Revue de presse
Stupéfaction béate en lisant les mémoires de Valérie Lagrange, figure de l’underground parisien des années 60 à 80. Cette fille a tout connu, tout bravé. La liberté, comme le reste.
Une splendide brune à frange, jeune actrice des années yé-yé chez Lelouch (Un hommes et une femme), hippie rêveuse en tunique marocaine dans un film LSD de Philippe Garrel, ou encore, début 80, une illustration, veste cintrée et moue rebelle, d’une certaine idée du rock en France, entre Bashung et Téléphone. Chacun a son image de Valérie Lagrange. Lire ses mémoires, c’est refaire la route avec elle : la bande la Coupole en 1965 aux côtés de Jean-Pierre Kalfon, la maison ouverture en bordure du parc Montsouris où, de Keith Richards aux situationnistes, tout le monde s’essayait au LSD. Puis Rome ou Positano, la recherche d’une autre vie possible, les grands voyages tiers-mondistes, le retour à la désillusion quand, à Paris, l’utopie a été remplacée par le cynisme ou l’autodestruction. La difficulté à élever un enfant parmi cela. Une vie. Si nous avions tenté ne serait-ce que la moitié de ces expériences, nous nous prendrions pour des héros. Pas elle : trop humble, trop bien.
« Je suis allée au nord, je suis allée au sud/Je suis allée à l’est, je suis allée à l’ouest/Je suis allée si bas, que j’pensais plus r’monter/Je suis allée si haut, que j’pensais plus r’tomber ». L’un de ses tubes, teinté de reggae, ( Faut plus me la faire ) offrait une assez bonne synthèse de la trajectoire artistique et personnelle de Valérie Lagrange. Qu’elle raconte dans son autobiographie! Mémoires d’un temps où l’on s’aimait (éd. Le Mot et le Reste).
Starlette bénéficiant d’un physique avantageux, elle fait ses débuts au cinéma, en 1959, dans La Jument Verte de Claude Autant-Lara au côté de Bourvil. Elle enchaîne les seconds rôles, avec une prédilection pour les jeunes écervelées, en même temps qu’elle inaugure une carrière de chanteuse de variétés. Pas de quoi tomber à la renverse mais elle atteint une certaine notoriété et une belle aisance financière.
Côté cœur, la pioche est moins réussie : son premier mari, peu porté à la fidélité conjugale, se suicide alors qu’elle prend ses distances avec lui. Une vie de bâton de chaise ne lui permet pas d’élever son enfant qu’elle confie à ses parents.
Le grand choc sera la lié à la déferlante du rock et du protest song. Valérie Lagrange découvre Bob Dylan, Joan Baez et Leonard Cohen. Les idéaux de paix et de vie communautaire attirent la jeune femme. La grande fête de Mai 68 accentue encore le rejet du show-business et du consumérisme ambiant alors que dans le même temps elle vit une forte relation amoureuse avec l’acteur et chanteur rock Jean-Pierre Kalfon. Elle saborde une offre alléchante (être la prochaine James Bond girl !) et paye sa liberté d’années de galère qui ne l’empêchent pas d’effectuer de nombreux voyages, trouvant toujours des points de chute dans d’hospitalières communautés hippies à la façon de La Maison bleue de Maxime Leforestier.
Dans ses Mémoires d’un temps où l’on s’aimait , dont la première édition est parue en 2005, Valérie Lagrange évoque cette génération qui refusa d’entrer dans le moule de ce qu’on appelait alors « le système ». Le parcours fut loin d’être enchanteur, beaucoup restèrent sur le carreau, broyés par la dope et l’acide. Un aspect que n’occulte pas l’artiste. Adepte d’un bouddhisme qu’elle pratique sans prosélytisme, Valérie Lagrange revendique encore et toujours une philosophie de la vie marquée par l’héritage du peace and love. Mélange de naïveté et de sincérité, de générosité et d’amour, ses souvenirs dessinent une figure d’artiste singulière autant qu’ils restituent les contours d’une génération contestaire surgie au mitan des années soixante. Certains se renièrent. Valérie Lagrange, non.
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