Revue de presse
Guillaume Kosmicki a été interviewé par deux journalistes de l’équipe de Greenroom à l’occasion des vingt ans de la Techno Parade. Témoignages.
DJ mis sur écoute ou épiés par les renseignements, descentes de police lors des rave parties… En 1998, en réaction aux menaces des autorités, les grands acteurs de la scène électronique française défilent dans Paris, sur des 38 tonnes sonorisés. Ainsi fut la première Techno Parade, qui a rassemblé jusqu’à 200 000 personnes place de la Nation pour le set de Laurent Garnier. Une grande histoire toujours en marche, parsemée de jets de sucettes, de castagne, de lycéens épris de tecktonik, et d’un Président de la République en rave party. Vingt ans plus tard, et pour la première fois, (presque) tous les protagonistes racontent.
Jack Lang, ancien ministre de la Culture, président de l’Institut du Monde Arabe : Peu de gens le savent, mais la France est une terre de naissance de la musique électronique. Il y avait, au sein de l’ORTF (ancien office de l’audiovisuel public, ndlr), un centre de recherche en musique expérimentale.
Jack de Marseille, DJ : A la fin des années 1980, l’acid house, populaire en Angleterre et aux États-Unis, arrive timidement en France. La première fois que tu entends ces sons-là, tu te demandes un peu ce que c’est. Très vite, j’ai cherché des endroits où on pouvait danser sur cette musique. Dès 1990, c’est réellement l’aspect communautaire qui m’emballe : la techno et la house étaient des musiques de marginaux. On ne s’habillait pas comme tout le monde et on éprouvait un sentiment de liberté incroyable en soirées.Jack Lang : C’est en Allemagne de l’Est que la techno est apparue comme art de résistance. Ma première expérience techno, je l’ai vécue à Berlin Est en 1988. J’étais en voyage officiel avec le Président François Mitterrand. Heiner Muller, un dramaturge et auteur très célèbre à l’époque, vivait sur place et nous a dit : « Venez, je vous emmène quelque part ! » Et on s’est retrouvé dans une sorte de chantier, plus ou moins abandonné, où se tenait une rave party.
Josselin Hirsch, premier président de Technopol, association à l’origine de la techno-parade : Avec mes potes, on n’hésitait pas à faire 500 kilomètres pour aller à des soirées techno, comme à la friche la Belle de Mai de Marseille. On a vite lancé une émission de radio. Un jour, un inconnu à Montpellier nous a contacté et nous a proposé d’organiser une rave : la Neuro rave. Le type a disparu avec la caisse… Ça nous a quand même permis de nous établir en tant que collectif. On était une vingtaine et on a lancé la première soirée « Boréalis » en 1993 au New-York à Pézenas.
Jack de Marseille : J’ai mixé à cette soirée d’ailleurs, sur le parking du club !
Josselin Hirsch : 2500 personnes se sont ramenées. Tout le monde avait la sensation de vivre quelque chose à part. Quand tu étais dans les soirées, l’ambiance n’avait rien à voir avec les discothèques, où les filles se faisaient draguer lourdement, la musique était celle de nos parents. L’arrivée de la techno a été un changement de paradigme complet.
Eric Morand, co-fondateur avec Laurent Garnier du label F-Com : J’ai commencé à organiser des raves quand je travaillais pour le label Barclay. J’étais déjà à l’époque dans la house et la techno. Au même moment, je rencontre Laurent Garnier. On a tout de suite sympathisé et on est devenu potes, puis on a monté ensemble le label F-Com en 1994. Entre-temps, en 1992, nous avons organisé une rave à l’Arche de la Défense.
« LES RENSEIGNEMENTS AVAIENT NOS NOMS »
Jack Lang : Pour des raisons très étranges, les musiques électroniques et les raves ont commencé à susciter une sorte de méfiance, de peur même, plus ou moins irrationnelle et la musique techno avait été présentée par certains dans la presse et dans la politique comme une musique du diable. On s’imaginait que les participants y célébraient je ne sais quel rituel satanique.
Josselin Hirsch : C’était une sous-culture, complètement minoritaire, mal vue, associée à la drogue.
Jack Lang : Je ne sais pas comment cette image s’est propagée. Il y a probablement eu des incidents ici ou là, avec des maires… Mais la France est un pays à la fois révolutionnaire et réactionnaire.
Jack de Marseille : A partir de 1993 ou 1994, les flics nous emmerdent. Les services de renseignements avaient nos noms, ceux de tous les fanzines électro, de tous les DJ, de tous les organisateurs. Des hélicoptères de police volaient au dessus des raves ! On m’a même mis sur écoute ! On nous prenait pour des activistes, quoi. D’ailleurs, pour les flics, « DJ » ça signifiait « Dealer Jockey » !
Josselin Hirsch : Je me souviens qu’à Pézenas, il y avait même un gendarme qui faisait le tour des lycées pour faire de la prévention anti-rave auprès des jeunes.Jack Lang : Chacune des formes musicales contemporaines s’est heurtée à une réticence et à une hostilité. Les concerts de rock de groupes indépendants faisaient déjà l’objet d’interdits dans les années 1980.
Tommy Vaudecrane, président actuel de Technopol : Lors d’une free party dans un entrepôt de Melun, on s’est fait encercler par les CRS, qui ont cassé les vitres du bâtiment et ont tiré des bombes lacrymogènes à l’intérieur. Tu avais une porte de deux mètres sur deux pour sortir mais il y avait 4000 personnes dans l’entrepôt… c’était ultra violent !
Christophe Crénel, rédacteur en chef de Plus vite que la musique sur M6 : En même temps, c’était quand même Charles Pasqua en poste au ministère de l’Intérieur jusqu’en 1995, donc pas vraiment un raver dans l’âme…
Jack de Marseille : Pour contrer cette mauvaise image, la scène techno française avait besoin de se construire une légitimité artistique.
Eric Morand : Même dans l’industrie du disque, la techno n’était pas reconnue. Quand Pascal Nègre a repris Barclay, la musique électronique n’était pas son truc. Tout le monde me prenait pour un fou furieux quand je parlais de techno… Lorsque je leur ai fait écouter les premiers morceaux de Laurent Garnier, ils m’ont répondu avec une drôle de voix : « Oh ! Dis-Donc ! On dirait du Jean-Michel Jarre ! » A partir de là, j’ai compris que je perdais mon temps…
[…]
« PHASE DE RÉUNIONITE AIGUË »
Christophe Vix : À la base, le nom « Techno Parade » ne partait pas favori. On pensait appeler ça « Charivari » ! C’était pas mal, alors que Techno Parade, c’est plus littéral.
Sophie Bernard, membre de Technopol de 1997 à 2009 : C’était mon idée, Charivari ! Parce que j’étudiais l’Histoire médiévale à cette époque. Le charivari était une sorte de carnaval au Moyen-Age, un truc dionysiaque qui s’entendait de loin.
Eric Morand : Il y a eu une phase de réunionite aiguë pour monter l’événement. Certaines se tenaient d’ailleurs chez Jack Lang.
Christophe Vix : Je me souviens très bien de toutes ces réunions. Il y a eu beaucoup d’engueulades, sur tous les sujets possibles : financiers, offres des chars… ça se tapait dessus, ça s’envoyait des bourre-pif en pleine réunion…
Samuel Raymond : C’était violent. Mais ça m’a appris mon métier. Voir chacun essayer de tirer la couverture sur soi, se battre pour savoir qui présenterait l’événement. Certains n’arrêtaient pas d’essayer de doubler les autres ou de s’imposer. C’était la guerre !
Eric Morand : Les grands absents de ce moment-là, c’est la French Touch. Dès l’apparition du projet de la Techno Parade, toute cette génération, les Daft, les Sinclar, a été contactée et tous ont dit : « Ah non mais nous on n’est pas techno ». Ce n’était pas leur truc, ils n’étaient pas du tout militants…
Christophe Vix : Ils nous trouvaient déjà ringards. Ils n’aimaient pas le côté rave qui sent la gadoue. On était moins élitistes que toute cette nouvelle scène. Ils ne se revendiquaient pas de la même histoire, alors que. D’autres ont refusé de participer, des collectifs qui refusaient l’idée de défiler avec des sponsors.
« LES CANDIDATURES PAR FAX »
Guillaume Kosmicki, musicologue, spécialiste de la musique électronique et auteur de deux livres, sur les musiques électroniques et les free party) : Pour avoir le droit d’organiser une fête sur un char, il fallait payer cher. Les collectifs de free party ne pouvaient pas être en accord avec cet état d’esprit, ils venaient d’un système qui marchait sur le troc, il y avait un esprit libertaire.
Josselin Hirsch : De toute façon, on ne pouvait pas monter ça sur nos propres fonds. C’est un événement qui coûtait 1,8 million de francs, on était donc obligé de faire appel aux sponsors.
Sophie Bernard : Une fois l’événement validé, j’étais chargée de l’attribution des chars. Une vraie galère. Il fallait programmer quarante chars et respecter certaines contraintes : on devait représenter tous les styles et s’assurer que les collectifs viennent de partout en France, dans un souci de représentation. Et à l’époque, on recevait les candidatures par fax !
Samuel Raymond : On a reçu de l’aide de tout le monde. Pour la grande scène place de la Nation, ça coûtait un max. On nous a alors filé les contacts de Jean-Paul Goude pour la scénographie et on a passé une après-midi chez lui avec Sophie Bernard à discuter.
Sophie Bernard : C’était « Monsieur scénographie » en France. Je me rappelle que chez lui, il y avait plein de photos monstrueuses accrochées aux murs. J’étais tellement impressionnée que je n’ai pas décroché un mot.
Samuel Raymond : Il a fini par nous donner des éléments graphiques. Tout ça gratuitement ! C’était en mode : « Venez chez moi les jeunes ! On boit un thé, on fait des dessins, vous m’expliquez votre truc. Ah, je vois qu’on pourrait faire un truc comme ça… » Cette spontanéité était vraiment géniale !
UNE FÊTE TOUTE LA NUIT DANS UN TRAIN
Guilaume Kosmicki : Pendant toute la semaine qui a précédé la Parade, beaucoup d’événements off se sont tenus, comme des petits squats dans des lieux associatifs. Il y avait du côté de la Villette, sur le canal de l’Ourcq, une semaine d’événements techno avec un thème par soir organisé par le collectif Freaks Factory : une soirée hardcore, une soirée trance. Et puis, le grand jour avec le défilé et ces milliers de raveurs.
Christophe Crénel : M6 avait misé gros sur l’événement. Plus vite que la musique avait pour mission de couvrir la journée avec quelques directs. On a même filmé les voyageurs de l’association Zenophobia qui sont partis la veille de Toulouse, dans un train spécialement affrété par la SNCF avec des DJ à l’intérieur. Autant dire que certains étaient en grande forme quand le cortège a démarré Place Denfert-Rochereau à 14h…
Sébastien Lara, membre de l’association Zenophobia : J’ai demandé à un gars qui bossait à la SNCF : « Vous n’auriez pas un wagon qu’on pourrait aménager en club pour aller sur Paris ? » Étonnement, le mec m’a répondu que oui. Pour 150 francs, on a pris des passagers à Toulouse, Montauban et Cahors. Il y avait une cabine DJ où des platines étaient installées sur des bouées pour que le diamant des platines ne saute pas. Vers 21 heures, on a commencé à envoyer le son, les lumières et à ouvrir le bar. C’était un vrai club, quoi ! Le seul arrêt s’est fait à Limoges, vers 3 heures du matin où tout le monde est descendu sur le quai pour danser. On a dû retarder le train. On était une centaine environ, tous entre 20 et 50 ans. On a fini par arriver à Paris sur les coups de 7 heures du matin. Imaginez l’état !
Eric Morand : C’était très tendu sur le parcours, du fait de la fréquentation. La RATP aussi a morflé.
Guillaume Kosmicki : Je sortais d’un after, je n’avais pas dormi de la nuit et lorsque j’ai pris le métro pour aller à la parade du côté de Denfert-Rochereau, la rame s’est arrêtée. Il n’y avait plus moyen de continuer car les stations étaient blindées. C’était fort. Les wagons étaient remplis de teufeurs et de raveurs, et j’ai entendu la voix du chauffeur dire : « Pour cause de Techno Parade, le métro ne peut pas aller plus loin, nous vous invitons à descendre sur ce quai ». Tout le monde a commencé à hurler, c’était super.
Sophie Bernard : Une fois sur place, on a halluciné. C’était un mélange de stupeur et d’excitation absolue face à la foule qui se déplaçait. On était une petite équipe et on se rendait compte qu’on accouchait d’un gros, gros truc.
Sébastien Lara : Quand on est arrivé à la Techno Parade pour récupérer le char, on était morts ! On avait comme partenaire Chupa Chups, qui nous avait donné des tonnes de sucettes. Les personnes qui s’occupaient de la sécurité du char ont sans doute vécu les pires moments de leur vie. On arrêtait pas de jeter des sucettes aux gens et tous se jetaient sous le char pour aller en chercher… Un vrai bordel !
Josselin Hirsch : D’ailleurs, la seule plainte qu’on ait reçu après la Parade a été portée par une mère dont le fils s’était pris une sucette en pleine gueule.
(à suivre : la deuxième partie de la grande histoire de la Techno Parade)
RETROUVEZ L’INTERVIEW COMPLÈTE SUR GREENROOM
Les éditions Le mot et le reste rééditent un des livres les plus représentatifs de l’historique et de l’évolution de l’état d’esprit des free parties européennes. Pour ce document colossal conçu comme un recueil de témoignages, Guillaume Kosmicki met à profit sa fine connaissance du milieu avec des anecdotes issues de sound-systems précurseurs (Spiral Tribe, Heretik…), de cerfs plus récents (Epsylonn) et de quantité de travellers anonymes ayant pour certains poussé l’expérience jusqu’en Afrique et en Mongolie. Une des définitions les plus fidèles du mouvement, au croisement des avis, des expériences, et du ressenti !
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Musicologue spécialiste du mouvement free party, Guillaume Kosmicki est revenu pour i-D sur l’évolution de la techno, de son essence à ses dévoiements.
« Le boum boum est fédérateur, il structure l’architecture sonore » : Guillaume Kosmicki vit la techno comme un raveur mais quand il la pense, c’est avec une rigueur toute universitaire. Au début des années 1990, alors que les raves débarquent en France et qu’il achève sa licence en musicologie, il découvre un univers dont la singularité le frappe immédiatement : la fête n’a plus de durée, de scène, ni de lieu attitré. Il en parle à l’un de ses professeurs, qui saisit l’intérêt du mouvement naissant et l’incite à en faire le sujet de ses recherches. C’est le début d’une longue immersion dans les fêtes qui célèbrent la diffusion d’une nouvelle musique, la techno. Rapidement victimes de leur succès, raves et free parties mettent en avant un son différent et de nouvelles pratiques festives qui ne manquent pas d’attirer la curiosité des jeunes. La machine médiatique s’emballe, les décibels s’amplifient et alors qu’elle s’impose dans les clubs, la techno finit par alimenter les querelles opposant teufeurs, élus locaux et représentants du gouvernement. Mais à l’heure où sa diffusion massive tend à perdre de vue son pouvoir contestataire, Guillaume Kosmicki garde le souvenir d’une époque où l’on imaginait que la techno pouvait encore « changer le monde ». i-D l’a rencontré.
*En 1997, vous écriviez un article intitulé « Techno, une musique de révolte ? » en évoquant les difficultés rencontrées par les teufeurs pour se rassembler légalement. Quel était l’esprit qui régnait sur cette période ? *
À cette époque, je fréquentais à la fois le milieu des raves et des free parties. En 1995, une circulaire est tombée : « Les raves, des situations à haut risque », distribuée à tous les préfets de France, qui leur conseillait différentes méthodes pour pouvoir faire annuler ces événements. Cette circulaire ne s’adressait pas aux free parties, qui ne demandaient jamais l’autorisation mais plutôt à des événements de type rave, où les organisateurs étaient plus enclins à se mettre en accord avec la loi. À ce moment là en France, on a assisté à une vague d’annulations assez phénoménale, souvent le jour même, pour cause d’absence d’autorisations préfectorales. Ça a plombé beaucoup d’associations. Comme les free parties étaient alors encore difficiles à identifier, ce sont les raves qui ont été très pénalisées. Le public s’est donc rabattu sur les free parties avant que la répression ne s’organise et se répercute ensuite sur elles. Le terme « rave » a commencé à avoir mauvaise presse et même le mot de « techno » a progressivement disparu. Les journalistes se sont mis à parler de « musiques électroniques », c’était une tactique pour les rattacher à des musiques plus anciennes, comme les oeuvres de Pierre Henry ou Karlheinz Stockhausen. Ça a permis à la techno de retrouver ses lettres de noblesse.
En quoi l’illégalité a participé à la construction du mythe ?
L’illégalité a favorisé la radicalisation de la scène clandestine et la musique est elle aussi devenue plus violente. Il y avait une euphorie, une utopie, l’idée était de “changer le monde avec la techno”. C’est quelque chose qu’on entendait aussi dans les raves au départ. Des gens faisaient le choix de cette vie, pensaient que la techno pouvait changer les choses, ils militaient aussi pour la décroissance, pensaient pouvoir vivre de pas grand chose, dans des camions, grâce au recyclage et à la récupération. Ils vivaient pour le collectif, dans l’esprit de perpétuer ces fêtes. L’argent était secondaire.
Au-delà de l’aspect légal, qu’est ce qui distinguait réellement les raves des free parties ?
Le mouvement techno se réunissait déjà autour de pratiques particulières. Mais au début des années 1990 en Angleterre, des collectifs se sont mis à organiser des fêtes d’une couleur plus libertaire, même s’ils réfutaient le mot «politique» qu’ils considéraient comme un gros mot. C’était de la politique vécue au quotidien avec un mode de vie qui correspondait à des aspirations musicales et esthétiques. Une vie dans des camions, sans travail salarié régulier qui permettait à ces teufeurs de répandre la techno de manière nomade. Ce mouvement s’est appelé « free party » en référence à la liberté qu’il prônait mais il y avait aussi une idée de gratuité, de don. Les free parties se distinguaient par leur rapport à l’argent, privilégiant le troc et la donation à la différence de certaines raves qui fonctionnaient sur des buts lucratifs. Les deux mouvements ont été très proches avant qu’une scission advienne vers 1995. Le mouvement des free parties a alors eu tendance à se radicaliser musicalement en allant vers le hardcore et les musiques dures. Mais les raves hardcore ont aussi existé ! C’est donc plutôt la question du mode de vie qui a séparé les deux mouvements, l’investissement étant sans doute encore plus fort dans la free party où pouvait s’opérer un vrai décrochage, une immersion.
Qu’est ce qui rassemblait cette jeunesse ?
Le public qui fréquentait les raves et les free parties présentait de nombreuses similarités, même si le choix de décrocher de la société ne se posait pas dans le premier cas. La véritable différence se situait alors avec le clubbeur, beaucoup plus urbain et généralement doté d’un pouvoir d’achat supérieur.
Est-ce que ce mythe aurait pu exister avec une autre musique que la techno ?
La techno est une musique parfaitement en accord avec les idées utopiques qui ont accompagné sa diffusion. Son geste de composition est basé sur le collectif et rejette l’idée même de propriété privée. L’usage du sampler permet de prélever des tas de petits extraits de sons, y compris d’autres musiques. On peut les recycler, les réadapter, les recoller entre eux et fabriquer un morceau. Quand quelqu’un compose un morceau, il le fait pour la collectivité techno : un Dj va forcément s’en emparer et retailler dans le disque avec sa table de mixage, puis le fusionner avec un autre morceau. Au mieux, il va sublimer le titre, au pire le massacrer. Même un mix peut être re-samplé par un autre musicien : c’est un processus très horizontal, très différent de la propriété du morceau telle qu’on la conçoit dans d’autres musiques.
Ensuite, au sein du morceau même, la techno fonctionne sur des empilements de bandes sonores, souvent répétitives, qui forment des boucles. Le danseur peut librement se fixer sur tel ou tel son. Le “boum boum” est évidemment fédérateur : il structure l’architecture sonore. Mais n’importe quel élément est susceptible d’apparaître ou de disparaître : il n’existe pas de hiérarchie, pas d’élément principal, pas de pyramide avec un élément qui prédomine sur les autres et dirige l’ensemble. La différence avec un chanteur ou un solo de guitare, c’est que tous les autres instruments semblent là pour soutenir le reste, on retient la mélodie jouée par le soliste et pas forcément ce qu’il y a en dessous. À l’inverse, dans la techno, tous les éléments musicaux sont à égalité. Même le dispositif scénique est très horizontal : les artistes sont souvent au niveau des gens, devant le son pour abolir l’idée même de hiérarchie.
La starification du Dj est donc le plus grand écueil de la scène techno ?
La starification s’est opérée sur un milieu totalement différent mais même dans les free parties, j’ai vu des tentatives pour aller vers ce terrain-là. Pourtant, à la base, il s’agit de ne pas faire de show, de laisser faire les gens, les projections d’images et d’autres stimulations sensorielles. Jouer en live au milieu du public est une expérience très intéressante : on n’est pas sur des retours, on ressent les mêmes sensations que les danseurs et on perçoit les phénomènes de transe autour, la vibration est vraiment collective.
Vous redoutiez la dissolution de la techno dans le « clubbing ». Qu’est ce qui vous semblait contradictoire dans ce rapprochement ?
La pratique de la rave était révolutionnaire, parce qu’elle remettait totalement en question l’idée d’espace-temps. Il n’y a plus d’horaires, plus de barrières entre la scène et le public et pas de service d’ordre : tout est mêlé. Le club est un espace fermé alors que les raves se font dans la nature ou dans des bâtiments en ruines, dans un endroit qui laisse une liberté d’exploration. Les raves en pleine nature ou dans des friches laissent beaucoup plus de possibles de découvertes et d’auto-initiation que n’en permet le club.
Justement, les hangars et les lieux désaffectés sont aujourd’hui très prisés par de gros organisateurs de soirées techno. Quel regard portez-vous sur ces évènements à but lucratif qui surfent sur l’esprit « free party » ?
Je connais mal ce milieu et je ne me sens pas légitime pour porter un jugement dessus. Ce qui est intéressant, c’est que l’idée se réapproprier des friches a fait son chemin. Ça ne s’est pas seulement fait à travers la musique, la mode, a par exemple aussi joué un rôle important mais la rave a été très forte dans cette transition. C’est une belle idée de recycler des lieux, de récupérer des endroits à l’abandon plutôt que de détruire des espaces naturels. Aujourd’hui, l’idée est dans l’air du temps avec des friches artistiques, des réhabilitations de lieux désaffectés : c’est un phénomène géographique et social qui s’étend au niveau mondial, et que les raves avaient vu venir.
Comment expliquez-vous que la techno n’a pas pu résister à cet effort de récupération ?
La récupération est le propre de la société de consommation : c’est quelque chose d’incontournable. Dès qu’il y a une bonne idée, elle s’en empare et la dévoie, pour la mettre à son image. Alors qu’elles détournaient les codes de la publicité et cherchaient à lutter contre la société de consommation, les idées des situationnistes ont fini par servir aux publicitaires pendant les années 1980. Tout peut être subverti par cette grosse machine : la techno et les raves, qui étaient des idées de contestation dans l’action, ont elles aussi pu servir d’arguments commerciaux. Les nouvelles idées sont essentielles à la contestation parce qu’elles peuvent toujours être avalées goulument par la machine capitaliste et la société du spectacle. Alors qu’il était mal vu dans les années 1990, le mot « rave » est d’ailleurs revenu en force ces dernières années, notamment dans la bouche d’organisateurs de grosses soirées, pour se transformer en message publicitaire.
En entrant dans l’illégalité, les rave parties sont finalement devenues beaucoup plus visibles.
En 2001, le gouvernement a voulu légiférer sur le mouvement techno en ajoutant un amendement dans une loi sur la sécurité quotidienne, c’était le projet Mariani. Il y a eu des discussions, des rencontres entre hommes politiques et teufeurs. C’était un moment difficile car aucun d’entre nous n’étions prêts à ce genre de rencontre, nous étions tous assez naïfs à l’inverse des politiques qui eux ne l’étaient pas. Fallait-il accepter de débattre avec eux ou fuir la discussion ? Les sound systems se sont organisés pour envoyer des délégués. L’incompréhension était forte mais certains politiques ont réussi à comprendre que la rave party s’inscrivait dans la continuité de mouvements désintéressés. Ce fut une période très dense qui a permis de réunir des sound systems qui n’avaient jamais mené ce type de discussions. Certains crachaient sur ceux qui s’y rendaient, d’autres y voyaient l’occasion de changer : c’était une foire d’idées très contradictoires qui a duré plusieurs années et qui continue encore avec la relève des jeunes sound-systems.
En septembre 1998 a lieu la première Techno Parade. Comment est-elle reçue ?
La parade a été beaucoup critiquée parce qu’elle était organisée par de grands pontes de la techno. L’objectif était de réunir toute la « famille » de la techno mais la free party en était immédiatement exclue car il fallait payer pour pouvoir obtenir un char. Le fait que la publicité s’invite dans la parade a beaucoup affecté son image chez les teufeurs. Un Teknival près de La Villette a donc suivi la Techno Parade, resté dans les mémoires comme le « fuck tecknoparade » en réponse à l’événement dont Jack Lang s’était fait le porte-parole.
La techno n’a t-elle pas montré à ce moment là qu’elle pouvait être un outil politique ?
Elle a servi de tribune pour Jack Lang, qui s’est retrouvé à prendre la parole dans de multiples médias, ce qui l’a beaucoup aidé à conforter son image « cool ». Il s’en est servi comme d’un tremplin pour revenir sur le devant de la scène. Le mot politique ne me gêne pas du tout : tout ce qu’on fait est politique. Et comme pour toute musique, la manière de créer la techno, de la diffuser, de la concevoir est éminemment politique.
Conseils de lecture :
Musiques électroniques, des avant-gardes aux dance floors, Éditions Le mot et le reste
Free Party, Une histoire, des histoires, Éditions Le mot et le reste
Lire l’interview sur le site de I-D
A la fin des années 80, la vague des fêtes de musique électronique frappe l’Europe de ses premières notes. En Angleterre d’abord, puis ensuite en France, le phénomène des « Raves Party » débarque sans crier gare et il renverse tout ce qui se trouve sur son passage !
Dans leurs valises : les « Raves » réintroduisent avec elles un mode de vie et un état d’esprit qu’on avait oublié depuis les années « Woodstock ». Celui d’une fête qui rime avec liberté et qui se déroule hors de toute contrainte d’espace ou de temps ! Sur leurs platines : les DJ des « Sound systèmes », véritables maîtres de cérémonies, distillent un son d’un genre nouveau : brutal, rythmé et aliénant… de la musique House et par la suite de la techno à l’état pur ! Dans leurs poches : les fêtards, qu’on surnomme aussi les « raiveurs » (Ravers), sont prêt à braver les éléments pendant des jours pour communier avec la musique !
Véritable Ovni dans le paysage musical, les « Raves Party » tracent leur route de rassemblements en rassemblements, de festivals en festivals ! À chacun de leur passage, à proximité des villes ou dans les campagnes, elles suscitent autant d’engouement qu’elles engendrent d’inquiétudes voir d’incompréhensions… Car bien malgré elles, ils planent au-dessus du mouvement le spectre de la violence, de l’incivisme et de la consommation de drogue ! De fausses idées reçues qui, largement relayées dans la presse, vont être à l’origine d’une sévère campagne de répression par les responsables politique. Au point que progressivement muselées, les Raves Party vont être concurrencées par un autre type de fête, encore plus libertaires celles-là, les « Free Party » !
Alors quelle est donc l’origine de ces fêtes sur fond de musique électronique qu’on appelle plus communément « les Raves » ? Comment sont-elles arrivées en France ? Quelles sont les véritables motivations de leurs organisateurs ? Pourquoi le mouvement s’est-t-il divisé entre légalité et illégalité ? Et enfin comment les pouvoirs publics ont-ils réagi face à ce mouvement ?
Invité Guillaume Kosmicki
Guillaume Kosmicki, musicologue, enseignant-conférencier, spécialiste du phénomène techno à travers les raves et les free party, il est l’auteur de plusieurs ouvrages de références sur le sujet dont « Free Party, une histoire, des histoires » paru avec un CD en 2010, aux éditions Le mot et le reste. Avec nous également par téléphone depuis Brest, Vincent Tanguy, Porte-parole des Sounds Systèmes breton. Il organise des Free Party et il est d’ailleurs membre du collectif « 7–1-6 » (« c’est ainsi »).
Réécoutez cette émission en cliquant ici
Guillaume Kosmicki était l’invité d’Elizabeth Tchoungui sur France Culture pour une émission qui passe en revue la scène musicale allemande à l’occasion des élections législatives.
Mandaté pour ses ouvrages Free Party et Musiques électroniques, Guillaume Kosmicki analyse la scène électronique actuelle.
” [Le militantisme au sein de free parties] n’est pas de l’ordre de la réunion, de la formalisation d’idées pour un futur, mais vraiment d’un engagement dans la vie de tous les jours”.
Jeudi 23 août 2012, Guillaume Kosmicki était invité à l’émission Le Grand Bain consacrée à la techno pour répondre à la question : “La techno est-elle devenue une musique officielle?”
Entretien avec Guillaume Kosmicki, auteur de Free Party. Une histoire, des histoires
Ils ne voulaient pas d’argent. Ni transiger avec les autorités. Ni écouter de la musique insipide produite au kilomètre. Ils voulaient l’improvisation et la folie, l’enthousiasme et le plein air. Leurs fêtes étaient libres, rebelles et illégales, sans règles imposées. Autogestion teknoïde.
Dans les années 1990, les enfants de la tekno , activistes de la free party, ont organisé certaines des plus classieuses fêtes de tous les temps. Mais au cours des années 2000, l’utopie a pris du plomb dans le son. Trop de monde, d’attention médiatique. De flics et de marchands du temple. Plus assez de politique, de valeurs partagées. Les folles fêtes se sont faites conformes et mortifères.
Le mouvement free party n’est pas mort, pourtant : dans les campagnes, les forêts, les failles urbaines, il bouge encore. Et certains n’ont jamais cessé de danser, bien décidés à ne rien lâcher. Guillaume Kosmicki, ancien activiste et musicologue, en dresse le joli constat dans Free Party. Une histoire, des histoires (éditions Le mot et le reste ). L’ouvrage, qui compile des dizaines de témoignages, trace le beau (et parfois triste) panorama de plus de quinze ans d’utopie tekno, par la voix de ceux qui y ont participé. Et n’omet pas une certaine déception – révolution teknoïde avortée. Bilan.
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Ta première fois ?
C’était en 1994. Étudiant à Aix-en-Provence, je rentrais à la cité U avec des amis, après une soirée en ville. Il était tard, on marchait en bord de route ; un camion s’est arrêté. Les mecs nous ont donné un flyer, juste comme ça. Il s’agissait des Psykiatriks, l’un des premiers sons français, des Parisiens versés dans le hardcore .
J’y suis allé, à cette fête. Et j’ai pris une claque. Une vraie claque. À cause de la manière dont les choses se goupillaient. Du fait de débarquer dans un endroit pas du tout prévu pour ça, sans aucune des normes habituellement imposées – pas de droit d’entrée, de videurs ou de service de sécurité, de lieu officiel. Et de la musique qui ne paraissait respecter aucune règle, libre d’emprunter, de mélanger et fusionner.
J’ai pris le train en marche. On se retrouvait alors en pleine cambrousse, ou dans des hangars abandonnés, des endroits parfois totalement fous où régnait une liberté incroyable. Il n’y avait pas vraiment de début ou de fin, pas de concert ni de scène ou d’artiste star. Juste un truc qui se faisait, où tout le monde semblait avoir un rôle à jouer. Chacun acteur. Les musiciens, peu visibles ou même cachés, n’étaient jamais en position de performance spectaculaire. Ça participait de l’utopie de la fête, cette espèce de communion partagée par tant d’inconnus issus de milieux différents. Toute une faune éparpillée dans ses goûts et ses délires, et se retrouvant pourtant avec le même plaisir.
Tu t’y es investi à fond ?
Avec plusieurs casquettes. Teufeur, bien sûr. Musicien, aussi, au sein d’Öko System. À l’époque, j’étais plutôt axé hard, expérimental, voire parfois hardcore ou hardtek, mais jamais trop dans les rails. On se produisait parfois avec un ami qui venait du jazz, et qui joue aujourd’hui sous le nom Mekanik Kantatik ; c’était toujours très chaotique, avec des textures un peu distordues et un son agressif. Il y avait beaucoup d’improvisation ; il arrivait même qu’on perde les gens en route…
J’étais aussi observateur. En 1995, je suivais un cursus de musicologie, et un prof m’a poussé à travailler sur les free parties. Il pensait à raison que cela pouvait faire un bon sujet d’enquête. Je débarquais donc en teuf avec mon petit calepin et mon enregistreur. Parfois, je m’amusais ; à d’autres moments, j’étais plus sérieux, façon observation participante. Au fond, on peut dire que je n’ai jamais cessé ce travail commencé en 1995 – je continue aujourd’hui à réfléchir sur le mouvement des free parties, j’écris, je donne des cours ou des conférences.
Ce qui nous amène à ton ouvrage, Free Party. Une histoire, des histoires…
J’avais déjà écrit quelques articles sur le sujet, plutôt scientifiques, avec un regard assez distancié. Mais pour ce livre, je ne voulais pas d’un ton univoque, façon cours magistraux. Et encore moins d’une quelconque objectivité : ce mouvement, j’en suis. Je me refusais aussi à dresser une histoire officielle de la free party – celle-ci n’existe pas. En fait, ce sont les trajectoires individuelles qui m’intéressaient. Avec l’idée qu’elles participent toutes d’une grande et multiple histoire, d’un mouvement très divers qui existe depuis plus de 15 ans.
J’ai donc recueilli une quarantaine de témoignages. Ceux d’anciens, actifs au milieu des années 1990, ou de plus jeunes, de membres de sound systems ou d’électrons libres, de musiciens ou de teufeurs, d’anonymes ou de gens un peu plus connus. Certains ont participé à des sons restés plus ou moins mythiques – Spiral Tribes , Facom Unit, Tomahawk, Sound Conspiracy ou Heretik. Beaucoup se sont investis sans compter, montant des sons, prenant la route en camion, en mode travellers, ou vivant en squats. D’autres se sont « contentés » d’aller danser chaque week-end. Mais tous sont traités sur un pied d’égalité, sans hiérarchie, qu’ils aient découvert la teuf en 1994 ou s’y soient mis après 2000. Ce qui m’importe, c’est la façon dont la free party a changé leur vie.
Elle-même a changé. Pas forcément en bien, d’ailleurs…
Je situerais la cassure en 1998–99, quand le public a commencé à débarquer de façon massive. Là, les choses ont en effet commencé à changer, une part croissante des teufeurs se comportant en consommateurs. Ils ne cherchaient plus à s’investir, à participer d’une manière ou d’une autre.
Il y a quelques signes assez marquants de cette évolution. En 1999, les premiers stands de merguez, présents d’ordinaire sur les marchés ou les fêtes foraines, se sont incrustés sur de gros événements. Ces gens n’avaient rien à voir avec le mouvement, ils étaient juste là pour écouler leur marchandise. Le signe évident d’une dégradation par rapport à l’idéal premier, qui veut que chacun soit autonome, prévoie de quoi boire et manger le temps de la fête. Où est le do it yourself quand tu peux acheter ton sandwich à prix fixe, à un mec dans une guérite ?
Et puis, il y a eu aussi l’arrivée massive de dealers. La drogue a toujours été présente, et le deal également – les produits psychotropes participent de la fête tekno, de son côté hédoniste. À une époque, certains sons en vendaient d’ailleurs eux-mêmes, pour s’autofinancer. Mais l’arrivée du deal en masse, avec de gros trafiquants écoulant leurs produits à la criée, a eu un effet très négatif. Minh-Thu, activiste marseillaise, remarque ainsi dans le livre : « Les deux dernières teufs que j’ai faites m’ont éloigné de tout ça : je me suis tapé un kilomètre à pied dans un supermarché de la drogue, avec des personnes qui n’avaient rien à voir avec le mouvement et qui en ont profité pour se faire des couilles en or […]. Je ne l’avais pas vu avant, j’ai percuté en 99. »
Le comportement des participants s’est aussi modifié. On a vu de plus en plus de gens qui, après une nuit ou quelques jours de fête, abandonnaient tous leurs déchets par terre. Laisser ses poubelles sur place parce qu’on sait que quelqu’un va les ramasser : quoi de plus consommateur ? Les mêmes ne cherchaient pas à sortir des sentiers battus, à faire des découvertes musicales. Et ils sifflaient le Dj quand ils le jugeaient trop expérimental ou trop mou ; pas assez conforme, en somme.
La fête libre devenait normée ?
C’était sans doute fatal. Tout mouvement, même très ouvert à la base, finit par se fabriquer des codes. Ce n’est pas que péjoratif : ceux-ci participent de la culture. Mais s’ils deviennent monolithiques et impératifs, si la personne qui n’est pas habillée en kaki des pieds à la tête et qui n’adopte pas une attitude plutôt dure a droit à des regards de travers, ça devient beaucoup moins sympathique. Comme le remarque Vincent, teufeur des débuts : « Les choses prédéfinies ont une tendance à l’intolérance. À partir du moment où la free party s’est définie elle-même en disant ‘On est ça !’, elle est devenue intolérante. »
Il y a ainsi eu, au début des années 2000, une période assez déprimante. Ça tournait en rond, et le public en était partiellement responsable. Il était désormais trop massif pour qu’il soit possible de partager avec lui certaines valeurs. Et il était aussi trop pressé d’en être, de trouver comment ça marche : il se reportait sur les codes les plus basiques.
Mais le public n’est pas seul en cause : certains sons n’ont clairement pas transmis le bon modèle. Eux aussi se sont comportés de façon trop stéréotypée, dans la musique comme dans l’attitude. Pour certains, le fait d’organiser une teuf se suffisait à lui-même – il n’y avait plus de réflexion artistique, musicale ou politique. Et une bonne partie des sound systems les plus connus se sont lancés dans une course en avant ; il fallait organiser les plus grosses fêtes, avec des murs de son démesurés. Spectaculaire, mais triste.
Pour parfait symbole de la période, d’immenses teknivals réunissant des dizaines de milliers de personnes…
Les activistes de la free ont toujours voulu partager leur culture. Faire venir le plus de monde possible, avec un côté parfois prosélyte. Les Spiral Tribes ont même distribué des flyers dans le métro parisien, au début des années 1990…
Mais quand il y a trop de monde, ça devient ingérable. Les gens se montrent responsables quand ils ne sont que quelques centaines ; ils s’en fichent quand ils se comptent par milliers. En mai 2004, le teknival de Chambley, organisé sous l’égide de Sarkozy, a rassemblé près de 95 000 personnes… Ça n’avait plus de sens.
Les médias ont joué un rôle dans cette course au gigantisme. Rien de très neuf : les premiers articles très négatifs sur les raves sont parus dans les journaux français en 1992–93. Alors même qu’une culture très forte voyait le jour, avec des gens lançant des associations et initiant des projets passionnants, les médias et les autorités ont participé d’une même répression, qui a largement tué dans l’œuf ce premier élan. Ils ont joué la diabolisation, certains allant jusqu’à faire le lien entre danseurs et nazis. Cela explique en partie la faiblesse de la culture rave en France.
Les médias ont ensuite embrayé sur les free parties – particulièrement à partir de 2001. Ils en ont fait des tonnes, notamment à la télé, et ont traité le mouvement de façon idiote, avec des raccourcis et des préjugés permanents. Cette alliance d’une couverture médiatique massive et d’une dramatisation inepte a paradoxalement donné envie à beaucoup de jeunes d’aller faire un tour en teuf. C’était the place to be, le public accourait parce qu’il en avait entendu parler au 20 Heures et qu’il voulait découvrir en quoi ça consistait, et non plus parce qu’il croyait à certaines idées. Dans ces phénomènes de masse ingérables, la culture free party s’est noyée ; il ne restait plus que des milliers de personnes, trop souvent là pour de mauvaises raisons.
Les choses se sont ensuite un peu calmées. La répression très dure lancée en 2001 contre les free parties a sans doute contraint le mouvement à se replier sur lui-même…
Il faut préciser le contexte. Nous sommes en 2001, le gouvernement Jospin fait passer la Loi sur la sécurité intérieure (LSQ). Laquelle comprend un amendement dirigé contre les free parties, déposé initialement par le député RPR Thierry Mariani : il impose une déclaration préalable en préfecture, sous peine de saisie du matériel. Dans le livre, un teufeur, Olive, explique : « Mariani […] est notamment le mec qui défend le milieu des boîtes de nuit. Il était réputé pour être un connard fini, utilisé pour lancer à l’Assemblée les débats sur les sujets les plus chauds. Il s’est emparé de ça, et ça a commencé à baver grave, on s’en est pris plein la gueule. » L’application de son amendement a entraîné des dizaines et dizaines de saisies, sans pour autant permettre aux sound systems d’organiser des événements de façon légale : tout était fait pour que les fêtes n’aient plus lieu. En arrière-plan, les violences policières, la chasse aux teufeurs et une répression permanente.
En tant que telle, cette loi est liberticide et scandaleuse. Mais de façon paradoxale, elle a peut-être fait du bien au mouvement sur le long terme. Parce qu’elle a mis fin aux rassemblements gigantesques et aux débordements qui les accompagnaient, enclenchant une décrue du nombre de participants. Py, du sound system breton Mandragore, note ainsi qu’on est depuis « revenus à des soirées beaucoup plus petites, plus confidentielles, peut-être plus ‘underground’ ». Pas faux.
La free n’est pas morte, alors ?
Bien au contraire ; et j’espère que cela ressort du livre. J’ai été très surpris de constater l’enthousiasme de jeunes sound systems – disons, ceux nés après la loi de 2001. En Bretagne, c’est le cas de sons comme Epsylonn-Otoktone ou Mandragore : ils font preuve de la même ferveur que leurs aînés des années 1990, leurs fêtes sont colorées et ouvertes, la musique y est variée et inventive. S’il y a eu une large désillusion autour de ce mouvement, certains se battent encore pour lui. Et ils ont su garder ce désir de mélanger les cultures, de mettre tout le monde à égalité, de voyager pour faire découvrir la musique… Cette utopie collective n’est pas morte, les yeux brillent encore. L’immédiatisme a toujours de l’avenir.
L’immédiatisme ?
Il s’agit d’un concept artistico-politique basé sur la création collective et développé par Hakim Bey, l’auteur de Zone d’Autonomie Temporaire, TAZ – livre ayant énormément marqué le monde de la free. Pour résumer, l’immédiatisme prône la distance avec la médiation : il faut privilégier les activités artistiques qui y ont le moins recours, les pires étant celles qui passent par la télévision, et réintégrer l’art dans le quotidien.
Hakim Bey explique donc qu’il convient de se passer de toute médiation au profit de l’intervention collective directe. Selon lui, « il faut sortir de l’héritage du Néolithique », qui a mené au partage du travail et aux sociétés industrielles, « pour renouer » avec la manière dont les hommes pratiquaient l’art au Paléolithique. Revenir à des pratiques collectives et « préservées par le secret », en réinventant une économie du don.
Ce concept entre en concordance avec nombre d’idées portées par le mouvement free party. Notamment parce que la composition d’une œuvre y est éminemment collective. Tu pars d’un sample pris sur un morceau qui n’est pas le tien, tu composes avec ce sample un nouveau morceau, et un autre Dj va le mixer avec d’autres morceaux qu’il n’aura pas créés non plus. Il s’agit d’une chaîne de création, dans laquelle chacun a un rôle à jouer et où la propriété intellectuelle ou artistique n’a plus cours. Tout le monde amène sa petite pierre à l’édifice, poursuivant l’œuvre collective. Mais Hakim Bey ne le verrait sans doute pas totalement ainsi ; lui refuse l’ordinateur et les nouvelles technologies.
Le collectif anti-productiviste Pièces et Main d’Oeuvre (PMO) vient justement de publier Techno, le son de la technopole , ouvrage très critique sur l’utopie tekno. Ils écrivent notamment : « Non seulement les beats électroniques ne suppriment en rien l’aliénation à la machine, mais ils accompagnent l’émergence du capitalisme high-tech, partageant sa soumission à la tyrannie technologique, son projet de monde hors-sol et sa fabrique de l’homme-machine post-moderne. »
J’ai parcouru Le Son de la technopole, et je ne suis pas d’accord avec ce que j’ai lu. Dans leur composition, les morceaux teknos sont – c’est vrai – une imitation de la machine omnipotente, celle qui écrase. La machine est un outil d’oppression, le philosophe Jürgen Habermas en parlait déjà dans les années 1960, analysant sous cet angle la technologie et la communication.
Il est aussi vrai que dans le milieu tekno, on s’abreuve littéralement de bruits oppressants et répétitifs, assez semblables à ceux d’une usine. Et on le fait en masse, devant un grand totem d’où a complètement disparu l’être humain – la plupart du temps, le Dj se cache ; et même s’il est devant nous, on ne le regarde pas.
Mais à la différence de PMO, j’estime que ce dispositif a pour but de jouer avec la domination, et de la critiquer. Dans un très grand nombre de morceaux teknos, le rôle du break est essentiel – plantades, cassures, suspensions, ralentissements et accélérations font la musique. La machine est sans cesse contrainte. Et ce sont justement les instants où elle est mise à mal qui déclenchent le plaisir des danseurs.
La machine n’est finalement centrale qu’en ce que le battement du beat, ce boum-boum, évoque celui du cœur. Elle n’existe que tant qu’elle est humaine, et qu’elle se plante à répétition. Tant qu’elle est à notre image. Elle n’est plus seulement mécanique, mais aussi organique. C’est d’ailleurs le message que portaient au début les Spiral Tribe, qui revendiquaient l’alliance entre la technologie et la nature.
Dans son émission du 15 octobre, Stéphane recevait Guillaume Kosmicki pour parler d’Hakim Bey, de raves et de musiques électroniques.
Lien permanent pour réécouter l’émission
Dans la deuxième partie de l’émission, le musicologue Guillaume Kosmicki revient sur les Sermons radiophoniques d’Hakim Bey, qui paraissent aux éditions Le Mot et le Reste et dont il signe l’introduction. Hakim Bey, théoricien américain, inventeur du concept de “Zones d’autonomes temporaires”, explique ici “l’immédiatisme”, ou l’art comme jeu quotidien. Guillaume Kosmicki explique en quoi la parole d’Hakim Bey entre en écho avec les free parties et la musique électronique.
L’Atelier du son
Lien permanent sur le site de Guillaume Kosmicki
ÉMISSION SPÉCIALE autour de « FREE PARTY » de GUILLAUME KOSMICKI
Après le passionnant “Musiques Électroniques” dont nous vous avions déjà parlé sur ces ondes, “Free Party, une histoire, des histoires” est le nouveau livre de Guillaume Kosmicki, toujours aux excellentes Éditions Le Mot Et Le Reste. À l’occasion de la sortie de cette somme inédite et documentée sur un mouvement alternatif qui a connu en France des évolutions contrastées, l’auteur rencontrait Raff (OQP / Sound Conspiracy), Zool (Metek) et Mrik (I.O.T. Records), trois acteurs de la Free Party interviewés dans son livre. La rencontre, organisée au Daki Ling à Marseille et suivie d’un DJ set de Feud’jay (I.O.T. Records), était animée par Robex pour Radio Grenouille qui a également réalisé cette émission spéciale.
Pour réécouter l’émission :
Radio Grenouille
RAVE, STORY OF A DREAM > LE 6 AU CARGO DE NUIT (ARLES)
Fin 2010 sortait sur les éditions Le mot et le reste un superbe livre entièrement consacré à l’histoire des raves, Free party : une histoire, des histoires.
Composé en grande partie d’interviews, il est l’œuvre de l’enseignant/conférencier en musicologie Guillaume Kosmicki, activiste techno sous le pseudonyme Tournesol, et hôte d’une fête (Nicolas Cante alias Nikoll et Rokette 77 du Heretik System y sont invités) instructive, qui commence dès 18h par une conférence… Pas banal.
FREE PARTY : UNE HISTOIRE, DES HISTOIRES (LE MOT ET LE RESTE)
*Agents d’entretiens, le portail d’interviews pour balayer les idées reçues, a interrogé Guillaume Kosmicki.
Extraits*
Enseignant et conférencier, Guillaume Kosmicki est un spécialiste des musiques électroniques, dont les deux ouvrages parus sur la question (Musiques électroniques – Des avant-gardes aux dance floors et Free parties – Une histoire, des histoires) font figure de références pour tous les aficionados de ce courant musical si intimement lié à la fête. De la théorie à la pratique, il n’y a qu’un pas que l’enseignant franchit volontiers en troquant sa tenue de conférencier pour celle de DJ Tournesol, son pseudo une fois la nuit tombée. En cette période estivale qui voit fleurir comme des champignons magiques les plus gros festivals de musiques électroniques, il était donc de rigueur de faire un tour d’horizon sur la techno d’hier, d’aujourd’hui et de demain, afin de mieux comprendre l’engouement exponentiel pour ce mouvement qui se veut d’abord libertaire. En piste !
À quelle période les premières musiques dites électroniques sont-elles apparues ?
Tout dépend de ce que l’on entend par “musiques électroniques”. Historiquement, la première fois que l’on a utilisé le terme, c’était en 1951, à Cologne, en Allemagne, dans le laboratoire de la WDR, à propos d’une musique entièrement réalisée à partir de synthétiseurs. Le projet était initié par l’universitaire Herbert Werner-Eppler, le technicien Robert Beyer et le compositeur Herbert Eimert. Ils ont vite été rejoints par de nombreux autres compositeurs, comme Karlheinz Stockhausen en 1952, puis Henri Pousseur et Karel Goeyvaertz en 1954. Le projet a essaimé ensuite dans de nombreux autres pays, comme en Italie en 1955, au studio de la RAI à Milan, avec Luciano Berio, Bruno Maderna et Luigo Nono. Inutile de préciser que les musiques qui sortaient alors de ces studios, reposant sur des processus compositionnels très savants et souvent inspirés par le sérialisme intégral alors en vogue chez les compositeurs d’avant-garde, étaient très éloignées de la techno et de la house. Mais, d’un point de vue technologique, on pourrait aussi dans l’absolu parler de musiques électroniques, à partir du moment où l’on a commencé à utiliser des instruments reposant sur des nouvelles lutheries en appelant à l’électricité. Les premiers essais sont le Télégraphe musical d’Elisha Grey en 1876, le Dynamophone de Thaddeus Cahill en 1905, l’Audion piano de Lee de Forest en 1915 (l’inventeur de la triode, et donc de l’amplification d’un signal sonore), puis le ThereminVox de Léon Theremine en 1920. Dès lors, les nouvelles inventions ne vont cesser d’apparaître dans les années qui suivent, et de nombreuses œuvres de compositeurs vont intégrer ces instruments, et parfois reposer entièrement sur leur utilisation (que l’on pense par exemple à des œuvres d’Olivier Messiaen sur Ondes Martenot, ou à celles de Paul Hindemith et d’Oskar Sala sur Mixturtrautonium). L’utilisation de ces nouvelles lutheries a commencé à se généraliser dans tous les genres musicaux à la fin des années 1960, au moment où elles se sont multipliées et vendues à grande échelle (synthétiseurs Moog, puis Arp, Oberheim etc.). Au-delà des musiques savantes, le rock, le jazz, le funk, la soul et bien d’autres genres les ont alors adoptées sans discontinuer. On parle en effet couramment de “techno rock” dans les années 1970 ou d’“electro-pop” dans les années 1980.
La musique électronique englobe aussi l’utilisation de l’enregistrement, non plus comme support de reproduction sonore, mais comme outil de création musicale. Au-delà du précurseur John Cage, qui a utilisé des platines de tourne-disques dans une œuvre dès 1939, les expériences ont été nombreuses à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale, comme la musique concrète de Pierre Schaeffer en 1948 (rejoint par Pierre Henry en 1949) ou les premiers gestes virtuoses des disc-jockeys jamaïcains à la même période, qui transformeront ce personnage en un véritable acteur musical. Les studios d’enregistrement deviennent des véritables espaces de création à la même période. Finalement, ce que l’on appelle aujourd’hui “musiques électroniques” ne se concentre que sur des musiques apparues autour de 1985, au moment où se sont très largement démocratisées les nouvelles technologies musicales, avec l’apparition du concept de “home studio”, permis par l’utilisation d’une nouvelle norme de communication entre les différents instruments, permettant de les synchroniser (le MIDI), et les premières possibilités de l’informatique musicale. Et encore, on ne parlait pas de “musiques électroniques” mais de musiques “techno” et “house”. Le terme ne s’est imposé qu’en 1995–96 en France, alors que la rave avait très mauvaise presse et qu’il fallait, pour certains organisateurs, donner des lettres de noblesse à ces musiques. Ainsi, en utilisant cette définition générique, on rattachait artificiellement cette electronic dance music à une longue tradition historique. On a vu sortir dans la presse d’énormes raccourcis comme celui qui veut que Pierre Henry soit “le grand-père de la techno”. Le lien réel qui existe entre toutes ces musiques est la technologie, et c’est surtout ce qu’il faut en retenir. Il y a aussi la tendance générale de musiques reposant sur le timbre plus que sur d’autres paramètres. (...)
Pour consulter l’intégralité des échanges avec Guillaume K. sur les musiques électroniques et les free parties :
Agents d’entretiens
Qu’est ce qui t’a poussé à vouloir raconter l’histoire des free parties ?
Ça fait longtemps que je suis concerné par le sujet. Lors de mes premières raves et de mes premières free parties, en 1994–1995, j’étais aussi étudiant en musicologie. Un prof (Jean-Marie Jacono) m’a proposé de mener une maîtrise sur le sujet l’année suivante, sous sa direction. J’ai accepté et j’ai endossé dès lors deux casquettes : celle du teuffeur (parce que ce mouvement me parlait vraiment et que j’y sentais des réponses à mes aspirations) et celle du chercheur, et puis bientôt trois, avec celle de musicien (sous le nom de Tournesol, au sein du collectif Öko System). Ça a été le cas pendant de nombreuses années ensuite, et j’ai eu l’occasion d’écrire un certain nombre d’articles sur la question, de 1997 jusqu’à aujourd’hui. Je n’ai donc jamais cessé de m’y intéresser.
C’est mon éditeur, Yves Jolivet (Le Mot et le Reste), avec qui j’avais déjà travaillé en 2009 pour « Musiques électroniques : des avant-gardes aux dance floors », qui m’a lancé sur ce nouveau livre. On a élaboré ensemble le projet. il s’agissait de ne pas écrire un livre universitaire, ni de le saupoudrer d’analyses sociologiques, mais bien de laisser parler des acteurs, non anonymes, sans masque et sans sujet tabou, de leur propre expérience dans le mouvement. Ça fait des années qu’ils ne se montraient pas au grand jour, de par la nature clandestine du mouvement. Aujourd’hui, alors que bien d’entre eux avaient changé de voie, ils se sentaient beaucoup plus de s’exposer ainsi. Le but était aussi de montrer comment ce mouvement avait influencé leur vie, en fonction de ce qu’ils faisaient aujourd’hui (et malgré des parcours très variés).
Comment as tu choisi les intervenants?
Tout cela s’est basé sur la confiance. J’ai longuement expliqué le projet à chacun d’entre eux, je leur ai bien dit ce que je comptais en faire, c’est à dire pas du tout un travail de journaliste, mais un vrai recueil de témoignages sincères, sur des données brutes : ce qu’ils accepteraient de me livrer. Je les remercie vraiment de ce qu’ils m’ont fait passer.
Au départ, j’avais tablé sur une quinzaine de témoins. Je souhaitais un panel varié, à l’image de la free party, sans hiérarchie : des personnages « historiques » comme des anonymes, des musiciens, des membres de sound-systems, connus et plus discrets, des anciens, et des (très) nouveaux, des électrons libres, des cuisiniers etc. Rapidement, le panel est passé à 20, puis à 30, et j’ai dû me faire violence pour m’arrêter à 43 témoins en tout…
Certains me disaient ne pas du tout se sentir « représentatifs » de la chose, mais justement, tout le monde l’est au même titre, c’est bien là l’objet de ce livre, où l’on trouve des membre de la Spiral Tribe, des Heretik, de Sound Conspiracy aux côtés de bergers, de squateurs, de performers…
(...)
Pour consulter l’intégralité de l’interview, rendez-vous sur le site Desperate bloglife
Présentation du livre Free party, sur Desperate bloglife
1995–2005, la ” Techno ” emmène avec elle des centaines de milliers de jeunes en quête de nouvelles sensations danser dans les champs sur du gros son. Aujourd’hui, le mouvement ne fait plus la une de l’actualité, remplacé récemment par le phénomène des apéros Facebook. Qu’en reste-t-il ?
” Le milieu a eu tendance à s’autodétruire. Il y a eu trop de gens d’un seul coup. On était loin du côté punk des débuts. ” A 37 ans, Damien Raclot-Dauliac a raccroché, comme beaucoup des pionniers des free parties. De cette époque, il a tiré un documentaire sans tabous, We had a dream. Mais lui-même le reconnaît : le mouvement est loin d’être éteint.
Petit saut, vingt ans en arrière. Quand les free parties débarquent d’Angleterre, aux alentours de 1993, les flyers annonçant ces têtes clandestines circulent de main en main. Pour s’y rendre, il faut appeler une boîte vocale, qui vous conduit dans des hangars, des usines désaffectées, des clairières… Le mouvement prend de l’ampleur. Guillaume Kosmicki, auteur d’un pavé de 700 pages sur l’histoire des free parties, a vécu les débuts. Il a porté la double casquette de teufeur et de chercheur en musicologie. Comme beaucoup, il s’est investi à l’âge de vingt ans, plein d’utopie.
L’Âge d’or en Bulgarie
Mais à la fin des années 90, un virage s’opère. L’effet de mode gagne du terrain. ” On est passé de quelques centaines à plusieurs milliers ”. Dans son livre, tous les témoins évoquent ce changement : la transformation en ” supermarchés de la drogue ”, la violence, la musique uniquement ” boum boum boum ”, l’invasion massive de teufeurs en blousons kaki, surnommés les ” petits pois ”... Le couperet ne tarde pas à tomber : en 2001, l’amendement Mariani prévoit que tout rassemblement de plus de 500 personnes doit être déclaré en préfecture.
” La loi a entraîné la médiatisation du phénomène et a multiplié le nombre de participants. Entre 2001 et 2005, ils étaient plus de 300 000 ”, rappelle Lionel Pourtau, sociologue. C’est le temps des grands teknivals ” légaux ”, rassemblant plusieurs dizaines de milliers de teufeurs. Les images véhiculées se répètent : pieds dans la gadoue, voisins effrayés, grand renfort de policiers… Ces rassemblements deviennent ingérables. Les zones pour les accueillir de plus en plus rares.
” Aujourd’hui, il n’y a plus ce mouvement massif ”, explique Guillaume Kosmicki. Pour trouver des grands teknivals encore libres, il faut aller dans l’Est. ” C’est l’âge d’or en Bulgarie et en Roumanie. Aucune loi ne les interdit… pour le moment. ”
Mais le mouvement n’a pas pour autant disparu en France. Il se fait plus discret. ” Il a baissé d’un tiers en volume, mais on compte 600 à 700 événements par an ”, précise Lionel Pourtau. Ce sont de petits rassemblements de 100 à 300 personnes ” qui ne préoccupent plus les autorités ni les médias ”. Si les fêtes légales et encadrées se sont imposées, des free parties clandestines continuent d’être organisées. ” On revient un peu comme au départ ”, constate Damien Raclot-Dauliac.
Des fêtes plus petites
Pour les nouvelles générations, le mouvement est loin d’être mort. En Bretagne, région la plus impliquée, avec le Sud-Ouest et l’Ile-de-France, les sound systems se sont rassemblés pour organiser, depuis 2007, des festivals multisons, en accord avec les préfectures. Des fêtes légales, qui ont lieu dans chaque département breton, une fois par an, et rassemblent de 2 000 à 5 000 personnes. ” Il fallait trouver un compromis. Les grands teknivals devenaient ingérables, explique Alexis Raisin, 25 ans, président d’Asso29, qui regroupe les 52 sound systems du Finistère. On évite de faire trop de pub pour ne pas avoir trop de monde. ça marche au bouche à oreille. Chacun donne ce qu’il veut à l’entrée, il y a des décors originaux, la musique est plus variée, plus électro. ”
” On est encore une culture à part, comme au début, poursuit le jeune Finistérien. Pour preuve : on continue d’être géré par le ministère de l’Intérieur, pas par celui de la Culture !”
S’il vous arrive d’avoir des difficultés à trouver le sommeil après un after trop chargé je ne serais trop vous conseiller la lecture de ce passionnant ouvrage. Guillaume Kosmicki qui est musicologue de son état nous propose un livre de témoignages sur l’aventure des free partys en France.Tout y passe, des mythiques début avec les « Spiral Tribe » en passant par l’explosion du mouvement à l’aube des années 2000.
Les grands crews français sont passé en revu et les témoignages de ces acteurs nous apportent un éclairage plutôt intéressant. Tous ont un regard objectif sur la montée en puissance puis le déclin du mouvement. Sont mis en avant l’aventure collective, le voyage, les rencontres, les nouvelles façons de faire la fête et bien évidemment la drogue. Ceux qui ont kiffé ce style de soirée dévoreront le livre avec une petite larme à l’oeil, les curieux auront une idée assez précise de ce qui s’est passé dans nos forêts ces 15 dernières années et les connards resteront des connards et c’est très bien ainsi.
En complément vous pouvez regarder l’excellent documentaire sur le Heretik sound system baptisé ” We Had a Dream ”.
ajout de ShitWalker
Et avant de lire le bouquin vous pouvez aussi regarder le documentaire « World Traveller Adventures » 4 docus suivants les aventures humanitaires des posse/soundsystem Tomahawk, I.O.T et Teknokrates vers l’Afrique, des Desert Storm vers la Bosnie, du Sound Conspiracy vers Goa, et un docu sur l’histoire des pionniers Spiral Tribe. Très bonne intro avant de s’attaquer au pavé car vous retrouverez certains acteurs dans les 2 supports. On vous a mis les vidéos à la suite du billet, on est cool.
Pour repasser au livre, j’insisterai sur l’objectivité et la franchise de ces témoignages. On y retrouve les fameux Spiral Tribe, Kanyar, Tomahawk, Heretiks, DFaze, les Galettes Bretonnes et bien d’autres ainsi qu’une chronologie complète des tekos et évènements marquants l’histoire du mouvement. Un vrai condensé qui vous permettra, peut-être, d’enfin différencier le traveller et sa recherche d’un mode de vie autonome, et le teufeur, qui vient faire la fête en panoplie et qui n’a pas toujours aidé le mouvement. La traduction du mot free n’ayant pas la même signification pour tout le monde. Bouquin recommandé.
Sur le site, des vidéos en ligne : Oh Gosh
FESTIVAL
Genève vibre pour la culture électronique sous toutes ses formes durant quatre jours. Rencontre avec le trio organisateur et entretien avec Guillaume Kosmicki, musicologue vétéran des ” free parties ” techno.
Visionner le clip promotionnel d’Electron, c’est prendre la mesure d’un événement qui, sans les déserter, déborde largement les pistes de danse pour s’élancer dans toutes les directions, des plus ludiques aux plus pointues. Comment résumer un festival qui condense en un week-end de Pâques pas moins de 120 propositions internationales – musique, danse, cinéma, conférences et ateliers confondus ?(...)
Ce cru 2011, qui devrait attirer entre 15 000 et 20 000 personnes, illustre le mélange d’audace critique, de candeur festive et d’éfficacité logistique de l’association Headfun : issue de la très alternatives Usine, elle pilote un événement qui se hisse désormais au rang des manifestations phares de la culture numérique aux côtés des Nuits sonores de Lyon, de la Transmediale de Berlin et de Sonar à Barcelone. (...)
Avec son budget d’1,5 millions de francs, le festival commence à peser lourd dans le paysage. (...) De quoi voir l’avenir sereinement en développant l’approche pluridisciplinaire, favorisée par la complémentarité entre Jérôme Soudan, lui-même plasticien et compositeur issu de la musique électro-industrielle et André Joye, plus orienté dancefloor. (...)
Réhabiliter l’esprit critique en débattant avec le musicologue Guillaume Kosmicki des free parties des années 1990, héritières des rassemblements de l’époque hippie, et du skateboard en tant qu’appropriation créative de l’espace urbain; découvrir la nouvelle lutherie électronique avec les experts Alain Crevoisier et Atau Tanaka,; décloisonner électronique, rock, danse contemporaine et vidéo : autant d’enjeux qu’Electron brasse avec une vigueur éclairée.
(...)
LE ” BEAT ” ET L’UTOPIE (propos recueillis par Benoît Perrier)
Skateurs, teufeurs, même combat? Dans le cadre du Festival Electron, le musicologue Guillaume Kosmicki débat samedi avec des acteurs genevois de la culture et du skate des «espaces libres comme lieu de manifestation», une problématique commune au skate et à la techno underground. Le premier se joue du mobilier urbain, exploitant rampes et marches d’escalier comme surfaces ou tremplins à figures. Quant à la seconde, elle a connu toutes sortes de détournements d’endroits, de la halle industrielle transformée en club à la piscine Molitor investie par le collectif Heretik et 2000 danseurs en 2001, en passant par nombre de fêtes sauvages dans les villes, à leur périphérie ou à la campagne. Un mouvement né à la fois d’une volonté d’indépendance des acteurs et d’une idéologie du partage, et rendu possible par la portabilité nouvelle d’une musique qui ne nécessite que deux platines vinyle, un mixeur et de grosses baffles pour transformer n’importe quel espace en zone d’évolution festive. En la matière, Guillaume Kosmicki a une expérience de première main puisqu’il a fréquenté pendant plus de quinze ans le milieu français des free parties – ces raves souvent en extérieur organisées plus ou moins en catimini dès la fin des années 1980. Il en a tiré un livre, recueil de témoignages qui détaille l’idéologie de cette scène dont l’éthique – anticonsumérisme, anonymat et do it yourself– a profondément marqué la musique électronique. Joint par téléphone, il ne renie en rien les idéaux qu’il a connus. Si son analyse
n’en donne pas un portrait en négatif, elle explore les demi-teintes qui colorent les cultures électroniques.
La techno est-elle une musique urbaine?
Guillaume Kosmicki: A la base, oui. Elle naît dans un contexte urbain, joue sur son aspect mécanique et emploie la régularité implacable des sons industriels. Mais
de nombreux sound systems (groupe de musiciens possédant leur propre équipement de sonorisation, ndlr) se montent avec des gens qui ne viennent pas de la ville; on voit aussi de plus en plus cette musique dans des villages perdus, notamment parce qu’il est plus facile d’y être discret.
Quel est le lien entre ces déplacements de lieux et le son qu’on y diffuse?
– Le fait que la free party est une culture du squat se voit jusque dans sa musique. Celle-ci est faite à partir d’échantillons sonores, des samples, remettant en cause la
notion de propriété intellectuelle. Ce dernier point trouve un écho flagrant dans l’utilisation festive, parfois clandestine, d’espaces dont ce n’est pas la destination
première.
Quelle est l’importance de la transe dans ces activités musicales?
– Elle est évidente. Cette musique de l’hédonisme – dans ses structures même, sa longueur, son flux ininterrompu – est construite pour la transe, ainsi que les dispositifs dans lesquels elle est mise en place.
Malgré le relatif déclin de cette pratique,cela fait plus de vingt ans que des sound systems sillonnent l’Europe en organisant des fêtes techno spontanées.
Ont-ils inventé un mode de vie?
– Oui, il y a quelque chose de tout à fait particulier dans l’existence de ces nomades. Ils ont des manières de faire propres, des rites, des croyances, des valeurs. Ce phénomène est aussi remarquable dans la dimension de la vie communautaire, de la hiérarchie ou de son absence. Tout le monde s’investit et met tout en commun, l’argent notamment, pour le même but, le même principe.
Et là,le vétéran des free parties que vous êtes participe à un festival gigantesque et payant…
– Certes, je me retrouve beaucoup plus dans une fête à l’extérieur, sans entrée ni sortie, avec des tarifs tirés vers le bas qui sont des tarifs d’échange, de do-
nation, de troc. Mais je suis conscient que des choses tout à fait spectaculaires ne peuvent pas être présentées sous ces auspices-là. J’aime voir un spectacle et des
artistes dans une mise en place qui ne pourrait pas se faire en do it yourself. De la même manière, j’aime écouter des concerts de musique classique où, à l’op-
posé d’une fête free où tout le monde est acteur, le spectateur se doit au silence et à la concentration.
L’équipe qui pilote Electron est issue du milieu alternatif. Un phénomène courant: ces personnes aiment ce qu’elles ont longtemps fait de manière underground et ne
veulent pas arrêter. Si elles ont acquis dans leurs pratiques précédentes des moyens et des connaissances qui leur permettent de
continuer à une autre échelle, tant mieux.
Pour consulter l’intégralité de l’article : Le Courrier
C’est le deuxième livre de Guillaume Kosmicki sorti chez Le Mot et le Reste, et il traite d’un sujet proche du précédent. Le format, cependant, est différent. Après nous avoir retracé toute l’histoire des musiques électroniques, après avoir voulu être exhaustif, l’auteur s’est intéressé plus en détail à l’une de ses manifestations les plus notables, la free party.
Free Party est le deuxième livre de Guillaume Kosmicki chez Le Mot et le Reste, et sa thématique est proche du précédent. Le format, cependant, est tout à fait différent. Après nous avoir présenté l’histoire des musiques électroniques en un très large panorama, l’auteur a pris sa loupe et s’est intéressé plus en détail à l’une de ses manifestations les plus notables et les plus spectaculaires, la free party. Aussi, dépassant sa démarche de musicologue, il s’intéresse à tous les aspects de ce mouvement, sociaux, légaux, politiques, esthétiques, il se penche sur le vécu de ses principaux acteurs (oui, les vrais acteurs, et non les simples consommateurs), bien plus que sur leur musique.
Surtout, plutôt que d’adopter le ton neutre de l’universitaire, Kosmicki conjugue ce nouvel ouvrage à la première personne, en en faisant le très long recueil (600 pages !) d’interviews d’activistes de la mouvance des free parties, de témoignages discrètement introduits par quelques éclairages, et accompagnés d’un lexique, d’une chronologie, d’une bibliographie et même d’un CD audio. De fait, respectueux des parcours individuels, conscient de la grande diversité qui a caractérisé les gens qui ont fait vivre les free parties en France et ailleurs, Kosmicki semble avoir renoncé à tirer de leurs dires des enseignements généraux, il n’a pas voulu les trahir, il s’est voulu simple témoin.
Il y a toutefois une logique dans l’agencement de tous ces propos. Ceux-ci sont regroupés en chapitres, lesquels traitent de tel ou tel thème, de tel ou tel sound system, de tel ou tel Teknival particulièrement marquant. Et le tout est disposé dans un ordre chronologique, racontant ainsi une sorte d’histoire en plusieurs épisodes : d’abord l’élément déclencheur qu’a été l’arrivée en France de Spiral Tribe ; ensuite, les pionniers, l’underground, les premiers sound systems ; puis le succès et l’exposition médiatique, entrainant l’irruption des politiques dans le champ autrefois préservé des free parties ; surviennent alors les déceptions, les réactions désabusées et la nostalgie de ceux qui ont été à l’origine du mouvement ; avant que n’arrive la relève, la nouvelle génération, puis d’autres pistes à explorer, comme les multisons, ou ces grandes expéditions en dehors de l’Europe.
Et ce grand récit à plusieurs voix se laisse lire. Car même si, comme votre serviteur, on ne s’est intéressé que de très loin à toutes ces fêtes et tous ces teknivals qui ont fait bouger la France, l’Europe, le Monde, dans les quinze ou vingt dernières années, il est difficile de ne pas être intrigué par les expériences peu banales vécues par tous les gens que Kosmicki laisse s’exprimer. Ici ou là, on se passionne pour leurs galères (ces ennuis mécaniques, ces déboires avec les flics, les aléas de la précarité, ces maladies chopées en Afrique), comme pour leurs anecdotes savoureuses (ce curé en soutane haranguant les teufeurs au milieu d’une fête, ce teknival dans les steppes avec des cavaliers, des Hell’s Angels et des lutteurs mongols au beau milieu du dancefloor…). Bref, si nous avons tous d’inoubliables souvenirs de guerre, quand bien même nous avons préféré les fêtes de village aux free parties, ceux-là se montrent quand même particulièrement truculents.
Et puis, même si l’auteur s’interdit de le faire, rien ne prive le lecteur de tirer ses propres enseignements de ce qu’ont été les free parties au temps de leur splendeur. On peut le faire, par exemple, avec la grille de lecture que Simon Reynolds appliquait à la rave music et à ses suites, dans son fondamental Energy Flash. Le célèbre critique anglais y disait que tout était parti de l’ecstasy, que cette drogue, même si on pouvait parfaitement apprécier les musiques électroniques sans la consommer, avait été l’élément déclencheur, qu’elle avait lancé un mouvement qui prendrait successivement des formes très distinctes, à mesure qu’il conquérait d’autres pays, d’autres classes sociales, d’autres communautés… et que d’autres psychotropes venaient se mêler à tous cela.
En lisant Free Party, on situe mieux à quel moment de l’histoire de la techno, de la house et de leurs cousines, ces fêtes libres et champêtres ont pu surgir. Les interlocuteurs de Kosmicki le disent bien, ou tout du moins une bonne partie d’entre eux : ils n’ont pas été des pionniers des musiques électroniques. Il y eut d’abord l’univers des branchés et des clubs, premiers à s’intéresser aux musiques des boites gay et black américaines. Ensuite, est venue la masse, avec le phénomène des raves sédentaires. Ceux qui allaient devenir travellers et balader leurs sound systems sur les routes n’y étaient pas encore impliqués. A l’occasion, avant d’être à la tête de cette troisième vague, ils regardaient même cela avec hostilité et défiance, ils étaient plutôt branchés punk, ou rock alternatif, voire hip-hop.
Les free parties, dans leur version française au moins, c’est la rencontre entre une certaine marginalité, celle des squats et des saltimbanques, avec le mouvement rave. Ses acteurs, c’était ceux qui avaient été autrefois des hippies tardifs, puis des punks tardifs, en retard mais plus impliqués. Ce n’était plus l’univers des branchés et des danseurs bariolés, mais de la tekno qui tape fort et des gens piercés et habillés en kaki. Ce n’était plus des hédonistes apolitiques, mais des hommes et des femmes engagés dans la gauche alternative, dans l’écologie, ou simplement des asociaux. Ce n’était plus le domaine du seul ecstasy, c’était aussi celui de la LSD, la drogue psychédélique par excellence, ou de la kétamine. C’était tout ça, plus la musique électronique, et plus le nomadisme.
Bien sûr, toutes ces généralités n’excluent pas les exceptions. De nombreux contre-exemples abondent, les acteurs du mouvement étant souvent les premiers à combattre les automatismes, les caricatures et les orthodoxies qui menaçaient leur mouvement. Les parcours, Kosmicki le rappellerait encore, sont individuels. Comme l’indique le sous-titre de Free Party, il n’y a pas qu’une histoire, mais des histoires, qui se croisent ou divergent en permanence, et qui gagnent à être connues, quand bien même on n’a jamais vu en tous ces gens qu’une bande de hippies crasseux new age arrivés après la pluie dans le grand bain des musiques électroniques. Car ce que Free Party raconte, au-delà des teknivals, des sound systems et de tout ce folklore, c’est aussi la grandeur, les décadences et les métamorphoses que connaît fatalement tout mouvement musical d’importance.
La forme de l’ouvrage ne pouvait mieux coller au sujet : des dizaines d’entretiens éclatés et réagencés en une somme de plus de 700 pages (en comptant les annexes ; le livre est également accompagné d’un cd de 14 titres). Trois grandes parties structurent tout de même chronologiquement l’ensemble : “la découverte”, “franchir le pas”, “et après…”. Un travail de synthèse plus conventionnel aurait sans doute permis plus de concision et de clarté, mais le résultat aurait forcément été partial, moins riche. Ici c’est l’énergie brute des entretiens qui est préservée. FREE PARTY, ce sont des parcours personnels qui se rejoignent lors de rassemblements aux rythmes des sound systems dans le but de kiffer la vibe, de s’abandonner à la transe avec ou sans adjonction de substances psychotropes. L’impression de vivre collectivement quelque chose d’extrêmement fort est relaté à de nombreuses reprises, tout comme l’impression de vivre une utopie transperçant le réel.
On croise et recroise tel ou tel participant et peu à peu se dessine l’histoire touffue de la free party, de l’emblématique équipe anglaise de Spiral Tribe, qui organisa ses premières fêtes en France en 1993, aux activistes de Teknokrates, OQP, Sound Conspiracy, Alliés-Nés, et bien d’autres. On se familiarise, au sens propre, avec eux à travers leurs témoignages apportant des angles de vue contrastés sur les free parties et teknivals (Beauvais, Millau, Tarnos, Vitry-le-François, Courcelles…). L’engouement pour cette culture alternative est tel qu’à la fin des années quatre-vingt dix ce ne sont plus seulement quelques dizaines ou centaines de personnes qui se rassemblent mais souvent des milliers. Alors même qu’au sein des organisateurs les motivations ont pu évoluer, alors que le son des free parties se fait plus hardcore, les politiques s’en mêlent pour “mettre de l’ordre”. Cela débouche sur l’adoption de la Loi sur la Sécurité Quotidienne et son fameux amendement Mariani en octobre 2001, qui marque la fin d’une époque.
La loi n’est pas seule responsable des désillusions. Il y a aussi le business de la drogue aux accents mafieux, la défonce sans conscience, le manque d’ouverture musicale… Les témoignages sont particulièrement francs et directs sur ces aspects. Et puis le mouvement continue tout de même. Pour quelques-uns ce sont de nouveaux départs, des voyages aux États-Unis, en Amérique du Sud, en Afrique, en Europe de l’Est, la Mongolie… Ce sont aussi de nouvelles manières de vivre l’alternative qui se dessinent, notamment en rejoignant des squats autogérés et créatifs.
Guillaume Kosmicki nous avait livré un excellent Musiques électroniques, retraçant l’histoire de ces musiques, et offrait donc une approche plus “théorique”. FREE PARTY en est en quelque sorte le pendant pratique. Il permet une violente plongée dans le réel, dans des vies portées par la musique et donc, ce n’est pas un paradoxe, très sincèrement ancrées dans le monde contemporain.
Un musicien free universitaire…
On a découvert Guillaume Kosmicki avec la sortie d’un des meilleurs ouvrages écrits sur la musique électronique (et en passionné, on peut dire qu’on en a lu un paquet…) : Musiques électroniques, des avant-gardes au dancefloor. Il tentait d’y définir les musiques électroniques à partir de la naissance de l’enregistrement et du changement d’esthétique basée non plus sur la hauteur des notes mais sur le timbre, sur la matière sonore. On avait apprécié que dans cet ouvrage, musiques populaires et musiques dites « savantes » aient une place identique. Le musicologue parlait aussi bien de Ligeti, de Fluxus, de musique électro-acoustique, de musique répétitive, que de krautrock, de house ou de techno… On avait apprécié cette grande ouverture d’esprit à toutes les musiques ainsi que l’approche historique et universitaire qui reste à chaque chapitre parfaitement accessible.
Musicologue, conférencier et universitaire, Guillaume Kosmicki est aussi musicien. Membre du collectif öko system, groupe punk/electronique marseillais, il a également participé de près à la scène des free parties et des teknivals. Il continue d’ailleurs de se produire sous le nom de Tournesol dans des événements alternatifs, des free parties ou des squats, dans un registre moins hardtek/hardcore qu’à ses débuts mais plus techno acid et dancefloor. On a lu qu’il avait fait ses études de 2ème et 3ème cycle en courant « les raves, les free parties et les teknivals équipé d’un appareil photo, d’un carnet de notes et d’un magnétophone pour recueillir des témoignages » … On a donc été que peu étonné en voyant le titre de son nouvel ouvrage, paru lui aussi chez Le Mot et le Reste, éditeur, qui comme Allia, propose désormais une collection impressionnante d’ouvrages musicaux de qualité.
La free party appréhendée à travers les témoignages
Free Party, une histoire, des histoires. Et c’est d’abord la première chose qui frappe à la lecture de ce livre. S’il est synthétique car il regroupe une multitude de témoignages en un même ouvrage, ce livre ne cherche pas à synthétiser, à circonscrire l’histoire du mouvement des free parties dans une seule voix. Guillaume Kosmicki a en effet choisi de présenter son livre sous forme d’une quarantaine de témoignages d’acteurs de ce mouvement. Dans le registre rock, on pense à Please Kill Me qui donnait à lire les différentes voix du punk new yorkais. On pense aussi dans un registre plus sociologique aux ouvrages de Studs Terkel, écrivain américain rassemblant des témoignages divers et nombreux sur le concept de race ou sur la Grande Dépression. Studs Terkel voulait écrire une « histoire orale » de la Grande Dépression. On pourrait dire que l’ouvrage de Guillaume Kosmicki souhaite délivrer une « histoire orale de la free party » .
Free party mur
Guillaume Kosmicki y donne la parole à des acteurs très divers : des membres de la Spiral Tribe, le mythique collectif anglais, d’autres des sound-systems français OKP, Teknocrates, les Galettes Bretonnes, Tomahawk ou Heretik, d’autres de Penguins Records, du label Kanyar, les fondateurs du webzine Defcore, celui de CRS (Cirkus Road System) – collectif de performances artistiques -, de Full Vibes, de Facom Unit, l’instigateur de la radio l’Eko des Garrigues, des travellers ou teufeurs plus anonymes, pour n’en citer que quelques uns. On reconstruit donc progressivement ce qui s’est passé à travers ces témoignages, parfois concordants, parfois opposés.
Ces témoignages recueillis, Guillaume Kosmicki a ensuite décidé de les découper, de les réorganiser autour de thèmes, évènements, histoires d’un sound-system particulier : le teknival de Millau, le label Kanyar, les premières expériences de rave, le collectif des teknocrates, le chill out, la scission rave/free party, les drogues, la musique jouée… etc. Chaque sous-chapitre est ainsi raconté par diverses voix qui défendent parfois des avis différents. La partie sur les raves vs free parties donne ainsi à entendre la voix de la Tribu des Pingouins à l’origine d’une des plus grosses raves (entendez payante) du sud de la France, Borealis, celles des teufeurs qui passent des free (entendez sur donation) aux raves sans distinction, d’autres qui pestent quand le public de ravers débarque dans les free… Et la force du livre est de ne pas hiérarchiser ces différents témoignages mais de leur laisser à tous une place équivalente « à l’image de l’utopie de la free party » ainsi que le suggère la quatrième de couverture.
NO SACEM INSIDE
Free par NeSs’tahLe livre se découpe en trois parties distinctes : La découverte, Franchir le pas, Et après…, mais est aussi complété par une chronologie détaillée qui permet de remettre tout ce qu’on a lu dans l’ordre et de replacer les faits marquants (prémisses, développements du mouvement, les teknivals qui ont fait date, la création de certains sound-systems, ou les « décisions politiques et législatives ayant des conséquences sur l’évolution du mouvement » ). Suivent aussi une bibliographie, une « webographie » , plusieurs photos couleurs de différents teknivals, sound systems, etc. On notera aussi l’utilité du glossaire pour qui n’est pas forcément familier de la différence entre sound-system (système de sonorisation mobile complet, véhicule qui le transporte et personnes qui s’en servent), teknival ( « Free party géante de plusieurs jours regroupant plusieurs sound-systems à l’invitation de l’un deux ») ou free party ( « fête techno clandestine et sur donation (…) libre sur les conditions d’accès »)…
Et comme l’histoire des free est aussi une histoire musicale, Guillaume Kosmicki a choisi de glisser un disque à la fin de son ouvrage afin de donner un aperçu sonore des différents musiciens, des divers styles et des différentes époques de la free party. On notera que le disque, en accord avec les principes des acteurs de la free party, ne contient que des morceaux non déclarés à la SACEM.
Des histoires individuelles
Les trois parties de l’ouvrage permettent de recentrer les propos autour de grandes lignes directrices. La découverte retrace pour chacun des acteurs cette rencontre émotionnelle souvent puissante avec la tekno et la free party. On y sourit en lisant ces parcours divers qui ne se ressemblent pas : de Marko qui découvre le son acid une nuit sur France Culture à Benji qui vient de la mouvance rock’n roll et qui voit impuissant ses amis un à un « tomber dans la techno », de CCil et son « déclic » pendant le nouvel an 94 à Berlin avec les Spiral Tribe à Josy d’origine antillaise qui suit un pote lui ayant affirmé « Il y a deux mille blancs qui dansent dans un entrepôt » et qui ne peut en croire ses oreilles… Une des réussites de ce chapitre, c’est que sont juxtaposés les témoignages de différentes époques : les paroles des teufeurs « première génération » sont mélangées avec les récits d’une découverte de la tekno par de nouveaux adeptes plus d’une décennie plus tard. On y retrouve pourtant beaucoup de points communs. Pour autant, tous ne viennent pas pour les mêmes raisons, tous ne partagent pas les mêmes valeurs, mais qu’importe, car comme le rappelle l’un des témoignages : « free », ça ne veut pas dire « gratis » mais « libre » . La variété des aspirations des acteurs de cette contre-culture l’illustre constamment.
Free
Dans la deuxième partie du livre, Franchir le pas, Guillaume Kosmicki rassemble les témoignages de ceux qui s’engagent le plus souvent corps et âmes dans l’aventure. Autrefois simples teufeurs, ces individus deviennent à leur tour acteurs des free parties. La tekno les a amenés à ce basculement « plus ou moins rapide et plus ou moins radical » . Certains restent sédentaires, mais la plupart prennent la route et deviennent des travellers ou plus exactement des « tekno travellers ». Ils sillonnent l’Europe et parfois le monde entier pour organiser des free un peu partout. Certains « appartiennent » à un sound-system, d’autres évoluent en « électrons libres » . Certains ont déjà des enfants qu’ils emmènent avec eux. D’aucuns vivent en communautés nomades, d’autres dans des squats. Tous ont cependant choisi une vie sans confort et loin des valeurs du consumérisme.
habiter-le-nomadisme-exemple-habitat-mobile-travellers-mouvement-techno3Dans la dernière partie du livre, Et après, on retrouve nos travellers, ravers et free parteux à un moment différent de leurs existences : désillusion pour certains, mais surtout activisme encore pour la plupart d’entre eux. Même si les actions ont souvent changé. D’aucuns montent des sound-systems sédentaires, d’autres quittent l’Europe et partent avec leurs camions sur d’autres continents, d’autres encore s’inscrivent dans un mouvement plus général de squat artistique (voir l’excellent chapitre sur « La Villa » rennaise et L‘élaboratoire). Les Rennais y découvriront aussi le parcours d’un disquaire aux oreilles sans angle mort, ou celui de sound-systems bretons nés après « la loi » (2001, l’amendement Mariani impose aux organisateurs des free parties une déclaration préalable en préfecture sous peine de saisie de matériel) mais qui existent et alternent fêtes légales et illégales.
Pourtant, note Guillaume Kosmicky, « si diverses soient-elles, bien des voies choisies par les acteurs de la free au sortir de cette période de leur vie sont pour eux une suite logique de leur investissement et (…) ils y retrouvent les valeurs auxquelles ils ont adhéré » . On suit ces voies et ces parcours avec un intérêt grandissant au fil des pages, heureux d’appréhender cette réalité par des voix multiples, différentes, qui donnent toute son épaisseur à ce mouvement complexe.
Alors, la free party, une histoire ? Non, résolument, des histoires.
alter1fo.com
Dernière révolution musicale à ce jour, la techno ne s’est pas cantonnée aux pistes de danse, mais a aussi exploré les territoires inconnus d’une nouvelle manière de faire la fête, celle de la « free party ». Apparue en Angleterre, à la toute fin des années 80, cette contre-culture prône l’expérience ultime de la fête, sans fin et sans limites géographiques ni temporelles. Une rupture totale avec des concerts de rock courts, prévisibles et ennuyeux. Publié aux éditions marseillaises « Le mot et le reste », le livre d’entretiens « Free Party » nous fait revivre la passionnante histoire des « free » à travers la multitude de petites histoires individuelles qui la composent. Des pionniers anglais du sound-system Spiral Tribe aux jeunes Bretons d’Epsylonn, sans oublier les Heretik franciliens, les principaux acteurs du mouvement racontent leur parcours, entre utopie des débuts et désillusions des années 2000. Musicien sous le nom de Tournesol dans le milieu des « free parties », l’auteur, le musicologue Guillaume Kosmicki, n’élude pas les témoignages qui fâchent (drogue, répression et récupération commerciale), mais retranscrit toute la richesse d’un mouvement qui ne se limite pas à une simple alternative aux discothèques. Il est aussi un autre mode de vie, qui a expérimenté avant l’heure la décroissance, l’autogestion énergétique et la liberté de la « TAZ », cette zone autonome temporaire imaginée par le philosophe Hakim Bey.
www.nouvelle-vague.com
[...]
… robuste ouvrage dans lequel dans lequel Guillaume Kosmicki agrège les témoignages de nombreux activistes d’un mouvement à la fois hédoniste (Vive la fête…) et anticapitaliste (...libre et gratuite). Dans le vrillant sillage des Spiral Tribe – séminal sound-system anglais qui répandit cette nouvelle fièvre en Europe continentale (et au-delà) – et autres aventuriers de l’extase en rythme(s), toute une utopique épopée revit sous nos yeux, d’immenses espérances en cruelles désillusions.
Cette émission de Canal B a été diffusée à plusieurs reprises durant le mois de décembre. Elle présente notamment des extraits de la table ronde qui s’est tenue le 27 novembre au Jardin moderne à Rennes, en ouverture de la nuit festive organisée pour le lancement de l’ouvrage. Cette discussion d’un peu plus d’une heure a été animée par Gaël Cordon, responsable du Centre de Ressource du Jardin Moderne, et a rassemblé Jeff 23 (Spiral Tribe), Minh-Thu (Kanyar), PY (Mandragore), Mat (Epsylonn), et Guillaume Kosmicki, l’auteur du livre. Ces témoins, par la particularité de leurs approches, ont offert un condensé de la diversité des quarante témoignages qui forment le livre. Voici l’enregistrement de cette table ronde dans sa quasi-intégralité, réalisé par Erwan, de Canal B (seuls les échanges avec le public, à la fin, ont été un peu écourtés):
- intégrale Canal B
- format court (15’) Canal B
- les photos de la soirée : 18–55.org
Quelques semaines après la parution d’un DvD retraçant la folle épopée du Sound System Heretik, cette somme définitive revient sur vingt ans de rave, de la naissance des Spiral Tribe à la diaspora électronique (France, Italie, République Tchèque…). La grande force du musicologue (et DJ) Guillaume Kosmicki réside dans le refus de l’histoire froide et monolithique : la parole est donnée aux acteurs de la fête. Sporadiquement, l’auteur de Musiques électroniques : Des avant-gardes aux dance floors (2009) recontextualise ces souvenirs empreints de nostalgie. Certes, les free parties, dernier mouvement underground de grande ampleur (oxymore ?) du siècle dernier sont enterrées. L’esprit originel, lui, pourrait bien renaître sous d’autres formes. Espérons.
Vient également de sortir le passionnant livre de Guillaume Kosmicki
Free party, une histoire, des histoires, constitué d’une quarantaine de témoignages très variés de ceux qui ont vécu l’âge d’or du mouvement.
Entretien avec Guillaume Kosmicki:
Musicologue et enseignant, spécialiste du phénomène des raves et des free party, Guillaume Kosmicki est l’auteur de Free Party, une histoire, des histoires.
Un ouvrage de témoignages rares et sincères d’acteurs majeurs du mouvement.
Trax: Comment est née l’idée de ce livre?
Guillaume Kosmiki: je travaille sur le sujet depuis Iongtemps. De 1995 à 2000, j’ai suivi des études supérieures de musicologie pendant lesquelles j’ai étudié les phénomènes de transe dans les raves, leur signification musicale ce que veulent nous dire ces musiques sur notre monde, sur notre environnement. En parallèle. j’ai couru les raves, les free parties et les teknivals équipé d’un appareil photo, d’un carnet de notes et d’un magnétophone pour recueillir des témoignages, J’y ai fait aussi des lives sous le nom de Tournesol, En 2009, j’ai publie le livre Musiques électroniques: Des avant gardes aux dance floors, aux éditions Le Mot et le Reste. Un ouvrage didactique sur l’histoire des musiques électroniques. Connaissant mon parcours, mon éditeur m’a lancé sur le projet d’un ouvrage sur le mouvement free party.
Trax: Comment cet ouvrage est-il structuré?
GK: Nous avons décidé d’aborder le mouvement free party sous un angle très personnel, à savoir celui de témoignages. Donc, depuis un an, je parcours la France pour interviewer les témoins, suivre leurs parcours de vie, avec des joies et des déceptions. Je me suis intéressé en particulier à la vie dans les sound-systems et à des notions comme le “Do It Yourself”, le nomadisme, l’esprit du voyage, J’ai suivi la manière dont les acteurs du mouvement ont évolué jusqu’à aujourd’hui. En tout, le livre réunit 40 témoins qui retracent 20 ans d’histoire du mouvement free party. Il y a des personnages « historiques», de nombreux sound-systems comme 69db, Jeff et Debbie (Spiral Tribe), Mark (Teknokrates), Josy et Vincent (FullVibes), Ber et Zrtol (Metek), Ben (Heretik)…
Pour compléter ce panel, j’ai réalisé des interviews d’autres activistes du mouvement: Marko (radio Éko des Garrigues, label Kanyar), Ziggy (bookeuse), Gino (Cirkus Road System), Benji (sculpteur sur metal), Foo (musicien live, ancien traveller), DFI0 et Gonzo (du site Internet Défcore), Olive (musicien, organisateur).
Trax: Comment le mouvement rave s’est-il transformé en mouvement free party?
GK: Au départ et jusqu’en 1995/1996, le mouvement rave était uni. Il y avait des fêtes clandestines depuis le début des années 1990, avec tous les styles de musiques électroniques, du hardcore au dub, en passant par la house et la techno… Et puis, il y a eu une scission entre d’un côté, une partie des organisateurs qui ont cherché la voie de la professionnalisation et de l’autre une radicalisation du mouvement rave à cause de la répression féroce par les pouvoirs publics.
1996, c’est d’ailleurs la création de Technopol, suite à l’annulation de la rave Polaris à Lyon. Du coup, une partie du mouvement rave et le public avec, glisse vers la free party, illégale avec une musique la plupart du temps hard core, hard tek, transcore. j’ai interviewé William et Stéphane de Pinguins Records à Montpellier. Leur témoignage montre bien la scission entre des soirées officielles, comme les Boréalis qu’ils organisaient, et des free parties, Fuck Borealis, qui avaient lieu en même temps.
Trax : Quelle a été la meilleure période du mouvement free party?
GK: Dans cette histoire d’une vingtaine d’années, chacun a vécu sa période d’euphorie. Chacun a son parcours, ses souvenirs de bons moments. Aujourd’hui, de nombreux sound-systems perpétuent l’esprit du mouvement avec envie, énergie et générosité, avec un goût nouveau pour la création artistique (décors, lumières) et en s’ouvrant à tous les styles électroniques. Mais de mon point de vue, le mouvement free party s’est beaucoup essoufflé au cours des années 2000 pour plusieurs raisons. Il y a eu la médiatisation, alors qu’au départ le mouvement était clandestin. Du coup, c’est devenu un phénomène de masse. La qualité des soirées a baissé aussi : moins d’esprit, moins d’ambiance, une musique plus uniforme, voire carrément rigide, monolithique. Certains musiciens se sont détachés du don de soi, de leur musique, et ont recherché la notoriété, Et puis, l’arrivée de nouvelles drogues a changé la fête, les drogues psychédéliques (LSD, MDMA) ont été remplacées par la cocaïne, la kétamine.
Globalement, l’utopie prônée par le mouvement a changé avec les années.
Trax :A-t-il été facile de traiter le sujet de la drogue avec vos interlocuteurs?
GK: Le livre se veut le plus franc possible, au plus proche du vécu, et le sujet de la drogue est traité complètement. Dans le livre, on sent des émotions, des instants qui touchent au sublime, et des moments glauques aussi.
Trax : L’histoire du mouvement free party est peu connue, et paraît enfouie dans une mémoire pourtant proche…
GK Le livre m’a demandé un grand travail de recherche. Principalement parce que les sound systems n’ont pas de mémoire collective: ils ne tenaient pas de blog,n’avaient pas de sites Internet. Mais aujourd’hui, ce travail est justement facilité par Internet. Tout un pan d’histoire ressurgit grâce à des sites qui collectent les souvenirs, les flyers, les photos. Il y a aussi les mémoires de chacun des participants, et tout le challenge du livre a été de raviver cette mémoire, de croiser les souvenirs avec des dates, des lieux, des fêtes. Évidemment, j’ai aussi vécu le mouvement free party de l’intérieur, comme universitaire et comme teuffeur, et j’ai gardé de nombreux documents, des flyers que j’avais datés et classés. J’ai aussi été chroniqueur de free parties sur te site Internet Kanyar à partir de 1998, toujours sous le pseudonyme de Tournesol. Du côté des médias traditionnels, il y a peu d’archives, ils ont peu ou pas traité ce sujet, ou principalement sous l’angle sensationnaliste, en rubrique faits divers, et pas d’un point de vue culturel ou social.
Trax: Le livre est accompagné de documents inédits…
GK: il comprend un cahier photos en couleurs de 32 pages, de nombreux clichés noir et blanc et aussi pas mal de flyers. Mais il est également accompagné d’un CD de 14 titres, avec des sound-systems connus (Metek, Ubik, Dfaze) et des artistes amateurs. Tous sont hors Sacem car à l’époque, le refus des taxes et des règles établies avait un sens.
Trax: Quel enseignement principal tirez-vous de l’ensemble des témoignages recueillis?
GK: Toutes les personnes que j’ai interviewées ont retenu des éléments positifs de leur passage dans un sound-system ou dans le mouvement free party. Que ce soit un esprit de débrouille, de “Do It Yourself”, ou une entraide entre les personnes. Cela a forgé leur personnalité. Dans une appréciation plus générale, je dirais que la free party est une nouvelle forme de fête qui s’est mise en place il y a une vingtaine d’années. Ce n’est ni un bal sur une place de village, ni un concert, c’est une nouvelle forme festive qui s’est inscrite durablement dans la paysage social et culturel,