EXTRAIT
En fait, je déclare tranquillement la guerre à l’Etat à ma manière, bien que je continue à avoir recours autant que possible à tous les avantages qu’il offre, comme il est d’usage en de pareils cas. (Résistance au gouvernement civil)
Je n’ai pas envie de tuer ni d’être tué, mais je peux envisager certaines circonstances où je serais contraint inévitablement de le faire. Nous maintenons quotidiennement la prétendue paix de notre communauté par des actes de violence mesquine. Regardez le policier avec sa matraque et ses menottes! Regardez les prisons! (Plaidoyer en faveur du capitaine John Brown)
Afin de protester ouvertement contre l’esclavage, Thoreau met en pratique une forme de « désobéissance civile » en refusant de payer des impôts, ce qui lui vaut en 1846 de passer une nuit en prison et bien plus tard, d’obtenir l’admiration de Gandhi et de Martin Luther King. Il en fait l’exposé dans un essai, Résistance au gouvernement civil (1849), plus connu sous le titre posthume de « La désobéissance civile », titre dont on n’a jamais pu prouver qu’il était de lui.
La présente édition de cet essai — accompagnée de larges extraits de « L’esclavage au Massachusetts » (1854), « La vie sans principe » (1854–1862), « Plaidoyer en faveur de John Brown » (1859) — vise à montrer que sa pensée n’est pas restée figée après 1849 ; ces textes permettent de saisir l’évolution considérable de la pensée politique de Thoreau entre 1849 et 1859. Face à l’aggravation des tensions avec le Sud esclavagiste, il abandonne progressivement la désobéissance civile, conçue comme geste individuel d’objection de conscience. Il se rend compte que le simple non-respect de la loi par un citoyen ne suffira pas pour faire plier le gouvernement fédéral et qu’il faudra davantage qu’un geste « civil » isolé. Thoreau en vient alors à accepter l’idée d’une nécessaire violence et laisse poindre la tentation de « craquer une allumette » pour faire sauter le système ; lors de sa défense publique de l’abolitionniste John Brown, il considère même que ses fusils ont été bien employés à Harpers Ferry.
Bien plus que la « désobéissance » ponctuelle à une loi injuste, c’est une « résistance » farouche, aux objectifs variés, qui mobilise Thoreau en permanence et définit sa philosophie de vie : elle représente une posture de lutte pied à pied contre un gouvernement qui porte atteinte à la liberté de l’individu et contre les forces envahissantes de la société américaine, notamment la tyrannie du tout-économique et l’emprise sur l’opinion publique d’une presse de piètre qualité. Oublier les derniers essais politiques et réduire Thoreau au “théoricien de la désobéissance civile” (M. Onfray) enlève à sa pensée, celle de la résistance, son ampleur et sa complexité, émousse enfin sa force subversive : Thoreau est un rebelle qui conteste l’autorité de la Constitution et revendique le droit d’ingérence par la force dans les affaires des esclavagistes. Ne voir en lui qu’un « désobéissant » revient à préserver l’image de l’idéaliste non-violent, comme si l’on voulait tenter d’apprivoiser ce penseur jugé trop dérangeant.
Présentation de Michel Granger
Revue de presse
Jeudi 20 octobre Michel Granger, américaniste professeur à l’université de Lyon, auteur des appareils critiques de toutes nos éditions des textes de Thoreau était l’invité d’Adèle Van Reeth. Cette émission était la dernière d’un cycle consacré à la solitude, et évoquait bien sûr la notion de solitude chez H. D. Thoreau.
Pour réécouter l’émission :
Les Nouveaux chemins de la connaissance
CONTESTATION • De plus en plus de mouvements enfreignent la loi afin d’en dénoncer une application injuste. Retour sur les fondamentaux théoriques et pratiques de la désobéissance civile.
Walden, Massachusetts, avril 1846. Des policiers se rendent au domicile d’un jeune homme afin de procéder à son arrestation. Le prévenu doit six ans d’arriérés d’impôts à l’Etat. Il affirme ne pas vouloir verser un dollar à un gouvernement défendant l’esclavagisme et la guerre contre le Mexique. Sa mise au frais sera de courte durée. Un parent verse rapidement le montant dû. Henry David Thoreau est aussitôt libéré. Un peu malgré lui, sans doute.
Cette histoire constitue le mythe fondateur d’une pratique politique qui fait florès aujourd’hui encore et qui réunit des mouvements aux causes très différentes. Enseignants français qui refusent d’appliquer les directives de l’Education nationale, artistes performers russes qui dessinent un phallus géant juste en face d’un bâtiment du FSB (ex-KGB), citoyens suisses qui cachent à leur domicile des requérants d’asile déboutés, new-yorkais qui se donnent régulièrement rendez-vous dans le métro en simple slip : tous revendiquent une forme de désobéissance civile. Les révolutions arabes de ce printemps ont également été menées au nom de valeurs et selon des méthodes pacifistes propre à la désobéissance civile.
Pourtant, les plans d’action et l’engagement politique des uns et des autres ne s’accordent pas forcément, et la joyeuse cacophonie idéologique qui sert de terreau à la désobéissance civile rend ses contours un peu flous. La publication de quelques récents essais permet d’y voir un peu plus clair.
Le droit de résistance
C’est sous la plume de l’écrivain américain du XIXe siècle Henry David Thoreau que la « Civil Desobedience » apparaît – non pas dans ses essais mais dans sa correspondance. On trouve évidemment de nombreux précédents historiques à Thoreau. Le refus de se plier aux lois de la Cité aux motifs que ces dernières seraient injustes ou iniques est un leitmotiv dans certaines tragédies antiques. A la Renaissance, Etienne de La Boétie théorise les conditions d’opposition au pouvoir du tyran dans son Discours de la servitude volontaire.
Les philosophes anglais Thomas Hobbes puis John Locke se sont également intéressés à la nature du pouvoir et aux conditions de son acceptation par le plus grand nombre. Locke définit même un droit à la résistance : « Un droit de désobéissance aux ordres arbitraires et illégaux des gouvernements », note l’essayiste Jean-Marie Muller, auteur de L’Impératif de désobéissance (ed. le passager clandestion, 2011). Il voit également dans le pacifisme chrétien de Tolstoï un autre ferment de désobéissance civile : «L’Etat, affirme Tolstoï, c’est la violence; le christianisme, c’est l’amour. (...) C’est pourquoi le chrétien ne doit prendre part ni aux violences, ni au service militaire.»
Civisme du dissentiment
Au cours du XXe siècle, ce sont surtout les philosophes Jürgen Habermas et John Rawls qui conceptualisent la désobéissance. Rawls développe sa réflexion dans le cadre de sa théorie de la justice. Il en définit quelques traits saillants qui servent de référence encore de nos jours : la désobéissance civile se conçoit comme un acte public, non violent, qui a pour but d’amener un changement dans la loi ou la politique du gouvernement. Les « désobéisseurs » se démarquent ainsi des objecteurs qui restent dans une démarche individuelle. « L’hypothèse de Rawls est que, dans une démocratie constitutionnelle dans laquelle le pouvoir est considéré comme légitime, les citoyens partagent le même sens de la justice », écrit Jean Marie-Muller.
Habermas, emprunt de matérialisme et pourtant souvent opposé à Rawls, arrive aux mêmes conclusions : tous deux considèrent que la désobéissance civile s’appuie sur un civisme du dissentiment et permet de renforcer la démocratie.
Fonctionnaires récalcitrants
Mais c’est également à travers sa pratique et l’élaboration de ses stratégies qu’il faut aborder la désobéissance civile. Il est aisé de retracer les moments importants et d’identifier les grandes figures qui jalonnent l’histoire de la désobéissance : Gandhi, Martin Luther King, les grands mouvements sociaux. La désobéissance civile accompagne de fait toutes les grandes actions pacifistes. Mais il est plus malaisé d’en saisir les contours depuis la chute du Mur et la fin de la bipolarisation du monde pendant la guerre froide. C’est le constat de Sylvie Laugier et Albert Ogien dans Pourquoi désobéir en démocratie ? (Ed. La Découverte, 2011).
Ces deux sociologues pointent l’émergence de nouvelles formes de désobéissance civile dans les structures de l’appareil étatique. De nombreux fonctionnaires en butte aux politiques de leur administration opèrent des actes de désobéissance, à l’instar d’Alain Refalo, un enseignant français qui a choisi de ne pas appliquer les réformes du gouvernement Sarkozy conduisant à une école « élitiste ». Mais la résistance peut parfois se montrer plus diffuse et moins visible. Jean-Marie Muller présente «l’usurpation civile» comme une méthode indirecte de désobéissance: «Plutôt que de refuser d’obéir aux directives du pouvoir, on feint de s’y soumettre en faisant secrètement en sorte de ne pas les exécuter et de les faire échouer.»
Spectaculaire et efficace
En France, le débat autour de la désobéissance est particulièrement houleux. La réception de l’essai d’Elisabeth Weissman La Désobéissance éthique (Stock, 2010) a été l’occasion d’échanges parfois vifs. C’est que la pratique de la désobéissance semble déconcerter tant l’appareil du pouvoir, peu habitué à voir ses directives sciemment détournées, que les organisations syndicales souvent mal à l’aise à l’idée d’enfreindre des lois censées également protéger les travailleurs.
En attendant, les arracheurs de maïs transgénique, les déboulonneurs de MacDo, les détourneurs de pub, les adeptes de la sieste sur rail avant passage d’un convoi nucléaire, les cacheurs de sans-papiers et les fonctionnaires appliquant l’usurpation civile sont en passe de fonder durablement de nouvelles pratiques contestataires joyeuses et spectaculaires, peut-être aussi efficaces que les classiques grèves et manifestations syndicales sur la place publique. De par leur caractère illégal, ces actions tendent à transformer les tribunaux en un nouvel espace propice à un débat politique coloré et animé.
«Thoreau est une provocation à penser»
L’américaniste Michel Granger a réuni et commenté des essais de Henry David Thoreau dans Résistance au gouvernement civil et autres textes (Ed. Le mot et le reste, 2011). Il revient pour nous sur cette figure emblématique et fondatrice de la désobéissance civile. INTERVIEW
Quel sorte de «désobéisseur» est Henry David Thoreau?
A mon sens, il est un objecteur avant d’être un désobéisseur. D’ailleurs, je préfère parler de «résistance» plutôt que de «désobéissance» quand je parle de Thoreau. La désobéissance a un caractère un peu trop ponctuel par rapport à la résistance qui accompagne Thoreau tout au long de sa vie. Son acte de désobéissance (sa volonté de ne pas payer ses impôts, ndlr) s’inscrit dans une logique de résistance plus globale au consumérisme et à l’idéologie dominante.
Comment expliquer l’engouement suscité par la pensée de Thoreau?
Il a beaucoup joué sur l’imaginaire américain et cela plaît. Il s’est construit une image de pionnier en s’installant dans sa cabane en bois à Walden. On a un peu tendance à oublier qu’il s’était établi dans une zone déjà colonisée et qu’il n’était qu’à une heure de train d’Oxford. Les éditions des textes de Thoreau en anglais ne retiennent pas non plus certains aspects très irrévérencieux du personnage. Thoreau était par exemple profondément areligieux. Le centre de recherche qui s’est ouvert au Massachusetts a été inauguré par Bill Clinton. Pas sûr que Thoreau eût apprécié la présence d’un président américain comme invité d’honneur. Il a toujours cherché à se situer loin de la sphère du pouvoir. Pour lui, la Constitution, c’est le mal!
Que pensez vous de sa récupération par certains mouvements se réclamant de la désobéissance civile?
Thoreau a développé une pensée qui plaît aux pacifistes. Mais il a clairement rejeté la non-violence à la fin de sa vie, notamment en prenant la défense de l’abolitionniste John Brown qui avait utilisé des armes pour libérer des esclaves. Cela dit, Thoreau est une véritable provocation à penser. Je suis enchanté que cet écrivain qui nous vient d’un lointain passé et d’une culture différente à la nôtre puisse féconder et stimuler à ce point notre réflexion. L’actualité de sa pensée se vérifie dans son utilisation par les mouvements écologistes et alternatifs par exemple.
PROPOS RECUEILLIS PAR GHZ
EN SAVOIR PLUS
Bibliographie choisie d’ouvrages récents sur la désobéissance civile.
> Dans Pourquoi désobéir en démocratie? (La Découverte, 2011), les sociologues Albert Ogien et Sandra Laugier s’intéressent aux formes contemporaines de la désobéissance civile. Ils affirment que les nouvelles techniques de management poussent certains employés dans des mécanismes de résistance et de contournement qui confinent à la désobéissance civile.
> Résistance au gouvernement civil et autres textes (Le Mot et le Reste, 2011) regroupe quelques essais de Thoreau réunis et introduits par Michel Granger. Ce dernier y présente l’écrivain américain comme un résistant provocateur plutôt qu’un désobéisseur.
> A bas la Guerre! A bas le gouvernement! (Ed. de l’Epervier, 2011) recense certains documents – correspondance, tracts, éditoriaux – de la ligue spartakiste autour du procès Liebknecht. Ce socialiste allemand pacifiste refuse de prendre les armes lors de la Première Guerre mondiale et organise avec Rosa Luxembourg des manifestations pour la paix.
> L’Impératif de désobéissance (Ed. Le Passager clandestin, 2011) de Jean-Marie Muller est à la fois un essai, un pensum et un manuel de désobéissance civile. Le philosophe qui est aussi un activiste, fondateur du Mouvement pour une alternative non-violente, y dispense une réflexion originale et des conseils précieux.
> La Désobéissance éthique (Stock, 2010) d’Elisabeth Weissman pointe l’émergence de la désobéissance dans les services dépendant de la fonction publique en France. L’ouvrage est aussi un manifeste critiqué tant par les syndicats que les milieux patronaux.
> Enfin, le site www.desobeir.net qui abrite le Manifeste des désobéissants propose un fil d’actualité lié à la désobéissance, des conseils pratiques et un agenda. Il est également possible de s’inscrire à des séminaires de formation à la désobéissance civile. GHZ
A propos de l’ouvrage d’Henry D. Thoreau, Résistance au gouvernement civil et autres textes, éditions Le mot et le reste, Marseille, février 2011, 84 p., 9 €.
Thoreau est une grande référence en matière de grève de l’impôt, lui qui la pratiqua en signe de protestation contre l’esclavage au début des années 1850. L’introducteur des deux textes présentés, Michel Granger – professeur de littérature américaine (Lyon II) – précise que Thoreau n’avait rien d’un révolutionnaire. Tout juste jouait-il le rôle d’un redresseur de torts en vue de corriger le gouvernement, considérant user ainsi de son droit civique (à moins qu’il n’ait couvert son refus du fisc sous des apparences géné¬reuses). Il fit école en matière de protestation illégale destinée à forcer la main du législateur, mais sans jamais rejeter le système établi, tout au contraire : curieux mélange de violation de la légalité et de loyauté constitutionnelle, caractéristique des Etats-Unis. On pense aux activistes des « droits civiques », ou à ceux que montre Michael Moore dans Bowling for Colombine, « intervenant » pour faire interdire les ventes d’armes dans les supermarchés, tout heureux de conclure par une poignée de mains en échange de promesses. Il s’agit de faire pression pour obtenir le respect des principes de l’ordre tel qu’on l’interprète, éventuellement associé à d’autres s’ils partagent la même opinion. Il est difficile d’y voir d’emblée l’annonce du néo-zapatisme, et pourtant la distance n’est pas infinie entre deux formes de rébellion visant à obtenir des aménagements sans pour autant désirer le pouvoir.
Le numéro d’été de Philosophie magazine consacre un dossier spécial à l’écrivain et philosophe américain Henry David Thoreau, avec des articles de Michel Granger (qui a rédigé l’appareil critique de nos éditions de Thoreau), Jim Harrison, José Bové... et la reproduction d’extraits de notre édition de Résistance au gouvernement civil.
Introduction du dossier
Il est l’un des grands précurseurs de l’écologie, un critique féroce de la civilisation capitaliste et le pionnier de la désobéissance civile : imagine-t-on penseur plus actuel ? Pourtant Thoreau, philosophe américain du 19e s., demeure relativement méconnu. Pour y remédier, il faut se plonger dans son existence et son oeuvre, indémêlables comme le montre Michel Onfray : Thoreau considère la philosophie comme un art de vivre, et la vie comme une expérience philosophique. Marcheur infatigable, il explore les forêts et construit une cabane près d’un lac : ce retour émerveillé à la nature est le support d’une quête de soi permanente. Son credo : se concentrer sur l’essentiel contre les aliénations de la société marchande, comme le soulignent Michel Granger et l’écrivain Jim Harrison, dans un entretien exclusif. Mais Thoreau est aussi cet insoumis qui refuse de payer l’impôt et prône la résistance contre les abus de l’Etat. Cette éthique et cette politique de l’indignation constituent le second versant de sa modernité, ici présenté par Sandra Laugier et loué par José Bové. Ainsi, que ce soient les randonnées estivales ou les manifestations automnales, Thoreau s’affirme comme un précieux compagnon de route et de pensée…
Qui aurait imaginé que l’opuscule de Stéphane Hessel deviendrait un best-seller ? L’incroyable succès d’Indignez-vous !, qui a dépassé en quelques mois les deux millions d’exemplaires vendus en France, a surpris jusqu’à son éditeur montpelliérain, Indigène. Ayant bénéficié de la personnalité de son auteur, diplomate nonagénaire, rescapé des camps, ce livre est l’arbre qui cache la forêt.
Sur les tables des librairies, une multitude d’essais et de revues invitent à une résistance en actes – au-delà d’une indignation perçue dans la tradition de Zola et de Sartre comme le motif premier –, de la désobéissance civile à l’art de résister, de l’insurrection pacifique au combat des juges contre le pouvoir. Plusieurs de ces publications interrogent le présent au regard du passé, tissant des liens troublants entre les résistants d’hier et ceux d’aujourd’hui, pour mieux sonner l’état d’alerte.
(...)
Face à des lois injustes, il est un concept en vogue dont on prête la paternité à Henry David Thoreau : la désobéissance civile. Un recueil rassemblant « Résistance au gouvernement civil », ainsi que d’autres textes moins connus, vient de paraître. On y (re)découvre le poète retiré dans les forêts du Massachusetts, qui avait refusé de payer ses arriérés d’impôts pour protester contre la guerre au Mexique. Loin des mouvements de masse qui ont agité l’Inde ou de la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis, Thoreau avait choisi l’action individuelle : « En fait, je déclare tranquillement la guerre à l’Etat à ma manière, bien que je continue à avoir recours autant que possible à tous les avantages qu’il offre. »
(...)
Consulter l’intégralité de l’article : REGARDS
Résistance et non désobéissance. Quelle différence ? C’est d’abord la traduction littéralement exacte de l’essai qui a rendu Thoreau célèbre. Le glissement de la résistance vers la désobéissance est très fin. Aussi subtil que la notion de frontière qui émaille les écrits immenses de l’Américain, le délicat respect l’emporte sur les récupérations obtuses, sources des foudres de la censure et de malentendus variés. Si désobéir revient à manquer de civilité, alors Thoreau n’est pas un désobéissant, encore moins un incitateur à la violence gratuite.
La résistance obéit à une Cause Supérieure. La résistance met en œuvre une participation à une Cause (l’abolition de la peine de mort, l’abolition de l’esclavage, le refus de collaborer avec des gouvernants dévoyés…) par la mise en œuvre de moyens très concrets : oui, la violence des mots doit « susciter une insurrection des consciences contre l’injustice » selon la formule précise de M. Granger.
Ces textes courts, pertinemment choisis, de Thoreau ressemblent à des sources et à des ruisseaux. Rien à voir avec le grand fleuve léninien. Le Russe emporte, l’Américain campe. Tels les chats. Contrairement au lieu commun, ils ne désobéissent pas, ils guettent, campent et résistent sans peur aux serpents du Contrôle. Silencieux, ils examinent les anneaux, s’en jouent, griffent et les abandonnent à la fatalité.
Ils ne constituent pas un bréviaire. Encore moins des lois révélées. Ce sont des pistes et des sentiers. Grandeur de la marche. Solitaire Thoreau ? Nul plus que lui ne fut attentif aux faits de son temps. Nul plus que lui ne fut convaincu que la démocratie doit être une démopédie (chère à Proudhon). Instruire et éduquer, s’instruire et se former, relèvent du politiquement concret. Instituteur, conférencier, tailleur de crayons, géomètre, botaniste, Thoreau a résisté à toutes les déterminations asservissantes. La seule obéissance à la loi qu’il s’était prescrite fut son travail d’écriture quotidienne. Très concrète. Toujours politique. Sans cesse dans le monde. Loin des mondanités. Près de nous.
Thoreau arpente les abords des rivières. Il sait bien qu’elles gonflent jusqu’à la mer. Là est le rivage, là est la poésie. Le plus audacieux navigateur aspire toujours au retour. Oui, il faut s’engager pour mieux trouver le port.
« Celui qui ne résiste pas du tout ne se rendra jamais ».
De la vie dans les bois à la désobéissance civile
Autour de Henry David Thoreau, écrivain américain (1817–1862), considéré comme l’un des pères de l’écologie.
Avec Thierry Gillyboeuf, traducteur de “De la Désobeissance civile” (Ed.Mille et une nuits) et de nombreux autres textes de Henry David Thoreau, Christian Doumet, professeur de littérature française et d’esthétique musicale à l’Université Paris-VIII, auteur de “Trois huttes” (Thoreau, Patinir, Bashô), et Michel Granger, professeur de littérature américaine à l’Université de Lyon II, spécialiste de “nature writing” (Thoreau, Henry Adams, John Muir, Rick Bass), auteur de nombreux livres et articles autour de Thoreau.
Une émission d’une heure avec David Collin et Philippe Zibung.
Pour écouter l’émission, rendez-vous sur son site :
Babylone
Henry D. Thoreau s’invite le jour de l’ouverture du salon du livre porte de Versailles (à Paris).
Après le Indignez-vous ! de Stéphane Hessel, voici le : NON, lettres rouges sur fond violet.
Toute la gomme est dans le surtitre : RESISTANCE AU GOUVERNEMENT CIVIL ET AUTRES TEXTES.
Texte écrit en 1849 et publié aujourd’hui par les éditions Le mot et le reste.
J’ai dit – retour sur d’autres blogs – de vilaines choses sur Thoreau (en particulier son côté ermite, écolo, « brouteur d’herbes », etc). Mais j’ai une grande tendresse pour ce type qui osait être critique, rebelle, le tout avec une belle arrogance + une belle innocence. Presque un appel à l’insurrection…
Thoreau a écrit cela il y a bien longtemps. C’est épatant à le lire maintenant. A méditer…
Extraits :
« Comment un homme de nos jours doit-il se comporter à l’égard du gouvernement américain ? Je réponds qu’il ne peut pas s’y associer sans se déshonorer. Je ne peux pas un seul instant reconnaître comme mon gouvernement une organisation politique qui est aussi le gouvernement de l’esclave. »
« Parmi les mesures à adopter, je suggère d’attaquer la presse avec autant de sérieux et de vigueur qu’on l’a fait et, avec succès, à l’endroit de l’Eglise. L’Eglise s’est bien améliorée durant ces dernières années, mais la presse, sans exception, est au bord de la corruption. Je crois que dans ce pays, cette institution exerce une influence plus grande et plus pernicieuse que n’en eut jamais l’Eglise dans les pires moments de son histoire. »
Quand il nous raconte cela H. D. Thoreau, la Fox et autres médias à la solde des bandits & cie n’existaient pas encore. Que dirait notre bon vieux philosophe là, maintenant ?
Encore un petit extrait (page 71) :
« Le seul gouvernement que je reconnaisse – peu importe le petit nombre de ses dirigeants, la taille réduite de son armée – est le pouvoir qui fait régner la justice dans le pays, jamais celui qui établit l’injustice. Que penser d’un gouvernement qui a pour ennemis tous les hommes braves et justes du pays qui s’interposent entre lui et ceux qu’il opprime ? Un gouvernement qui se targue d’être chrétien et qui chaque jour crucifie un million de Christ ? »
Je l’embrasse sur les deux joues ce bon vieux rêveur d’un monde meilleur !
A tous (sauf les bandits & cie) : mon salut !