EXTRAIT
L’apport de la technologie et son usage créatif, initié par une partie des artistes puis du public, ont en quelques années transformé notre rapport à la musique, mais aussi à l’art et à la culture en général. L’idée n’est pas ici de clamer que tout a été inventé par la génération techno, mais plus simplement de révéler et de pointer qu’au sein de cette culture populaire et technologique, s’est dessinée la plupart des mutations culturelles actuelles. On pourrait presque dire qu’en une seule et glorieuse décennie, à l’écart du plus grand nombre, s’est dessiné notre avenir.
L’émergence de la musique électronique, d’une nouvelle génération d’artistes et des technologies numériques ont bousculé le paysage musical mondial. Du côté des musiciens, depuis la fin des années 1980, le mouvement techno et les musiques électroniques ont apporté un nouveau souffle, balayant parfois l’ordre établi par le rock et la pop, et imposant de nouvelles règles du jeu : créations partagées et éphémères, sampling généralisé, règne du DJ, pratique du mix et du remix, nouvelle et micro-économie… Mais cette révolution esthétique, qui a fini par contaminer une grande partie de la musique au cours des années 1990 et 2000, ne se limite pas aux seuls artistes. La démocratisation du numérique, des moyens de diffusion, d’échanges et d’écoute, transforme le rapport du public à la musique. Au-delà de la simple question du piratage, la génération adepte du MP3 et des réseaux sociaux, invente aujourd’hui de nouveaux codes, de nouvelles pratiques, qui bousculent notre façon de « consommer » la culture.
Voici la nouvelle édition, revue et augmentée, d’un essai majeur sur cette culture du mix, de l’appropriation et de l’hybridation qui, au-delà du champ de la musique qu’elle a révolutionnée, s’étend aujourd’hui à bien d’autres domaines de l’art et de la culture.
Revue de presse
Invité aux Inrocks Festival 2018, Jean-Yves Leloup est l’un des acteurs de premier plan de l’émergence de la musique électronique en France. Les raves, il les a vécues, il en a parlé au sein du magazine Coda ou de Radio FG. Et il leur a dédié un livre essentiel, “Digital Magma”, analysant comment elles préfigurent notre propre nomadisme connecté. Décryptage.
Elle peut-être ce que notre époque a connu de plus proche d’une utopie. Et même : notre présent, notre écologie sociale, perceptive, technologique commencerait avec elle. Elle, l’utopie concrète, c’est la rave. “Nous ne le savons pas encore, mais la rave est une expérience sensorielle qui laissera chez nombre d’entre nous, une trace sensible. Cet événement total, qui provoque en nous une succession d’instants d’oubli et de conscience aiguë, portés par une musique sans fin et sans paroles, constitue une ‘utopie incarnée’ qui préfigure à merveille, et de façon sans doute symbolique, les mutations à venir”, écrit dans Digital Magma le journaliste, écrivain, DJ et commissaire d’exposition Jean-Yves Leloup. Les raves des années 1990, il les a connues, l’émergence de la musique électronique en France, il en a été un accompagnateur de premier plan lors de ses fonctions de rédacteur en chef au magazine Coda ou de Radio FG. La préface à son livre nous y replonge en plein dedans. “Nous voilà immergés au cœur d’une rave”, telle est la toute première phrase de l’un des grands livres francophones sur le phénomène.
La rave, entre “disparition collective” et “révolution esthétique”
Les anglophones ont Simon Reynolds, critique musical auteur de pavés d’une précision encyclopédique sur cette culture dont les prémisses naissent plutôt, stricto sensu, dans les les champs boueux et les warehouses désaffectées de nos voisins de l’outre-Manche. Avec notamment Energy Flash : A Journey Through Rave Music and Dance Culture publié en 1998, celui-ci décrit l’émergence des raves et leur rapide constitution en “youth culture” militante alors que la répression du gouvernement Thatcher sévit de plus en plus durement à leur égard. Pour cette raison, l’auteur anglais décrira la naissance de l’acid house comme une révolution qui n’était pas autant dirigée contre le statu quo de la société qu’on pourrait le penser, mais davantage comme une envie de “faire sécession avec la normalité” ainsi que l’horizon ultime et répété d’une “disparition collective”.
L’approche choisie par Jean-Yves Leloup dans Digital Magma est à la fois complémentaire et divergente. Son livre, il l’écrit plus tard, en 2013. Son angle, de fait, est plus large : par le recul que permet le passage des ans certes, qui lui fera effectivement envisager la rave par rapport à ses influences et évolutions ultérieures. Mais également par son inclusion dans un paysage culturel plus vaste, ouvrant des passerelles vers les arts visuels et surtout, approche centrale de cet ouvrage-ci, les mutations technologiques d’enregistrement et de diffusion du son. Sampling, créations partagées, règne du DJ comme figure de l’ombre ou anonyme, pratique du mix et du remix amènent une “révolution esthétique” qui, cependant, est l’indice d’une restructuration sociale plus englobante : celle d’un nomadisme globalisé.
Une “révolution de velours” portant l’usager (et le danseur) au pouvoir
Selon lui, “la musique agit comme un révélateur. Elle incarne l’état d’esprit d’une époque, la psyché comme la conscience sociale ou politique d’une génération”. Cependant, la vraie révolution est une “révolution de velours”, qui arrive à pas feutrés pour bouleverser le monde pendant que les uns et les autres, critiques culturels, médias et pouvoirs publics, sont trop occupés “par des questions d’ordre économique, législatif ou médiatique” pour s’en rendre compte. “La notion de sampling, comprise par certains au sens de vol ou de plagiat, a par exemple beaucoup agité les milieux de la musique et du droit, à la fin des années quatre-vingt. La question des raves, la consommation de drogues comme les difficultés liées à l’organisation de tels rassemblements, a passionné quant à elle les médias et les sociologues au cours des années 90, occultant tout discours sur les œuvres et les artistes.”
Contrairement au rock, à la pop et dans une certaine mesure au rap, la musique électronique ne met pas le DJ en pleine lumière. A quelques exceptions près qui seraient plutôt les exceptions qui confirment la règle, le DJ s’efface derrière le ballet mécanique des corps qu’il orchestre, derrière la fusion des corps et l’oubli de soi qu’il génère en jouant avec un sens consommé de l’instant les morceaux des autres. En cela, la génération techno incarne les grandes utopies du pouvoir de l’usager. La naissance de la musique électronique et des communautés éphémères de la rave coïncide en effet avec la théorisation, au début des années 1990, avec la théorisation des TAZ (“Temporary Autonomous Zone” ou “Zone Autonome Temporaire” en français) par l’Américain Hakim Bey dans un court brûlot éponyme en 1991. Or pour Jean-Yves Leloup, “ce désir de vivre hors de soi tout en communiant dans l’échange et le don de sa propre personne, trouvent aujourd’hui dans la culture numérique un prolongement idéal”.
L’iPhone, l’aéroport et les friches en banlieues
Presque trente ans plus tard, où en est-on ? Que reste-t-il, pour reprendre les mots de l’auteur, “de cette forme de nomadisme et de conquête” ? L’occupation pirate ponctuelle, répétée mais sans lendemains des freeparty, raves et TAZ a rejoint la culture plus englobante, fluide et globale du flux et réseau numérique. Certes, les fichiers numériques s’échangent à travers la toile, une micro-économie de la musique électronique s’est durablement implantée, la plateforme Discogs continue de fédérer les nerds qui se rencontraient autrefois sur les forums. Mais plus fondamentalement, c’est un mode de vie à la fois mobile et collectif qui s’impose. Chercher la prochaine rave pour s’y adonner à une immersion collective a préfiguré à une dynamique de nomadisme global qui concerne désormais tout millenial connecté à son iPhone et grandi avec cette “génération Easyjet” que nous vendent les pubs de la compagnie lowcost orange et qui, force est de le constater, est une réalité pour une grande partie du monde – précisons : du monde occidental développé.
“La technologie, comme la culture, mieux vaut en effet se l’approprier que la subir”, résume Jean-Yves Leloup dans les dernières lignes du livre, reliant l’usager contemporain au hacker, aux artistes, aux DJs et aux ravers de la première heure. A l’angle d’analyse de la technologie choisi comme fil d’Ariane pour s’orienter dans une matière d’autant plus dense qu’elle se vit dans un espace-temps rejetant la chronologie au profit de l’éternel présent et de la confusion des repères, on pourrait en rajouter un autre. C’est d’ailleurs l’une des autres pistes qu’explore l’auteur dans les nombreux artistes qu’il publie et dont il approfondira le versant visuel au cours d’une grande exposition à la Philarmonie au printemps 2019. “Un état de fête permanent”, tel est en effet le titre d’une enquête qu’il a menée il y a deux ans sur le renouveau de la nuit parisienne via ses marges, ces warehouses, squats, catacombes, bunkers et autres interzones qui en rappellent d’autres, celles du début des années 1990. Un renouveau sous d’autres modalités (l’event Facebook a remplacé l’infoline) qui cependant s’ancre dans une époque comparable : à privatisation des espaces publics, à répression accrue de la culture jeune répond, comme il y a trente ans, une réappropriation subversive.
Retrouvez l’article sur le site des Inrocks
Au sein du mouvement électro dont ils sont issus, l’anonymat a toujours été de mise. « Cette forme de communication par le masque était une manière de combattre l’esthétique du rock, d’aller contre son égotisme et son héroïsme. Ces artistes voulaient changer les règles du jeu, s’éloigner des regards, des clips,
montrer que la musique peut passer par d’autres esthétiques », explique Jean-Yves Leloup, auteur de Digital Magma (...)
Jean-Yves Leloup était l’invité de Chrystelle Andre dans son émission Matador. Une interview en deux parties sur l’immersion sonore et sur les raves.
Richard Gaitet nous lit un extrait du Digital Magma de Jean-Yves Leloup dans sa Nova Book Box.
Podcast de l’émission disponible ICI
JOSEPH GHOSN, JEAN-YVES LELOUP : CONVERSATION CROISÉE
Les deux auteurs, journalistes et musiciens Jean-Yves Leloup et Joseph Ghosn viennent sur le Plateau Média pour débattre, sous forme de conversation croisée, de l’impact esthétique de la révolution numérique dans le domaine de la création musicale comme celui de l’écoute.
À l’occasion de la sortie de leurs deux essais Musiques numériques, essai sur la vie nomade de la musique (Joseph Ghosn, Seuil) et Digital Magma, de l’utopie des rave parties à la génération MP3 (Jean-Yves Leloup, Le Mot Et Le Reste), les deux auteurs, journalistes et musiciens (à leurs heures) débatteront, sous forme de conversation croisée, de l’impact esthétique de la révolution numérique dans le domaine de la création musicale comme celui de l’écoute.
Ces deux essais, qui tentent de lire notre histoire culturelle à travers le prisme de la musique, se répondent et se croisent en effet autour de nombreuses questions. Dans Musiques Numériques, Joseph Ghosn démontre que le MP3 et l’Internet ont entraîné, non pas la mort de la musique, mais son nomadisme, ou encore son éclatement en réseaux hétéroclites et en nouveaux espaces d’écoute, de pratique, de diffusion. Quant à Jean-Yves Leloup, il évoque les mêmes thématiques, dont il retrace les origines à travers l’histoire des avant-gardes et plus encore à travers l’émergence de la musique électronique, du mouvement techno et du phénomène des raves parties, apparus il y a plus de vingt-cinq ans.
Visionnez la VIDEO DE LA RENCONTRE
A l’occasion de la sortie de Random Access Memories, Couleur 3 décrypte le phénomène Daft Punk lors d’une journée spéciale.
Dans son livre Digital Magma, Jean-Yves Leloup parle de l’art de la réclusion et de l’ombre: les Daft Punk le savent bien, se cacher sous un casque, c’est presque une tradition!
Interview à écouter ICI
Jean-Yves Leloup était invité dans le Gonzaï Show #6 pour parler de son livre Digital Magma et de l’évolution de la house. Discussion croisée avec Manu Casana et Christophe Monier à la Gaîté Lyrique.
Vidéo de l’émission ICI
Jean-Yves Leloup était invité dans Track/Narre #7 pour parler de son ouvrage Digital Magma, De l’utopie des raves à la génération MP3.
Interview, lectures de chapitres et playlist inspirée par le livre.
Podcast de l’émission disponible ICI
Qu’est-ce que le “digital magma” dont parle Jean-Yves Leloup?
C’est une carte, un arbre généalogique, un réseau… Pour Jean-Yves Leloup, auteur, DJ, artiste sonore et observateur précis des ondes de choc électroniques, il s’agit de montrer comment la musique a annoncé des changements de société. En deux mots : ce qui se passait sur les dance floors des rave parties des années 90 a préfiguré un mode d’interactions et de vie sociale qui continue aujourd’hui à se développer bien au-delà de la musique. Et ces dance floors prémonitoires avaient eux-mêmes leur histoire et leur géographie. Ainsi avant le réseau des réseaux “worldwide”, la scène électronique fut mondiale. Ainsi la pratique du mix et du sample ouvre le sillon du partage, de la libre circulation et du mashup qui sera aussi celui des hackers des années 2000 et 2010. Ainsi le DJ est la figure de l’artiste non-auteur, étonnante et paradoxale, qui annonce les débats autour de la propriété intellectuelle. Ainsi la rave était son propre spectacle, et chaque raver était un de ses cocréateurs, annonçant, pourquoi pas, les foules facebookiennes s’observant en mouvement… Mmmh. Irait-on trop loin ? On en parle ce soir directement avec J.-Y. Leloup. Quoi qu’il en soit, le “digital magma” est celui où l’on vit aujourd’hui, qui n’est plus seulement sonore et musical, mais qui était déjà contenu dans le sonore et le musical depuis des années.
POUR RÉÉCOUTER L’ÉMISSION : PODCAST ICI
L’excellente maison d’édition Le Mot et Le reste vient d’éditer une nouvelle version de Digital Magma, un livre de Jean Yves Leloup déjà paru il y a sept ans chez Scali mais ici revu, augmenté et sous titré De l’utopie des raves parties à la génération MP3. Jean Yves Leloup, beaucoup d’entre vous le connaissent, il fait partie avec Éric Pajot du duo Radiomentale que nous recevons régulièrement ici, il enseigne à Paris, au sein de l’ISTS (Institut Supérieur des Techniques du Son) et a l’Université de la Sorbonne Nouvelle, il à également écrit et écrit toujours dans bon nombre de magazines musicaux. Depuis plus de 20 ans Jean-Yves Leloup étudie de façon très précise l’histoire des musiques électroniques et nous propose de réfléchir autour de faits et d’événements clés qui induisent et traduisent, bien plus qu’une simple évolution de nos pratiques et de nos esthétiques musicales puisque ces phénomènes révèlent de profondes mutations culturelles à la fois sociales, économiques et politiques. L’auteur nous rappelle que l’essence et l’intérêt de ces bouleversements sont trop souvent occultés dans un débat médiatique qui persiste à s’acharner sur des histoire de dangers des raves parties, de consommations de stupéfiants, de téléchargement illégaux ou de success stories financières de tel ou tel DJ et qui malheureusement en oublie trop souvent de réfléchir aux œuvres musicales elles-même, à l’incidence des mutations technologiques qu’on y observe, aux conséquences de la mise en réseau d’une culture, bref à tous ces phénomènes d’importance qui sont le reflet d’une véritable révolution que l’auteur qualifie à juste titre de révolution de velours. Pour connaître l’essentiel de cette histoire passionnante, savoir ce que sont les notions de rave, de territoires, de mix, d’immersion sonore, d’art et de design sonore, de random way of life, d’avatar, de libre-échange, de dématérialisation, sur l’apport de la vidéo, du cinéma, sur l’évolution de la radio, des podcasts et des services webradiophoniques, sur cette histoire nébuleuse et ces musiques devenues omniprésentes, cette nouvelle version de Digital Magma éditée chez le Mot et le Reste est un outils idéal de compréhension et de réflexion.
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Le livre de Jean-Yves Leloup ressort le 14 mars 2013 dans une version augmentée, l’occasion de relire la partie intitulée “Mix” qui présente le DJ comme un créateur…
En bonus, le blog Global Techno ou vous pourrez lire des articles de Jean-Yves Leloup et notamment une présentation de Digital Magma