Revue de presse
La longévité de Pearl Jam, l’un des plus grands groupes du rock actuel, a été jalonnée d’albums et d’engagements divers mais l’image que le groupe a parfois laissée, et même volontairement délaissée, n’a pas été toujours bien comprise. A travers Vitalogy, un album devenu culte, Brice Tollemer nous remet les pendules à l’heure.
Avec Nirvana, Pearl Jam est avant tout perçu comme l’étendard de la musique grunge, mais à y regarder de plus près le groupe de Seattle est beaucoup plus que cela. La preuve en est avec Vitalogy, leur troisième album réalisé en 1994, une oeuvre on ne peut plus anguleuse. Alors en pleine gloire après son premier et retentissant album Ten, suivi du turbulent _Vs _, le groupe est à l’époque traversé d’un profond mal être provoqué par sa fulgurante ascension. L’intégrité créatrice d’Eddie Vedder et de ses camarades ne laissant pas de place aux compromissions mercantiles, la réaction musicale fut épidermique. Plus encore, Brice Tollemer nous démontre que Pearl Jam a réalisé avec Vitalogy le dernier grand album vinyle et livré un ultime combat contre l’omniprésence à venir du cd en continuant de poursuivre celui qui l’oppose à la toute grande puissance du show-business.
En support à cet album, un livret comprenant quelques pages d’un étrange ouvrage psycho-médical du 19ème siècle : une encyclopédie de la santé et du bien-être… Entre attraction et répulsion, ce livret fascine et apeure avec la photo du pape, celle d’un chef indien ou celle d’un homme au visage pustuleux, la radio de la dentition d’Eddie Vedder ou encore un texte d’époque sur le danger mortel à propos de la masturbation masculine ! L’auteur, alors âgé de 14 ans, ne peut intellectuellement se sortir de ce mélange visuel et conceptuel. Ce premier choc restera gravé dans sa mémoire, ainsi que dans la mienne…
Des bribes de paroles de chansons sont aussi mises en exergue et permettent à l’auteur de disserter à propos de la dévorante industrie du disque, de l’amour et de ses inévitables écueils avec le titre « Better Man » ou de l’impossible quête d’une vie sans contraintes, sans excès ou aliénations avec « Bugs ». Ces mêmes causes et ces mêmes effets, directs ou indirects, qui, on le sait, ont entraîné les morts de Kurt Cobain et de Layne Staley (Alice in Chains), issus de la même scène grunge de Seattle. Ces deux évènements tragiques peuvent aussi expliquer l’atmosphère sombre et décadente qui se dégage de Vitalogy.
Brice Tollemer nous rappelle également l’engagement politique du groupe et sa ligne de conduite sans faille pour lutter en faveur de l’avortement, et contre les deux élections de Bush ou la guerre en Irak. Rétrospectivement, Vitalogy, pierre angulaire de la vie du band de Seattle aura donc été un passage obligé vers l’acceptation de soi et la reconnaissance des autres. Adoubé par Bruce Springsteen, choyé par Neil Young et louangé pour son authenticité par Pete Thownshend, Pearl Jam, 18 ans après sa création, trace sa route sans faiblir. Ce groupe majeur nous donne rendez-vous le 20 septembre à l’occasion de la sortie de son dixième album.
Brice Tollemer est un Grenoblois qui non content d’être un féru de musique a décidé d’en parler et surtout d’écrire sur les groupes qui ont forgé sa passion. Après une première biographie sur Rage Against The Machine paru aux éditions Camions Blancs, il s’attaque cette fois ci à Pearl Jam à travers l’album Vitalogy dans une approche déconcertante mais qui a le mérite de l’originalité.
Habitués des livres hagiographiques sur votre groupe préféré, compilateurs du moindre fait et geste de votre idole emperruquée, passez votre chemin ou mieux ouvrez sans à priori ce petit livre d’une soixantaine de pages. En effet ici point d’anecdotes croustillantes ou de chronologies à la semaine près mais un renversement des rôles bien vu. Partant de l’idée que la valeur d’une œuvre, outre ses qualités propres, repose aussi sur ce qu’elle provoque et la façon dont elle devient partie intégrante de la vie de l’auditeur, la collection solo demande à des écrivains de raconter leur expérience avec un album, une pochette, un live ou un simple 45t.
Brice Tollemer se prête ici au jeu dans un récit parfois dense à lire, tortueux dans ses réflexions, mais qui laisse à voir une partie intime de ses réflexions. En effet, tout en dressant le contexte de l’époque, propice à une compréhension plus large de Pearl Jam et du phénomène grunge, on plonge pratiquement à main nue dans la tête de l’adolescent qu’a été l’auteur pour comprendre l’adéquation qui a pu exister entre ses aspirations, ses désillusions et ces quelques groupes qui n’avaient pour point commun que leur origine géographiques et que l’on a eu tôt fait de mettre dans le même panier. L’intérêt du livre réside là, ce mélange de considérations psychologiques sur cet état d’adolescence qui trouve une résonance dans cet album, alors que le groupe lui même est en pleine crise face à sa soudaine popularité. Le tout est replacé dans le contexte de cette « folie » grunge qui, quelques années plus tard, reste toujours un peu incompréhensible.
Si la structure même du récit, le mélange des genres, prête parfois à confusion ce petit livre se démarque tout de même par la qualité d’écriture de son auteur. Trop souvent les biographes musicaux, sous couvert d’une vaste connaissance de leur sujet, oublient qu’ils écrivent un livre avant tout (ils auraient pour certains tout aussi bien fait d’écrire un article pour Wikipédia !). Ici le style est naturel et permet de se laisser porter sans à priori avec même parfois un certain plaisir de lecture que l’on était pas forcément venu chercher ici. Deuxième grande qualité de Brice Tollemer, c’est sa grande sincérité face à son sujet. On sent que ce qu’il raconte c’est lui, son expérience, ce qui l’a certainement construit et amené là où il est et cette sincérité est bien plus éclairante pour comprendre non pas l’album ou le groupe mais son impact sur le public. Finalement, on se rend compte que ce renversement des rôles en dit bien plus long sur l’œuvre, son contexte et la façon dont elle est reçue qu’une analyse partant du haut, de l’artiste.
Si comme moi vous êtes de ceux qui pensent qu’un morceau peut changer la vie de quelqu’un, que la musique n’est que la bande son de nos vies et que, à un moment ou à un autre, ce Vitalogy a été votre bande son, jeter un oeil sur cet ouvrage léger mais pas futile d’une collection originale.