EXTRAIT :
Le field recording, ou enregistrement de terrain, est une pratique apparue logiquement à la fin du xixe siècle avec l’invention de systèmes d’enregistrement, de plus en plus portables. Peu à peu, le studio perd de sa fatalité et l’homme peut partir par les chemins pour capter quantité de musiques et de sons. Les premiers à se lancer sont les ethnomusicologues et les audio-naturalistes. Les uns sont en quête des musiques de divers peuples de la terre, vivant souvent loin des grandes villes et de leurs facilités logistiques. Les autres souhaitent quant à eux conserver la trace des sons de la nature.
Le chant de l’oiseau-lyre d’Australie, les vents de Patagonie, les flûtes sacrées Aré’ aré des Îles Salomon, les vibrations des bâtiments de nos villes ou les louanges exaltées des pêcheurs de perles de Bahreïn ne sont que quelques exemples des innombrables sons et musiques abordés dans cet ouvrage consacré à la pratique du field recording, de l’enregistrement de terrain. Tout au long du xxe siècle, des hommes ont parcouru le monde afin de capter des curiosités sonores pour des raisons scientifiques, patrimoniales et esthétiques. Ce sont des audio-naturalistes, des collecteurs de musique traditionnelle, mais aussi des compositeurs avides de découvrir un nouveau matériau musical. Les microphones sont leurs outils, voire leurs instruments, l’écoute est leur méthode d’approche. En sortant du studio, ils prennent le risque de se confronter à l’imprévisible, à l’incontrôlable, au fragile parfois. Ils se nomment Alan Lomax, Chris Watson ou encore Luc Ferrari.
Cent disques rendent ici compte de leur quête, toujours en cours, du « chant du monde ».
Une riche introduction et trois interviews de figures majeures du field recording (Jean C. Roché, Bernard Lortat-Jacob et Peter Cusack) complètent cette anthologie.
Revue de presse
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Mais tous ne cherchent pas forcement l’exotique ou la rareté. « Les types et styles de captations sont très nombreux. Les audio-naturalistes enregistrent les sons de la nature, le mouvement de l’ethnomusicologie collecte les musiques traditionnelles et il y a aussi beaucoup d’artistes et musiciens qui se servent des sons comme matériaux de composition », indique Alexandre Galand, docteur en histoire et auteur du passionnant ouvrage : Field recording : l’usage sonore du monde en 100 albums (Le mot et le reste, 2012).
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LIRE L’ARTICLE DANS SON INTÉGRALITÉ
Le passionnant ouvrage d’Alexandre Galand paru sur la non moins excellente collection Formes de l’éditeur Le Mot et le Reste m’ouvre les yeux sur une pratique naturelle consistant à enregistrer sur le terrain aussi bien les ambiances que la musique. L’usage sonore du monde en 100 albums se réfère évidemment au récit de voyage de Nicolas Bouvier paru en 1963, qui inspira entre autres le cinéaste Stéphane Breton pour sa collection de films ethnographiques. Si les découvertes sont nombreuses parmi trois grandes sections, la captation des sons de la nature, celle des musiques des hommes et les compositions qui s’en emparent, on se perd un peu dans le classement à l’intérieur de chacune.
On peut aussi regretter l’absence d’analyse sur les motivations de tel ou tel compositeur à intégrer des séquences documentaires dans ses fictions, d’autant que c’est la partie la plus faible de l’introduction alors que ces mélanges occupent la majeure partie de l’ouvrage. Quelle raison a chacun de se confronter au monde sonore en dehors d’un contexte musical ? Quelle différence s’exprime entre nature et culture ? La sélection très orientée “musiques du monde” dans la seconde partie et “musique électro-acoustique” dans la troisième (analogie avec le travail solitaire du preneur de son ?) en oublie les rockers et les jazzmen aux motivations fort différentes, tels René Lussier (Le trésor de la langue dressant un pont entre le l’Histoire du Québec et la musique), Frank Zappa (producteur de Wild Man Fisher, artiste de rue schizophrénique), Barney Wilen (Moshi, influence d’un voyage en Afrique, et Auto Jazz – Tragic Destiny Of Lorenzo Bandini, énergie de la course automobile), Colette Magny (Mai 68 avec les reportages de Chris Marker), parmi tant d’autres. Ce n’est pas seulement une question de choix, car l’absence d’articulations historiques qui ont pourtant fait le succès de plusieurs ouvrages de la collection ne nous permet que de picorer ici et là des informations, certes précieuses. Après avoir interrogé le spécialiste des chants d’oiseaux Jean C. Roché, l’ethnomusicologue Bernard Lortat-Jacob et le musicien improvisateur Peter Cusack, Alexandre Galand nous offre néanmoins 100 pistes, autant d’albums pour la plupart méconnus, pour alimenter notre curiosité dans ce domaine ouvert de l’écoute sans frontières.
Chaque parcours est une invitation au voyage. Je me revois en 1966 arpentant le Maroc avec le petit magnétophone portable italien de ma sœur, enregistrant les Gnaouas, les singes magots de la forêt, les médinas de Fès et Marrakech, afin de sonoriser le montage diapo de nos vacances. Trois ans plus tard je capturais le son du Festival d’Amougies, seul témoignage musical aujourd’hui accessible du premier festival de musique pop et jazz européen. J’en profitai pour immortaliser l’ambiance du public, les annonces de Pierre Lattès et les coups de gueule de Mouna. Il me faudra ensuite attendre de rentrer à l’Idhec en 1971 pour développer mes expériences sonores, encouragé par l’enseignement de Michel Fano et Aimé Agnel. L’écoute radiophonique de Luc Ferrari et Barney Wilen au Pop Club de José Artur m’avaient déjà titillé, mais la découverte d’Edgard Varèse grâce à Frank Zappa fut déterminante. Pour simplifier, merci John Cage, toute organisation de sons n’est-elle pas musique dès lors que l’on signifie son début et sa fin ? En 1975, Défense de, mon premier album, intègre des bruitages et l’année suivante Un drame musical instantané branchera le téléphone du studio sur la table de mixage de manière à incorporer les coups de fil reçus pendant nos improvisations ! J’avais pris l’habitude de diffuser des reportages sonores parmi les instruments comme les chiffres du loto dans Rideau ! (1980), On tourne (1981) entièrement enregistré dans une usine de métaux, une partie de chasse dans Ne pas être admiré. Être cru. (1982) et le métro dans L’homme à la caméra (1983) avec le grand orchestre, le haras de Blois pour Les blancs jouent et gagnent (1987) ou le casino de Deauville pour le film L’argent de Marcel L’Herbier (1988), etc. Les saynètes que compose la litanie de mes répondeurs téléphoniques (1977–89), les radiophonies revendiquant leurs social soundscapes (1974–81) ou la Mascarade Machine (2010) transformant le flux hertzien en mélodies n’appartiennent-ils pas tout autant au genre du field recording ? En 1994 j’organisai les bandes rapportées du Haut-Karabagh par Richard Hayon comme un carnet de notes, récit de voyage où ces Musiques du Front se jouaient dans les cimetières, les tranchées et les ruines. J’ai longtemps marché, un micro fiché sur chaque oreille, mais aujourd’hui j’utilise un petit Nagra discret et compact. Sur scène il m’arrive aujourd’hui d’utiliser les samples que Chris Watson a commercialisé pour SonicCouture…
Le field recording devient un décor de théâtre (pré-établi) où se déroule l’action (par exemple, improvisée), sa véracité documentaire permettant aux auditeurs de s’immiscer dans des fictions imaginaires. Plus généralement composer des partitions sonores mêlant bruits, voix et musiques m’a poussé à considérer le field recording comme une composante essentielle de mon travail, et ce dans les trois cas cités par Galand, en enregistrant les bruits de la nature et des activités humaines, en privilégiant parfois des prises de son in situ, en intégrant ces éléments à des compositions hybrides. Même le studio est chez moi un terrain particulier où la vie quotidienne a sa place. L’improvisation y est pour beaucoup. Comme toute organisation sonore est musique, tout enregistrement devient ainsi field recording, pulvérisant les frontières qui séparent le vivant du vécu.
La capture du son a toujours représenté un fantasme : François Rabelais en 1552 dans Pantagruel décrit le gel de paroles et sons de champs de bataille qui peuvent être entendus lors du dégel au printemps suivant ; l’écrivain Charles Sorel en 1632 décrit la capture du son dans des éponges.
Il faut attendre 1807 pour que la technologie commence à concrétiser ce rêve : Thomas Young imprime les vibrations d’un diapason à la surface d’un cylindre rotatif couvert de noir de fumée.
Alexandre Galand est invité à présenter son ouvrage Field Recordings, L’Usage sonore du monde, et à discuter de cette pratique souvent méconnue du grand public.
Au total, cinq émissions autour de la discipline de l’enregistrement de terrain
Pour les réécouter, reportez-vous aux liens ci-dessous :
Le vent et l’eau sont-ils des instruments de musique ? Peut-on réduire l’enregistrement de joueuses de luth aux Philippines dans leur milieu naturel à un audio-reportage? À quoi bon garder cette captation grésillante et à peine audible d’un chant breton des années 1910 ? Enregistrer dans un jardin japonais un récipient métallique enfoui sous les pierres qui amplifie les gouttes d’eau qui s’y infiltrent suffit-il à faire un disque ? Capter les vibrations sourdes et les fréquences basses du pergélisol (ou permafrost) permet-il d’étiqueter un disque comme étant de l’électro-ambient ? L’oiseau-lyre est-il meilleur imitateur que le Papou de Nouvelle-Guinée ?
Ces questions, parmi d’autres, sont au coeur de la pratique du « field recording », ou enregistrement de terrain. La naissance de cette pratique est consécutive à celle des systèmes d’enregistrement portables, qui ont fait perdre au studio son exclusivité en matière d’enregistrement. Depuis la fin du XIXe siècle donc, le field recording n’a cessé, sur le plan artistique, de gagner… du terrain !
Depuis qu’on a les moyens de le capter dans son propre élément, le « chant du monde » a engendré de nombreuses démarches de collecte sonore aux visées très différentes. On aurait donc bien tort réduire l’enregistrement de terrain à une simple fonction documentaire. De par la multitude des matériaux sonores qu’il propose et le foisonnement de pratiques créatrices fondées sur ces matériaux qu’il a engendrées, le field recording doit être considéré comme un vaste champ artistique à part entière.
C’est ce que s’est proposé de démontrer Alexandre GALAND, docteur en Histoire, Art et Archéologie, dans ce livre dont le sous-titre, L’Usage sonore du monde en 100 albums, fait une judicieuse référence à un autre célèbre ouvrage, L’Usage du monde, de l’écrivain suisse Nicolas BOUVIER. Personnalité majeure du récit de voyage au XXe siècle, BOUVIER fut aussi l’un des premiers « chasseurs de sons » non professionnels. Il a arpenté les régions qu’il a traversées (Yougoslavie, Turquie, Iran, Pakistan, Afghanistan, Inde, Sri Lanka, Japon…) muni d’un prototype de magnétophone Nagra (l’ancêtre de l’enregistreur numérique), et a enregistré les musiques qu’il a entendues, de Zagreb à Tokyo. Tant sa vie que son oeuvre font de BOUVIER une figure tutélaire de la philosophie que se doit d’adopter tout chasseur de son : se rendre disponible et se mettre à l’écoute du voyage et du monde extérieur.
Dans la première partie de son ouvrage, Alexandre GALAND retrace l’historique de la pratique du field recording, et démontre qu’elle est indissociable de l’évolution des techniques d’enregistrement. Plus l’enregistreur portable est devenu
souple et facile à manier, plus les enregistrements de terrain se sont multipliés, et ce dans différents domaines. Alexandre GALAND en distingue principalement trois.
Le premier est la captation des sons de la nature, ou audionaturalisme, et ses sous-divisions (la biophonie, qui traite des sons de la flore et de la faune, notamment les chants d’oiseaux et cris d’animaux ; et la géophonie, qui étudie les sons des phénomènes climatiques, comme les orages, les vagues, les volcans…). L’auteur de Field Recording pointe déjà quelques problématiques liées à cette pratique, notamment celle de la présence humaine dans la nature, et ses conséquences. Fautil gommer toute trace sonore de manifestation humaine (genre bruits d’avion au-dessus d’une jungle) lorsqu’on cherche à restituer les sons d’un environnement donné ou les cris d’une espèce animale précise, au risque de créer un fantasme de monde « édénique » et inviolé ?
Le deuxième est la captation des musiques des hommes, ou ethnomusicologie, dont l’auteur rappelle la génèse et qu’il distingue très clairement de la « world music ». GALAND évoque quelques dates marquantes de la découverte des musiques non-occidentales par les compositeurs contemporains et recense le travail de diffusion de quelques maisons de disques réputées dans la captation in situ de musiques traditionnelles (Folkways, Lyrichord, AIMP, Ocora, Topic…). Dans ce domaine aussi, des questions épineuse surgissent, mettant en évidence l’antagonisme entre la fonction originairement sociale ou religieuse au sein d’un groupe culturel local de ces musiques traditionnelles et leur mise en pâture en tant qu’objets de consommation esthétique à échelle globale. Dans ce domaine comme dans celui de l’audio-naturalisme pointe évidemment le problème fatidique (mais aussi tarte à la crème) de l’authenticité et de la « pureté », réelle ou supposée, de la matière enregistrée.
Le troisième domaine du field recording recensé par Alexandre GALAND est celui de la composition, dont Pierre SCHAEFFER fut un pionnier. Distinct des deux autres orientations à caractère généralement plus scientifique, patrimonial ou documentaire, la pratique de la composition à base d’enregistrements de terrain a pris des tournures variées que GALAND recense : musique concrète, écologie acoustique, paysage sonore, « sound mapping »... toutes procèdent des mêmes principes (écoute, enregistrement, traitement) et soulèvent de pertinentes questions sur l’acte même d’enregistrer en tant que manière de composer, sur le choix de préserver les sons captés tel quels dans une composition, ou de les transformer jusqu’à les rendre méconnaissables, afin paradoxalement de mieux restituer l’impression subjective que la matière a laissée sur le « capteur », par exemple, etc.
En plus de tracer une perspective historique et de relever les questions tant éthiques qu’artistiques que soulève chacun des trois genres de field recording qu’il a définis, Alexandre GALAND a tenu également à interroger certains pratiquants de l’enregistrement de terrain. Chaque chapitre est ainsi complété par un entretien avec un spécialiste : Jean C. ROCHÉ pour la partie audionaturaliste, Bertrand LORTATJACOB pour l’ethnomusicologie et Peter CUSACK
pour le domaine de la composition. Chacun fait part de la passion qui anime son travail, et du regard que la pratique du field recording lui a permis d’avoir sur le monde.
La division stylistique opérée par Alexandre GALAND permet au lecteur d’appréhender avec plus de clarté la pluralité du domaine artistique que représente le field recording.
Mais l’auteur s’accorde lui-même à reconnaître que certaines oeuvres enregistrées peuvent relever d’un domaine comme d’un autre et que la frontière entre audio-naturalisme, ethnomusicologie et composition est dans certains cas très ténue, ou savamment effacée.
La seconde partie de l’ouvrage, conformément à son sous-titre, est constituée de 100 chroniques de disques qu’Alexandre GALAND jugent primordiaux dans chaque domaine de field recording. Coassements de grenouilles, chants
d’oiseaux, brame de cerfs, chants de baleines et cris de singes se partagent la partie audio-naturaliste, où l’on fait connaissance avec les enregistrements de Ludwig KOCH, Jean C. ROCHE, Roger PAYNE, Fernand DEROUSSEN, etc.
Chants de gorge inuits, chants de prisonniers américains, flûtes boliviennes, rajasthanaises ou mélanésiennes, gamelans indonésiens, polyphonies éthiopiennes, cérémonies tibétaines, chants pygmées, argentins ou ainous, jödel suisse, cloches suédoises, xylophones gabonais, tourneries de derviches et gongs cambodgiens figurent parmi les richesses sonores léguées par les cultures traditionnelles, captées par Alan LOMAX, John LEVY, David LEWISTON, Constantin BRAILOIU, Laurent JEANNEAU, Art ROSENBAUM, Deben BHATTACHARYA, Hugh TRACEY, Anne CHAPMAN, Hugo ZEMP, Tucker MARTINE ou François JOUFFA. Cette partie recense également un enregistrement de MOONDOG dans les rues de New York.
La partie « composition » est la plus riche en références discographiques. On y croise Henri POUSSEUR, Alvin LUCIER, Steve REICH, Éric LA CASA, Kristoff K. ROLL, Cécile LE PRADO, Peter CUSACK, Luc FERRARI, Éric CORDIER, Charlemagne PALESTINE, Francisco LOPEZ, Yann PARANTHOËN, Pierre HENRY, Akio SUZUKI, Michèle BOKANOWSKI, Douglas QUIN, etc. Difficile de dire si, à travers ces références, tous les sons du monde entier ont été répertoriés, mais quand on voit que certains sont parvenus à capter des sons dans des zones infréquentables par l’homme ou des sons inaudibles à l’oreille humaine, on réalise que le monde entier s’épanouit décidément sur plusieurs plan de réalité !
Conscient que sa sélection est forcément incomplète et subjective, Alexandre GALAND a complété son livre d’une discographie supplémentaire et d’une bibliographie. On notera également que chaque chapitre et même quelques chroniques sont chapeautés par une citation livresque, rappelant ainsi que l’écoute du monde a stimulé de nombreuses muses littéraires et poétiques à travers les époques…
À défaut d’être une « bible » exhaustive (exercice aussi fastidieux qu’impossible), Field Recording, l’Usage sonore du monde en 100 albums s’avère un guide introductif hautement recommandable pour découvrir l’immense variété des productions du genre. Et pour ceux qui voudraient aller plus loin, l’auteur tient également un blog qui achève de convaincre que, loin d’être un « style de musique », le field recording est surtout un pourvoyeur de chants du monde et de champs magnétiques qui invitent à écouter « autrement »...
Après avoir lu, et même et relu, le livre d’Alexandre Galand consacré au field recording, paru aux éditions Le mot et le reste, je vous livre ici quelques notes et impressions.
Tout d’abord, le classement du genre en trois catégories adopté ici, s’il ne permet pas de faire entrer toutes les pratiques et esthétiques dans une boîte précise, a le mérite de proposer des repères assez lisibles, entre ethnomusicologie, audionaturalisme et composition (sonore et/ou musicale). Certes, les choses ne sont pas aussi étanches que cela, l’auteur le reconnaît lui-même, mais cette classification donne néanmoins une idée des pratiques où mémoire, patrimoine, recherche, écologie et paysage sonore, création artistique relèvent du socle commun des field recordings.
Outils, méthodes, technique, genre esthétique, l’ouvrage ne cherche pas à enfermer l’objet d’étude dans une approche qui se révélerait assez vite réductrice tant, selon les époques, les objectifs et les preneurs de sons, les field recordings empruntent à toutes ces démarches.
Le mot field recording reste lui-même difficile à traduire, enregistrement de champ, de terrain, in situ, phonographies… ce qui conforte d’ailleurs la pluralité de la chose.
Mais revenons en à l’ouvrage d’Alexandre Galland. Après une courte et très pertinente introduction, ce dernier a choisi d’entamer son livre par trois interviews de spécialistes en la matière, représentant tour à tour l’approche audionaturaliste avec Jean-Claude Roché, ethno-musicologique, avec Bernard Lortat-Jacob et artistique avec Peter Cusak, tous trois praticiens reconnus de l’enregistrement de terrain.
Ces interviews nous permettent de saisir, par la voix de chasseurs de sons selon une expression régulièrement employée il y a quelques années, les enjeux et les passions qui animent des hommes désireux de connaître un peu mieux leur Monde par l’oreille.
Le sous-titre même même de l’ouvrage fait implicitement référence à l’extraordinaire récit de voyage de Nicolas Bouvier, lequel emportera justement avec lui un des premier et mythique magnétophone Nagra, que lui confiera feu Stefan Kudelski en personne, son inventeur et constructeur.
Nous arrivons ensuite à la deuxième partie de l’ouvrage, la plus consistante, puisqu’elle nous propose 100 enregistrements, couvrant les trois approches définies par l’auteur.
J’ai toujours un a priori à lire une sorte de catalogue discographique, genre parfois assez ennuyeux où se succèdent descriptions et coups de cœur, de façon parfois assez décousue.
Et bien dans le cas de ce livre, très heureuse surprise, la lecture se vit comme un véritable roman d’aventure, avec des expériences aux quatre coins du Monde, dans des villes contemporaines, des villages perdus dans des forêts tropicales, sous les eaux, près des volcans. On y côtoient des artistes, chercheurs, historiens, des gens “de tous les jours” des tribus menacées de disparition, voire disparues, des pratiques musicales propres à un lieu, une culture, des rites sacrés, des communications animales, des expérimentations musicales et sonores…
On voit comment certains tentent de rester au plus près de la réalité alors que d’autres puisent de la matière sonore pour la retravailler et la recomposer parfois assez radicalement.
L’anthropologie, la sociologie, l’histoire, les nouvelles technologies, l’expérimentation sonore et artistique se déploient sous nos yeux, et quasiment sous nos oreilles tant j’‘ai eu l’impression d’entendre autant que de lire ces pages, dans une incroyable variété de gestes et de postures, d’images visuelles et sonores.
Il y a là de la magie, du dépaysement, de l’exotisme, sans pour autant que l’auteur ne donne dans l’emphatique, ou ne nous assène des idéologies prédigérées. On sent dans ses écrits à la fois une formidable passion pour le sujet et une sorte de pudeur pour ne pas trop envahir le sujet du moi personnel. La couverture spacio-temporelle du livre est aussi large que la variété des pratiques et des expressions artistiques citées.
Tout est clair, documenté, et donne envie de réécouter des enregistrements parfois endormis sur les rayons d’une armoire, voire de courir en acheter d’autres.
Comme vous l’aurez sans doute compris, j’ai beaucoup aimé ce livre qui est devenu pour moi, en peu de temps, une référence sur un sujet jusque là peu ou pas traité en langue française, en même temps qu’un livre de chevet, voire de voyage, dans lequel je navigue régulièrement au gré des époques et des usages sonores du monde.
Domaine particulier au sein de la production sonore, le “Field recording” fut d’abord le fruit d’une approche scientifique et technique visant à collecter les sons du monde avant s’être une démarche esthétique et artistique usant de ces mêmes sons comme de matériaux créatifs. Au fil du temps, l’une comme l’autre ont remis les bruits du monde au centre de la création. La parution de Field Recording, l’usage sonore du monde aux éditions Le Mot et le Reste, est l’occasion de se pencher sur ce qu’il est réellement convenu d’appeler – depuis la naissance de la musique concrète dans les années 50, puis de l’ambient dans les 70’s, du hip hop, et de l’apparition du sampleur dans les années 90 – “l’art du Field Recording”.
[...] Dès le départ le Field Recording se présente comme un caste champ opératoire composé d’enjeux et de finalités aussi riches que variés. Sur ce plan le livre d’Alexandre Galand, Field Recording, l’usage sonore du monde en 100 albums, est une véritable mine d’enseignements. L’auteur insiste – à raison – sur cette dichotomie, scientifique/artistique, qui s’avère complémentaire au fil du temps. Composé d’un long essai historiographique, de trois interviews (Jean C. Roché, Bernard Lortat-Jacob et Peter Cusack) et d’une solide discographie, cet ouvrage est une première en langue française et une excellente entrée en matière pour l’amateur souhaitant se plonger dans cet océan de sons.
Passionné par les disciplines artistiques se donnant le monde pour objet, le Liégeois Alexandre Galand vient de publier un livre tout entier dédié à l’enregistrement de terrain. Field Recording. L’Usage sonore du monde en 100 albums vient de paraître chez Le Mot et le Reste et raconte ces grand curieux qui immortalisent les chants des prisonniers, des Pygmées, des singes, du vent et des grenouilles.
Sorti en 1979 du ventre maternel, docteur en Histoire, Art et Archéologie, Alexandre Galand se passionne depuis un bout de temps déjà pour les disciplines artistiques se donnant le monde pour objet. Le cinéma documentaire et le récit de voyages. Le nature writing et la peinture de paysages… Pas étonnant que le Liégeois consacre un livre à l’enregistrement de terrain.
[...] L’enregistrement de terrain naît à la fin du XIXe siècle avec l’apparition de matériel d’enregistrement de plus en plus facile à transporter. Le studio perd alors de sa fatalité et l’homme peut partir par les chemins pour capter quantité de musiques et de sons, explique Alexandre Galand dans son passionnant ouvrage.
[...] Comment un Belge relativement inconnu au bataillon finit-il par publier un livre sur un sujet a priori aussi incongru chez Le Mot et le Reste, l’une des toutes meilleures maisons d’édition françaises en matière d’écrits musicaux. Je me suis retrouvé sans emploi pendant quelques mois après ma thèse de doctorat, se souvient Alexandre. Je tenais à rentabiliser le temps à ma disposition et je me suis mis en tête d’écrire sur le sujet. Gamin, je m’intéressais à l’ornithologie et aux chants d’oiseaux. Je me suis par la suite, pendant mes études, penché sur les relations de l’homme avec son milieu de vie et me suis pris de passion pour les musiques expérimentales. J’avais déjà un peu tâté de l’écriture en collaborant avec La Médiathèque sur Archipel (le site web consacré aux musiques inclassables). J’ai dès lors tout simplement, comme on jette une bouteille la mer, contacté ce chouette éditeur.
Un chouette éditeur pour un livre fascinant qui vous fera écouter d’une autre oreille le monde qui nous entoure et regarder d’un autre oeil les farfelus du son comme ceux croisés chaque année à Mons le temps de City Sonic, le festival des arts sonores.
Dès que les évolutions techniques l’ont permis, l’homme s’est mis à capter le monde, enregistrer le réel, préserver la mémoire. De ces milliers de disques basés sur des prises de son en direct, Alexandre Galand a effectué une sélection méticuleuse pour n’en garder que cent, un exercice de “best-of” à la fois ludique et contraignant, permettant néanmoins d’arrêter le temps et de poser un regard rétrospectif sur tout ce qui a été déjà accompli dans ce domaine, avec tout le diversité qui le caractérise. Notre environnement fourmille en effet de vibrations fascinantes dès qu’on décide d’en avoir une écoute concentrée.
D’où t’es venu cet intérêt pour les pratiques sonores et quand est-ce qu’a germé l’idée d’un ouvrage sur le sujet?
Plus jeune, je pratiquais l’ornithologie et une partie de l’apprentissage de ce loisir consistait en l’écoute de cassettes et disques de chants d’oiseaux. Ces séances s’apparentaient souvent à un vrai plaisir grâce aux talents musicaux des volatiles. [...] De fil en aiguille je me suis familiarisé avec des pratiques musicales qui mettent en question les relations que l’homme entretient avec le paysage, avec le monde animal ou même avec des sons d’origine industrielle. L’idée d’écrire un livre sur ces pratiques correspond à une envie de contrainte afin d’en savoir plus, avant tout dans un but personnel.
[...]
Le choix de diviser le livre et la pratique du field recording en trois catégories (les audionaturalistes, les ethnomusicologues, puis ceux qui composent avec ce matériau) t’a-t-il aidé dans ton approche ou cette dichotomie présentait-elle certaines contraintes?
Il fallait clarifier le propos pour ne pas fournir une liste qui ne soit qu’une accumulation de coups de coeur. Les deux premières sections se penchent ainsi sur des enregistrements de terrain où le capteur de sons est là pour transmettre, pour jouer le rôle de passeur entre l’événement sonore et ‘auditeur ultérieur. Son intervention devrait ainsi être la plus neutre possible. [...] Je me suis pourtant rendu compte, en écrivant, que cette prétendue neutralité qui serait une des marques des collecteurs de sons de la nature et de musiques traditionnelles n’était qu’un leurre. Tout acte d’enregistrement procède de choix.
Suite de l’interview “ici” : http://www.obskuremag.net/articles/alexandre-galand-le-field-recording-interview-bonus-obskure-mag-13/
La couverture du livre “Field recording”. [Le mot et le reste]
Cette semaine, “La Planète Bleue” va vous présenter un livre absolument formidable, “Field recording, l’usage sonore du monde”, un bouquin étonnant et rare sur l’enregistrement de terrain.
A 100’000 années-lumière de la daube marketée de près qu’on nous fourgue en essayant de nous faire croire que c’est de la musique, ce livre recense une centaine d’albums exceptionnels, enregistrés dans la rue, dans la forêt ou sous la mer.
Pour réécouter l’émission, c’est ICI
En plus d’être aux commandes du blog Les Maitres Fous, Alexandre Galand a sorti récemment un livre déjà classique, ne serait-ce qu’à cause de son statut si singulier, qui traite des disques de field recordings – enregistrements de terrain, qui reproduisent les bruits du monde. Alexandre en a fait un guide dense et labyrinthique, car de cette pratique qui semble réservée aux explorateurs scientifiques, s’est développée une multitude de possibilités sonores, musicales, concrètes, au-delà du geste documentaire pur. Son livre, donc, Field Recording, l’usage sonore du monde en 100 albums (Le Mot Et Le Reste, qui est par ailleurs l’éditeur de deux de mes livres), est un précieux guide de découvertes, une cartographie au sein d’un amoncellement d’enregistrements cherchant déjà eux-mêmes à établir une carte sonore du monde. A ma demande, Alexandre a fait une mixtape, expliquée ainsi : » La thématique de cette compilation est l’inaudible. Perturbations électromagnétiques dans la ionosphère, cris d’animaux aquatiques ou de chauves-souris, fonte des glaces du Lac Baïkal ou encore vibrations de fils téléphoniques dans le désert australien, tous ces sons ne peuvent être perçus par l’homme s’il n’use d’un équipement technique adapté (microcontacts, hydrophones…). Ce terrain de l’inaudible, immense et d’une richesse insoupçonnée, est exploré inlassablement par quelques artistes qui parviennent à en révéler la beauté musicale. En cela, ils contribuent à « mettre en morceaux le jeu consolant des reconnaissances » de nos modes d’écoute, ce qui est peut-être une des qualités principales du field recording. En accompagnement, une briolée aux bœufs berrichonne et un jodle du Muotatal donnent à penser une autre forme d’inaudible, de par la disparition des modes d’être qui les faisaient vivre… »
Merci à lui pour ces choix, son livre et les morceaux qui suivent :
Solo Whale, Roger Payne, Songs of the Humpback Whale (1970, BGO, 2001)
Sferics, Alvin Lucier, Sferics (1982, Lovely Music, 2009)
Primal Image, Alan Lamb, Archival Recordings (Dorobo, 1995)
At the Sea Ice Edge, Douglas Quin, Antarctica (Wild Sanctuary, 1998)
Bottle at Mountain Road, Toshiya Tsunoda, Extract from field recording archive #2 (Häpna, 1999)
Baikal Ice Flow Split 2, Peter Cusack, Baikal Ice (Spring 2003) (ReR Megacorp, 2004)
Magnetic Nets, Christina Kubisch, Interpreting the Soundscape (Leonardo Music Journal, 2006)
Isolation/Measurement, Jana Winderen, Energy Field (Touch, 2010)
P. pispistrellus/M. daubentonii, Michel Barataud – Ballades dans l’inaudible. Méthode d’identification acoustique des Chauves-souris de France (Sittelle, 1996)
Ferdinand Brunot, Briolée aux boeufs, 1913.
« Jüüzli » Jodel du Muotatal. Suisse (Hugo Zemp, 1979, Collection du CNRS et du Musée de l’Homme, Chant du Monde)
A écouter par ici.
Dans le livre “Field recording”, Alexandre Galand explore la pratique de l’enregistrement des sons de la nature ou de musiques traditionnelles. Interview.
SHAMA. En 1889, le phonographe Edison existe depuis une douzaine d’années. C’est avec cet appareil que le tout premier enregistrement connu du chant d’un oiseau est réalisé par… un enfant de huit ans ! L’Allemand Ludwig Koch, futur preneur de son spécialiste de l’enregistrement de chants d’oiseaux et de sons urbains, avait en effet l’habitude de traîner son phonographe dans la ménagerie familiale. Il capta ainsi le chant d’un shama à croupion blanc, inaugurant de ce qui allait devenir une véritable discipline : l’audio-naturalisme.
Alexandre Galand, docteur en histoire, art et archéologie, détaille cette pratique méconnue dans un livre, Field recording. Enregistrements de la faune (biophonie), bruit de la pluie, du vent, des volcans, des vagues (géophonie), sans oublier les captations de musiques du monde entier, dans les îles du Pacifique, chez les Inuits, au Rajasthan ou dans le Mississippi, l’exercice se situe à la croisée de la démarche artistique et scientifique.
Sciences et Avenir: A la lecture de votre livre, les disques de chants d’oiseaux semblent avoir d’abord une vocation artistique. Ont-ils aussi une visée scientifique ?
Alexandre Galand: L’audio-naturalisme s’est principalement développé en dehors du cadre de la recherche académique. La dimension artistique de cette pratique paraît évidente : on n’enregistre et on n’édite pas de la même manière un chant d’oiseau, le brame du cerf ou le roulement des vagues. Cela dit, l’audio-naturalisme relève de plusieurs domaines scientifiques : la biologie, l’acoustique ou la géographie, et l’audio-naturaliste est souvent un bon naturaliste avant tout.
Les disques engendrés peuvent donc être écoutés pour le loisir, l’évasion, mais aussi participer d’une prise de conscience des problèmes écologiques de notre temps. Sans oublier la portée éducative; je pense aux guides conçus pour apprendre à reconnaître les chants et cris d’oiseaux.
SetA: De tels enregistrements ont-ils suscité de réelles découvertes ?
AG: C’est en tout cas un terrain d’études très fertiles. Il suffit pour s’en rendre compte de consulter la revue Bioacoustics.
Il faut aussi mentionner l’existence de la zoomusicologie. Cette discipline, contestée, étudie les aspects musicaux des productions acoustiques animales : les structures, les répétitions ou encore la durée des intervalles des cris et chants animaux.
Pour les domaines qui m’intéressent, c’est-à-dire ceux du disque et des interpénétrations entre art et science, je retiens le cas du compositeur californien David Dunn. Pour son disque The Sound of Light in Trees, il a conçu un système d’enregistrement de très petite taille afin de révéler le paysage sonore de l’intérieur d’un pin à pignons, un arbre du nord du Nouveau-Mexique. Dunn souligne alors un problème écologique majeur : la prolifération des scolytes. Ces coléoptères xylophages consomment habituellement le bois des arbres les plus faibles et participent ainsi à la régénération des forêts. Or, avec le changement climatique entraînant des hivers plus chauds, ces insectes ont tendance à se multiplier et à décimer des forêts entières. Dunn a collaboré avec des agents forestiers afin de localiser les populations d’insectes sur le point de s’activer, en se fondant sur leur production sonore. Ce travail a permis de prendre des mesures pour freiner l’expansion des colonisateurs.
SetA: Et dans le domaine des musiques traditionnelles ?
AG: Là, l’origine de la captation de musiques sur le terrain (field recording, en anglais, ndlr), est directement liée au domaine scientifique. Jusqu’aux années 1950 et 1960, ce sont presque uniquement des ethnomusicologues qui enregistrent. La pratique n’est pas encore disponible pour le tout venant, notamment en raison du coût des appareils que seules des institutions officielles peuvent prendre en charge.
SetA: Que recherche l’ethnomusicologue ?
AG: Il serait difficile de le résumer en quelques phrases, mais disons que l’ethnomusicologie s’intéresse notamment aux origines de la musique (qui d’après certains serait apparue avant le langage). Qu’est-ce qui, parmi les différentes productions sonores humaines, peut être considéré comme de la musique, et par qui ? Existe-t-il des universaux, c’est-à-dire des traits communs à des groupes humains parfois très éloignés géographiquement, dans la pratique, la manière de penser et les structures de la musique ?
Avec des gens comme Alan Lomax, Hugh Tracey ou Deben Bhattacharya apparaissent ensuite des collecteurs de musiques non plus seulement intéressés par leur portée scientifique, mais aussi par leur valeur patrimoniale et leur capacité à susciter l’émotion. Transmettre ces musiques vers un plus large public est d’une importance capitale.
SetA: Côté technique, on est passé du phonographe au nagra et aujourd’hui aux enregistreurs numériques. Cette évolution vers plus de maniabilité a-t-elle fait évoluer le « field recording », tant dans sa pratique que dans ses contenus ?
AG: Jusqu’au milieu du 20e siècle, la durée d’un enregistrement au phonographe est très limitée. Avec l’invention du magnétophone, mais aussi avec les disques 33-tours de longue durée, on a pu donner une meilleure idée de ces sons et musiques et de leur contexte d’exécution.
Il reste que l’usage du matériel le plus sophistiqué n’est jamais une garantie de réussite artistique. Dans l’enregistrement de terrain, l’écoute est une étape primordiale. Savoir réagir de manière sensible, parfois intuitive, à l’irruption de phénomènes sonores intéressants est tout aussi important. La technique ne favorise en rien ces aptitudes.
SetA: Vous expliquez qu’il existe de moins en moins d’espaces vierges, que les captations de sons de la nature sont souvent parasitées par la présence humaine. Faut-il la gommer ? D’autant que le numérique facilite les choses..
AG: La possibilité de manipuler des sons n’a pas attendu le numérique pour se développer. Echantillonner des disques, découper la bande magnétique, accélérer ou décélérer, ajouter des effets : tous ces procédés existent depuis des décennies.
Dans le cadre de l’audio-naturalisme, l’opérateur doit au minimum restituer des enregistrements respectant la cohérence écologique (cohabitation des espèces). Pour le reste, gommer la présence humaine est impossible, l’enregistrement lui-même est dû à la présence et à l’action d’un audio-naturaliste ! Ensuite, en occultant les bruits d’origine anthropique (rumeur urbaine, moteurs d’avions), ne risque-t-on pas de transmettre un fantasme de nature plutôt que sa réalité, même si celle-ci est décevante ? Ce choix revient à l’opérateur.
LIRE. Alexandre Galand, Field recording, l’usage sonore du monde en 100 albums, Le mot et le reste, 2012, 312 pages.
ECOUTER. Le catalogue de Frémeaux et Associés Editeur proposent, entre autre, des disques de sons de la nature et de musiques traditionnelles. Le site Naturophonia vend en téléchargement plus de 230 sons.
Rien à voir avec cette émission freak out! iet c’est bien comme ça, Glitch recommande également la lecture de Field recording, l’usage sonore du monde en 100 albums par Alexandre Galand sorti ce mois ci aux éditions Le mot et le reste… PASSIONNANT !
Deux livres et un double CD pour mieux comprendre le travail des explorateurs de sons, aujourd’hui tellement vénérés par les “vinyl diggers”.
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Dans un autre livre qui vient de paraître, Filed Recording – l’usage sonore du monde en 100 albums, il est bien sûr question d’Alan Lomax. Ce passionnant bouquin d’Alexandre Galand présente, via des disques et des entretiens, les différentes formes d’enregistrements de terrain – depuis les bibliothèques sonores de cris d’animaux jusqu’aux oeuvres de musique concrète en passant par les musiciens de rue et de folk. Une mine d’idées shopping pour les vinyl diggers.
Field recording. Aujourd’hui cette anglo-saxonne expression, qu’on ne saurait traduire par “paysage sonore” (cf. les commentaires ci-dessous), mais qu’on peut entendre comme “enregistrement de plein champ” ou “enregistrement de terrain”, devient un mot de passe. Mode ou conséquence des évolutions techniques, de nombreux artistes se réclament aujourd’hui du field recording. Il est temps d’en parler pour savoir ce qu’il y a d’artistique à enregistrer une route, une rue, un chemin ou des oiseaux. Outil ou genre? Méthode ou fin en soi? Alexandre Galand, auteur de Field recording, l’usage sonore du monde en 100 albums, aux éditions Le Mot et le Reste (où il convoque notamment la figure de l’écrivain-voyageur Nicolas Bouvier), est avec nous pour nous aider à répondre de manière illustrée. Le compositeur et artiste sonore Pali Meursault, dont la prochaine pièce Offset est bientôt disponible, est là aussi. On s’appuie sur les productions de son label Universinternational, qui existe depuis dix ans.
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L’ATELIER DU SON – FRANCE CULTURE
Publiée chez Le Mot Et Le Reste, l’anthologie Field Recording, l’usage sonore du monde en 100 albums d’Alexandre Galand nous invite à croiser les chemins de zoologistes preneurs de sons, d’ethnologues luttant contre l’oubli et de porteurs de microphones dont les diverses approches convergent dans un désir commun de restituer l’inépuisable richesse de notre environnement sonore.
La fascination des hommes pour les sons qui les entourent et leur reproduction remonte à la nuit des temps. Alexandre Galand illustre ce vieux fantasme en citant François Rabelais qui dans le Quart-Livre (1552) fait assister Pantagruel au « gel » puis au « dégel », le printemps suivant, des paroles et autres bruits entendus sur le champ de bataille. Fixer les sons pour les répéter et les comprendre, mais également pour les archiver. La possibilité d’immortaliser ces précieux bruits ne verra le jour qu’à la fin du XIXe siècle, avancées techniques aidant, avec le phonographe d’Edison. Comme l’explique Galand, l’enregistrement de terrain (field recording), a germé et évolué en parallèle des innovations techniques et de la portabilité croissante des moyens d’enregistrement au fil du XXe siècle. Les premiers magnétophones Nagra apparaissent vers 1950 et, dix ans plus tard, la démocratisation des moyens d’enregistrement et des voyages ouvre ce nouveau domaine d’exploration à maints amateurs passionnés.
En juin 1998, dans la rubrique « The Primer », consacrée à un genre musical illustré de références discographiques, le magazine anglais The Wire avait sous la plume de Richard Henderson donné une vision très restrictive du field recording en le limitant à son seul pan ethnomusicologique. Selon Galand, l’enregistrement de terrain consiste en trois vastes domaines aux frontières peu marquées. Dans son anthologie, avant de se livrer à une sélection commentée de cent albums proposant autant de facettes possibles, il définit dans une longue et passionnante introduction ces trois domaines : la captation des sons de la nature, celle de la musique des hommes, et la composition. Chacune des descriptions de ces sous-genres est conclue par une interview d’un de ses protagonistes les plus marquants. S’agissant de l’audio-naturalisme, l’auteur s’attarde sur les enregistrements de chants d’oiseaux de Ludwig Koch et donne la parole à Jean C. Roché. La section dédiée à l’ethnomusicologie nous fait voyager entre le gamelan de Bali, les cérémonies mazatèques du champignon sacré au sud du Mexique et le New York de Moondog , s’attarde sur les travaux d’Alan Lomax, Deben Bhattacharya et Hugh Tracey et rappelle l’importance de labels comme Folkways, Dust-to-Digital, Topic, Ocora et Auvidis avant de poser quelques questions à Bernard Lortat-Jacob. Enfin la partie consacrée à la composition revient entre autres sur les œuvres et les approches de Luigi Russolo, Pierre Schaeffer, Walter Ruttman, Luc Ferrari, Michelle Bokanowski, Chris Watson et sur les labels Lovely Music, Wergo, Touch, empreintes DIGItales et Bruit Clair, tout en laissant la conclusion à Peter Cusack.
Cette curieuse et passionnante anthologie aborde avec une acuité stimulante les enjeux techniques, scientifiques et artistiques qui sous-tendent le field recording, multipliant les repères historiques et les citations finement choisies pour dresser au final une cartographie infiniment précise d’un champ artistique aussi fertile que méconnu. Ainsi sommes-nous désormais plus à même d’appréhender et comprendre voix et bruits, aussi infimes soient-ils, du monde dans lequel nous vivons.
Capter le blues du Mississippi, les flûtes du Rajasthan ou les chants des oiseaux… une pratique décrite dans deux ouvrages passionnants.
Qu’est-ce qu’un « field recording » ? Deux livres, passionnants et complémentaires, cernent la question. Dans le premier, The land where the blues began, traduit près de vingt ans après sa parution américaine, Alan Lomax raconte par le détail comment, dès les années 1930, avec son père John, il a enregistré dans le delta du Mississippi des musiciens noirs aussi démunis que talentueux. Certains de ces bluesmen s’appelaient Son House, Leadbelly, Big Bill Broonzy, Muddy Waters. Il s’agissait de garder la trace, même fugace, d’un foisonnement musical alors non reconnu, à la fois primitif et sophistiqué. Ce travail de défrichage a donné quantité de recueils et d’anthologies, qui forment une encyclopédie vivante du folk et du blues, et continuent d’exercer leur influence aujourd’hui. Sous-titré L’Usage sonore du monde en 100 albums, en hommage à l’écrivain voyageur Nicolas Bouvier, l’ouvrage d’Alexandre Galand, Field Recording, élargit la notion d’« enregistrement de terrain ». Sa recension part d’une vision ethnographique pour dériver jusqu’à la musique concrète et aux « captations d’environnement sonore ». On y croise donc des chants d’oiseaux, des flûtes du Rajasthan… et les Prison Songs collectées par Alan Lomax.
Alan Lamb est chercheur en neurophysiologie. En 1976, il découvre en périphérie rurale de Perth, Australie, plus d’un kilomètre de fils téléphoniques abandonnés, soient douze poteaux et six fils dégainés. Agités par le vent, ces fils produisent des sons, un chant de la rencontre entre une production humaine abandonnée et une énergie naturelle, autonome. Un baptême, « Faraway Wind Organ », des micros pour des heures d’enregistrement, les éléments étant sensibles à des évènements aussi subtils que le trot des pattes d’une araignée, et parmi d’autres résultats, un disque brut, Archival Recordings sorti en 1995, aux deux longues pistes d’un drone né de reliques industrielles, hypnotique, dense, vivant.
Ce disque, avec quatre-vingt-dix-neuf autres, est présenté par Alexandre Galand dans Field Recording, L’Usage sonore du monde en cent albums, immersion dans l’univers des enregistrements dits de terrain. Une anthologie donc, mais aussi une introduction élégante, des interviews d’acteurs majeurs et qui permettent de saisir les trois principales démarches regroupées sous cet alias unique, audio-naturalisme, collecte ethno-musicologique, composition, et leurs fertiles interpénétrations. Le style ne pèche jamais tant la phrase est alerte, vive, concise. Le néophyte pris du minimum vital de curiosité désespérera vite de trouver le temps de localiser puis d’écouter l’intégralité des disques choisis, tant Galand sait transmettre la joie qu’il a éprouvée à la découverte de chacun d’entre eux. Un micro, un enregistreur, un disque, et le monde est à nouveau là, devant soi, prêt à l’usage, prêt à la sauvegarde, pour qui veut s’en donner la peine.
Alexandre Galand était invité à participer à cette émission (lien vers le podacast ICI). Eric Serva chronique ainsi son ouvrage Field Recording :
“Le Field Recording si nous employons souvent cet anglicisme dans le monde musical je vous avoue qu’a chaque fois elle me gêne un petit peu. Bien sûr les habitués savent de quoi il retourne mais cette terminologie empruntée englobe tant de choses qu’on ne peut pas savoir, sans autres précisions, de quel type de sons, de bruits ou de musiques il est question. J’ai toujours considéré que, par opposition avec les musiques créées par l’homme, on pourrait peut-être parler de musiques du réel, celles des sons de la nature ou des villes avec tout ce qu’elles peuvent comporter comme diversité, avec ou sans une présence humaine en arrière plan, avec ou sans celle d’objets sonores. Mais Alexandre Galand présente fort bien, sur plus de 300 pages, une vision très large du field recording qui inclue les enregistrement de voix, de chants et de danses. Vous y retrouverez donc dans le descriptif de cette discipline : Le travail d’audio-naturalistes, d’ethno-musicologues, de compositeurs de musique ainsi qu’une sélection (qui a du être un véritable casse-tête tant la discographie est énorme) d’une centaine de disques de références agréablement chroniqués. Tout cela est complété par une liste annexe de plus de 200 albums, une bibliographie et pas mal d’adresses de sites internet. Le voyage sonore est sans fin : Du Weather Report de Chris Watson qui nous emmène au Kenya, en Ecosse, en Islande, Douglas Quin qui enregistre les grands silences de l’Antarctique, les magnifiques disques de chants d’oiseaux réalisés par Jean Roché, Akin Fernandez qui nous fait découvrir de très mystérieux messages captés sur les ondes courtes, les compositions de musiques concrète de Michèle Bokanovski, de Pierre Henry, de Luc Ferrari ou de Moondog qui utilisent tour à tour les sons du cirque, de la ville ou du quotidien, le Mali enregistré par Martine Tucker, les flûtes du Rajasthan par Genevièvre Dournon… Ce livre est une mine d’une richesse et d’une diversité sonore passionnante et plus attrayante que la plupart des catalogues d’agences de voyages. Pour illustrer cet ouvrage, je vous propose d’entendre un petit mixe de sons de fauves et d’orage enregistrés au Kenya par Chris Watson au Kenya suivis de joueuses de Luth enregistrées aux Philippines par Boris Lelong pour l’association Altamira et quelques conversations captées sur les ondes et mises en musique par paddy McAloon sur son magnifique album intitulé I Trawl the Megahertz.” (Eric Serva pour France Musique – décembre 2012)
Dans W2 [1998–2008], Eric La Casa citait déjà Nicolas Bouvier et L’Usage du Monde : « Certains pensent qu’ils font un voyage, en fait, c’est le voyage qui vous fait ou vous défait. » Au tour aujourd’hui d’Alexandre Galand, ancienne plume du son du grisli mais plus encore docteur ès Maîtres fous (autre hommage qui trahit chez l’homme un goût pour l’ethnologie mêlant image et son) d’adresser une pensée à Bouvier – et à ses souvenirs de voyages recueillis sur Nagra dont traitait L’oreille du voyageur il y quelques années – dans le sous-titre de l’ouvrage qu’il consacre aux enregistrements de terrain : Field recording.
Presque autant que le monde dont Bouvier fit l’usage, le champ est vaste et divisé en plus en bien nombreuses parcelles (écologie, documentaire, création radiophonique, biographie, journalisme, musique…) : une grande introduction le rappelle, qui dit de quoi retourne l’exercice du field recording : à défaut de définition arrêtée, une description large qui explore trois grands domaines : captation des sons de la nature, captation de la musique des hommes et composition.
Passée une brève histoire de systèmes d’enregistrement que l’on peut emporter, voici que s’ouvre un livre que l’on dira « des Merveilles » pour évoquer un autre voyageur d’importance. Traitant de nature, l’anthologie raconte d’abord les enregistrements d’oiseaux de Ludwig Koch et donne la parole à Jean C. Roché. Traitant d’ethnomusicologie, elle insiste sur les enregistrements faits « sur le terrain » de chants à sauver à jamais de l’oubli (fantômes d’Alan Lomax et d’Hugh Tracey) et interroge Bernard Lortat-Jacob. Traitant enfin de musique, elle retourne à Russolo, Ruttman et Schaeffer, avant de mettre en lumière des disques signés Steve Reich, Luc Ferrari, Alvin Lucier, Bill Fontana, Eric La Casa, Kristoff K. Roll, BJ Nilsen, Aki Onda, Eric Cordier, Geir Jenssen, Laurent Jeanneau, Jana Winderen… et de laisser Peter Cusack expliquer ses préoccupations du jour.
A l’image du « field recording », le livre est protéiforme, curieux et cultivé. Il est aussi l’œuvre d’un esthète qui ne peut cacher longtemps que l’idée qu’il se fait du « beau » a eu son mot à dire dans la sélection établie. Non moins pertinente, celle-ci profite en plus et en conséquence de citations littéraires – de Rabelais à Apollinaire – qui tombent toujours à propos. Comme le fera ici, en guise de conclusion, cette sentence de Victor Hugo qui inspira Pierre Henry : « Tout bruit écouté longtemps devient une voix. »
Archipel épisode 2/2 consacré à Field Recording à réécouter ICI
Recensés par le jeune historien belge Alexandre Galand, les disques présentés dans ce nouvel ouvrage “Field Recording- L’Usage sonore du monde en 100 albums” (Editions le mot et le reste) témoignent d’une activité vaste et méconnue. Ou comment rendre compte du monde qui nous entoure par l’oreille, le micro et la table de montage, des chants inuits aux cris des singes, en passant par le bruit des trains et le son des plantes.
Un reportage de 12 mn dans le cadre de l’émission Magma à réécouter ICI
Le jeudi 22 novembre 2012, Christophe Bourseiller a eu un coup de cœur pour l’ouvrage Field Recording. Il en parle dans sa matinale.
À réécouter ICI (coup de cœur à 21 mn)
Le 19 novembre dans l’émission BIG BANG !, Sébastien Biset invitait Alexandre Galand pour son ouvrage “Fieldrecording, l’usage sonore du monde en 100 albums”.
Une émission à réécouter ICI
Depuis la fin du XIXE siècle, des hommes comme Alan Lomax et Chris Watson courent le monde, immortalisent le vent, le chant des prisonniers, des pêcheurs et des baleines, l’enregistrement de terrain fait aujourd’hui l’objet d’un livre : FIELD RECORDING : L’USAGE DU MONDE EN 100 ALBUMS. Voyage voyage…
Le field recording, c’est souvent l’histoire de mecs qui mettent leur micro là où on risque de ne jamais glisser l’oreille. [...] Il n’est ni un genre ni une école. Il est un ensemble de pratiques. Des pratiques qui s’intéressent à des objets très diversifiés comme la vie quotidienne et domestique, la paysage sonore d’un lieu, d’un village, d’une région. [...] Ou plus largement, des situations rares voire exceptionnelles. Du moins à nos tympans. [...] Né en 1979, fasciné par les musiques expérimentales te les relations de l’Homme avec son milieu de vie, Alexandre Galand est docteur en Histoire, Art et Archéologie. Il se passionne pour les disciplines artistiques de donnant le monde pour objet. Le cinéma documentaire, le récit de voyage et le nature writing, la peinture de paysages mais aussi, donc, le field recording auquel le Liégois vient de consacrer un livre, Field Recording. L’Usage du monde en 100 albums.
”Le field recording, c’est la magie de la fugacité, explique-t-il. Quelque chose qu’on croise de manière relativement inopinée. Dans la vie de tous les jours ou dans des circonstances plus exotiques. Dès que le son est produit, il appartient au passé. Avec ma formation d’historien, j’y suis extrêmement sensible. Surtout dans le contexte actuel où tout s’uniformise.”
[...]
Le Mot et le reste s’est fait une spécialité des bouquins qui nous promènent dans des courants musicaux à travers de savantes sélections de disques. Le Liégeois Alexandre Galand se penche sur le field recording, l’enregistrement de terrain, et en recommande 100 plaques décryptées après une introduction historique explicative et trois interviews de spécialistes. Un peu brainly, certes, mais passionnant.