Extrait
En un quart de siècle, à l’inverse du diable auquel on le dit voué, le rock est parvenu à sortir des enfers pour se hisser aux plus hauts sommets, jusqu’à l’Olympe où siègent ses plus fameux ‘guitar heroes’. (…) Au cours de son évolution, il a su préserver le voile de mystères qui l’enveloppe depuis sa naissance, tout en revendiquant une part de lumière qui lui a permis de prétendre à une dimension sacrée, voire religieuse.
Issue de la culture syncrétique des descendants d’esclaves noirs américains, la musique blues naît dans le delta du Mississipi à la fin du XIXe siècle. Rejetée par les blancs comme la musique du diable, auréolée de mystères, riche en légendes faustiennes (Robert Johnson et son fameux pacte avec le diable), la musique blues a enfanté deux grandes familles musicales : le funk et la soul d’une part, le rock’n’roll d’autre part. Dès le début, le rock hérite de la charge diabolique du blues : on le dit maléfique, il corrompt la jeunesse, jimi Hendrix en est l’enfant vaudou et les Rolling Stones affichent leur sympathie pour le diable. Mais peu à peu, on passe de la diabolisation à la sacralisation du rock. Parrallèlement à la baisse de l’étreinte religieuse en occident, le rock comble le vide qu’il a participé à créer et il devient la religion majoritaire des jeunes générations qui déifient les stars du rock. Les artistes du rock deviennent des idôles, adulées, et la musique rock confine au gigantisme.
Le Sacre du rock propose une histoire originale du rock vu à travers l’évolution de sa charge magique et symbolique.
Revue de presse
Le jeune écrivain et historien Steven Jezo-Vannier consacre d’ailleurs tout un ouvrage à ce sujet. Dans Le Sacre du Rock6, il explique comment ce genre musical est entièrement imbibé de religiosité : « Le vocabulaire crédite la vision d’un rock sanctifié. Il existe en effet tout un champ lexical révélant la grande sacralité conférée au genre musical [du rock] : les superstars sont considérées comme des héros, à l’image des personnages des religions antiques ; on parle volontiers de “dieux du rock”, d’ “icônes”, d’ “idoles”, de stars “adulées”, “adorées”, “vénérées”… Certains fans vouent un véritable “culte” à leurs musiciens favoris, les déifient et les glorifient au plus haut niveau. Le langage prête même au rock une “mythologie”, faisant entrer son histoire dans le mythe et le registre légendaire. Les rumeurs courent, des croyances prennent forme et peuplent les biographies des musiciens : les uns auraient vendu leur âme au diable, les autres auraient reçu leur don de Dieu… ». L’auteur français décrit ainsi comment deux des figures les plus populaires de ces dernières décennies, Bruce Springsteen et Bono, auteurs de chansons chargées de flamme et d’émotion comme Born In The USA et The River (pour l’américain), Sunday Bloody Sunday ou With Or Without You (pour l’Irlandais, chanteur de U2), n’ont cessé de mettre en scène leur foi religieuse, célébrer la gloire de Dieu et leur relation au Tout-Puissant dans leurs paroles – mais ajouterais-je aussi –, dans leur forme musicale, qui emprunte souvent les voies de la ferveur, de la dévotion ou du pompiérisme.
Des poèmes grecs célébrant la puissance de ses héros aux hymnes rock popularisés par U2, en passant par les invocations et les percussions des chamans, « la musique, affirme Jezo-Vannier, outil de dialogue avec le monde invisible des esprits, prend place dans le lien intime entre l’homme et le surnaturel, au cœur du rapport au divin » .
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L’auteur n’en est pas à son coup d’essai. Spécialiste de la contre-culture, il a déjà publié deux ouvrages chez le même éditeur.
Il y a comme un paradoxe fondamental dans l’histoire de la musique rock. À l’origine pourfendeur de toutes les sacro-saintes valeurs comme la religion, le pouvoire de l’argent ou le respect de l’établissement, ne voilà-t-il pas que, très rapidement, celui-ci est devenu lui-même l’objet d’un nouveau culte, où tout est sacralisé au plus haut point, qu’il s’est fourvoyé dans des mises en scène aux coûts pharaoniques. Tellement adulé et vénéré qu’il s’est élevé jusqu’à des stratosphères qui l’éloignent toujours davantage du commun de ses adorateurs. Éloignement objectif qui ne pouvait que laisser la porte ouverte à toutes les relectures subjectives du moindre fait! D’autant que certaines de ses idoles se sont compromises dans des voies pour le moins mystérieuses…
L’ouvrage propose donc un examen approfondi de l’histoire du rock à travers l’évolution de sa charge magique et symbolique. Le titre de chacun des chapitres de l’ouvrage laissant la porte ouverte à toutes les spéculations : Sympathy for The Devil, Knockin’ On Heaven’s Door, Stairway to Heaven, Heaven is Your Mind, The Golden Road, Plastic Jesus, Heaven and Hell.
Ayant désormais une petite idée du chemin qu’emprunte l’auteur, vous n’avez plus qu’à mettre vos pas dans les siens. Bon voyage !
Je n’ai trouvé nulle part d’indication concernant l’auteur du montage de couverture. Peut-être est-ce pour lui éviter les foudres de quelque croyant qui pourrait y voir “irrespect”. Ce Christ au milieu de la cène, manipulant une guitare électrique peut choquer, tout comme en son temps Patrick Bouchitey dans “La vie est un long fleuve tranquille”. Il serait malgré tout fort dommage de s’en offusquer dans la mesure où le contenu du livre s’avère une analyse chronologique des rapports du Rock avec le sacré.
Un contenu d’une lecture aisée et agréable autant qu’informative qui devrait permettre à quelques uns de ne plus utilisez à tort et à travers l’expression “ Rock n’ Roll“. De “Son House“ un blues man à Franck Zappa en passant par Led Zeppelin ou Little Richard et en citant – en en explicitant des passages – des chansons, Jezo-Vannier trace un historique du Rock et met en évidence à partir de son origine, le blues, ses rapports avec le Sacré. En sortant de l’église pour raconter la vie profane et non plus glorifier Dieu, le gospel devient le blues. Ce dernier en se mariant avec le Hillbilly devient le Rock-a-billy et introduit les blancs dans l’orchestre. Elvis Presley, surnommé le King, lui donnera ses lettres de noblesse mais déclenchera par ses chansons et son jeu de scène les réactions de l’église traditionnelle et conservatrice. D’un autre côté Chuck Berry, Little Richard, Ray Charles ou Jerry Lee Lewis chanteront comme les blues men des textes très sexualisés et certains seront condamnés en justice. Vous avez compris le Rock est à l’image du montage de la couverture : à la fois respectueuse et totalement iconoclaste. Et les versions actuelles de cette musique conservent le même fonctionnement. C’est sans doute pour cela que cette musique ne meurt pas et que l’on célèbre ses icônes (les Rolling Stones ont cinquante ans de carrière).
Fouillez dans votre discothèque vous devez bien avoir quelques vinyles qui grattent mais qui illumineront votre lecture.
Tant que nous sommes dans le Mot et le Reste, enchaînons sur une de leur plus récentes parutions, et non des moindres. Une autre histoire du rock, oui, encore. Mais sous le prisme à la fois original et évident de la religion. Le rock est la musique du diable, tout bon intégriste vous le dira. Mais d’où vient cette légende tenace ?
C’est donc aux rapports tendus mais constants entre musique et religion que nous convie Steven Jezo-Vannier. Du blues où les musiciens s’inventent une légende en racontant leur pacte avec le diable en échange d’un phrasé de guitare hors du commun à un Elvis Presley qui, non content de pervertir la jeunesse de son vivant, va devenir la première divinité du show business après sa mort ; de ce petit malin de John Lennon qui aura du mal à faire comprendre que sa phrase sur les Beatles plus célèbre que le Christ équivaut à une réalité quant à la baisse de popularité de l’église catholique à l’embrasement de la culture hippie pour les spiritualités orientales, de la mystique complexe de Led Zeppelin à Satan brandi comme un étendard par des groupes de hard, d’une Madonna combinant stupre et religion pour faire le buzz au succès récent des groupes de néo métal chrétien hurlant leur plaisir d’être à Dieu en vous esquintant les oreilles, tout un programme… Citant constamment les textes de chanson (avec traduction pour les non anglophones, on se rassure), ce bouquin très juste dans sa vision des choses est un vrai plaisir de lecture.
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