On ne saurait trop vous conseiller ce diptyque, petit bijou de réapprentissage de l’œil, des émotions simples et occultées. A l’heure du temps libre estival, Les Pommes Sauvages & La Vie Sans Principe se présentent comme l’indispensable compagnon du lecteur féru de promenades.
Adrien Battini – La Cause littéraire
Revue de presse
Pour les éditions Le mot et le reste, 2013 est placée sous le signe de Henry D. Thoreau. Après la réédition de son chef d’œuvre Walden (nouvelle traduction de Brice Mathieussent), la maison marseillaise poursuit son entreprise de publication des conférences et autres essais courts du romancier américain. À l’instar de Marcher ou des Teintes d’Automne, Les Pommes sauvages & La Vie sans principe constitue une parfaite entrée en matière dans l’univers de Thoreau et une plaisante initiation à sa pensée.
Nul doute que le lecteur sera quelque peu surpris par les premières pages des Pommes sauvages. En guise d’essai littéraire, Thoreau ouvre son propos sur une véritable monographie descriptive sur le sujet des pommes. Tout tient de l’ouvrage encyclopédique : considérations géographiques, étymologiques, taxinomiques et mythologiques (dont on déduira un implicite hommage au paganisme, puisque toute référence biblique est absente du texte). Cette masse d’informations, que d’aucuns jugeraient superflue, sert au contraire les intentions de Thoreau tel un subtil baptême pour le profane qui ignore l’importance des vergers sauvages du Massachussetts.
Passé le seuil de l’objectivisme froid, Thoreau laisse libre cours à sa plume qui enchante la nature environnante. Le lecteur est soudainement transporté sur les sentiers et chemins aux côtés de l’écrivain, dont le regard révèle enfin toute la beauté insoupçonnée. En quelque sorte, Les Pommes sauvages est une invitation à un voyage de la proximité et à jouir de la magnificence de la banalité que l’homme pressé ne trouverait plus que dans un exotisme fantasmé.
L’adjonction de La Vie sans principe, à la tonalité plus politique, prend dès lors tout son sens. Réflexion sur le sens de la vie et sur l’obsession de ses contemporains de « gagner sa vie », ce petit traité s’apprécie comme une critique acerbe du libéralisme politique et de l’industrialisme économique. Aux antipodes des idéologies socialistes ou marxistes européennes, la contestation de Thoreau n’en reste pas moins littéralement radicale. Posture éminemment naturaliste qu’adopte l’écrivain, à la fois apologie des racines natales et ode au rêve céleste, mais qui a pour conséquence la dénonciation de l’absurdité d’un mode de vie qui n’a d’intérêt que pour ce qui est sonnant et trébuchant. Précurseur d’un écologisme militant, Thoreau jette l’opprobre sur ces hommes nouveaux qui ont oublié la pureté et la richesse de la nature, voire qui la saccagent au nom d’une rationalité industrielle, nouvelle religion de l’Amérique triomphante. Les vergers et les pommes sauvages qui se raréfient sont les illustrations de la menace que pointe Thoreau pour qui la résistance civile commence au détour de la rue ou du champ. Comme le flâneur qui croque le fruit juteux, il nous revient à nous de prendre soin de ces milliers de petits bonheurs à portée de main, en somme de cultiver le jardin de la Res Privata pour pallier les inévitables défaillances de la Res Publica.
On ne saurait trop vous conseiller ce diptyque, petit bijou de réapprentissage de l’œil, des émotions simples et occultées. A l’heure du temps libre estival, Les Pommes Sauvages & La Vie Sans Principe se présentent comme l’indispensable compagnon du lecteur féru de promenades.