EXTRAIT
On observe surtout, principalement dans ces longs blues tendus, un renforcement de la voix de Don Vliet, qui devient de plus en plus rocailleuse et assurée avec l’entraînement. Cela ne l’empêche pas ici de renforcer son style vocal bien particulier. Alex Snouffer, guitariste du Magic Band des débuts jusqu’à 1968, parle bien de cette voix outrée, forcée : “il a commencé à faire cette imitation de Howlin’ Wolf et j’ai pensé, eh mon pote, c’est pas mal du tout.”
Revue de presse
L’auteur, Benoît Delaune, Docteur en Littératures comparées, a publié plusieurs textes théoriques sur les rapports entre littérature, musique concrète et le rock. Dans la collection Formes aux éditions Le mot et le reste, il nous sert aujourd’hui un essai captivant sur le “Capitaine Coeur de Boeuf”. Et pour celui qui n’a pas eu le plaisir de feuilleter l’ouvrage Captain Beefheart de Guy Cosson aux éditions Parallèles (1994) et pour qui la seule entrée possible est le concert mémorable qu’il donna au Bataclan le 15 avril 1972, l’opportunité d’en savoir enfin davantage sur le loustic est une occasion inespérée, à ne rater sous aucun prétexte. Celui que beaucoup avaient découvert chantant “Willie The Pimp” sur l’album Hot Rats de Frank Zappa (1969) a vécu plusieurs vies tout au long d’une vie qui ressemble plus à une combinaison de poupées russes qu’à une banale vie d’employée de laverie automatique.
D’une manière complètement chaotique, ce Capitaine a réussi à enregistrer une quinzaine d’albums en compagnie d’une ribambelle de zicos dont John French, Ry Cooder, Jeff Cotton ou Art Tripp III. Il en a enregistré quatre avec Frank Zappa, son ami de la première heure…et ennemi de la dernière (?), choisissant de terminer sa route terrestre comme peintre.
L’auteur s’emploie surtout à démystifier tout ce qui a pu se dire et s’écrire sur le personnage fantasque, tantôt tyran sectaire, tantôt simplement visionnaire génial. Sa musique que l’on pourrait d’abord qualifier de “Free Blues Rock à construire” est en réalité une musique très complexe, polyrythmique et polytonale. Définition (et donc musique) qui échappait à un grand nombre d’auditeurs lambdas qui se gaussaient de cet amalgame de sons qu’ils se dépêchaient de qualifier de “n’importe quoi” ou de “chose très bruyante”. Mais rappelons-nous que ce furent exactement les mêmes qualificatifs qui furent affublés aux premiers musiciens et groupes de rock… avant que le monde ne soit finalement emporté par le tsunami du rock. Parions que l’Histoire saura reconnaître en ce Capitaine Beefheart un capitaine qui savait tenir la barre contre vents et marées, et qu’à l’instar des grands marins d’autre fois, il nous a fait découvrir de nouvelles contrées.
C’est seulement le 2ème ouvrage en français qui parait sur Captain Beefheart, après celui de Guy Cosson, sorti en 1994 aux Editions Parallèles.
Ce livre n’est pas extraordinaire, car il y a pas mal de redites, plus quelques caricatures et interprétations tirées par les cheveux, notamment celles des chansons de Beefheart, qui tournent un peu trop à l’explication de texte et semblent confirmer que l’auteur ne baigne pas vraiment dans un milieu rock très pointu (garage-rock, punk-rock, ou rock expérimental…) comme il le reconnait d’ailleurs lui-même. En effet, l’explication de texte convient-elle au rock’n’roll ? Je trouve que non (déjà à l’école, pour la poésie et le théâtre, on avait du mal à supporter…).
Mais ça n’empèche qu’il a le mérite de ne pas trop se la péter (c’est déjà un bon point) et de se pencher avec enthousiasme sur le sujet, ce qui est bien appréciable en tant que fan de Beefheart. On y apprend toujours des trucs en passant, et il cherche à proposer un point de vue critique sur l’oeuvre musicale de Don Van Vliet, plutôt qu’une simple hagioraphie/discographie. On est évidemment d’accord sur le fait que les 2 albums de 1974, c’est de la merde, mais il relativise aussi l’intérêt des 2 précédents, Spotlight Kid et Clear Spot, ce qui est plus rare et à quoi je souscris. Après, pour ce qui est de savoir si Beefheart était méchant et tyranique ou pas, il faut bien garder à l’esprit que des gens comme Elton John ou Bob Geldoff étaient sans doute super gentils à vivre, mais pour un résultat assez chiant, non ? Alors les témoignages de gens raisonnablement corrects comme Ry Cooder, il vaut mieux savoir les interpréter – à chacun de le faire soi-même, certes…
Bref ce livre vaut quand même tout à fait le détour, l’essentiel restant bien sûr d’écouter la musique, à commencer par le 1er album, Safe as Milk (1967), puis Trout Mask Replica (1969) et enfin Shinny Beast (1978) et Doc at the Radar Station (1979), pour rester dans l’ordre chronologique. Ensuite, de mon point de vue, le caviar du caviar, ce sont les prises alternatives non conservées lors de la sortie du 2ème album, Strictly Personnal, en 1968. Elles ont un son beaucoup plus roots et intemporel (d’ailleurs cette histoire est bien expliquée dans le bouquin) et serviront de vivier pour alimenter de nombreux futurs albums. On les trouve sur ce disque : I May Be Hungry But I Sure Ain’t Weird : The Alternate Captain Beefheart sorti en 1992 (et que je pus découvrir grâce à l’impayable Incohérent ! ;)
http://www.beefheart.com/datharp/albums/official/hungry.htm
Comme on peut le lire sur cette page (en lien), ce disque n’est plus disponible, mais la plupart des titres sont resortis en bonus des dernières rééditions CD de Safe as Milk et de Mirror Man, donc tout va bien. Rien de tel qu’un bouquin de 150 pages pour vous pousser à vous replonger dans vos étagères à disques !
(...)
Ceux qui révisent régulièrement leurs mavericks s’attardent avec satisfaction sur Don Vliet alias Captain Beefheart. Avec lui, on est certain que la ” musique est du bruit qui pense ” (Victor Hugo) et que le blues n’a pas émis son dernier souffle. Surtout nous sommes confrontés à une œuvre inclassable (blues déconstruit ?) délivrée par un artiste tortueux (et torturé), mélange de mauvaise foi et de fulgurances haute tension. Il fallait qu’un biographe s’y penche, un herméneute si possible. Benoît Delaune, docteur en littératures comparées, était le mieux placé pour évaluer l’œuvre à l’aune de ses paradoxes. Non seulement il en analyse le mouvement, la spécificité et encore la portée, mais il montre que la mécanique des lyrics est à rapprocher des écrits d’Antonin Artaud, de Louis Wolson et de Lewis Carroll. Captain Beefheart dans tous ses états, y compris la colère, est désormais intelligible. Magistral.
Est-ce parce qu’il s’est retiré du monde de la musique pour se consacrer à la peinture qu’aucun ouvrage français n’est consacré à Captain Beefheart ? Ou parce que Frank Zappa lui a fait trop d’ombre ? Benoît Delaune répare cette injustice et ne se prive pas de quelques bonnes piques : si la musique de Zappa a bien marché à l’époque, elle sonne aujourd’hui vieillotte, quand celle de Catpain Beefheart n’a pas pris une ride !
En 2005, Ondi Timoner offrait une carrière à l’imbuvable Anton Newcombe grâce au documentaire Dig ! opposant les galères de son groupe, le Brian Jonestown Massacre, au succès de ses meilleurs ennemis, les Dandy Warhols. La saga de Frank Zappa et Captain Beefheart n’est pas différente.
Les deux musiciens se rencontrent au lycée de Glendale en 1956 et partagent la même passion pour le blues et les séries Z. C’est même Zappa qui donne son blase à Don Vliet dans son opéra-rock Lost Episodes. Sur le disque, le personnage est introduit sans chichis: « Je suis un chef de bande. Non seulement je peux boire un max, mais en plus, je joue de vingt-trois instruments, alors que je ne sais même pas lire la musique. » Si la présentation est assez proche de ce que deviendra Captain Beefheart à la tête de son Magic Band, l’origine profonde de ce nom de scène est un peu moins glorieuse. Il s’agirait d’une blague scabreuse que l’oncle du jeune Don Vliet aimait faire lorsqu’il urinait à grand bruit, porte ouverte, en comparant son outil à un cœur de bœuf (« Beefheart »)…
Cette anecdote ridicule est à l’image de la carrière de Captain Beefheart : elle ne comptera jamais de réussite totale. Captain Beefheart And His Magic Band est au départ un trio de guitaristes.
Ce n’est que par la suite que Don Vliet se joint à eux et prend la seule place à laquelle un non-musicien peut prétendre : celle de chanteur. Il s’appliquera ensuite à virer méthodiquement un à un les membres du trio originel pour demeurer seul maître à bord. Mais la véritable « stratégie de l’échec » qu’il met alors en place l’empêche d’accéder à une reconnaissance méritée. Même son chef d’œuvre de 1969, Trout Mask Replica, est sabordé par un enregistrement bâclé en six petites heures dans le studio Z de… Zappa. Cependant, c’est de ces prises de risques insensées et de la tyrannie du capitaine que naît la créativité du Magic Band. Quant à l’ennemi Zappa, il servira bien souvent de secours financier.
C’est sur ce paradoxe beefheartien que Benoît Delaune construit sa biographie. Beefheart est certes odieux mais nombre de ses morceaux sont divins… Espérons que ce livre créera un « effet Dig ! » même si Don Vliet, décédé en décembre 2010, ne connaîtra jamais la consécration de son vivant, contrairement à Zappa. Si toutefois le captain est témoin de son accession au panthéon des musiciens les plus audacieux du XXe siècle, les crêpages de moustaches pourront peut-être enfin cesser au paradis des rockers.
L’émission Mauvais genre du 18 juin 2011 a été largement consacrée au Captain Beefheart.
Animateur du Magic Band, ami de jeunesse et collaborateur de Frank Zappa, mort en décembre 2010, Captain Beefheart alias Don Vliet fut une des figures les plus singulières de la musique américaine contemporaine. Benoît Delaune, notre invité de ce soir, consacre à ce véritable “chapelier fou” du rock U.S, un essai paru aux éditions “Les mots et le reste”.
A podcaster !
En bon prof de fac, Delaune creuse son sujet avec application et on y découvre un Don Van Vliet qui s’est lentement accaparé son groupe en le phagocytant par exclusion des membres fondateurs. L’histoire narrée n’est pas au mérite du chanteur-poète-peintre que fut Beefheart, un moment proche de Manson (hum !), super manipulateur d’un groupe totalement dévoué à ses désirs/délires. On y apprend tout de l’évolution et de la musique en regard des passages des divers membres jusqu’au à la dissolution de 1982. Remarquablement documenté, on peut regretter l’approche directive qui fait plus appel à Deleuze et Guattari qu’à la culture pop. Mais le sujet est cerné, l’histoire dite – et la musique, toujours aussi étrange et belle, demeure. Lick My Decalls Off, Baby !
C’est marrant les trucs, hein mais plus ça va et plus, on aurait comme qui dirait l’impression que ça ne va pas. Oh ! on parle de rock là, pas de la température qui monte des deux côtés de la Méditerranée, de la french revolution qui n’arrive pas ou des politiques qui tripotent, mais réellement de nos lectures autour du rock qui, au fil et à mesure (binaire), démontrent chaque jour un peu plus comment cette histoire-là ne s’est bâtie que sur une bande de mecs ultra typés, barrés, en un mot : singuliers et nous questionne du coup, en ces temps où le rock ne se révolutionne plus guère et où, concomitamment, les extravagances les plus folles sont tolérées voire formatées—hein Lady Gaga—mais bon Dieu que sont les véritables excentriques devenus ? Et, subsidiairement, le rock peut-il s’en passer et comment leur survivra-t-il ?
Captain Beefheart fut un de ceux-là et l’on se doute vite, à la lecture de la bio que lui consacre Benoît Delaune, qu’un mec qui choisit comme nom de scène le petit surnom que son tonton donnait à popaul, ce dont accessoirement, on ne veut même pas essayer d’imaginer pourquoi un cœur de bœuf et pourquoi ce choix, ce mec-là donc ne va pas se fondre dans le psychédélisme de la fin des sixties sans y laisser des traces assez profondes pour atteindre le statut enviable de petite légende que son rimbaldien silence de 1982 à sa disparition en 2010 a bien sûr totalement magnifié.
Visionnaire ou dingue, génial ou carambouilleur, ça se discute encore et rien de ses ratages comme de ses succès ne permet de trancher avec certitude dans un non-sens ou dans l’autre : ses délires de patriarche sectaire avec son groupe de musicos sadisés, ses collaborations cahoteuses avec son pote Zappa comme son extrême inventivité se mêlent à des tactiques d’échecs systématiques qui auraient assurément régalé n’importe quel psy freudien de base, prix sans doute d’une originalité et d’une liberté débridées qui s’entendent encore clairement aujourd’hui dans ses meilleurs disques.
S’appuyant en très grande partie sur Beefheart : Through The Eyes Of Magic (2010), les mémoires révélatrices de John “Drumbo” French, le seul multi instrumentiste qui soit parvenu pendant une dizaine d’années à endurer le caractère très particulier de Don Van Vliet, alias Captain Beefheart, Benoît Delaune (docteur ès lettres et musicien lui-même) s’applique à démêler le paradoxe Beefheart, en s’attardant bien sûr sur les 79 minutes de l’incunable Trout Mask Replica (1969) : des conditions dantesques de son enregistrement—six mois de répétitions tyranniques à l’écart du monde, dans une bicoque où il y a plus de psychotropes à consommer que de nourriture—à sa saisie en studio en 6 heures chrono ! Un disque de blues abstrait, peu accessible, qui, à l’instar de The Velvet Underground & Nico (1967), avant de devenir un “classique” dont une noria de créateurs se sont réclamés (en dresser la liste prendrait des plombes), n’eut absolument aucun succès à sa sortie. En sus de précisions purement techniques que les musiciens apprécieront à leur juste valeur et du suivi des nombreux changements de personnel (le plus souvent abrupts et inamicaux) et de contrats d’édition (itou!) qui ont émaillé la carrière du Magc Band, l’auteur en parcourt la discographie bancale, en exprimant des opinions qui ont le mérite d’être personnelles. Car la majeure partie des fans de Zappa (d’autant plus outre Manche et Atlantique) ne considèrent pas Beefheart comme le faire-valoir du premier, voire un sous-produit (sic). Ils chérissent depuis des lustres la poésie obsessionnellement animalière et surréaliste de ce personnage imprévisible—imaginez un croisement entre la truculence du Père Ubu d’Alfred Jarry et la folie douce du Chapelier fou de Lewis Carroll, doté du sens de la provocation de Salvador Dali—comme un très grand artiste à part entière. Passionnant et passionné, ce bouquin vient réparer, d’une certaine manière, l’incompréhensible silence avec lequel l’ensemble des télévisions de l’Hexagone—hertziennes et numériques, dont certaines “historiquement musicales—ont traité l’annonce de son décès.
Une émission spéciale Beefheart avec la participation de Benoît Delaune, auteur du seul livre disponible à ce jour en France sur le Captain Beefheart.
A réécouter d’urgence !
Canal B
Captain Beefheart and his magic band(s) figure dans la sélection livre d’Easy Rider.
Pour écouter l’émission et visionner la sélection :
Voici un livre qui tombe bien. Parce que, tout d’abord, Captain Beefheart vient tout juste de casser sa pipe, fin 2010. Parce que son aura, son prestige et sa cote ne faiblissent décidément pas, près de trente ans après qu’il a stoppé net sa carrière de musicien. Et puis aussi, parce que la documentation en français à son sujet reste maigre, que le seul livre qui lui ait été consacré dans notre langue, le Captain Beefheart de Guy Cosson, est aujourd’hui complètement épuisé, comme le précise l’auteur de cette nouvelle biographie.
Benoît Delaune, docteur en littératures comparées, a donc choisi de s’atteler à son tour à la tâche, ce qui n’est pas une mince affaire, vu le mélange de mythes, de rumeurs, d’intox et de partis-pris passionnés qui entoure le personnage, vu aussi la documentation pas toujours fiable qui existe à son sujet, en anglais essentiellement. Don Van Vliet alias Captain Beefheart laisse tellement peu indifférent, il clive tant, il y a le concernant si peu d’espace entre le rejet absolu et l’admiration béate, qu’il est ardu de faire la part des choses et de tenir un propos posé et factuel sur le bonhomme.
L’auteur, même s’il fait manifestement partie des idolâtres, y parvient cependant. Il adresse toutes les polémiques avec sérieux et recul. Captain Beefheart est-il un personnage secondaire de la galaxie Frank Zappa ? Non, pas du tout. Le son de Trout Mask Replica est-il un croisement entre le delta blues et le free jazz, selon la formule du même Zappa ? Non, c’est plus complexe que cela. Sa musique est-elle le produit de son seul génie, ou de ce Magic Band en mutation constante qui l’accompagne pendant toute sa carrière. Les deux, mon général, mais le Captain est à la barre pour de bon, il en est le moteur. (...)
Pour consulter l’intégralité de l’article :
Fake for real