Revue de presse
Il est de ces hommes qui furent en avance sur leur époque. Tel Henry Thoreau qui, américain du XIXème siècle écrivit sur la désobéissance civile et se fit le chantre de la nature, un écologiste avant l’heure. Ses contemporains le prenaient de haut, le considérant comme un arriéré. Trop original. Il s’en prenait à l’esclavage qu’il exécrait. Mais ce n’était pas un militant pour autant. Sa pensée comme philosophe et scientifique, trouvèrent des émules en la personne d’un Gandhi, Martin Luther King et John F. Kennedy. Si vous avez envie d’explorer ce que fut ce grand intellectuel il y a un merveilleux livre qui sort en librairie Thoreau compagnon de route de Kenneth White. Il a beaucoup écrit sur lui, et dans ces chapitres il nous raconte l’homme et l’œuvre. Et pour la petite histoire, et plus près de nous, saviez-vous que notre auteur-compositeur-interprète québécois Richard Séguin s’est inspiré de Thoreau pour son album ayant pour titre « Retour à Walden ». Un beau personnage à découvrir, héraut des droits et libertés de l’homme.
« Ne serait-ce pas délicieux, écrit Thoreau, de rester plongé jusqu’au cou dans un marais solitaire pendant tout un jour d’été, embaumé par les fleurs du myrica et de l’airelle ? Disons douze heures de conversation familière avec la grenouille tachetée… »
Lire Kenneth White ne lave pas de tous les péchés – on en a trop -, mais élargit le champ de la pensée, envoyant dinguer la fatigue par la puissance des idées, des noms, des lieux et des strates géopoétiques associées.
Thoreau, peut-être mieux compris en France qu’aux Etats-Unis, est ainsi pour l’auteur du Plateau de l’albatros un de ces phares nous guidant dans la nuit d’un Occident ayant oublié ses confins, et sa substance asiatique.
Présentant dans Thoreau compagnon de route (Le Mot et le Reste, qui tend à devenir l’éditeur princeps du Pic de la Mirandole franco-écossais) un auteur rapproché d’Etienne de la Boétie pour leur défense fondamentale de la liberté et de la possibilité de penser par soi-même, loin des tuteurs et des tentations de la soumission volontaire, Kenneth White s’enchante : « Henry David Thoreau n’est pas « américain », il est pré-américain. A un moment où l’Amérique commençait à se ruer en avant, Thoreau remonte en arrière, jusqu’en Asie (il parle de s’ « indianiser »). Si Thoreau n’est pas « américain », il est encore plus évident qu’il n’a strictement rien en commun avec les Etats-Unis, cette entité psycho-socio-politique qui oscille entre l’utopie et le cauchemar, le milieu étant occupé par une hystérie religieuse, une idéologie nationaliste, un moralisme sentimental, un commercialisme acharné et une brutalité primaire. Nomadisant, loin de tout cela, dans la nature et plus abstraitement dans l’Ouvert, Thoreau essaie de fonder, non pas un Nouveau Monde mais un monde autre. »
Thoreau est un esprit des marges, cherchant dans le détail les points d’universel, reliant de façon incessante à la façon de Glissant le petit contexte et le vaste monde, ne séparant pas la botanique de la mystique, la jouissance des sens de la fécondité de la pensée, la solitude de la communion avec l’ordre naturel.
Recueil de six textes parus une première fois dans d’autres ouvrages, Thoreau compagnon de route décrit un écrivain, héritier de Whitman et du transcendantalisme émersonien, puisant sa force de travail et sa spiritualité dans le contact avec le sol, les végétaux, les oiseaux, les poissons, la marche à l’étoile.
Son ambition majeure : embrasser le grand dehors, disparaître dans la lumière blanche, telle une poudre d’ego emportée par le vent du large.
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Je vous ai, je crois, déjà parlé de Henry David Thoreau, je ne suis pas sûr d’avoir lu du Kenneth White et je pense que, s’il y a filiation entre les deux auteurs, elle se situe dans la reconnaissance de l’importance du premier par le second. Nous sommes en présence d’un livre hommage qui regroupe les textes de White sur Thoreau – cela peut expliquer certaines répétitions. Mais c’est surtout, je crois, une prodigieuse incitation à lire Thoreau. Vous n’aurez aucun mal à sentir combien White « aime » parce qu’il ne parle que de ce qui est aimable. Et il n’en fait pas une idole. Juste un précurseur intelligent qui, à la suite des autres « penseurs » de son temps, s’évertue à sortir de son monde et à jeter les bases d’un monde autre. Quand on lit les deux auteurs, il me semble que l’écho – le plus évident – qu’ils ont dans notre monde actuel se serait Indignez-vous ! de Stéphane Hessel. Thoreau, tel que White le présente, ne fustige pas, il explique et démontre l’intérêt de vivre autrement. Et il en devient bougrement subversif. Est-il pensable, admissible, aujourd’hui de dire que l’homme devrait se contenter de travailler un jour par semaine et de ne rien faire – ou ce qu’il a envie de faire – les six jours restants ? Il me semble que l’on traite moins les chômeurs de parasites et de feignants mais cette société se verrait illico considérée comme utopie dangereuse, pour ne pas dire anarchiste.
White parle aussi du Thoreau écrivain et poète. Un homme qui dit chercher la phrase incompréhensible au commun des mortels et qui expliquerait le monde. Ne riez pas en pensant à un tweet « célèbre »… un tweet n’est pas une phrase, c’est un cri. Un homme qui a du mal à percevoir une différence entre sa poésie et sa prose sur le monde… non à cause des mots mais parce qu’il perçoit les deux de la même façon.
Je sais, il nous est aujourd’hui un peu difficile de jouer les Thoreau – les banques qui prêtent veulent que cela rapporte -, de retourner à la nature, mais je pense que si vous entrez dans ce livre vous pourrez avoir envie de changer d’air… de prendre le temps de marcher.
Bonne lecture.
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