- Interview Michel Granger - Poétiques du monde : la marche et le globe
Trois chercheurs et des explorateurs. Il y a le promeneur qui ne rêve de nul ciel sinon celui qui l’entoure. Et il y a ceux qui rêvent d’englober le monde et la voûte céleste. Local contre global, perception contre représentation du monde, culture de soi contre utopies universelles. Une émission qui pourrait mettre dos à dos la philosophie de l’écrivain américain Henry David Thoreau, dont on fête encore le bicentenaire de la naissance pour quelques jours et l’exposition qui déroule à la cité de l’architecture à Paris une possible histoire des globes terrestre et célestes. Avec Michel Granger pour Marcher et Teintes d’automne, deux essais signés H.D Thoreau, qui paraissent aux éditions le mot et et le reste et avec Jean-Marc Besse et Frédérique Aït-Touati pour leur collaboration au catalogue de Globes, architecture et sciences explorent le monde, aux éditions Norma.
Réécouter l’émission sur le site de France Culture
Manou Farine
France Culture // Poésie et ainsi de suite
29 décembre 2017
- Thoreau l'insoumis
Thoreau c’est l’homme insoumis par nature, magnifique et radical. Si la vie qu’il défend dans ses écrits est celle qu’il a choisie, il n’encourage pas nécessairement les autres à suivre cette voie, car c’est sa voie à lui, mais il invite chacun à trouver son propre chemin, et pour cela l’encourage à se plonger dans l’inconnu qui s’offre à lui. Chaque être est aussi face à l’inconnu qui sommeille en lui ou hors de lui, et qui ne demande qu’à être éveillé.
« Je ne connais pas de fait plus encourageant que la capacité indiscutable de l’homme à élever sa vie par un effort conscient. »
Se libérer des chaines de la mécanique du monde qui placent les êtres en pilotage automatique, Thoreau invite le lecteur à être libre, de ses pensées, de ses mouvements, de la vie que l’on se choisit chaque jour qui passe. Un être radical aux yeux de ceux qui ne savent même pas qu’ils vivent, alors qu’au fond il est au plus près de la vérité fondamentale du sens de la vie, tourné vers la nature et le vivant.
J’avais toujours eu envie de lire Walden ou la vie dans les bois, livre de Thoreau publié en 1854, et dont est inspiré le film Into The Wild à travers la citation directe par son héros. Le livre raconte la vie de Thoreau pendant deux ans deux mois et deux jours dans une cabane près de l’étang de Walden dans le Massachusetts. Je ne l’ai pas encore fait par manque de temps, et ce recueil de textes permet d’entrer dans l’univers de l’auteur et d’en saisir la globalité de la pensée, que l’on sent foisonnante. Je suis toujours un peu sceptique sur cette démarche tant j’aime découvrir l’œuvre directement d’un auteur, mais Michel Granger qui a rassemblé ici différents textes de différentes sources, n’en est pas à son premier ouvrage sur Thoreau, et sa mise en page est cohérente. Il avait déjà publié aux éditions Le Mot et le Reste, Journal (2014), une sélection en 700 pages du journal qu’a tenu Thoreau entre 1837 et 1861 qui représente 7000 pages de notes ou de pensées consignées. Au sein du monde des lettres et de l’histoire des idées, Thoreau restera pour la postérité comme l’inventeur de la « désobéissance civile » à laquelle il consacrera un essai en 1849, après avoir purgé une courte peine de prison par suite de son refus de payer l’impôt en signe d’opposition à l’esclavage et à la guerre contre le Mexique. Il inspirera, en outre, l’écologisme radical et le courant décroissant, qui lui doivent le concept de « pauvreté volontaire ».
Il y a un siècle et demi, Thoreau, philosophe non conformiste, naturaliste précurseur de l’écologie, écrivait déjà ce qui allait devenir tous les thèmes urgentistes en ce début de siècle malade de son alimentation, de son air, de son industrie, il n’a jamais été aussi contemporain, le relire aujourd’hui est une nécessité absolue. Et sortir un recueil de ses textes est une belle idée pour partager cette pensée inspirante, il a posé sans le savoir ce qui serait la problématique moderne de notre époque, et de l’évolution du monde des hommes et du vivant. Une anthologie remarquable dans laquelle chacun peut puiser au gré de ses humeurs, de ses inspirations ou de ses centres d’intérêt.
« Il n’est jamais trop tard pour renoncer aux préjugés. On ne peut se fier sans preuve à aucune manière de penser ni d’agir, aussi ancienne soit-elle. Ce que tous répètent ou transmettent tacitement comme étant la vérité d’aujourd’hui peut demain se révéler mensonge, simple fumée de l’opinion, que certains ont prise pour une nuée capable d’arroser d’une pluie fertilisante leurs champs. Ce que les vieilles gens disent que vous ne pouvez pas faire, en l’essayant vous découvrez que vous le pouvez. Laissons l’ancien temps aux anciens, et que les nouveaux venus s’occupent des temps nouveaux. »
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Johann
Addict Culture
15 décembre 2017
- Pensées sauvages
M. Granger poursuit son entreprise de faire connaître Thoreau à travers des anthologies thématiques. Après un volume regroupant des textes de cet auteur sur les animaux, il donne à présent un recueil des « pensées sauvages » qui sont sans doute moins évidentes au lecteur habitué à voir seulement chez l’ermite de Walden un poète de la forêt et de la nature. Ici, précise-t-il, « les longues descriptions minutieuses des bois, des rivières, de la faune et de la flore ont été omises, au profit d’extraits révélateurs de la richesse de sa réflexion. Ils ont été ordonnés de manière à offrir au lecteur un parcours dans le cœur des principales idées qui structurent sa recherche d’une ‟vie naturelleˮ : l’attirance pour tout ce qui est sauvage ; la critique de la modernité au temps de la Révolution industrielle ; l’exposé de son art de vivre selon le principe de ‟pauvreté volontaireˮ ». Le choix de M. Granger est donc à rebours des valeurs du capitalisme triomphant et de ses chantres du moment et il rejoint en maints endroits la pensée de R. qui se prête mal aux contorsions universitaires qui en font un économiste avant l’heure et un partisan du libéralisme à la mode. Il a été orienté « par le désir de présenter un Thoreau original, radical dans la forme de ses opinions, celui dont la société américaine du milieu du 19e siècle ne voulait pas entendre les pensées ‟sauvagesˮ ». Est-il utile de dire que celles-ci sont en résonance avec les préoccupations de notre époque – la résistance à l’autoritarisme et à la tyrannie de l’économie, l’importance de la nature, la préoccupation écologique, la perspective de la décroissance » ? Ces thèmes sont malheureusement tant malmenés et vidés de leur contenu par les médias et les philosophes beaux parleurs qu’on peut douter de leur sauvagerie. Thoreau le dit fort bien : « Il est vain de rêver d’un monde sauvage éloigné de nous. Car il n’y en a pas. C’est le bourbier de notre cerveau et de nos entrailles, la vigueur primitive de la Nature en nous, qui inspire ce rêve ». Ce n’est qu’un rêve pour les citadins qui le lisent, un sujet de colloque ou de débat mondain. Le sauvage est toujours celui qui ne va pas dans la direction prise par la société, l’en dehors qui n’a que faire des mots d’ordre citoyens, mais qui ose encore tourner le dos et repousser les chaînes qui nous accablent, renoncer à internet, à la télévision abrutissante, à l’actualité mise au service de la propagande, au formatage qui fait que tout le monde pense pareillement ? Où est le sauvage, où est la sauvagerie, la rusticité, l’impolitesse et la rugosité de l’en dehors ? Certainement pas parmi les moutons bien dociles et bien reconnaissants que nous croisons dans les rues et les couloirs.
Tanguy L'Aminot
Rousseau Studies
décembre 2017
- Pensées sauvages
Dans ce sympathique livre, traduit de l’américain par Nicole Mallet et Brice Matthieussent, Michel Granger a effectué une sélection dans l’œuvre de Thoreau. L’objectif était de préserver l’originalité, mais aussi la radicalité de sa philosophie, qui est une critique impitoyable de la société du milieu du 19
e siècle américain. Ce qui nous frappe à chaque lecture, c’est la modernité de Thoreau. Il fait table rase des certitudes, rompt avec les traditions, éveille les consciences… mais toujours dans un esprit positif. Au fil du temps, son approche est devenue de plus en plus systématique, scientifique. Tout se pense et se construit à travers l’amour et le respect de la nature qu’il transmet aux lecteurs.
Il n’est pas étonnant que son œuvre soit devenue une source d’inspiration constante pour les naturalistes amateurs et les écologistes, tout autant que ses idées économiques et politiques intéressent les activistes sociaux et les adeptes de la simplicité volontaire.
Walter Belis
L'Oiseau Magazine
Printemps 2017
- Thoreau
Michel Granger, l’un des plus grands connaisseurs francophones de l’œuvre de Henry David Thoreau, publie avec le recueil
Pensées sauvages une passionnante sélection de textes du philosophe transcendantaliste américain. Dès l’introduction, le partisan de la décroissance comprend pourquoi il se doit de lire Thoreau, ce penseur anti-industriel qui rejette la civilisation mercantile, pourfend la religion du progrès, appelle à gagner les bois et à vivre la pauvreté volontaire : “Il s’agit d’une pauvreté philosophique qui se nourrit de contemplation, de spiritualité. Elle requiert de ne pas se laisser distraire par des biens matériels que l’on achète au prix fort, au moyen d’un travail d’esclave : il ne faut pas gaspiller sa vie pour de la consommation futile, mais la dépenser sans compter pour de précieux biens immatériels”, explique Michel Granger. S’ensuivent des réflexions pénétrantes sur la nature, la liberté, la résistance au gouvernement et à la frénésie des affaires.
Cette anthologie de Pensées sauvages offre une excellente porte d’entrée pour appréhender l’œuvre de Thoreau. Une petite citation pour le plaisir : ”Être philosophe, ce n’est pas simplement avoir des pensées subtiles, ni même fonder une école, mais aimer la sagesse au point de vivre selon ses préceptes, une vie de simplicité, d’indépendance, de magnanimité et de confiance. C’est résoudre quelques-uns des problèmes de la vie, non pas de manière théorique, mais pratique.” Que tous les nouveaux philosophes médiatiques en prennent de la graine.
Pierre Thiesset
La Décroissance
mars 2017