Biocoop.
Dans ce dernier livre, du reste, la nature est un personnage à part entière. Le récit entraîne dans une parabole autour d’une montagne ”échouée comme une baleine blanche”. Référence à Herman Melville, qu’il cite, et qui plante le décor. L’intrigue va mettre en scène un “promoteur”, qui rachète ferme sur ferme parce qu’il s’est mis en tête de “boucher un canyon”. Une quête physique, et métaphysique aussi, dont l’acteur n’aura pas forcément conscience tout au long du récit. André Bucher met habilement en parallèle la destruction progressive et programmée de toute une partie de toute une partie d’une région avec la destruction progressive et programmée, elle aussi, de la mémoire de Pauline, un autre personnage de son récit, cette fermière qui va accueillir le “promoteur” au sein de sa propre ferme, et qui souffre de la maladie d’Alzheimer…
André Bucher est un homme solide. Ses romans aussi sont bien bâtis. L’ouvrage est disponible à la Nouvelle Librairie Baume.
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« L’économie montagnarde résiste bien grâce à l’agriculture, et donc en partie grâce à la gastronomie », explique André Bucher, écrivain paysan, auteur de La Montagne de la dernière chance (éditions Le Mot et le reste), et nous rappelle que planter des légumes en altitude est une astuce ancestrale de régénérescence germinale.
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Écrivain paysan des montagnes du sud de la Drôme où il vit toujours, militant bio de la première heure (il est le fondateur de la célèbre foire Bio de Montfroc) et pionnier d’un art de vivre alternatif, André Bucher est aussi l’une des voix les plus singulières de la littérature française contemporaine. À 69 ans, après avoir pris sa retraite d’agriculteur, il poursuit à Montfroc une brillante carrière d’écrivain en publiant aujourd’hui, aux éditions Le mot et le reste, un huitième roman La Montagne de la dernière chance.
Une fois de plus, André Bucher nous entraîne au cœur de la nature grandiose de cette vallée du Jabron, qu’il connaît si bien et où les histoires et les vies se font et se défont au rythme des saisons. La Montagne de la dernière chance est un livre choral dans lequel tous les personnages, gravitant autour d’un canyon qui n’est autre que le poumon de la montagne, courent après leur dernière chance alors que leur avenir fait écho à celui du lieu. André Bucher décrit cet enjeu avec passion dans une langue immersion et poétique. Il y fait se croiser des destins, mêlant leur sort à celui de cet endroit qui les recueille. Son écriture mêle célébration de la nature sauvage et étude psychologique en un phrasé scandé, haché, ourlé d’images à l’inquiétante beauté.
Dans la nature rien ne demeure immuable,
dénuée d’arrière-pensée,
elle efface oublie ou remplace,
meurt puis renaît.
André Bucher est un écrivain qui écrit toujours le même livre et pourtant j’éprouve un plaisir neuf à chaque nouvelle publication. Je le lis quand j’ai besoin de la beauté d’un refuge, d’un endroit retiré du monde, idéal pour loger mes rêves. Je le lis souvent. Je le relis.
Son huitième ouvrage met en scène sensiblement les mêmes personnages : la Nature ; des destinées cabossées qui veulent se reconstruire, souvent dans la souffrance ; des personnages en quête d’identité, louvoyant entre rédemption et résilience ; des gens en place, simplement heureux de l’être, soudain trahis et devant se battre contre des arrivistes et des spéculateurs ; des vieux sages solitaires qui apprivoisent tendrement les nouveaux arrivants ; des femmes, en mal d’amour ; la mémoire, sa persistance ou sa perte ; l’amitié et l’humour.
Les mêmes personnages, dans une histoire nouvelle — autour d’un canyon en danger, poumon de la montagne que l’on veut assassiner — qui flirte de plus en plus avec la magie où désirs et cauchemars, destruction puis renaissance d’un lieu, rythment un phrasé tantôt abrupt, tantôt célébrant d’une force envoûtante, tragique, poétique et solaire, la nature sauvage.
L’apparente simplicité de la plume d’André Bucher est un beau leurre. Il exalte dans un langage riche et puissant les liens profonds qui lient les paysans à la nature. Il invente des mots pleins d’images qu’il faut relire pour en savourer la portée et la profondeur : « Un soleil chauve, on l’aurait juré vissé en perspective au centre d’un double fond céleste, brillait chichement derrière le rideau sali des nuages puis cet édredon boursouflé engloutissait l’espace béant, il se faufilait entre la ligne de front et la chaîne des monts intermédiaires. Ensuite, la colossale baudruche, s’éventra, le blanc souillé vira à l’anthracite et les vallées disparurent à la vue. »
Les dialogues sont vivants, chargés d’une oralité musicale, de mots brusques et bourrus, de silence, d’expressions terre à terre. Malgré leur incertitude et leur complexité mentale, les personnages qui les tiennent sont entiers et généreux, ont du nerf, de la répartie, du cœur et de l’épaisseur : « …il existe un langage dans la nature qu’à défaut d’endiguer, nous refusons de comprendre. Celui des catastrophes. Ce n’est pas comme si l’on traduisait ce langage ou que nous désirions en devenir les interprètes. Non ! Ce qui nous intéresse, tu vois, c’est comment s’en protéger. Et là, durant mon existence, j’ai eu avec cet endroit, sa terre, ses arbres et ce canyon, on va dire… une longue conversation. » Le cœur profond du silence lucide se frotte au vacarme, à la violence, au tragique de certains autres hommes : « Il avait enclenché une course contre la montre avec le passé dans la ligne de mire et l’avenir en trompe-l’oeil. »
André Bucher personnifie les éléments naturels dans une succession d’effets poétiques. Le lecteur demeure fasciné par la force, le rythme, les sonorités, les images qui se lèvent soudain : « La terre évanouie n’est plus qu’une oreille blanche. Les flocons amortis dans un jeu d’adresse susurrent des mots humides à ses tympans. C’est sa première audition, l’air vibre, se frotte contre cet immense cartilage endormi. On y est, voici venir le grand tralala des draps blêmes, le froid atrophie, étreint les cœurs secs. Une sorte d’avertissement. L’hiver s’annonce, lance ses osselets, heureux celui qui hiberne, il applaudit des deux mains. Dans ce pays, dès que la poudrerie s’étend, déploie sa mémoire engourdie, il est coutume de dire : les histoires apparaissent. Le temps s’arrête, tout est figé. »
Comme dans La Vallée seule, un animal — compère fétiche, à l’âme tutélaire d’un grand sage — apparaît en contrepoint pour éclairer les comportements humains. Ici, le héron sédentaire, porté garant et signifiant muet de la chance…
La Montagne de la dernière chance est un long poème en prose sur la cohabitation difficile des hommes entre eux, des hommes avec la vie animale, végétale, les cycles qui cadencent, la chance qui sourit, ou pas. C’est aussi un défi symbolique à la Moby Dick où les histoires s’emboîtent, les esprits se calment et s’exaltent, toujours au coeur du monde naturel qui dicte sa loi. Une lutte inégale, avec un trop plein de vengeance qui rivalise heureusement avec beaucoup d’amour et de pudeur.
André Bucher signe un roman dense et harmonieux, dont l’écriture et l’architecture jouent sur de multiples alternances, répétant comme en écho l’appartenance à une terre que l’on doit respecter sous peine de subir son effroyable colère. « En manque de beauté, il suffit de croire encore au pouvoir des mots. »