Revue de presse
Aujourd’hui dans Affaires Sensibles, retour sur l’un des cold-case les plus célèbres d’Amérique : l’assassinat du rappeur Tupac Shakur.
“Dès le départ, il y a quelque chose de différent chez Tupac. Quelque chose de franchement touchant”. Né sous le nom de Lesane Parish Crooks (vite renommé Tupac en hommage au dernier Inca quechua Túpac Amaru), le 16 juin 1971 à Brooklyn, l’artiste a très vite été engagé – sans doute parce que sa mère, Afeni Shakur, faisait partie des Black Panthers. Et, avant de disparaître brutalement, assassiné le 13 septembre 1996, il réussit à inscrit sa marque de fabrique sur le hip hop américain. Maxime Delcourt nous plonge dans les batailles sans pitié menées par les gangs (West Coast versus East Coast) et le gangsta rap des années 90 tout en analysant la fine plume de 2 Pac, dont l’apport artistique est souvent mésestimé.
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C’est une histoire que même les moins de 20 ans ne peuvent que connaître. Celle d’un jeune homme au bandana sur le crâne, dont la disparition prématurée continue de fasciner, plus de 20 ans après les faits. Celle racontée par l’écrivain et journaliste Maxime Delcourt dans son ouvrage 2Pac, Me Against The World paru l’an dernier. On a rencontré l’auteur pour discuter de Tupac Amaru Shakur, de mythologie et de place dans l’Histoire.
Journaliste ayant fait ses gammes – entre autres – chez Les Inrocks, Noisey, Brain Magazine ou Slate, Maxime Delcourt est l’auteur de nombreux articles et ouvrages sur la musique au sens large. Sa collaboration avec la maison d’édition Le Mot Et Le Reste avait ainsi déjà éprouvé cette polyvalence sur des bouquins dédiés au jazz ou à la variété française. Mais lorsqu’il s’est emparé du sujet de 2pac, on imagine aisément la pression qui a dû rapidement s’installer sur ses épaules. Véritables cultes dépassant largement le cadre du hip-hop, la vie et l’oeuvre du gangsta parti trop tôt ont guidé plusieurs générations sur la voie du rap et de sa culture.
Les aficionados et hip-hop heads avertis pouvaient sans doute se targuer de déjà tout connaître de la vie de l’auteur des classiques “Dear Mama” ou “California Love”. Sorti en octobre dernier, le roman 2Pac, Me Against The World est pourtant rapidement devenu une référence francophone sur le sujet, croquant sans fausse note ni romantisme mal placé la vie d’un rappeur ayant traumatisé tout un genre musical, tout en assurant involontairement des décennies d’affaires qui roulent pour les vendeurs d’articles dérivés. Mythes fondateurs, héros d’une époque et émancipation de la jeunesse noire américaine : on a fait le point avec Maxime Delcourt sur ce que lui a révélé son travail minutieux sur ce sujet brûlant à jamais.
SURL : Au-delà de ce qui est parfois une nécessité de romancer une vie réelle pour en faire une fiction prenante, on sent dans le livre qu’il y a en fait très peu de choses qui semblent “exacerbées”. C’est parce que la vie de Tupac est elle-même une histoire “plus grande que la fiction” ? Toi-même, tu fais le parallèle avec la mythologie grecque et les récits de Shakespeare.
Maxime Delcourt : Bien sûr ! On parle quand même d’un artiste qui est décédé à seulement 25 ans et qui semble avoir vécu la vie d’un mec de 60 ou 70 ans. Sa vie tient du scénario presque parfait : il est issu d’une famille très portée sur l’engagement, notamment au sein des Black Panthers. Il a grandi dans le New York des années 1970, au moment où les aides sociales ont été coupées et où le crack a fait son apparition. Il a ensuite emménagé à Baltimore, qu’il considérait comme le fond des chiottes mais qui, paradoxalement, va lui donner envie d’être artiste. D’ailleurs, c’est quand même marrant de se dire qu’il a eu très tôt conscience de son potentiel charismatique. À Oakland, alors qu’il n’a pas encore vingt ans, il annonce quand même à Leila Steinberg, une femme qui va beaucoup l’aider à ses débuts et lui permettra d’intégrer le Digital Underground, “vous ne me connaissez pas, mais je vais devenir une star”. Un peu comme s’il avait conscience du destin qui lui était réservé. Un peu comme s’il savait être ce “Prince noir” censé sauver la “Nation noire”, comme l’aurait prétendu sa mère à sa naissance.
Quant à Shakespeare, c’est vrai que, au-delà du simple fait d’avoir joué dans quelques pièces du dramaturge, 2Pac lui vouait une grande admiration. Son professeur d’art dramatique à Baltimore le disait : “il avait Shakespeare dans la peau.” Et c’est vrai que, à l’instar des personnages de Shakespeare, 2Pac semblait constamment tiraillé entre le bien et le mal. L’un de ses potes d’enfance a même réalisé un tableau nommé Shakurspeare.
Pour rester sur cette idée de mythologie, l’histoire de Tupac et Biggie avec ses périphériques (Suge Knight, Faith Evans partagée entre les deux) a tout de la tragédie grecque. Est ce que c’est un des premiers mythes fondateurs du hip-hop ?
Je pense en tout cas que c’est sans doute le mythe le plus populaire, mais il y a eu avant 2Pac, et surtout avant son conflit avec Biggie, des histoires très fortes au sein du hip-hop. Je pense notamment à N.W.A., pour cette façon qu’ont eu des Blacks issus des quartiers pauvres américains de s’imposer au sein de l’industrie musicale avec violence et intransigeance. Mais on peut remonter également jusqu’à Afrika Bambaataa, dont l’histoire et la richesse des préceptes participent à quelque chose qui va déjà au-delà du hip-hop.
Aujourd’hui, les liens entre hip-hop et ciné/télé sont abondants. Tupac fut l’un des premiers à avoir compris les ponts qui pouvaient être jetés entre les deux, non seulement à s’y illustrer mais à y appliquer une exigence digne de l’Actor’s Studio. Finalement, est-il assez logique qu’aujourd’hui, Tupac soit lui-même devenu un personnage de fiction ? Et y a-t-il un danger pour un acteur à interpréter un homme réel qui a accordé lui-même autant d’importance au storytelling, dans sa vie et sa carrière ?
Comme on le disait, la vie de 2Pac a tout d’un roman noir. Donc il est assez logique que les cinéastes ou les scénaristes s’intéressent à son profil, au-delà du simple gage de rentabilité qu’un projet cinématographique autour de sa vie puisse engendrer. Cela dit, c’est un terrain assez dangereux : 2Pac était quelqu’un de très charismatique. Toutes les personnes que j’ai eu l’occasion de rencontrer pour le livre me l’ont dit : quand ils étaient dans une pièce, même quand il était jeune, c’est lui que l’on écoutait et qui captait l’attention. Et ça, c’est quelque chose qu’il faut savoir retranscrire. Ça n’était malheureusement pas le cas dans les biopics de N.W.A. et Biggie, où 2Pac passait pour un type simplement nerveux et arrogant, donc j’espère que le biopic à paraître en juin sera fidèle à cet aspect de sa personnalité. Ainsi qu’à toutes les nuances du bonhomme.
Ton livre est une biographie – ni à charge ni à décharge – de Tupac, mais pas seulement. C’est aussi une réflexion sur un pays (les Etats-Unis) à une époque de son histoire cruciale, pour le hip-hop mais aussi de façon plus vaste encore : socialement, économiquement, politiquement… Finalement, Tupac, sa vie sans concession et sa fin tragique, sont-ils aussi un symbole de cette époque ? Sa mort et celle, quasi-simultanée, de Biggie, a-t-elle marqué la fin de certaines utopies ?
C’est marrant parce qu’Oxmo Puccino, dans le cadre d’une interview, me disait que, pour lui, le hip-hop était en quelque sorte mort après les décès de 2Pac et Biggie. Je ne pense pas du tout que cela soit vrai, mais on ne peut pas nier non plus que la disparition de ces figures iconiques a marqué la fin d’une époque. La fin de Death Row, déjà, qui ne parviendra jamais à se relever de la mort de 2Pac et du départ de Dr. Dre et Snoop Dogg. Mais aussi, par la même occasion, la fin du premier âge d’or du rap californien, qui perd peu à peu la bataille face aux scènes venues de New York et d’Atlanta. Après la mort de ces deux icônes, c’est quand même l’émergence d’un rap beaucoup plus street, plus sombre encore, et sans doute moins festif, à l’image de Mobb Deep ou du crew Ruff Ryders qui va tout défoncer au croisement des années 1990/2000.
Dans ton livre, tu conclus en citant l’influence inquantifiable de Tupac sur le hip-hop et la sphère sociale dans sa totalité. Un rappeur semble se distinguer des autres pour reprendre le flambeau laissé par Pac, c’est Kendrick Lamar. Penses-tu pour autant qu’il soit possible, pour un rappeur aujourd’hui, de prendre une ampleur similaire, et d’accomplir autant de choses qui sorte autant du cadre du hip-hop que Pac ? Ou est-ce quelque chose qui est devenu plus difficile pour eux ?
On voit aujourd’hui que des rappeurs comme Kendrick Lamar ou Kanye West arrivent à atteindre des statuts réellement importants, que ce soit purement musical ou non. Ça prouve bien qu’il est encore possible, à l’heure où les modes changent très rapidement, d’avoir une carrière pérenne et d’avoir une ampleur assez forte aujourd’hui. Cela dit, les époques ont changé et, il faut bien l’avouer, le monde est quand même moins politisé : Kanye West profite surtout de sa célébrité pour expérimenter son langage musical et s’afficher dans les médias, tandis que Kendrick Lamar, derrière ses propos très engagés, semblent plus enclin que les artistes des années 90 à jouer le jeu de l’entertainment. Concernant 2Pac, on parle quand même d’un mec qui, en 25 ans à peine, a systématiquement cherché à aider les siens, que ce soit à travers le mouvement Thug Life ou ses albums, qu’il voulait vendre en masse pour avoir suffisamment d’argent afin de subvenir aux besoins de sa communauté. On parle aussi d’un rappeur décédé à un âge où des poids lourds du hip-hop comme Jay-Z et Kanye West n’avaient pas encore enregistré leur premier album. C’est donc très difficile de savoir si un tel comportement est encore possible aujourd’hui à un niveau aussi populaire. Je l’espère, en tout cas.
Shakespeare disait : “Ce qui est passé est prologue.” L’histoire de Tupac, c’est aussi ça : une histoire qui commence après sa mort ?
Disons qu’il a vraiment pris une autre dimension après sa mort. Quelque chose qui lui permet d’inspirer aujourd’hui encore des dizaines d’artistes – Bishop Nehru qui doit son nom au personnage de Tupac dans Juice, Lucio Bukowski qui nomme un de ses titres “2Pac, Molière Et Les Licornes” -, d’être le premier artiste mort à avoir eu le droit à son concert en hologramme, d’être l’artiste le plus écouté dans les prisons anglaises ou d’être une icône au même titre que Bob Marley ou Kurt Cobain. Paradoxalement, sa mort a vraiment permis à son œuvre – qu’elle soit musicale ou sociale – de passer à la postérité. En France, on ne s’en rend peut-être pas compte, tant tous les articles le concernant semblent revenir en permanence sur ses coups de sang ou sa rivalité avec Biggie, mais on parle vraiment ici d’un rappeur admiré par une très grande majorité des rappeurs américains. Tous se reconnaissent dans son legs. Et il est très important de noter, d’ailleurs, que 2Pac a également très bien géré la mythologie autour de sa mort. Ce n’était pas conscient, attention, mais il y a tant de titres qui parlent ou qui mettent en scène sa disparition, que sa mort – qu’il savait proche – ne pouvait que le projeter dans de nouvelles dimensions.
Vous pouvez retrouver l’interview de Maxime Delcourt sur le site de SURL
Des articles, des documentaires, des livres plus ou moins pertinents, et même un futur biopic : il existe aujourd’hui beaucoup de documentation sur 2Pac. Sortir un nouveau livre sur le sujet paraît donc périlleux, mais lorsque l’éditeur s’appelle Le Mot et le Reste, il y a de quoi être curieux. Rédacteur pour Noisey, les Inrocks et Brain Magazine, Maxime Delcourt, l’auteur de Me Against the World, n’en est pas à son premier ouvrage. Il était en effet déjà derrière un livre sur le free jazz, et un autre sur les chansons expérimentales, parus chez le même éditeur.
Maxime Delcourt commence ici par la fin, en retraçant de manière détaillée la dernière journée de 2Pac. La précision des descriptions et la manière de dépeindre les décors et les personnages nous mettent de suite dans l’ambiance. Ne reste ensuite qu’à remonter le fil d’Ariane pour retracer toute la carrière de l’homme en s’agrippant à ses racines. Ses racines familiales tout d’abord, tout un pan de l’ouvrage étant consacré à la vie de Afeni Shakur, et à l’enfance de Pac, chapitre de sa vie qui se trouve être assez peu documenté et qui apparaît pourtant comme particulièrement pertinent si l’on désire mieux comprendre l’évolution de l’artiste américain. On s’attarde ensuite beaucoup sur la jeunesse de 2Pac, et notamment à son rapport à l’acting, autre élément fondateur du mythe. Dès la pré-adolescence, Pac passe déjà son temps à rejouer les scénettes qu’il voit à la télé avant de pousser le curseur plus loin en rejoignant les planches. C’est la naissance du 2Pac « gourou », de l’agitateur, parvenant toujours à s’en sortir par le haut, tirant parti de son identité morcelée.
En replaçant systématiquement son sujet dans son contexte social et historique, Maxime Delcourt en dit long sur l’Amérique noire des années 80 et 90 dont 2Pac est l’une des figures artistiques les plus importantes. Soyons clair, il ne s’agit pas là d’une pure biographie. Si l’auteur travaille autant la question, ce n’est que pour mieux parler de l’œuvre de 2Pac. Les arcs biographiques et les petites scénettes viennent ainsi alimenter les développements sur la musique et le cinéma. L’auteur nous délivre alors tout le processus créatif du rappeur, avant d’aboutir à des analyses poussées de ses disques, mettant parfaitement en corrélation méthodes de travail, contexte social, entourage, et produit fini. On visualise ainsi beaucoup mieux à quoi pouvait ressembler une séance de studio avec l’artiste. On comprend mieux son exigence, et sa volonté de spontanéité qui était poussée si loin que les artistes qui enregistraient avec lui n’avaient le droit qu’à une seule prise.
En s’accrochant de près à la vie de 2Pac, Maxime Delcourt passe au crible toute son ascension dans l’industrie, des premiers succès à la paranoïa totale de sa fin de vie, en passant par l’impact qu’a pu avoir sa signature chez Death Row sur son parcours de vie.
Fait assez rare, la question du 2Pac acteur est aussi particulièrement travaillée par le biais de nombreux témoignages de personnes l’ayant côtoyé sur les plateaux. Le potentiel dramatique dingue de 2Pac est ainsi mieux mis en avant, car malgré une carrière limitée, et un nombre de réussites assez restreintes, l’on sentait clairement quelque chose chez le jeune homme, à tel point qu’il était parfois comparé à James Dean. Neil H. Moritz lui-même lui promettait qu’il serait une grande star s’il patientait une dizaine d’années, ce à quoi Tupac Shakur avait répondu qu’il ne serait plus en vie à ce moment là. Me Against the World fourmille de petites anecdotes de ce style.
À moins que vous soyez un expert total sur la question, vous en apprendrez forcément beaucoup sur 2Pac. Mais ce qu’il y a de particulièrement marquant, et qui fait l’un des intérêts majeurs de ce livre, c’est la manière dont Maxime Delcourt raconte son histoire. Son sens du storytelling et sa manière de resituer l’action font de cet ouvrage un véritable page turner, sans que jamais cela ne tombe dans la gratuité. Ce parti pris permet réellement d’apporter un autre niveau de lecture sur la question. Si l’on ajoute à cela une documentation particulièrement fournie, et des analyses musicales érudites, on a à faire à un ouvrage essentiel pour quiconque s’intéresse à l’histoire de 2Pac, tout en apportant un vrai regard sur l’histoire intime des Etats Unis des années 80 et 90.
Lire la chronique sur le site de Reaphit
Le 13 septembre 1996, le célébrissime 2Pac disparaissait à l’âge de 25 ans, succombant à une fusillade l’ayant frappé quelques jours plus tôt. Un triste anniversaire qui donne l’occasion à bon nombre de médias d’y aller de leur hommage, mais aussi à quelques fines plumes de revenir plus en profondeur sur un personnage, un parcours et une oeuvre singulière. Parmi elles, Maxime Delcourt, un temps passé par notre rédaction. Avec ‘Me Against The World’, ouvrage de 352 pages récemment paru aux éditions Le Mot et le Reste, l’auteur offre à la France un premier livre analysant la carrière du californien jusque dans ses angles morts, en passant par son écriture, ses obsessions, les scandales qui ont jalonné son parcours, la rivalité des gangs comme des scènes hip hop des deux côtes des Etats Unis, l’émergence du gangsta rap à l’époque, le militantisme familial, et même les rumeurs qui entourent sa mort. Un livre indispensable pour mesurer le rôle que Tupac Shakur a pu tenir au sein de l’évolution de la musique rap, et l’impact que le personnage a pu avoir sur la musique en général. Disponible dans toutes les bonnes librairies, ‘Me Against The World’ est à ajouter au plus vite sur votre liste de cadeaux de fin d’année.
Tupac Amaru Shakur. Il était temps qu’un livre soit écrit en France sur lui. Maxime Delcourt, journaliste indépendant et écrivain, publie aux éditions Le mot et le reste, Me Against The World. L’œuvre de celui qu’on appelait aussi Makaveli sera analysée dans sa globalité, en déterminant son influence dans le Gangsta Rap, sa mère Afeni Shakur (qui a perdu la vie il y a quelques mois), ainsi que le label Death Row Records. Entretien avec son auteur.
The BackPackerz : Peux-tu nous présenter un peu ton parcours?
Maxime Delcourt : A la base, je viens de Lille. J’ai donc commencé par écrire pour des médias lillois. En 2011, j’ai commencé à faire des piges pour Les Inrocks, et à partir de là il y a eu Brain Magazine, New Noise, Slate. Plusieurs médias qui m’ont vraiment permis d’écrire sur différents sujets, car j’aime par exemple autant le Rock, le Hip-Hop, la Pop et l’Electro. En ce moment, j’écris plus sur le Hip-Hop car les médias sont très demandeurs. Il y a actuellement un vrai intérêt pour le Hip-Hop. Sinon, cela fait maintenant 2 années que je collabore avec Le Mot Et Le Reste (également éditeur du livre Regarde ta Jeunesse dans les yeux). 2Pac, c’était vraiment l’occasion d’écrire sur un sujet qui me plait car si je dois remonter à l’adolescence, c’est le premier artiste que j’ai écouté. J’ai une réelle passion pour lui.
Quand tu parles d’écrire sur différents sujets, j’ai vu que tu as écrit sur des artistes aussi différents que Kanye West, Miles Davis, Arcade Fire, Ry X mais aussi sur la chanson française. Comment s’est faite ton entrée dans le monde du Hip-Hop ?
Je suis très éclectique dans mes goûts, mais je viens du Hip-Hop. Le premier artiste que j’ai vraiment aimé, c’est 2Pac. De 13 à 18 ans, je n’écoutais que ça. J’avais une culture Pop ou chanson française par mes parents ou mon frère, mais ça a toujours été le Hip-Hop avant tout. J’ai d’abord écrit sur l’Indie Rock, la Pop ou l’Electro. Concernant le Hip-Hop, je n’avais pas les médias pour m’exprimer. Cela fait maintenant 2–3 ans que je peux vraiment écrire tout ce qui me passe par la tête niveau Hip-Hop, ça me permet aussi d’assouvir mes premières passions (rires) !
Avant ce livre, tu as écris Free Jazz. Un livre qui revenait sur l’avènement de cette approche du Jazz qui tendait à s’émanciper des nombreux codes inhérents au genre. Quel regard portes-tu sur le succès qu’a connu le disque The Epic, de Kamasi Washington, sorti l’année dernière ?
Une excellente nouvelle ! Cela montre que le Free Jazz n’est pas une musique d’intellos et que le Jazz, dans sa globalité, n’est pas une musique de vieux. Il y a tout un passé, toute une histoire dans cette musique… Et la manière dont Kamasi Washington l’ouvre à des styles musicaux comme le Hip-Hop, je trouve cela hyper intéressant. Le fait qu’il collabore aussi avec des artistes comme Kendrick Lamar, c’est hyper important pour montrer que le Jazz, avec ce que font aujourd’hui des gars comme Flying Lotus, est une musique qui continue d’évoluer. Il y a encore plein de choses à montrer. Aussi, il y a un vrai héritage Afro-américain dans cette musique, qui est très intéressant.
Qu’est ce qui t’a donné envie d’écrire ce livre ?
La première raison, c’est qu’en toute objectivité, 2Pac est la figure centrale du Rap. Je ne dis pas qu’il est le meilleur rappeur de tous les temps, mais c’est la figure centrale du Rap. Bizarrement, il n’y a pas de livres sur lui en France. Les seuls livres disponibles en français sont des traductions issues des USA. La plupart du temps sur les scandales ayant émaillé sa vie et les différentes théories autour de sa mort. Mais rien sur son oeuvre. Je trouvais cela assez fou sur un tel rappeur, aussi influent. On ne parle jamais de son oeuvre alors que 2Pac était un acharné de travail, qui a enregistré des tonnes de morceaux. Mon idée, est vraiment de replonger dans son oeuvre, ses films, retracer sa vie car c’est obligatoire, voir un peu comment ça se déroulait pour lui en studio, sur les plateaux, comprendre comment il travaillait. C’est vraiment ce qui m’a donné envie d’écrire ce bouquin. Je ne voulais pas me focaliser sur les théories qui existent autour de sa mort. Etant Lillois, je pense que je n’ai rien à apporter de plus sur le sujet (rires). Et puis, les scandales m’intéressent peu.
Tu étais fasciné et par sa carrière de rappeur/acteur et par son personnage, son militantisme.
Ce qui m’a vraiment plus chez 2Pac quand je l’ai découvert à l’adolescence, car je ne comprenais pas les paroles à l’époque, c’est vraiment son histoire. Son histoire me fascinait, l’héritage de sa mère, les Black Panthers, la mise au point du code Thug Life. Je trouvais ça hyper intéressant. Le Rap était reconnu comme mouvement engagé mais je trouve qu’il a amené le truc encore plus loin. C’est pas le seul, mais il a apporté le truc vraiment loin. Cela faisait beaucoup de poids à porter, il n’est decédé qu’a 25 ans, ce qui est très jeune, mais on a l’impression qu’il a vécu une vie d’un mec de 70 ans. L’héritage politique de 2Pac est de fait assez important. On parlait tout à l’heure du Free Jazz, s’il y a un lien entre ces deux livres, il est là : la volonté de défendre la cause noire aux USA ou à l’international. C’est quelque chose de très intéressant.
Il y a eu beaucoup de théories liées à sa mort. Laquelle te semble la plus crédible ?
C’est difficile à dire, car il y a toujours l’opinion personnelle. Je pense que plusieurs personnes sont impliquées dans ce crime. Suge Knight par exemple, il y est pour quelque chose. Il y a des preuves qui montrent qu’il pouvait être impliqué de près ou de loin. Je pense que la police est impliquée aussi. Déjà, le fait que des flics étaient employés comme gardes du corps chez Death Row, illégalement, couplé à celui que 2Pac n’était pas très aimé par les services de police… Si je devais croire une théorie, ce serait celle selon laquelle Suge Knight + services de police = mort de 2Pac. Suge avait trop à perdre dans cette histoire. 2Pac voulait quitter Death Row. Même s’ils étaient en bons termes, le fait de se retrouver sans le catalogue de 2Pac à disposition était très risqué pour son business. Et puis, tout le monde voulait quitter Death Row à cette époque. Cela n’engage que moi, mais je pense que c’est la théorie la plus crédible. Surtout lorsque l’on sait que le policier Russell Poole a été licencié parce qu’il creusait un peu trop dans cette affaire. Pourquoi licencier quelqu’un qui ne fait que son travail ? Et ce n’est pas le seul. Beaucoup ont reçu des menaces de mort ou autre. Il y a un réel intérêt à cacher la vérité dans cette histoire. Pourquoi ? je ne saurais pas réellement le dire.
[…]
Lire l’interview en intégralité sur le site de The Backpackerz
Signé par un français, l’ouvrage revient sur l’histoire et l’aura unique du rappeur devenu légende.
Il y a dans l’histoire de la musique des personnages incontournables et en ce qui concerne le rap, Tupac Shakur en fait incontestablement partie. C’est pourquoi un nouveau livre est sorti le 21 octobre, plus précisément une analyse qui revient sur ce qui a conduit Tupac à devenir ce qu’il est : une icône.
Intitulé Me Against The World, le livre revient avant tout sur le contexte qui permet de mieux comprendre l’œuvre du rappeur, de sa vie privée à sa famille en passant par son environnement et son succès grandissant.
Le livre est écrit par Maxime Delcourt, journaliste indépendant spécialisé dans la musique et déjà auteur de livres sur le Free Jazz ou encore les chansons expérimentales, et paraît aux éditions Le mot et le reste, qui ont déjà publié plusieurs ouvrages centrés sur la musique, du rock au rap en passant par la pop.
Lire la news sur le site de Mouv’
Tupac Shakur is one of the most famous American rappers whose success has contributed to the global commercial explosion of rap in the 1990s. Twenty years after his death at the age of twenty-five years, he continues to inspire many rappers and generate all the phantasms through a work, musical and cinematographic, as abundant and political as viscerally attached to the street.
Behind the scandals that have marked his career and the many rumors hovering over his death, this book has the ambition to understand the work of 2Pac, his conception, its blind spots, his meticulous pen, her obsessions, her prospects or similarities she has with his personal evolution. From Harlem to Los Angeles, from Marin City to Atlanta and Baltimore, these pages, anxious to re-contextualize the work of the rapper, also speak about cruelty of gangs in the United States, the war between West Coast and East Coast, the militancy of the Shakur family, the emergence of gangsta rap in the late 1980s and the adventure of Death Row Records.
Le 13 septembre 1996, Tupac Shakur, 25 piges, décédait de blessures par balles dans un hôpital de Las Vegas. Portrait d’un rappeur brillant, prolifique, violent, nébuleux et militant, ardent défenseur non sans grabuge de la cause afro-américaine.
Pour célébrer son transfert à Oakland chez les Golden State Warriors, Kevin Durant, l’une des stars de la NBA, s’est fait tatouer il y a quelques semaines son imposant portrait sur la jambe. Il a sorti plus d’albums mort que vivant. Et un biopic dont il est le héros, All Eyez on Me, sortira le 11 novembre dans les salles obscures américaines. Devenu une figure mythique, un symbole, une icône même, à l’image d’un Jim Morrison, d’un Bob Marley ou d’un Kurt Cobain, Tupac Shakur hante encore tous les esprits 20 ans après sa disparition. Flash-back funeste. Le 7 septembre 1996, après avoir assisté à un combat de boxe entre Mike Tyson et Bruce Seldon puis latté un membre des Crips, gang de South Central, qui avait volé quelques mois plus tôt l’un de ses proches dans un Foot Locker, Tupac se rend en voiture au Club 662 et se fait tirer dessus à un feu rouge. Soudain mais prévisible épilogue (pourtant jamais éclairci) d’un rappeur afro-américain militant au parcours chaotique, au discours engagé et à la vie tragiquement courte.
Tout chez Tupac semble précoce et compliqué. Fils de deux Black Panthers, le gamin naît Lesane Parish Crooks le 16 juin 1971 à Harlem mais est rapidement rebaptisé Tupac Amaru Shakur en hommage à un chef inca, ennemi des conquistadors, qui a mené une guérilla féroce contre les Espagnols et fini… exécuté. Tupac séjourne déjà en prison avant même sa naissance. En cloque au pénitencier, sa mère accusée de “complot contre le gouvernement des États-Unis et les monuments de New York” se défend elle-même sans notion de droit et est acquittée un mois avant l’accouchement.
Entre sa tante condamnée pour l’assassinat d’un policier, son beau-père arrêté pour avoir orchestré son évasion et braqué un fourgon, ou encore son parrain, membre fondateur des Black Panthers qui a pris perpétuité pour meurtre (il ne sera innocenté et libéré qu’en 1997), l’environnement familial laisse quelque peu à désirer. Il n’en deviendra pas moins le terreau fertile d’un artiste terriblement engagé.
Dans les quartiers noirs de New York où le crack est bien plus facile à dégotter que les aides sociales, les slogans Black Power lui servent de berceuses. Fauchée comme c’est pas permis, la petite famille déménage sans cesse et dort à l’occasion dans la rue. Afeni n’a pas un rond et s’absente souvent pour le parti, mais elle n’en néglige pas pour autant l’éducation de son fiston. Dès qu’il fait une bêtise, sa punition est de lire de bout en bout un exemplaire du New York Times. D’en faire un compte-rendu détaillé et réfléchi.
“Tupac a grandi dans un environnement on ne peut plus militant et possède de nombreux points communs avec sa mère, explique Maxime Delcourt, auteur de 2Pac Me Against the World, à paraître le 21 octobre chez Le Mot et Le Reste. Les meetings en uniforme, le maniement des armes et les discours politiques font partie de sa routine. Sa famille lui transmet une certaine conscience du monde, le goût de la révolte et de l’engagement. Au-delà de ces antécédents activistes, Tupac va nourrir très tôt un véritable amour des mots et afficher de vraies capacités d’orateur. Il écrit sa première pièce de théâtre à dix ans, entre dans une troupe à douze et à treize, joue dans A Raisin in the Sun pour financer la campagne présidentielle d’un sénateur noir… ”
Fan de Jim Carrey dont il raffole des sketches dans le Saturday Night Live et du personnage d’Arnold dans Arnold et Willy, Tupac entre à quinze ans à la Baltimore School for the Arts où il découvre la poésie, le jazz et l’art dramatique. Il est resté en contact avec ses cousins new-yorkais et suit l’évolution du hip hop mais aime Kate Bush, Sinéad O’Connor, Culture Club et U2. Puis surtout, il joue du Shakespeare qui le passionne et lui permet de devenir quelqu’un d’autre. “Cette école lui a offert, comme il le dira lui-même, la possibilité de faire du théâtre, du ballet et de baiser des Blanches. Elle lui a ouvert les yeux sur l’art et sur le monde, et lui a montré que tous les Blancs n’étaient pas comme les politiciens et les flics.”
2Pac, 20 ans déjà
© DR
East Side Crew, Born Busy… Tupac, le rappeur, monte ses premiers projets, enregistre ses premières démos et se verrait bien mener parallèlement des carrières dans la musique et le cinéma. Parti s’installer avec sa famille en Californie, il écrit sur les inégalités raciales, la pauvreté et les tensions sociales. Après avoir arrêté ses études et déménagé près d’Oakland, il dort sur des canapés ou dans des maisons abandonnées. Il deale du crack (que sa mère consomme depuis longtemps), livre des pizzas et joue brièvement les proxénètes. “J’ai dealé pendant quinze jours, mais j’étais vraiment nul. En fait, les vendeurs de drogue, se rendant compte que je n’étais pas fait pour ça, sont devenus mes sponsors. Ils m’ont juste dit: “Fais un album et mentionne mon nom.””
“L’un des moments déterminants dans la carrière de Tupac, c’est la rencontre en 1989 du Digital Underground, reprend Maxime Delcourt. Tupac avait déjà monté l’un ou l’autre petit projet mais c’est ce groupe qui va lui permettre de se professionnaliser. Il est engagé pour porter les bagages, monter la scène et danse torse nu en slip léopard en simulant l’acte sexuel avec une poupée gonflable. Mais le crew lui laisse prendre le micro quand il descend dans les clubs et lui offre un couplet de Same Song enregistré pour la BO de Nothing But Trouble de Dan Aykroyd. La signature sur le label Interscope et la sortie de son premier album 2Pacalypse Now lanceront véritablement la machine.”
2Pacalypse Now ou les récits d’un jeune Noir qui décrit la douleur de son enfance, parle de brutalité policière, d’addictions, de grossesses adolescentes. Des sujets qu’il connaît sur le bout des doigts pour une entrée à la 64e place du Billboard et au final un disque d’or. Deux ans plus tard, le rappeur en remet une couche avec Strictly 4 My N.I.G.G.A. Z. “Ces deux albums sont très engagés. À l’époque, Public Enemy et N. W. A. disent déjà que ça va péter. Mais Tupac a plutôt le côté rap conscient des premiers. Il propose une remise en cause intelligente de l’Amérique blanche. Dans ses textes et la vie de tous les jours, il a même un côté social. Il prend l’avion pour aller voir un gamin malade juste avant son décès. Il crée une Ligue de baseball dans les quartiers défavorisés et veut donner des concerts dans les écoles, mais seulement pour ceux qui ont la moyenne et n’appartiennent pas à un gang.”
Vie de voyou
Boosté par ses débuts au cinéma dans Juice d’Ernest Dickerson et Poetic Justice de John Singleton qui voulait faire de lui son De Niro (“Shakur est le premier vrai rappeur à être devenu acteur”), 2Pac crée en 1993 le groupe Thug Life auquel est censé se joindre Notorious B.I.G., qui préfère finalement signer sur le label de Puff Daddy. Thug Life (“Vie de voyou”), c’est à la base un code de conduite qu’il a rédigé avec d’anciens membres du Black Panther Party à la suite de sa dissolution. Une espèce de guide résumant une certaine philosophie de vie. Un discours brouillé qui régule le banditisme, interdit la vente de drogues aux enfants et aux femmes enceintes, la violence gratuite et les victimes innocentes. “C’est compliqué et lourd à porter à 22–23 ans de devenir le porte-parole d’une communauté. Il en a marre qu’on le tienne pour responsable de tout ce qui se passe dans le ghetto. Il y croit encore mais il préférera abandonner les rênes à quelqu’un d’autre.”
Après s’être fait agresser et tirer dessus pour ses bijoux dans le hall d’un studio d’enregistrement à Manhattan, Tupac devient complètement parano. Reconnu coupable d’attouchements sexuels, il purge en 1995 une peine de huit mois de prison pendant lesquels il lit Machiavel et devient le premier artiste à se classer numéro 1 des charts de derrière les barreaux. “Kanye West n’est pas le premier rappeur à montrer ses faiblesses et ses blessures. Tupac avait déjà un côté très mélancolique. Une capacité à écrire des morceaux très intimes et profonds. Me Against the World en est la preuve. Il y prie Dieu pour qu’il le libère de son malaise et consacre un titre super émouvant à sa mère (Dear Mama), c’est pour le moins rare dans le milieu à l’époque.”
Sorti de taule par le margoulin et dangereux Suge Knight contre deux disques sur son label Death Row (sans doute la plus grosse erreur de sa tumultueuse existence), Shakur change totalement d’attitude. Il sort en 1996 avec All Eyez on Me le premier double album de rap américain uniquement composé de titres originaux. Il enregistrera quasiment 200 morceaux pendant les quatre derniers mois de sa vie.
“Tupac venait de New York et a incarné le gangsta rap West Coast. Il a écrit des textes très poétiques et conscients et d’autres franchement vulgaires et sexuels. Il a milité pour la clause black et critiqué une société inégalitaire avant de s’enfermer dans l’imagerie Death Row qui jetait à la face du monde ses liasses de billets. Il était plein de contradictions mais des contradictions logiques eu égard à son jeune âge et à son histoire. On parle d’un mec qui a tout connu en 25 ans. L’extrême pauvreté, la richesse, le succès, les plus belles femmes, les problèmes judiciaires et la prison… À l’âge où il s’en est allé, Kanye et Jay-Z n’avaient encore rien enregistré...”
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