Revue de presse
”La vie de radeau : le réseau Deligny au quotidien raconte la vie quotidienne de Jacques Lin avec des personnes autistes. Quittant l’usine pour ne plus jamais y revenir, autour de ses 18 ans, l’âge de tous les possibles, Jacques Lin rencontre Fernand Deligny, éducateur reconnu. Cette petite bande mettra en branle de nouveaux projets collectifs pour vivre avec des personnes non parlantes, fin des années 1960, en ce qui concerne Lin. Cette réédition de La vie de radeau commence par un chapitre à l’usine, assez dément, description d’un monde ouvrier et de personnages haut en couleur qui s’astreignent à effectuer les mêmes tâches volontairement, tous les jours. Si on lui fait miroiter qu’il pourrait vite devenir « quelqu’un », Jacques Lin va fuir dès qu’il pourra cette fausse promesse. Très jeune, il va se retrouve dans les Cévennes, dans un petit village où d’autres personnes effectuent les mêmes gestes et les mêmes mouvements, inlassablement… sauf qu’il s’agit de les laisser vivre, à l’extérieur. Jacques Lin, né en 1948, n’est pas du style à s’épancher sur ses sentiments, sa grandeur d’âme ou sa posture politique. Il n’a rien à prouver, et ne cherche jamais à séduire le lecteur et la lectrice. Il décrit ses aventures de vie, terre à terre et quotidienne, avec deux ou trois jeunes qui ne parlent pas. Ne possédant pas le langage, ils (ce sont surtout des garçons) communiquent autrement leur mécontentement ou leur plaisir. Jacques (et Deligny) se contente de vivre avec. Aucune recherche d’éducabilité, à les rendre « moins » ou « plus » aptes à quoique ce soit, non, il s’agit de les accepter pour ce qu’ils sont et de trouver des points d’entente. Très vite, les gestes prennent le pas, les mains commencent à parler, à tapoter, à couper du bois, mettre la table, s’harmoniser pour vivre en commun. Les lieux existent toujours, la méthode Deligny a su se perpétuer et des personnes autistes continuent de bénéficier de l’aide d’hommes et de femmes qui dédient leur vie à leurs besoins.
L’auteur décrit donc les alentours, ses inlassables déménagements, vivotant durant des années avec deux ou trois personnes non parlantes. Les conditions de vie sont inimaginables aujourd’hui, impensables pour un « centre d’éducation aux normes » : trous dans le toit, toilettes nature, pas de nourritures pour manger tous les jours, eau à chercher à la source, sans financement, seulement quelques sous reçus grâce à la reconnaissance de Deligny, connu pour ses positionnements éducatifs. Ce sont les années 1960–70 qui sont décrites, un mode de vie complètement fou, hors système. Pas de sexe, de drogue ni de rock pourtant (ou s’il y en a, il n’y est pas fait référence), mais une vie faite de survie, où l’alimentaire devient l’important, l’écoute du corps des autres le seul métronome.
La vie de radeau raconte donc une société hors normes où les personnes autistes peuvent vivre comme tout le monde, dans une maison et un extérieur non clôturé, où ils ne sont pas traités comme des enfants ou des fous. Cette utopie devenue réalité, Jacques Lin en a fait sa réalité. Comme dit précédemment, il est assez avare en propos personnels. La vie de radeau, ce n’est pas totalement lui, c’est un concept de vie. J’aurais aimé en savoir davantage sur cet homme, si prompt à quitter la vie d’usine, âgé de seulement 18 ans, et qui toute sa vie et jusqu’à aujourd’hui encore, vécu dans les Cévennes. Il y rencontra sa femme, Gisèle Durand, sa collègue durant toutes ses années, et eut un enfant avec elle. Très pudique, nous ne saurons rien de cette relation. Si on sait que ses frères vinrent travailler avec lui, quelques années, et que cela entraîna des disputes dues à une mauvaise communication, on ne sait pas grand-chose de son trajet intérieur, de ce qu’il y aura laissé, de ce qu’il aura appris, de ce qui l’a poussé à rester, à tenir, de ce qui le motivait de l’intérieur à faire de ce chemin de croix son chemin à lui. Il lui reste encore à écrire ce livre-là.”
“Pour se déplacer, on utilise notamment un radeau l’action éducative prend les contuurs du trajet d’un radeau qui part dans toutes les directions loin d’aller toujours dans le même sens. Le récit est très avare de repères temporels, il y généralement une certaine sobriété dans la contextualisation. On perçoit cependant quelques caractéristiques de cette aventure humaine qui laisse une très grande liberté d’expression à des personnes qui n’utilisent guère le langage, moyen de communication le plus fréquent chez les humains. Par contre l’art et le travail manuel sont des outils largement présents.”
C’est d’une tentative dont il est question et, à travers elle, de celles et ceux qui l’ont portée ainsi que des lieux qu’elle a convoqués. Pendant plus de 50 ans, Jacques Lin, ancien ouvrier électricien, s’est évertué à maintenir avec d’autres une aire d’accueil d’enfants et d’adultes autistes aux pieds des Cévennes. Certains connaissent de cette aventure les noms de Fernand Deligny, l’un de ses instigateurs à la plume prolixe et précise, et de Janmari, autiste qui fut « sans le savoir la boussole de cette démarche » jusqu’à son décès. Jacques Lin retrace dans ce court texte l’expérience d’une vie aux côtés d’enfants vivant à l’écart du langage et des cadres sociaux établis — donc stigmatisés, souvent, pour cela. C’est une vie hors-champ qui leur a été permise aux alentours du village de Graniès : non pas désordonnée (au contraire, tant ce que Deligny a appelé le « coutumier » a une place importante pour eux) mais distanciée des nécessités civiles et civiques. Née autour de 1968, cette tentative a survécu aux années malgré les difficultés matérielles rencontrées. Le quotidien fut fait de menues tâches répétées mais parfois mises en péril par une visite de la DDASS, un propriétaire récalcitrant ou le froid, tout simplement.
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C’est un regard alternatif à celui qui s’impose sur l’autisme que l’ouvrage offre. La chronique de ce quotidien révèle combien il est précieux de se garder de tout discours normatif sur ce qui nous excède : le décrire et tenter de vivre avec est un premier pas vers sa compréhension.
Lisez la chronique intégrale sur le site de la revue Ballast