« De toute la littérature produite par les Fab Four depuis quarante ans, En Studio avec les Beatles devrait s’imposer comme l’ouvrage de référence [...] Quel autre livre peut se prévaloir de jeter ainsi un éclairage neuf sur une discographie aussi aimée et intimement connue ? »
Vincent Théval – Magic
En 1962, à l’âge de quinze ans, Geoff Emerick décrocha le job de ses rêves en devenant assistant ingénieur du son aux Studios d’Abbey Road. L’endroit était à l’époque mondialement renommé pour ses enregistrements classiques, mais il hébergeait également un obscur label nommé Parlophone, dirigé par George Martin.
Dès sa deuxième journée de travail, Emerick était présent quand un quatuor dépenaillé venu de Liverpool, Les Beatles, vint effectuer sa toute première séance d’enregistrement. La chanson, « Love Me Do », ne tarda pas à grimper dans les hit-parades et, depuis, la musique populaire n’a plus jamais été la même.
Au cours des sept années suivantes, Emerick allait travailler aux côtés des Beatles. À l’âge de dix-neuf ans, Emerick devint ingénieur du son en titre et fut chargé d’enregistrer l’album révolutionnaire du groupe que fut Revolver. À mesure que le groupe et lui-même repoussaient les limites technologiques de l’enregistrement, il mit au point des méthodes qui donnèrent au son des Beatles une nouvelle couleur.
Dans En Studio avec les Beatles, Geoff Emerick relate ses expériences d’ingénieur du son et nous fait visiter l’envers du décor des innovations musicales et des expérimentations sonores d’où résultèrent les meilleurs disques du groupe.
Prix du Livre Rock 2010.
Ce prix a été créé par les Librairies L’Arbre à Lettres
Revue de presse
Musique : l’album blanc des Beatles réédité
L’album blanc, enregistré dans la douleur et publié il y a cinquante ans, a été réédité vendredi 9 novembre. Retour sur l’histoire de ce disque, symbole de la discorde dans le groupe.
Revolution est l’un des tubes du fameux album blanc des Beatles, The White Album, sorti il y a cinquante ans et réédité en novembre 2018. Ce double album est une vraie révolution plus ou moins glorieuse dans l’histoire des quatre stars de la pop anglaise. Lorsqu’ils composent cet album en 1968, les Beatles sont marqués par plusieurs épreuves. Deux ans auparavant, ils ont renoncé aux concerts, découragés par les fans hystériques plus bruyants que leur propre musique. Alors, ils se sont isolés en studio et ont composé leur chef-d’oeuvre, l’album Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. Mais cette euphorie a été ternie par la mort brutale de leur manager Brian Epstein, et leur séjour en Inde n’a pas suffi à ressouder le groupe autour d’un nouveau projet.
“L’album de la séparation”
Pour l’album blanc, ils se remettent au travail, mais la méthode est désormais moins collective. “Le double album blanc, c’est quatre mecs séparés chacun dans son coin”, analyse Daniel Lesueur, auteur de Beatles, la discographie définitive. Sur les maquettes inédites publiées dans le double album blanc, on ne soupçonne pas encore les fâcheries qui vont éclater en studio. Mais par la suite, les quatre garçons ne se supportent plus. Leur ingénieur du son, Geoff Emerick, évoque dans ses mémoires, En studio avec les Beatles, “une situation de plus en plus insupportable”. Pour François Jouffa, auteur du Dictionnaire des Beatles, “c’est l’album de la séparation”. Ils sortiront encore deux autres albums avant de prendre chacun leur route.
Il y a 50 ans, Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band consacrait le « studio comme instrument ». Geoff Emerick, l’ingénieur du son des Beatles, se souvient. Et le directeur du Groupe de recherches musicales de Paris (GRM) remonte aux sources de l’expérimentation du son.
Ne lui parlez pas de l’édition remixée de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, sortie ce printemps pour marquer les 50 ans du plus grand album pop de tous les temps. « Pepper’s est iconique, pourquoi le retoucher? C’est absurde. » Quand Geoff Emerick entre au service de la firme EMI en 1962, comme ingénieur du son assistant, il a tout juste 16 ans. Heureux hasard, les Beatles, un jeune groupe de Liverpool, est en passe de tracer les contours de la pop, futur agent d’une British invasion planétaire. Aux studios londoniens d’Abbey Road, Emerick est témoin des toutes premières sessions de John Lennon, Paul McCartney et George Harrison avec leur nouveau batteur Ringo Starr.
En 1966, il est bombardé bras droit du producteur George Martin pour l’enregistrement de l’album Revolver, qui marque une progression radicale en termes de composition et de prise de son. Quelques mois plus tard, Geoff Emerick assiste les Fab Four sur un enregistrement encore plus ambitieux, baptisé Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. Un tsunami psychédélique qui bouleverse la culture en profondeur. Une lucarne de fantaisie et d’idéalisme coloré, avant que les désillusions n’aient raison du Flower Power. Vendu à plusieurs millions d’exemplaires en quelques mois, il en sera la bande-son le temps d’un «Summer of Love».
Si sa qualité de «premier album-concept du rock» fait débat – ledit concept ayant été défini tardivement par Paul McCartney pour un ensemble de chansons à la cohésion relative –, la mise en boîte de Sgt. Pepper’s a donné lieu à d’innombrables trouvailles, souvent nées des limitations technologiques de l’époque.
Bach, le vaudeville et le psychédélisme
Il s’agit de sonner «neuf» sur tous les plans par des bruitages, en trafiquant les bandes, en utilisant des instruments inédits (tel le mellotron, ancêtre de l’échantillonneur de sons), en associant musiciens rock et classiques indiens, en convoquant un orchestre symphonique, en jouant en permanence le décalage (Bach côtoie le vaudeville, la fête foraine, Lewis Carroll et les expériences psychédéliques des Beatles). Sans oublier la fameuse pochette Pop Art de Peter Blake et Jann Haworth.
Qu’il soit ou non le meilleur album des Beatles, Sgt Pepper’s fut un laboratoire d’expérimentations dont s’inspireront plusieurs générations de musiciens et de techniciens de studio, jusqu’à nos jours. Geoff Emerick évoque ces sessions mythiques pour Le Courrier, avec passion et un brin de nostalgie.
Sgt. Pepper’s n’est pas qu’un chef-d’œuvre musical, c’est aussi une révolution en matière d’enregistrement. Quelles innovations ont vu le jour durant ces sessions?
Geoff Emerick: Vous voulez parler des mille et une manières de s’arracher les cheveux? Plus sérieusement, il faut remonter à Revolver, quand j’ai remplacé Norman Smith comme ingénieur du son attitré des Beatles. À l’époque, le travail chez EMI suivait des règles strictes, il y avait une façon de placer les micros et le rôle du technicien se limitait à capter fidèlement le son des interprètes. On ne s’avisait pas de changer les procédures.
Mais les Beatles ne voulaient pas d’un son fade à la Cliff Richard qui dominait en Grande-Bretagne. J’écoutais beaucoup de musique américaine et je savais qu’on pouvait obtenir autre chose. Pour l’enregistrement de «Tomorrow Never Knows», premier morceau des sessions de Revolver, j’ai commencé par rapprocher les micros des toms de Ringo et j’ai glissé un pull dans la grosse caisse pour étouffer la résonance. J’ai ainsi obtenu un son sec et percutant.
Nous avons aussi poussé les graves de la basse de Paul pour compenser la perte qui se produisait généralement au mastering. Et il y a cette histoire que j’ai souvent racontée: John me demandant de faire sonner sa voix «comme si le Dalaï-lama chantait au sommet d’une montagne à vingt miles du studio».
Comment relève-t-on un tel défi?
J’aurais pu m’asseoir et en rire, mais il fallait trouver une solution. Je suis allé voir en régie et suis tombé sur cette cabine Leslie à haut-parleur rotatif, utilisée pour faire vibrer le son de l’orgue Hammond. J’ai repassé la piste vocale au travers et le résultat a été simplement fantastique.
Vous aviez passé le test sur cette première journée avec les Beatles…
Oui, mais avec ma hiérarchie, ce fut une autre paire de manches. Le placement peu orthodoxe des micros risquait de les endommager, ce qui m’a valu des remontrances. Il y a donc eu une négociation entre le manager du groupe et le studio, au terme de laquelle il a été convenu que cette technique se limiterait aux seuls enregistrements des Beatles. Nous faisions tomber les barrières, mais progressivement, car je risquais ma place. Je ne faisais que contourner les obstacles pour répondre aux demandes des Beatles!
Il faut savoir que jusqu’alors, Abbey Road accueillait essentiellement des ensembles symphoniques. Toute la hiérarchie était composée d’anciens ingénieurs du son classiques, qui méprisaient la pop. Les producteurs de Maria Callas et des grands orchestres travaillaient en costume cravate. Les techniciens portaient des blouses blanches de laboratoire, et les surveillants des vestes marron. Ce code vestimentaire a perduré un temps dans la pop.
C’était avant que la drogue ne s’immisce dans le studio.
Oui, mais pas tant que ça. Les Beatles étaient des bosseurs, ils attendaient généralement la fin des sessions pour se relâcher. Ils s’éclipsaient dans la pièce qui leur était réservée, en surplomb du studio, et réapparaissaient tout sourires, gloussant comme des gosses – ils adoraient ça. George Martin, qui était de la vieille école, ne se doutait de rien, mais mon assistant et moi savions ce qui se tramait.
Le 24 novembre 1966 débutent donc les sessions de Sgt. Pepper’s, avec un budget quasi illimité et sans date butoir. Saviez-vous dans quelle mesure les Beatles ambitionnaient de surpasser Revolver et d’égaler Pet Sounds des Beach Boys, sorti six mois plus tôt?
Pas vraiment. On savait les Beatles très frustrés par leur dernière tournée, dans l’incapacité de reproduire en public les chansons de Revolver. Le premier jour des sessions de Sgt. Pepper’s, John est entré dans la cabine et a déclaré: «On ne jouera plus jamais en live. À partir de maintenant, on va pouvoir enregistrer nos chansons sans se soucier de les reproduire en concert.» George Martin est resté bouche bée. Naturellement, tout le monde s’est tourné vers moi. Mais nous n’avions pas d’équipement plus sophistiqué que pour Revolver!
Quel était le principal défi technique?
La grande différence avec les enregistrements actuels où l’on dispose d’un nombre de pistes illimité, c’est qu’avec 4 ou 8 pistes, on était forcé de prendre les bonnes décisions sur-le-champ. Chaque piste étant occupée par plusieurs instruments, la prise jouée devait satisfaire tout le monde, sinon on recommençait. John était indulgent, il était d’abord intéressé par la spontanéité et l’étrangeté, mais pour un perfectionniste comme Paul, la prise devait être bonne à 110%. Les effets sur les instruments étant ajoutés au moment de la prise, on écoutait le produit fini au fur et à mesure de l’enregistrement.
Le titre inaugural de ces sessions, «Strawberry Fields Forever», ne figure pas sur Sgt. Pepper’s, mais il sonne d’emblée très expérimental.
Le résultat est un collage de deux prises aux tempos et tonalités différentes: à la demande de John, qui aimait le début d’une prise et la fin d’une autre, nous avons ralenti la bande et assemblé les deux bouts. C’était de l’artisanat pur! «Strawberry Fields Forever» et «Penny Lane» sont sortis en single à la demande d’EMI, qui voulait un nouveau succès commercial. Mais imaginez que ces deux chansons aient été retenues pour l’album, il aurait fallu pour cela renoncer à deux autres dont nous sommes aujourd’hui familiers.
Sur le moment, aviez-vous conscience de réaliser une œuvre hors du commun?
Oui, c’était une sensation incroyable. «A Day in the Life», qui clôt l’album, est une si belle chanson! Je me souviens quand John l’a chantée pour la première fois dans le studio, seul à la guitare. C’était empli d’émotion, ça vous filait des frissons! L’enregistrement de ce titre a été de loin le plus complexe. Il y a cette conclusion magistrale avec le crescendo orchestral et cet accord de mi majeur plaqué sur plusieurs pianos simultanément, compresseur réglé à fond pour faire durer le son le plus longtemps possible. Encore une dernière boucle sonore, et voilà, c’était fini. On n’aurait pas pu rêver mieux. Nous avions hâte de faire écouter le résultat aux amis des Beatles. Les Hollies, les Rolling Stones et d’autres sont venus à Abbey Road, et le sentiment général était que ce disque allait marquer son temps. On avait littéralement l’impression de passer du noir et blanc au technicolor!
Diriez-vous que ce disque a posé les bases des enregistrements à venir?
Sans aucun doute. Sans Sgt. Pepper’s, les studios auraient continué à travailler un certain temps de manière rudimentaire, avec des bandes et de la colle! Nous avons osé des choses qui nous auraient valu des problèmes si elles avaient été découvertes par nos supérieurs, mais qui ont contribué au son si particulier et à la perception collective de cette musique. Nous avons commis des erreurs qui sont devenues des standards.
Depuis, avec le numérique, tout est devenu possible.
Le son de Ringo existe aujourd’hui en «plug-in» (son pour instrument virtuel, ndlr). Mais rien ne remplace les accidents heureux et l’inventivité née des limitations. Ce qui fait une chanson, c’est d’abord le feeling au moment de l’interpréter. Lors d’une session avec Paul, bien des années plus tard, j’ai vu l’ingénieur du son déplacer le curseur du logiciel Pro Tools sur la piste de batterie afin de corriger chaque coup. Tout le côté humain était gommé! J’ai compris qu’un tournant avait été pris. J’ai travaillé avec de nombreux artistes après les Beatles – The Zombies, Robin Trower, Mahavishnu Orchestra, Elvis Costello – et pour moi, enregistrer un disque restera toujours comme peindre une toile avec des pinceaux.
Les Beatles et dans leur sillage toute la génération psychédélique des Pink Floyd, Jimi Hendrix et The Doors ont élargi la palette sonore de la pop à la fin des sixties. Manipuler les bandes magnétiques en les passant à l’envers, en trafiquant leur vitesse de défilement ou en créant des boucles sonores, ajouter des bruitages et effets en tout genre ont étendu la grammaire musicale et enrichi l’expérience auditive. Le studio est devenu un outil de création à part entière, et non plus le simple lieu de la captation.
Cette révolution a été influencée par la pratique de studios spécialisés qui, dès le début des années 1950, ont bénéficié de fonds publics et mis à profit les innovations technologiques apparues durant la Seconde Guerre mondiale. Le compositeur Karlheinz Stockhausen expérimente au studio de la WDR, à Cologne. L’atelier radiophonique de la BBC est fondé par Daphne Oram, pionnière de la musique électronique. A Milan, le studio de phonologie musicale de la RAI est le QG des compositeurs contestataires Luigi Nono et Luciano Berio.
Et à Paris, le studio du Groupe de recherches musicales (GRM) de l’ingénieur polytechnicien Pierre Schaeffer, rattaché au Service de la recherche de l’ORTF, est le berceau de la musique «concrète». Soit une musique conçue à partir de sons préenregistrés, et dont Pierre Henry et Iannis Xenakis furent des emblèmes.
La recherche sonore au cœur des enjeux
C’est dans ces laboratoires que s’invente la musique du futur, selon le vœu formulé en 1913 par Luigi Russolo dans L’Art des bruits. Le manifeste futuriste appelait les compositeurs à remplacer la gamme de timbres restreinte des instruments de l’orchestre par la «variété infinie» des timbres obtenus par des procédés expérimentaux. Les Beatles, en déformant les sons et en plaçant des bruits extra-musicaux sur «Tomorrow Never Knows», «Strawberry Fields Forever» ou «Revolution 9», n’ont pas fait autre chose.
«Les Beatles ont importé dans la pop des pratiques venues de l’électroacoustique», acquiesce François J. Bonnet, nouveau jeune directeur artistique de l’INA-GRM. Lui-même compositeur (sous le pseudonyme Kassel Jaeger), il tient à distinguer «les musiciens pop qui colorent par quelques effets leur écriture assez classique des compositeurs qui placent la recherche sonore au cœur des enjeux.»
Reste que les Fab Four, qui se disaient influencés par les expériences de Cage et Stockhausen, ont montré la voie à suivre. «Après eux, d’autres musiciens pop se sont emparés de cet esprit de studio.» François J. Bonnet cite Radiohead ou encore le courant kraut-rock ouest-allemand des années 1970, qui œuvrait à la lisière du rock et de la musique électroacoustique. «Irmin Schmidt et Holger Czuckay du groupe Can ont été élèves de Stockhausen, rappelle le directeur de l’INA-GRM. Et en France, Jean-Michel Jarre a travaillé au GRM (de 1969 à 1971, ndlr). Il a fait le grand écart entre expérimentation confidentielle et concerts de masse.»
Formatages de l’industrie culturelle
Confidentiel, le mot est lâché. Aussi influente soit-elle, la musique produite dans ces murs savants est-elle susceptible de séduire le grand public? «C’est en tout cas l’objectif du GRM, par la politique des concerts gratuits et la pédagogie menée autour de nos activités.» François J. Bonnet rappelle aussi l’expérience de Présence Electronique Genève, déclinaison du festival parisien coproduit par Radio France depuis 2005. Ce partenariat avec les organisateurs du festival genevois Electron s’est interrompu après six éditions pour raisons financières, mais le directeur du GRM espère bien la relancer.
A cela s’ajoute une activité éditoriale foisonnante: quinze vinyles sont déjà parus à l’enseigne de Recollection GRM sur Mego, label du musicien autrichien Peter Rehberg. Des œuvres de Luc Ferrari, François Bayle ou Bernard Parmegiani extraites des archives par François J. Bonnet sont accessibles à une nouvelle génération d’auditeurs.
«Soixante ans plus tard, on parle encore du GRM. Il a remis des siècles de considérations musicales en question, sans pour autant faire table rase. Pierre Schaeffer a voulu ouvrir grand les portes à des compositeurs non issus du Conservatoire.» Venu du rock puis de l’électronique, François J. Bonnet illustre cette ouverture à la tête de l’institution. «Il n’y a rien d’obscur. Les musiques exigeantes sont ouvertes à tous, à condition d’abandonner ses préjugés.» La méfiance populaire à l’égard des pratiques expérimentales serait d’ailleurs moins la conséquence d’un déficit de culture que d’un excès d’a priori, les formatages de l’industrie culturelle de masse tendant à homogénéiser les contenus.
Finalement, à l’heure où le numérique rend tout concevable, où réside l’enjeu pour les musiques du futur? «Moins dans la création elle-même que dans la qualité des conditions d’écoute. Paradoxalement, alors que l’expérimentation musicale est allée très loin, on a créé des générations d’auditeurs de mauvais fichiers compressés sur des enceintes d’ordinateur. L’exigence d’écoute est un enjeu majeur dans une société à dominante visuelle.»
Retrouvez l’interview de Geoff Emerick sur le site du Courrier
L’ingénieur du son du plus grand groupe de rock de l’histoire est aussi celui qui a le mieux donné à voir, entendre et sentir l’alchimie romanesque qui avait présidé à sa trajectoire.
Lire toute la littérature consacrée aux Beatles depuis que le groupe a foudroyé l’histoire de la musique impliquerait d’y consacrer une partie de votre vie. Peut-être même toute votre existence, comme le fait Mark Lewisohn, auteur d’une trilogie monstre baptisée All These Years. Son premier volume (2013) de 944 pages s’arrête au 31 décembre 1962. Juste après la sortie du premier 45 tours du groupe… Quelques pépites émergent de la bibliothèque sur le sujet: la biographie Lennon de Philip Norman est définitive (2008); l’autobiographie de Paul McCartney, Many Years from Now (1998), est une mine; l’autobiographie de George Martin, All You Need ls Ears, est un témoignage ancien (1978) mais encore sous-exploité. S’il ne devait en rester qu’un, il faudrait se jeter sur Here, There and Everywhere de Geoff Emerick, En studio avec les Beatles dans sa version française. Le titre français donne la fausse impression d’un ouvrage pour geeks, capables d’écouter les outtakes de Sgt. Pepper en plissant les yeux devant les passages évoquant les effets techniques de Strawberry Fields Forever. La valeur du livre dépasse largement ces déchiffrements musicaux, qui n’en restent pas moins savoureux. C’est un document où Geoff Emerick apparaît comme un témoin capital. D’un côté, totalement immergé dans le cercle fermé du groupe, au contact direct de ses obsessions artistiques. De l’autre, aussi distant que nécessaire avec le noyau dur pour étaler au grand jour leurs personnalités attachantes, mais ambivalentes et parfois repoussantes. Geoff Emerick commence comme stagiaire chez EMI à seize ans, le jour même où les Beatles entrent à Abbey Road. Il devient l’ingénieur du son du groupe à dix-neuf ans au moment de la révolution, Revolver, qu’il a personnellement sculptée. L’acclamé Sgt. Pepper lui doit ses prodigieuses innovations. Emerick est l’homme qui a dit non aux Beatles en claquant la porte du studio pendant l’enregistrement de l’album blanc, au faîte de la crise de nerfs perpétuelle du groupe. Il revient pour Abbey Road, sous contraintes techniques et humaines maximales. Le livre réussit le prodige simple de donner
au lecteur l’impression qu’il était là, lui aussi, pour vivre avec le groupe son accession au sommet et sa vertigineuse désintégration. Quiconque possède un intérêt minimal pour les Beatles et quelques connaissances de base sur son histoire aura l’impression que toutes les pièces du puzzle s’assemblent comme
par magie grâce à des anecdotes et dialogues trop longtemps enfouis. Clinique avec tout le monde et tendre avec presque personne, le récit de Geoff Emerick n’a jamais été contesté par le groupe et ses proches collaborateurs.
Entretien avec Geoff Emerick, l’ingénieur du son des plus grands disques des Fab Four et auteur du livre En Studio avec les Beatles. Il évoque pour nous la magie de ses écrits et du son qu’il a créé pour le groupe, notamment celui de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band.
Notre rédaction considère que votre livre En studio avec les Beatles est le plus grand must read sur les Beatles. Comment réagissez-vous?
Oh c’est fantastique. C’est à chaque fois gratifiant d’entendre que les gens ont aimé lire le livre. Il a été traduit en sept langues, j’en suis très heureux.
Pourquoi l’avoir écrit ?
On m’y encourageait depuis longtemps. Pendant toute ma carrière après les Beatles, tous les artistes avec lesquels je travaillais n’arrêtaient pas de me poser des questions: “Alors, c’était comment, le studio avec les Beatles? Comment vous avez enregistré ci et ça ?”. Je racontais mes histoires, et ça se terminait toujours par “il faut que tu écrives un livre, tu dois absolument écrire un livre ». Ça a été comme ça pendant des années, très bon enfant. Les questions portaient sur le making of des chansons qui avaient bouleversé les gens. Ce n’était pas vraiment « non mais, comment il était, John, en réalité ? ». Tout ce que je répondais, c’était « non, je ne crois pas que je ferai ce bouquin. Je n’aime pas trop me livrer.
Pourquoi avoir changé d’avis ?
Un jour de 1999, le journaliste Howard Massey a fait un article sur moi dans EQ Magazine et je l’ai trouvé remarquablement bien écrit. Je refusais la plupart des demandes d’interview, parce que je retrouvais toujours mes propos déformés. Pas cette fois. J’avais trouvé le texte superbe et fidèle. Puis Howard m’a appelé : « voulez-vous faire ce livre ? ». J’ai dit OK et j’ai tenu mon engagement. Ça a duré cinq ans. Oh, bien sûr, pas tous les jours. J’allais à Long Island, chez lui, et on enregistrait longtemps, en passant la carrière des Beatles au peigne fin, chanson par chanson, dans l’ordre des séances d’enregistrement. Si je n’avais pas été moi-même l’ingénieur du son de ces sessions, j’étais dans les parages à EMI.
Le travail des Beatles faisait déjà l’objet d’une abondante littérature. Que souhaitiez-vous apporter ?
Mon opinion, parce que les gens me la demandaient. Rien d’autre. C’est un livre “non autorisé”, mais vous savez, beaucoup d’infos ont été relayées par des gens qui n’étaient pas là quand toutes les chansons étaient enregistrées. Moi, j’y étais. Et nous n’étions pas si nombreux dans ce cas : dans ce studio, il y avait les quatre Beatles, George Martin, mon assistant, les deux roadies Mal (Evans) et Neil (Aspinall), et moi. Il y a beaucoup de choses que les fans croient savoir mais qui ne proviennent d’aucun d’entre nous. Des anecdotes méritaient d’être corrigées. Les gens me demandent souvent d’où venait l’incroyable créativité des Beatles. J’étais aux premières loges pour assister au fonctionnement du binôme entre Paul McCartney et John Lennon. D’un côté, Je romantique qui se donne à 100% en permanence et qui avait une approche très musicale de tout ce qu’il faisait. De l’autre, le mec attachant et inconstant, dont l’investissement fonctionnait par vagues, et plus conceptuel dans son approche. C’est ce mélange-là qui était magique.
La restitution des dialogues est très précise, très clinique. Comment vous souvenez-vous de tout cela?
La vraie question est: comment oublier une telle expérience? Il n’y avait pas de routine, on faisait des choses différentes tous les jours. Je ne suis pas hypermnésique, mais j’ai une bonne mémoire. Les discussions avec Richard, mon assistant, ont fait littéralement resurgir des choses qui étaient enfouies. Avec les Beatles, on essayait de tout faire différemment. Il fallait mobiliser ses neurones tous les jours, tout ce qu’on faisait était nouveau. Ça crée des souvenirs inaltérables. Je me souviens comme si c’était hier du moment où nous avons écouté la version finale de A Day in the Life pour la première fois. Ça m’a fait un effet de dingue, ça a laissé une empreinte indélébile.
Vous écornez les mythes de George Harrison et George Martin. Vous en étiez forcément conscient…
Sur George Harrison, je savais qu’il y aurait des critiques. Le retour que j’ai eu le plus souvent après la sortie du livre tournait autour de ça. Mais à mes yeux, il n’y a pas grand chose. Ce que j’écris, c’est vrai ou faux? C’est la seule question qui vaille. George Harrison, il suffit d’observer son itinéraire dans Je groupe. j’ai écrit qu’il n’était clairement pas aussi bon que Lennon et McCartney pendant la première moitié de la carrière du groupe, puis qu’il s’est tourné vers la musique indienne pour échapper un peu à son statut de Beatles. À la fin, il est devenu un excellent guitariste et compositeur après avoir appris à jouer du sitar, où la technique est différente. J’ai entendu des “oui mais vous ne devriez pas l’écrire”, toujours est-il que ça s’est passé comme ça. Quant à George Martin, tout le monde sait que sa fonction était “producteur”, donc qu’il avait plusieurs artistes, qu’une bonne part de son travail était d’organiser des sessions. J’ai écrit qu’il n’était pas là quand les Beatles terminaient tard, et de fait, à partir de Revolver, ils travaillent surtout le soir et la nuit. Comment aurait-il pu les enregistrer la nuit et faire la séance de Cilla Black le lendemain matin? J’ai écrit qu’il avait perdu le contrôle sur le groupe à partir du White Album, mais qui peut prétendre le contraire? Les gens ont le droit de critiquer, mais ce sont les faits, c’est ce que j’ai vu. En tout cas, je ne l’ai pas fait pour ”écorner des mythes”. C’est venu comme c’est venu dans mon récit.
Paul McCartney, Yoko Ono ou Pattie Harrison vous ont-ils contacté après la parution?
Aucun retour de qui que ce soit. J’ai vu Paul il y a un an, on a eu une discussion sympa mais on n’a pas évoqué le livre une seule seconde. Je ne suis pas certain qu’il l’ait lu. Je pouvais m’attendre à des critiques mais je me doutais qu’aucune ne viendrait des insiders.
Aviez-vous lu tout ou partie des livres consacrés aux Beatles avant de vous attaquer au vôtre?
Non, pas du tout. Je sais qu’il existe de nombreuses personnes qui sont bien plus spécialistes que moi même si, je le répète, il faut faire le tri parmi toute une série d’anecdotes. Je m’en remets au travail de Mark Lewisohn qui, depuis The Beatles Day by Day (1988), semble le plus complet sur le groupe.
Les cinquante ans de Sgt. Pepper sont célébrés en ce moment. Avez-vous écouté les remix proposés par les coffrets de réédition?
Non, j’ai refusé de les écouter et on ne m’y prendra pas. Sgt. Pepper est une œuvre d’art iconique, un objet musical qui a traversé le temps, pourquoi voulez-vous le remixer? Pour faire de l’argent, voilà la réponse. Remixer Sgt. Pepper, c’est comme s’amuser à repeindre par-dessus La Joconde. Qui peut avoir une idée pareille? Quand vous avez la Joconde, vous n’y touchez pas. Il y a eu beaucoup de désinformation autour du mix stéréo de Sgt. Pepper. Soi-disant, le groupe l’aurait totalement négligé, et le mix aurait été expédié à la va-vite. C’est ridicule. Je vais vous dire comment ça s’est passé. Nous avons commencé par le mixage mono, qui correspondait aux conditions d’écoute de la plupart des appareils à l’époque. Le groupe y a assisté, et c’était exactement ce que nous voulions. George Martin, Richard (son assistant) et moi avions pris des notes sur tous les réglages, et nous voulions les mêmes pour le stéréo. Sauf que l’enjeu était spécifique: nous avions un quatre-pistes, avec parfois deux pistes de voix réservées, toute la rythmique sur une piste, et un arrangement sur la dernière.
Trouver un équilibre entre les basses, médium et aigus en stéréo dans une telle configuration est difficile. Mais nous avons passé quatre jours et demi dessus, entièrement dédiés au meilleur mix possible. Il a fallu ajuster plein de petites choses, ajouter des effets, pour mettre en valeur la grande diversité de sons du disque. Le groupe nous a dit “on vous fait confiance pour que ça sonne de la même façon”. Ils n’avaient pas besoin d’être là, c’est tout. Quand il a entendu la version stéréo à l’époque, Brian Wilson, le cerveau des Beach Boys, a été le premier à dire que c’était extraordinaire. Les nouveaux mix de Sgt. Pepper ne correspondent pas à l’intention que nous avions. C’est un acte de démolition.
Avez-vous été sollicité pour travailler sur ce remix ?
Non et, de toute façon, j’aurais refusé. Cette idée de vouloir refaire un classique m’échappe complètement. Comme m’échappe complètement l’idée qu’il fallait remixer et remasteriser les albums des Beatles à Abbey Road (ndlr. en 2009). Ce n’est pas Abbey Road qui a fait le son de Sgt. Pepper. Ce sont trois personnes…
Et concernant les chutes de studio, quelles sont celles qui vous semblent le plus dignes d’intérêt ?
Vous savez, les prises non retenues étaient simplement moins bonnes que celles de la version finale. Il me semble que la durée des chutes republiées est plus courtes que celles de l’Anthology de 1996 (ndlr. c’est inexact mais certaines prises sont les mêmes).
Dans la version française de votre livre, il est écrit que vous avez procédé à huit prises orchestrales de l’explosion finale sonore d’ A Day in the life. Elles n’y figurent pas.
Pas huit prises: cinq. Mais elles sont toutes sur le disque final. Nous avons enregistré cinq prises de l’orchestre. Nous n’étions pas censés le faire, nous aurions dû payer les 45 musiciens cinq fois, sinon. Nous leur avons dit que c’étaient des essais. Ce que vous entendez sur la chanson, ce sont ces cinq prises rejouées en simultané. C’était la première fois que deux enregistreurs quatre-pistes fonctionnaient en même temps.
Beaucoup de fans manifestent l’idée que Sgt. Pepper a moins bien vieilli que Revolver ou le White Album. Qu’en pensez-vous ?
Quand on a commencé Revolver, j’avais des idées de sons que je voulais entendre. Les membres du groupe m’ont demandé de les trouver et j’ai dû y arriver sans les logiciels et tous les plug-ins que nous avons aujourd’hui. J’y suis parvenu en changeant le positionnement des micros et cela a changé à jamais la façon d’enregistrer les guitares. Sur le White Album, la tension était énorme, les Beatles étaient à bout de nerfs et ils jouaient très très fort, avec des réglages qui me posaient problème tellement le volume était haut. Cela donne un son plus punchy. Sgt. Pepper a davantage de sons de claviers, moins de solos, c’est très différent. Je ne sais pas si ça répond exactement à la question, mais c’est ce qui me vient.
Notre dernière question est une observation. On va vous dire ce qui nous séduit tant dans votre livre: il donne l’impression au lecteur d’être un insider, il donne la sensation incroyable d’avoir côtoyé les Beatles.
C’est juste et j’ai une dernière anecdote à ce sujet. Harold Massey m’avait demandé si je voulais des photos dans le livre. J’ai répondu: “non, surtout pas”. Parce que si vous représentez les gens et les lieux avec des photos, vous empêchez l’imaginaire de fonctionner, et j’avais bien l’intention de donner aux gens assez d’informations pour se représenter ces lieux et ces personnes que je connaissais si bien.
À l’occasions des cinquante ans de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, l’émission Nectar revient sur l’enregistrement du disque avec Geoff Emerick en interview.
Cʹest sans doute lʹalbum le plus célèbre de lʹhistoire du rock: “Sgt. Pepperʹs Lonely Hearts Club Band”, huitième album des Beatles, fête son demi-siècle. Célébré par la critique, adopté par le public (32 millions dʹexemplaires vendus), il symbolise le passage du rock à lʹâge adulte.
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rf8 continue ses playlists et se base sur le livre de Geoff Emerick pour sa première playlist consacrée au covers.
En Studio avec les Beatles de Geoff Emerick et Howard Massey a obtenu le prix du Livre Rock 2010 et vient d’être réédité en France. L’ouvrage raconte comment, inspiré par l’un des plus grand groupe pop de tous les temps, un apprenti ingénieur du son de 19 ans, Geoff Emerick révolutionna tout simplement la pop et le rock, inventa le psychédélisme, et plus encore.
Geoff Emerick à tout juste 15 ans quand il pénètre dans les bientôt mythiques studios d’Abbey Road. Déjà renommé pour ses enregistrements de musique classique, le lieu était aussi l’asile d’un petit label, Parlophone, propriété de George Martin, qui sera plus tard connu comme “le cinquième membre des Beatles” grâce à son travail sur le fameux Sgt Peppers. Le jeune Emerick, plein d’admiration pour son mentor, était loin de se douter que quatre ans plus tard, Martin, lui et les Fab Four révolutionneront le monde de la pop en enregistrant le monumental Revolver.“Comment un jeune anglais, poussé par l’imagination sans limite de quatre musiciens et des techniques de studio encore rudimentaires allait apprendre à modifier la nature même du studio d’enregistrement, le transformant en véritable instrument, osant même la transformation et l’altération des sons en tournant le dos à la méthode classique voulant que l’on captait dans ce genre d’endroit, les instruments de la manière la plus fidèle possible ?”, c’est en gros ce que raconte En Studio avec les Beatles. Un beau volume de presque 500 pages. Une plongée au cœur du son et des personnages de son époque.
Parmi les merveilles décortiquées ici, Revolver bien sur – avec des morceaux comme “Tomorrow Never Knows” cet album datant de 1966 inventait carrément le psychédélisme et appliquait les principes de la musique électronique telle qu’on la concevait chez Stockhausen par exemple, à la pop music – mais aussi Sgt. Pepper’s, le prodigieux White Album et Abbey Road (voir le chapitre épique, “Une enclume, un lit et trois flingues”), tous les albums les plus fameux du groupe y passent. Drôle et bien écrit (bénéficiant d’un humour très british), En Studio avec les Beatles bénéficie aussi d’une foule d’anecdotes peu connues (le périple du groupe à Lagos, la fondation du studio, les tensions, les années Apple, le label des Beatles, la vie après les Beatles…). Ce livre est idéal pour les fans autant que pour ceux qui se mettent tardivement à la discographie du groupe, découvrant les trésors qu’elle recèle et son influence sur l’histoire de la musique, des Beach Boys à Artic Monkeys, mettons. Agrémenté d’une très intéressante préface d’Elvis Costello, et un constat de l’artiste : “Une très grande partie des sons obtenues aujourd’hui dans les studios d’enregistrement provient de petites boîtes qui se contentent de reproduire les innovations soniques du passé”, En Studio avec les Beatles vient remettre les pendules à l’heure et rappel que la postérité en revient majoritairement aux gens, trop souvent oubliés, comme Geoff Emerick. Espérons que le livre donnera aussi envie aux jeunes musiciens de dépasser les limitations de leur époque, et d’enfin oser innover.
L’équipe d’Easy Rider vous parle de En studio avec les Beatles et vous explique en quoi cet ouvrage est indispensable.
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Après être entré comme assistant aux studios d’Abbey Road en 1962, Geoff Emerick est devenu l’ingénieur en titre du son des Beatles à partir du mythique album Revolver (1966). Il a accompagné la révolution du son des Beatles (et donc de tout un pan du rock), en s’occupant par la suite de Sgt.Pepper’s Lonely Hearts Club Band (1967), du White Album (1968), et d’Abbey Road (1969). Tentatives, innovations, demandes extravagantes des membres du groupes, réussites, nouvelles couleurs, limites techniques repoussées… Voilà de quoi il parlera dans L’Atelier du Son.
Geoff Emerick sera en duplex de New York, où il reçoit fin octobre la médaille de l’Audio Engineering Society, remises aux professionnels qui ont contribué par leurs travaux aux avancées de l’audio dans le monde.
Geoff Emerick a publié En studio avec les Beatles, avec Howard Massey, prix du livre Rock 2010 (éd. Le Mot et Le Reste).
Thomas Baumgartner (production) et Véronik Lamendour (réalisation.
“Este es, sin lugar a dudas, el título que todos los beatlemaníacos estábamos esperando para cerrar el círculo informativo y divulgativo sobre el tema de cómo se parieron, en lo práctico, las canciones de los Beatles”
El libro “En studio avec les Beatles” recoge las memorias de Geoff Emerick, técnico de sonido en práticamente todas las grabaciones del grupo de Liverpool, aportando visiones inéditas del trabajo en estudio y de la gestación de las canciones. Javier de Castro nos cuenta de qué va. (...)
Pour lire l’intégralité de l’article : www.efeeme.com
CONTRE-CULTURE
L’édition est en proie à une frénésie de rock et de culture underground. Le succès de la biographie de Keith Richards cache le travail en profondeur d’éditeurs indépendants comme Le Mot et le Reste et Camion Blanc.
«Les chroniqueurs de rock sont des gens incapables d’écrire, interrogeant des gens incapables de parler, pour des gens incapables de lire.» Placée en exergue du répertoire musical des Editions Allia, la phrase de Frank Zappa prête à sourire. Qu’on ne s’y trompe pas: depuis quelques années, l’édition francophone est en proie à une véritable boulimie de contre-culture. Longtemps négligées, les musiques et cultures underground font l’objet d’un feu nourri, entre (auto)biographies d’artistes – souvent traduites de l’anglais, mais pas seulement – et livres thématiques consacrés aux styles musicaux les plus pointus, aux moeurs les plus marginales et aux visions les plus subjectives d’auteurs souvent eux-mêmes acteurs. On est loin de la sociologie universitaire et de la distance critique journalistique. L’immersion à l’américaine est passée par là – le gonzo-journalisme de feu Hunter S. Thompson, lui-même objet de plusieurs publications (1).
Occultés par les figures tutélaires de la critique anglo-étasunienne – Lester Bangs, Nick Tosches, Greil Marcus, Nick Kent, Jon Savage, Nik Cohn –, les Français peuvent tout de même revendiquer quelques exégètes hauts en couleur de la cause rock (Patrick Eudeline, Philippe Manoeuvre, Philippe Garnier, Daniel Vermeille) et une poignée d’apôtres singulièrement éclairés comme Alain Pacadis, Yves Adrien ou Jean-François Bizot, pionnier de la presse underground dès 1970 avec «Actuel» (lire ci-dessous).
Fruit d’une évolution générationnelle, tout ce qui touche à la contre-culture, du flower power à la rave party en passant par les mouvement punk et gothique, attire aujourd’hui un lectorat allant de 18 à 60 ans. Sans doute l’accession d’anciens marginaux aux avant-postes médiatiques (TV, radio, magazines) et le gigantesque brassage d’internet ont-ils contribué à aiguiser cette curiosité postmoderne pour ce tout qui est «culte»...
Le rock au catalogue
A tout seigneur, tout honneur: les Editions Allia, sur l’impulsion de leur fondateur Gérard Berréby, passionné de dadaïsme, de situationnisme et de rock, ont traduit dès 1998 les classiques de Greil Marcus, Nick Tosches et Jon Savage (2). Autre maison exigeante, Tristram ajoute aussi du rock à son catalogue en publiant Lester Bangs ou Patti Smith («Mer de corail», sur les liens entre la chanteuse et le photographe Robert Mapplethorpe).
Avant de fermer boutique en 2008, Kargo, spécialisé en anthropologie et en histoire des arts, a apporté une contribution précieuse à la compréhension de courants émergents ou méconnus. Ainsi de «The New Beats. Cultures, musique et attitudes du hip hop» de S.H. Fernando, «Ocean Of Sound: ambient music, mondes imaginaires et voix de l’éther» de David Toop, ou le «Krautrocksampler» de Julian Cope, anthologie amoureuse du rock expérimental allemand des années 1970. La bonne nouvelle est qu’un projet éditorial baptisé Zones Sensibles doit très prochainement succéder à Kargo.
On mentionnera encore Le Castor Astral, «animal curieux, têtu et farouchement indépendant», selon sa devise et qui, parallèlement aux romans et essais, publie d’excellents ouvrages sur la musique – parmi les plus récents, «Le Rap est né en Jamaïque» de Bruno Blum, vétéran des revues «Actuel» et «Best» et de Radio Nova.
C’est d’ailleurs à un ancien du Castor Astral, Philippe Blanchet, qu’on doit une nouvelle collection déjà indispensable: Rivages/Rouge (chez Payot & Rivages). Libellée «musiques et contre-culture», elle combine visuels guérilla, titres à rallonge et signatures 100% crédibles pour faire mouche. «Culture Clash. Punk, rockers, Big Audio Dynamite, dreadlocks et vidéo» est signé Don Letts, musicien et vidéaste anglais, cofondateur du groupe Big Audio Dynamite avec Mick Jones des Clash. «Manchester Music City 1976–1996», une histoire de la capitale de la brit-pop et de l’acid-house, est dû à John Robb, musicien et journaliste de la BBC et Channel 4. «Hippie Hippie Shake», voyage au coeur des utopies et du psychédélisme des sixties est l’oeuvre d’un pape de la presse underground, Richard Neville. Et pour couronner le tout, «Guitar Army» de John Sinclair compile les écrits d’époque du manager du groupe MC5 et leader du White Panther Party. Un manifeste du flower power révolutionnaire.
Effet durable
Fondateur des Editions Le Mot et le Reste, à Marseille, Yves Jolivet jette un regard lucide sur cette débauche éditoriale: «J’ai 52 ans, j’ai connu le rock comme adolescent et écrit dans des fanzines. Le temps fait que cette musique devient oeuvre au même titre que la littérature ou le théâtre. Aujourd’hui, on a la distance et les outils pour l’analyser.» Dès 1996, Yves Jolivet a publié des livres d’artistes, de la poésie et des essais. Pourquoi Le Mot et le Reste? «Au départ il y avait les textes, et moi, je m’occupais du reste», résume-t-il. Aujourd’hui, il emploie quatre personnes et tient bon, à condition de réinvestir le produit des ventes. «Contrairement au roman qui subit un effet de mode, le livre rock s’adresse à des accros. L’effet est durable.» Les titres les plus confidentiels sont compensés par des succès qui bénéficient parfois d’un coup de pouce de l’actu: «En Studio avec les Beatles» de Geoff Emerick, récit des sessions d’enregistrement d’albums mythiques comme «Revolver» et «Sgt. Pepper’s», est sorti en même temps que la discographie remasterisée des Beatles. De quoi atteindre les 7000 exemplaires contre 2000 habituellement, ce qui reste modeste comparé au best-seller «Life», de Keith Richards (lire ci-dessous). «Pas sûr que le décès de Captain Beefheart (musicien expérimental mort en décembre, ndlr) ait un impact sur les ventes de la biographie qu’on doit sortir», tempère Yves Jolivet, qui précise que le projet était en chantier depuis un an.
Coup de coeur, soin esthétique mais aussi pragmatisme: le modèle économique a changé depuis Speed 17, illustre et éphémère collection que les Humanoïdes Associés avaient confiée à Philippe Manoeuvre, il y a une trentaine d’années de cela. Avant d’échouer dans le jury de Nouvelle Star, l’ancien rédacteur en chef de la revue SF «Métal Hurlant», aujourd’hui à la tête de «Rock & Folk», fut ainsi le premier à publier Bukowski en France avec «Mémoires d’un vieux dégueulasse», en 1977. Chez Speed 17, Hunter S. Thompson et Hubert Selby Jr côtoyaient les Rolling Stones et les Sex Pistols.
De «Rock & Folk», Yves Jolivet souligne le rôle pionnier: «Philippe Paringaux (ancien rédacteur en chef ayant précédé Manoeuvre, ndlr) a su façonner et transmettre une écriture au sein de sa rédaction». Son nom figure sur la couverture de deux best-sellers parus chez des poids lourds de l’édition – «The Beatles Anthology» (Seuil, 2000) et «John Lennon. Une vie», de Philip Norman (Robert Laffont, 2010) –, mais il a aussi traduit pour Le Mot et le Reste trois titres promis au statut de classiques: celui de Geoff Emerick cité plus haut, mais aussi «Exile on Main Street. Une saison en enfer avec les Rolling Stones» de Robert Greenfield et «Kind of Blue. Le making of du chef-d’oeuvre de Miles Davis» d’Ashley Kahn.
Le Mot et le Reste ne disposant pas «du million qu’il fallait mettre sur la table pour les droits de Life», Yves Jolivet poursuit son travail de fond avec l’aide des subventions – Centre national du livre, Conseil régional – sans lesquelles presque aucun indépendant ne survivrait. Il garde un oeil rivé sur internet: c’est dans ce vivier de passionnés qu’il a déniché Eric Deshayes, animateur de Néosphères, site de référence du rock expérimental et progressif, pour lui commander «Au-delà du Rock. La vague planante, électronique et expérimentale allemande des années 70» et «L’Underground musical en France».
Le coté obscur
Des biographies des Sex Pistols, The Cure, Motörhead, Throbbing Gristle, Kraftwerk, Serge Gainsbourg, Noir Désir, Johnny Cash et Nirvana; des livres thématiques sur le metal extrême, la musique industrielle et le rock au cinéma; des récits subjectifs sur une scène particulière: depuis près de deux décennies, Camion Blanc est «l’éditeur qui véhicule le rock». La formule va comme un gant (de cuir) à cette petite entreprise phare de l’underground, fondée en 1992 à Nancy. Depuis quelques années, elle se double d’une collection sulfureuse (Camion Noir) qui traite de sorcellerie, d’ésotérisme, de pornographie, de vampires, de serial killers ou encore des «racines occultes du nazisme». Des documents, à l’image de la Bible satanique d’Anton LaVey, publiés sans tabou ni apologie.
Difficile de passer à côté de ce catalogue de 300 titres aux couvertures uniformes: photo noir/blanc la plupart du temps, titre sur un bandeau noir et nom de l’auteur dans un rectangle de couleur. L’aventure a commencé quand Sébastien Raizer et Fabrice Revolon ont décidé de publier à compte d’auteur l’ouvrage qu’ils avaient écrit mais qui ne trouvait pas preneur: les 500 premiers exemplaires de «Joy Division. Lumière et Ténèbres» ont été écoulés en trois semaines et le livre est régulièrement réédité depuis. D’inopinée, l’aventure est devenue professionnelle. Issu de Maths Sup, Sébastien Raizer raconte: «Ce premier bouquin, on l’a fabriqué dans une prison où les détenus suivaient un CAP d’imprimerie. Ils étaient contents d’imprimer autre chose que des prospectus et des bulletins de vote! On l’a envoyé à Bernard Lenoir, qui en a parlé sur France Inter, et les disquaires indépendants ont été nos premiers clients. On n’avait fait aucune étude de marché, mais visiblement la demande existait.»
Le tandem est rejoint par Gérard N’Guyen, fondateur de l’un des premiers labels indépendants français (les Disques du soleil et de l’acier), vétéran du fanzine «ATEM» qui a soutenu tous les courants novateurs des années 1970. Le quatrième associé, Dominique Franceschi, est à l’origine des récents «Kiss sans fard», autobiographie de Gene Simmons, et «Hell Bent for Leather. Confessions d’un accro au heavy metal» de Seb Hunter. Des plaisirs coupables qui rendent toute résistance futile.
Les quatre éditeurs prospectent de manière autonome et gèrent chaque projet de A à Z, promotion incluse. Celle-ci se concentre sur les magazines spécialisés: «Un papier dans Libé ou Les Inrocks a de toute façon un impact très limité pour les domaines que nous traitons.» Les commandes passent essentiellement par le web et les disquaires et libraires indépendants encore existants: «La grande distribution ne fait plus son boulot, déplore Sébastien Raizer. Elle néglige le stock au profit des nouveautés. Dans beaucoup de succursales, les chefs ne se donnent même plus la peine de passer les commandes que leur transmettent les responsables de rayons.» Et Camion Blanc, justement, se targue de n’avoir aucun titre épuisé, «sauf ceux pour lesquels le contrat avec l’ayant-droit n’a pu être reconduit». L’éditeur a trouvé son public: «Depuis 1992, le métier a changé cinq fois. Il faut s’adapter. On ne recherche les coups, les livres qui engloutissent une fortune en publicité et finissent au marteau-pilon au bout de deux mois. Nos atouts sont la singularité et le travail de fond. C’est l’avenir de l’édition. Les généralistes peuvent fermer boutique.»
Cette approche sans concession se veut somme toute réaliste: Camion Blanc finance aussi ses titres les plus marginaux avec des succès plus prévisibles – un livre sur Noir Désir, ou «Les Seigneurs du Chaos», oeuvre culte sur la scène black metal scandinave et ses brûleurs d’églises, ou encore la «Bible satanique», trois titres vendus à 10’000 exemplaires chacun. Quant aux préjugés sur ses penchants sulfureux, Sébastien Raizer les minimise: «La vraie censure, c’est le silence. Un curé invité sur un plateau de télé avait brandi en vociférant la Bible satanique. Le lendemain, les ventes explosaient.» En ces temps de rétrécissement pernicieux de la liberté d’expression, l’embellie de l’édition contre-culturelle a de bonnes chances de se poursuivre.
[...]
Ce livre est une mine pour qui s’intéresse à l’enregistrement (vintage), mais sans être rébarbatif du tout pour les autres.
Un livre passionnant, tant il fourmille de détails qui nous donnent l’impression d’être en studio avec les Beatles à en entendre le chuintement des Bandes son, à sentir l’odeur de l’herbe (!) qui planait lors des cessions d’enregistrement.
Imaginez. Vous êtes né à Londres dans une maison douillette. En 1962 vous avez quinze ans et vous nourrissez pour la musique une véritable passion suite à la découverte de vieux 78 t cachés au fonds d’une malle. L’école ne vous convient plus et vous décidez de franchir les portes des studios EMI afin d’y postuler pour un emploi. A cette époque, ces studios sont avant tout réservés aux enregistrements de musique classique, mais servent aussi à enregistrer des chanteurs (ou chanteuses) de variété et dans la maison Emi, les ingénieurs du son travaillent en blouse blanche et le personnel de la maintenance, en blouse grise. EMI est à l’image de toutes les sociétés d’après guerre L’ambiance y est assez…fonctionnaire et la discipline, stricte. Votre entretient d’embauche se déroule merveilleusement bien et vous décrochez le poste. Dès votre second jour de travail comme assistant ingénieur du son, on vous charge d’aller retrouver dans un studio de la maison, quatre garçons turbulents qui viennent enregistrer une chanson « Love Me Do ».
A partir de là, tout bascule.
Geoff Emerick (c’était lui le gamin de 15 ans) va se retrouver au cœur d’une des plus excitantes histoires de la musique rock (et même, de la musique en général) puisqu’il va travailler, sous la houlette de George Martin, à enregistrer pratiquement tout ce que les Beatles ont fait de mieux : Revolver, Sgt Peppers, White Album, Abbey Road. Ses mémoires, rédigées avec la complicité du journaliste Howard Massey et en rassemblant les souvenirs d’anciens collaborateurs de EMI donnent un éclairage nouveau sur les quatre potes de Liverpool. De la frénésie des débuts où la collaboration entre les musiciens et le « staff technique » permit de reculer les frontières du son et d’enrichir les titres de géniales trouvailles musicales, jusqu’au clash final, provoqué par trop de tout (drogue, célébrité, femmes) qui fit que les musiciens, sur les derniers albums, ne se retrouvaient quasiment plus tous ensemble en studio, chacun enregistrant ses parties, seul…
Emerick dissèque cette histoire avec une certaine lucidité, dressant un portrait, somme toute assez précis, de chaque musicien, dévoilant aussi les rapports qu’il avait avec chacun d’eux et ne cache pas, qu’au final, il a une vraie admiration pour Paul Mac Cartney (du reste, après le split des Beatles, Geoff Emerick travaillera avec Mc Cartney, notamment sur son album : Band On The Run). Pendant un court moment, on a le sentiment qu’Emerick a tendance à tirer un peu trop la couverture à lui, à savoir que les albums des Beatles n’auraient pas sonné ainsi s’il n’avait pas été là pour apporter toutes ces idées, reléguant même George Martin, le producteur, à un rôle subalterne. Mais bien vite ce sentiment s’estompe, la vraie histoire reprenant pleinement ses droits. D’autant qu’on a droit à quelques anecdotes pas piquées des vers (celle concernant Harrison qui se fait piquer ses gâteaux par Yoko Ono est…croustillante).
L’introduction, signée Elvis Costello (Geoff Emerick enregistra son « Imperial Bedroom » pièce majeure dans l’œuvre de Costello) est une pure merveille. Elvis revient sur le rôle prépondérant du producteur et de l’ingénieur du son, sans qui, bien sur, certains chefs d’œuvre musicaux n’auraient pas la même texture sonore.
La traduction, signée Philippe Paringaux, est, une fois de plus, irréprochable.
Enfin, sachez que ce bouquin a reçu le Prix du Livre Rock, récompense créée par les librairies L’Arbre à Lettres. Mais même sans ce prix, la lecture de ce livre est plus que recommandée.
Depuis la séparation des Beatles, il y a maintenant quarante ans, les librairies sont régulièrement envahies par tout un tas d’ouvrages plus ou moins pertinents sur les quatre garçons dans le vent, biographies non autorisées, révélations à l’emporte-pièce et témoignages de personnes les ayant croisés un soir, très tard, dans un couloir mal éclairé... ce genre.
Paul McCartney racontait il y a encore quelques années sa manière de les juger : il en prenait un, l’ouvrait au hasard et commençait à lire. Après trois erreurs, il le refermait à jamais. Il en aurait beaucoup refermé. On sait aussi qu’il s’est abstenu, tout comme Ringo Star, de commenter le livre de mémoires de Geoff Emerick qui est sorti ces jours. Pourquoi? Simplement par respect pour l’ingénieur du son historique des Beatles. Il faut dire que du haut de ses quinze ans, cet assistant ingénieur, qui rencontre les Beatles lors de son deuxième jour de travail, ne va pas tarder à violer toutes les règles d’enregistrement des studios Abbey Road pour donner un son novateur au groupe qui va révolutionner la pop music.
Commençant à déplacer le matériel, à repositionner les micros, à saturer les amplis et à filtrer les voix, prenant de plus en plus d’importance dans le processus d’enregistrement du quatuor. Emerick commence gentiment, à seize ans, à devenir aussi indispensable que le vénérable George Martin, visiblement un peu dépassé par la révolution musicale en marche. Les Beatles refusent de sonner comme tout le monde sonnait à l’époque. Grouillant d’anecdotes de studio aussi passionnantes que véridiques, ce livre est un véritable cadeau pour les fans des Beatles et de musique contemporaine en général.
Imaginez, sept ans de vie commune à enregistrer la bande-son d’une partie de l’humanité. Sept ans à observer l’avènement de quatre individus aussi connus que Jésus, l’arrivée des drogues dans le groupe, l’érosion inéluctable de la camaraderie et le début de la fin. Raconté par un homme de soixante-quatre ans, ce livre semble être narré par un jeune homme, preuve que le bonhomme, en plus d’avoir encore toute sa tête et toute sa mémoire, a surtout gardé la passion de ses jeunes années et un dynamisme dont pourrait s’imprégner certains jeunes vieux. A noter une belle préface de Elvis Costello (dont Geoff Emerick a été l’ingénieur du son durant deux décennies) qui résume à merveille les plus de quatre-cent-cinquante pages à venir, en profitant pour glisser toute la tendresse et le respect qu’il éprouve pour ce génie du son un peu oublié mais que cet ouvrage devrait sans peine remettre dans la lumière.
Ils sont nombreux à prétendre au statut de cinquième Beatles. Ceux qui, dans l’ombre de John, Paul, George et Ringo, les ont aidés à accoucher d’une œuvre qui demeure parmi les plus passionnantes du siècle dernier. Il en est un qui n’a jamais revendiqué ce titre mais figure pourtant en bonne place parmi les prétendants au titre. Son nom, Geoff Emerick, est inconnu de la majorité d’entre nous. Seuls quelques passionnés de la lecture de notes de pochette auront remarqué ce patronyme, accolé à des réussites aussi indiscutables que Revolver, Sgt Pepper ou Abbey Road.
L’éditeur Le Mot et le reste, qui se dote d’un impressionnant catalogue d’ouvrages musicaux, a eu la riche idée de traduire le livre de souvenirs du bonhomme, initialement publié en Grande Bretagne en 2005. A peine parue, la traduction française, signée par Philippe Paringaux, rédacteur en chef des grandes années de Rock&Folk, s’est vu attribuer le prix du livre rock 2010. Les souvenirs de ce discret gentleman sont préfacés par Elvis Costello, avec qui il collabora sur le meilleur album du binoclard, Imperial Bedroom, en 1982. La saga de ce monsieur, embauché aux studios EMI à l’âge de 15 ans, est proprement fascinante. Promu ingénieur du son quatre ans plus tard, il fit ses armes avec l’album Revolver, un des disques les plus novateurs des sixties sur le plan du son. Les Beatles sont alors sur le point d’abandonner les tournées, et l’équipe de George Martin va les aider à transposer sur disques leurs idées avant gardistes. Sans jamais chercher à tirer la couverture à lui, Emerick décortique le processus créatif des quatre de Liverpool comme nul autre ne l’avait fait auparavant. Il décrit fort précisément l’interaction entre ces quatre amis vite propulsés au sommet, la complexité de leurs relations au fil des ans, et le rôle particulier dévolu à George Harrison: écrasé par Lennon-McCartney au début, le guitariste s’affirma pleinement comme leur alter ego au moment de l’album Abbey Road. Emerick ne nous épargne aucune des tensions qui ont précipité la fin de l’histoire, mais il le fait sans voyeurisme et sans prendre parti pour l’un ou l’autre.
Il demeure fascinant qu’un ouvrage comme celui-ci puisse encore nous éclairer sur une aventure qui prit fin avec les années 1960, mais En studio avec les Beatles le fait à merveille.
Même si son nom n’est mentionné nulle part sur la pochette du Sgt Pepper’s des Beatles Geoff Emerick remporta un Grammy pour son travail d’ingénieur du son. Il avait seulement vingt ans à l’époque, mais travaillait régulièrement avec le Fab Four depuis leurs débuts. Son récit d’«homme de l’ombre» est fascinant : à une époque où on peut créer un son vintage grâce à un ordinateur, il faut louer le travail de pionner de ce «pousseux de boutons» céleste qui devait désobéir à ses patrons d’EMI pour obtenir les sons que désiraient les quatre vedettes.
En prime, nous avons droit à une vision de l’intérieur sur le processus créateur du groupe, avec ses conflits de plus en plus graves à mesure que la fin approche, même si les quatre amis pouvaient à tout moment retrouver leur complicité tapageuse, ou au besoin dresser un mur infranchissable entre eux et le reste du monde. Le plus incroyable est que cet homme sache rester humble, alors que les mélomanes du monde lui doivent tant, même sans le savoir. Captivant.
Ingénieur du son aux vénérables studios EMI, le Britannique raconte dans ses mémoires les Beatles depuis la console d’enregistrement.
Propos analogique et passionnant
… la suite dans le Rock & Folk de juillet p66-p72
Fondé par les librairies parisiennes L’Arbre à letttres, le prix du Livre rock a été remis le 4 juin à Geoff Emerick et Howard Massey pour En studio avec les Beatles (Le Mot et le Reste).
Pour sa deuxième édition, le prix du Livre rock 2010 a été décerné vendredi 4 juin, au bar La Mécanique ondulatoire (Paris 11e), au document En studio avec les Beatles de Geoff Emerick et Howard Massey paru aux éditions Le Mot et le Reste.
L’ouvrage vient d’ailleurs de faire l’objet d’un retirage à 2 000 exemplaires alors que l’éditeur s’apprête à changer de distributeur pour passer de Vilo à Harmonia Mundi.
Leur ingénieur du son raconte l’étonnant quotidien, riche d’inventions, au sein du studio.
(...)
Tous leurs secrets d’enregistrement se trouvent dans ses Mémoires: bandes ralenties de piano pour donner du grain, ou bien accélérées pour rattraper une tonalité et bien sûr à l’envers…
Des moments d’expérimentations magiques, où s’inventent de nouvelles manières d’enregistrer, de nouveaux sons. L’avant-garde des techniques de masse.
(...)
Vous faisiez quoi vous, le 6 avril de vos 19 ans ? Geoff Emerick, lui, prenait officiellement ses fonctions d’ingénieur du son pour les Beatles, l’album s’appelerait Revolver et la première séance serait dédiée à Tomorrow Never Knows. Les indications de John Lennon : «Je veux que ma voix ressemble à celle du Dalaï Lama psalmodiant depuis le sommet d’une lointaine montagne». Inutile de broder, non ?
La suite sur Gonzai
Un vrai conte de fées. La fée électricité, la fée pop musique, la fée magnétophone, la fée gravure…
A l’âge de 15 ans, en 1962, Geoff Emerick est engagé par les studios de la firme EMI. Lors de sa deuxième journée de travail, il assiste à la première session d’enregistrement d’un groupe encore peu connu, The Beatles. Il s’agit de la mise en boîte de ce qui deviendra un succès énorme, « Love me do », point de départ d’un phénomène unique dans l’histoire de la musique populaire. C’est aussi le début d’un carrière extraordinaire pour le jeune Emerick qui se verra confier par George Martin, le producteur-arrangeur du groupe, la responsabilité de l’enregistrement de l’album Revolver en 1966 (il a donc 19 ans). Ce disque, à plus d’un titre (je ne peux que conseiller de l’écouter très attentivement), est une rupture dans l’histoire des musiques populaires enregistrées.
Ce livre, traduit par Philippe Paringaux, nous invite à découvrir presque jour après jour, pour ce disque et les suivants (sauf « Let it be », qui fut massacré par le sinistre Phil Spector), les méthodes de travail, les innombrables astuces destinées à compenser les faiblesses relatives du matériel de l’époque (comment synchroniser des magnétophones limités à deux pistes, monter et coller, comment fabriquer des effets inédits, réaliser des échantillons, mettre en place des boucles, comment gonfler le son, comment utiliser des bruitages, introduire des objets sonores…toutes idées et situations banales aujourd’hui, mais qui faisaient l’objet de découvertes et recherches chez EMI – parfois, on se dit qu’ils auraient pu lorgner du côté de l’ORTF…) pour satisfaire des besoins à la fois démesurés et totalement justifiés artistiquement.
Ce livre est indispensable pour les amateurs de ce groupe (cette deuxième période, 66–69, est assez étonnante artistiquement, par son côté flamboyant et une étonnante incohérence qui en a fait certainement le charme : même les albums à thème offrent une multitudes d’entrées), qui au passage auront le loisir de découvrir leurs idoles de jeunesse sous un jour pas toujours sympathique… Pour les musiciens et techniciens, le plaisir de découvrir les modes de fonctionnement en studio, avant le règne du multipiste puis du numérique.
Pour tous les lecteurs, il sera possible de découvrir de l’intérieur les articulations de la fabrications des succès mais aussi des réussites (et elles furent très nombreuses), la ringardise du géant EMI, le rôle du hasard et de l’intuition, les deux clés du talent de Mac Cartney et Lennon, mais enfin l’importance de l’investissement de Martin et Emerick. J’ai ré-écouté ensuite ces galettes qui bercèrent mon adolescence : Revolver, Sgt Peppers , White Album, Abbey Road, et les quelques bijoux répartis sur les bandes sonores des films « Magical mystery tour » et « Yellow Submarine » et sur l’indispensable compilation « Past masters » qui rassemble les perles absentes des albums. J’ai pu, amusé, découvrir le secret de fabrication de la chanson « Yellow submarine », sur laquelle mon premier groupe s’arracha les cheveux en 1967 : forcément, ce n’est pas facile de réaliser ce collage en direct…
On pourra reprocher aux auteurs quelques longueurs et répétitions. Ce qu’on doit retenir : le goût pour le travail et le recherche, l’investissement au service de la création, une certaine désacralisation des idoles mais un profond respect pour les personnes.
Même si George H. a vraiment souffert pour sortir ses solos – il fut parfois remplacé en studio par Paul Mc C., reconnaissons qu’à partir de 1968, il a enfin trouvé son style… Je m’égare.
De toute la littérature produite par les Fab Four depuis quarante ans, En Studio avec les Beatles devrait s’imposer comme l’ouvrage de référence, celui qui restitue avec le plus de précision et de pertinence l’évolution musicale du groupe.
Pendant plus de 400 pages, il n’est question que de musique et de gens qui la font, de part et d’autre de la vitre qui sépare le studio de la cabine technique.
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Dans un style précis et élégant En studio avec les Beatles est à la fois un formidable roman d’initiation , une ample fresque sur l’invention de la pop moderne, un document précieux et détaillé sur le fonctionnement d’un studio d’enregistrement dans les années 60 et le métier d’ingénieur du son, le témoignage enthousiaste de l’œuvre d’une vie.
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Surtout, le livre replace au cœur du processus artistique l’intelligence technique et l’imagination bricoleuse que Geoff Emerick mobilise pour donner corps aux idées des Beatles.
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Quel autre livre peut se prévaloir de jeter ainsi un éclairage neuf sur une discographie aussi aimée et intimement connue?
(...) «C’est foutrement génial» dit Lennon, «c’est le Dalaï Lennon !» s’exclame Paul (McCartney, vous l’aurez deviné) «Bien joué Geoff» insiste Georges Martin….
De toute évidence Geoff a réussi son coup…..et ce n’est pas fini,car si il vient de révolutionner la façon de traiter le son d’une voix en la passant dans une cabine Leslie d’Orgue Hammond, Emerick va en plus, quelques minutes plus tard enchanter Ringo en violant pour la première fois les règles très strictes des placements de micros de batterie (ils sont fous ces anglais !!) et ainsi inventer un son de batterie étonnement précis, subtil et maintes fois copié dans les 40 années suivantes sur tout bon disque de pop music….. Nous sommes le 6 avril 1966, le groupe s’appelle The Beatles, la chanson se nommera finalement “Tommorow Never Knows” et l’album qui sortira sous le nom de Revolver va ni plus ni moins changer radicalement la manière d’enregistrer de la musique.
Si les Beatles ont avec ce morceau (puis ensuite avec Revolver tout entier) posé les bases d’une ravissante pop anglaise psychédélique (le sitar et la tambura de Georges Harrison) et involontairement, une partie de la musique électronique (les loops sonores de McCartney, la batterie de Ringo) c’est avant tout à Georges Martin et à Geoff Emerick qu’ils le doivent.Quand le premier est l’entier responsable de l’introduction de sections de cuivres et d’orchestres à cordes dans les chansons des Beatles, le deuxième est assurément l’artisan des expérimentations des Fab Four, celui qui a transformé le rêve en réalité, des samples hétéroclites en véritable instrument et des idées farfelues en révolution musicale.
Dans ce formidable bouquin qu’on lit comme un roman d’aventure palpitant,il décrit,avec une subjectivité fort bienvenue dans le nombre incalculable de livres sur le sujet, ses moments passés à enregistrer les Beatles : des longues nuits incroyablement productives de Revolver et Sgt Pepper jusqu’a à Abbey Road, chant du cygne extraordinaire mené par McCartney en passant par la zizanie et la fuite de l’enregistrement du White Album, qui après la lecture de ce livre devient un album maudit,mauvais et malsain tandis qu’on se surprend encore a fredonner Dear Prudence ou à head-banger sur Helter Skelter.
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Et si l’idée de casser votre tirelire pour l’achat de l’intrégrale des Beatles en mono vous rebute complètement, celui du livre de Geoff Emerick et sa lecture, pour beaucoup moins cher, vous feront au moins saisir l’intérêt d’écouter les merveilles des Fab Four avec un système sonore adéquate (comment ainsi savoir que leur premiers tubes perdent toute la puissance de leur interprétation quand ils sont joués en stéréo) ou tout simplement comprendre pourquoi cet ingénieur du son parfois oublié au profit du producteur Georges Martin a permit la création des plus grandes merveilles de la pop music qui n’ont depuis, jamais été égalées.
Geoff Emerick est un sujet de sa majesté d’origine modeste dont l’ingéniosité a rendu d’incommensurables services à la nation en travaillant avec la plus célèbre formation pop des années soixante et soixante dix. En effet en 1962 Geoff trouve, à 15 ans, le job de ses rêves : il est embauché à Londres en tant qu’assistant ingénieur du son dans les très réputés studios d’enregistrements EMI. Deux jours plus tard, il assiste à la première séance du groupe de jeunes dont tout le monde parle : les Beatles.
Les Beatles qui reviendrons plus tard avec un imaginaire musical novateur, des exigences artistiques et techniques souvent inédites et, il faut bien le dire, parfois incroyablement farfelues. Ces mêmes Beatles rencontreront jusqu’à leur séparation (et pour certains d’entre eux pendant leur carrière en solo), un autre imaginaire capable de répondre à leurs attentes, celui de Geoff Emerick, jeune assistant puis ingénieur qui n’hésitera pas à transgresser les règles d’utilisation du matériel, à bricoler des systèmes d’enregistrements tout à fait expérimentaux et à créer, avec des bouts de ficèles, des inventions soniques tout à fait extraordinaires.
Quand John Lennon demande à ce que sa voix ressemble à celle du Dalaï Lama psalmodiant depuis le sommet d’une lointaine montagne, tout le monde se regarde, les uns sont fascinés, d’autres restent dubitatifs pendant que l’équipe technique commence à paniquer, je pense qu’on le serait à moins. Geoff Emerick, lui, sent la pression monter sur ses épaules, il fait l’inventaire du matériel à disposition et très vite imagine utiliser un système d’enceintes tournantes pour donner à la voix de John ce son à priori impossible. Le résultat est impressionnant, les musiciens sont emballés par cette trouvaille. C’est pour l’ingénieur le début d’une certaine reconnaissance de la part des Beatles et de Georges Martin, mais c’est surtout le début d’une carrière extraordinaire au cours de laquelle il n’aura de cesse d’imaginer et de bricoler des inventions qui participeront à la naissance de nouvelles identités sonores aujourd’hui définitivement gravées dans l’histoire musicale du vingtième siècle.
Le livre est tout à fait passionnant, il apporte une vision, un témoignage étonnamment précis sur le quotidien des Beatles, de leur entourage avec une constante bienveillance pour les uns et une dent dure mais lucide pour les autres. Elvis Costello, qui travaillera également dans les années 80 avec Geoff Emerick, signe la préface et souligne judicieusement toute la générosité, la simplicité et l’humour de son auteur en mettant en exergue cette phrase délicieuse de Geoff Emerick lorsqu’il écrit «Nous enregistrâmes Tomorrow Never Knows, puis nous rentrâmes chez nous déguster quelques gâteaux secs.»
Le livre est un pur moment de culture et d’histoire musicale anglaise, il s’intitule En Studio avec les Beatles, il est édité chez Le Mot et le Reste dans la collection Attitudes, on doit sa traduction à l’excellente plume de Philippe Paringaux.
Hasard du calendrier ou coup bien calculé, ce livre arrive au moment où le plus grand groupe de l’Histoire de la pop subit la plus grande entreprise marketing de l’Histoire de la pop. Réjouissons-nous, car cela pourrait bien profiter aux éditions marseillaises Le Mot et le Reste qui le méritent depuis longtemps pour l’ensemble de leur catalogue. En studio avec les Beatles relate l’expérience — ou plus précisément les expériences sonores — de Geoff Emerick, ingé-son des Fab Four de 1966 à la fin. C’est la meilleure période des Beatles, et le bouquin est passionnant. Préface d’Elvis Costello, traduction de l’éminent journaliste Philippe Paringaux : la totale.
Captivant. Passionnant. Addictif même. En 1962, Geoff Emerick n’a pas encore 16 ans quand il est embauché comme assistant ingénieur du son aux studios EMI du 3 Abbey Road, à Londres. Pour son deuxième jour de travail, il assiste à l’enregistrement de « Love me Do » d’un groupe de Liverpool dont tout le monde parle. En 1966, Emerick devient l’ingénieur du son attitré des Beatles. Il s’occupera d’eux pour les albums Revolver, Sergent Pepper’s, Abbey Road et pour de nombreux singles mythiques. En 2005, il publie ses souvenirs de cette période.
Traduit en français en 2009 (par l’ancien rock critic Philippe Paringaux), son livre et un puits d’informations, d’anecdotes et de détails techniques, un récit sans fioritures, toujours bien écrit et très humble. C’est le genre de livre qui vous apprend quelque chose à chaque paragraphe : le son de la batterie sur « Tomorrow Never Knows », les astuces de George Martin pour obtenir un son inédit, le montage de « This Boy », le jeu limité de George Harrison, etc.
En studio avec les Beatles est aussi une fenêtre ouverte sur l’univers très particulier de ces fameux studios EMI. Une ambiance administrative, très hiérarchisée, fonctionnant comme une bureaucratie, en complet décalage par rapport aux sixties débridées, dehors !
Emerick nous fournit également une belle galerie de portraits. Ceux des quatre Beatles bien sûr, parmi lesquels l’auteur nouera une vraie complicité avec McCartney, mais aussi du producteur George Martin, grand anglais digne et sévère à l’ancienne, et Norman Smith, le premier ingénieur du son, plus en phase avec la pop-music.
Ce n’est pas un hasard si on le surnomme “Oreilles d’Or” chez EMI. Dès son arrivée, à l’âge de 16 ans, dans les studios d’enregistrement d’EMI, Geoff Emerick fait grande impression. Naturellement doué, mélomane, passionné et pointilleux, il fait vite des merveilles en studio d’enregistrement. Embauché comme stagiaire en 1962, il assiste aux premières séances d’enregistrement des quatre garçons dans le vent. Évoluant rapidement grâce à son sens du détail, il assiste l’ingénieur du son Norman Smith sur les albums des Beatles. Jusqu’à Revolver, en 1966. Smith étant parti s’occuper des prometteurs Pink Floyd, George Martin désigne comme Emerick ingénieur du son officiel des Beatles. Il n’a que 19 ans. C’est à ce moment-là, rempli d’angoisse et d’excitation (prémonitoires de la suite des événements), que débute En studio avec les Beatles.
Heureusement, Emerick passe l’épreuve du feu et réussit même à trouver l’astuce magique, grâce à la fameuse cabine Leslie, pour que la voix de John Lennon « sonne comme celle du Dalaï Lama chantant du haut d’une montagne » sur le fameux et avant-gardiste morceau “Tomorrow Never Knows”. Et ce n’est que le début. Pendant sept années, et ici plusieurs centaines de pages, Emerick trouvera des solutions diverses, variées et souvent incroyables, pour satisfaire les caprices sonores les plus fous des Beatles. C’est entre les quatre murs des studios Abbey Road (qualifiés de “glauques” par Emerick!) que s’écrivent les plus belles pages de l’histoire de la pop music. Sgt. Pepper’s Lonely Heart Club Band n’aurait pas été tel qu’il est, avec une telle chatoyance sonore, si Emerick ne s’en était pas mêlé. Mais cette émulation constante, cette passion et la fierté de travailler avec des musiciens hors-pairs que sont les Beatles ne suffisent pas à compenser les dissensions grandissantes qui se créent au fil des années. Le mauvais caractère de Ringo Starr, la distance de George Harrison, l’obstination de Paul McCartney et le lunatisme de John Lennon deviennent ingérables. Emerick claque la porte pendant l’enregistrement du White Album… Pour mieux revenir sur Abbey Road, le chant du cygne du groupe!
Malgré une position de choix pour voir et donc commenter les événements personnels qui influèrent sur la destinée des Beatles (l’arrivée de Yoko Ono, la déception indienne, les drogues, etc.), Emerick ne tombe jamais dans la psychologie de bas étage. D’après lui, les Beatles se séparent d’abord et surtout pour cause de divergences artistiques (John veut aller plus loin dans l’avant-garde tandis que Paul souhaite rester dans la pop, etc.) et non pas pour à cause de sombres et mesquines querelles de couples Lennon/McCartney.
Même après les Beatles, la vie continue. Emerick revient sur la construction puis le naufrage des studios Abbey Road puis ses multiples collaborations avec McCartney, notamment avec les Wings. Ces expériences seront le ciment d’une longue amitié, renforcée lorsque McCartney et Emerick perdent respectivement leurs épouses emportées par le cancer. L’ingénieur du son se souvient aussi de son rôle dans les enregistrements des Badfinger et d’Elvis Costello. C’est ce dernier qui signe la préface de l’ouvrage, louant les qualités d’écoute – dans tous les sens du terme – d’Emerick. Costello ne cache pas sa joie de voir enfin la vie de studio des Beatles révélée, réaction compréhensible lorsqu’on sait que les Beatles, à leur manière, réinventèrent, de manière pérenne et révolutionnaire, la musique.
L’ouvrage de Geoff Emerick, co-écrit avec l’auteur et critique Howard Massey, s’avère donc passionnant, souvent drôle, parfois émouvant et, surtout, très instructif. Nul besoin d’être un spécialiste du genre pour comprendre l’immense rôle que jouent les techniciens et les ingénieurs du son sur l’enregistrement d’un album, de qui plus est un album des Beatles. Malgré leurs aléas d’humeur et leur fierté démesurée, ceux-ci vouaient une confiance aveugle à leur équipe. Ce qui n’est plus souvent le cas aujourd’hui, regrette un Emerick nostalgique des bricolages analogiques. Désormais, les musiciens se chargent souvent de la production de leurs disques… à raison ou, le précise l’auteur, à tort. Mais nulle réflexion démagogique ici, Emerick fait comme il l’a toujours fait: il donne, aussi humblement et sincèrement possible, son avis… Ce précieux sens de le musique et des techniques du son lui valent quatre Grammy Awards dont le dernier en date, en 2003, récompense l’ensemble de son oeuvre.
Enfin, En Studio avec les Beatles atteste, une fois encore, des talents de traducteur du brillant journaliste Philippe Paringaux. Le récit ne serait peut-être pas aussi fluide et cohérent sans son pertinent décryptage. “Le destin a voulu que j’assiste à la toute première séance d’enregistrement des Beatles en septembre 1962, et à la dernière, le 20 août 1969”, nous confie Geoff Emerick, omettant de préciser que c’est également son talent qui l’a mené sur les sentiers (sinueux) de la gloire. Et faisant des mémoires d’un modeste (mais indispensable) ingénieur du son des Beatles un ouvrage passionnant autant qu’édifiant.