Revue de presse
Dans les studios de Radio FMR, Philippe Gonin musicologue, arrangeur et compositeur à propos de son dernier ouvrage The Dark Side Of The Moon, album culte des Pink Floyd publié aux éditions Le Mot et Le Reste.
Après « The Wall », Philippe Gonin met en lumière les rouages du plus iconique album des Pink Floyd.
Philippe Gonin analyse les tenants et les aboutissants de cette oeuvre extra-ordinaire,
les différentes phases d’élaboration et de réception du disque, le rôle de chacun des musiciens, du producteur et des ingénieurs du son ainsi que le matériel technologique utilisé par les Pink Floyd, désireux depuis leurs débuts de repousser les frontières musicales et technologiques, comme l’affirme « The Dark Side of the Moon »
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Il y a quarante-cinq ans sortait l’un des albums les plus vendus au monde, The Dark Side of The Moon. Sa pochette emblématique, la boucle inoubliable qui ouvre le single « Money », sa perfection sonore, une époque qui se prêtait aux expérimentations, voire peut-être aussi sa dimension conceptuelle développé par Roger Waters, sont autant de facteurs qui ont contribué à son succès interplanétaire. C’est aussi l’œuvre charnière dans la carrière du groupe britannique, qui va désormais devenir la grosse machine (commerciale, diront certains) que l’on connaît et connaître de fortes turbulences internes. Après avoir décortiqué The Wall Philippe Gonin se penche sur ce véritable phénomène de la musique rock du vingtième siècle qui se maintint 933 semaines dans le Top 200 du Billboard.
Si Pink Floyd – The Dark Side of The Moon est nettement plus concis que son précédent ouvrage chez Le Mot et le Reste, c’est simplement parce qu’il y a moins de choses à dire sur le sujet : en effet, après Obscured By Clouds et Live at Pompei, le groupe montre encore une forte cohésion, une certaine unité, et les conflits d’ego des futurs millionnaires sont à venir. Pink Floyd souhaite passer à la vitesse supérieure et n’est pas encore englué dans des problèmes collatéraux. Le livre se concentre donc essentiellement sur la partie créative des concerts qui précèdent le travail en studio, et pendant lesquels l’album est déjà joué dans son intégralité, le processus d’enregistrement et toutes les petites trouvailles techniques qui font le charme de ce monument, les inévitables anecdotes dont le lecteur est si friand et les concerts donnés après la sortie du disque. Un entretien daté de 2017 avec le cinéaste Ian Emes, auteur notamment des films d’animation projetés lors des spectacles de la tournée, conclut cet ouvrage à la fois rigoureux et facile d’accès.
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Philippe Gonin s’était imposé comme un auteur important dans l’étude des musiques progressives, en signant un ouvrage de référence consacré à Magma, déjà chez Le Mot et le Reste. Mais en parallèle, il a également beaucoup écrit sur Pink Floyd : outre un Grandeur et Décadence des Pink Floyd centré sur la dimension mercantile des choses, il a signé des monographies sur Atom Heart Mother (chez Canopé), The Wall (voir notre numéro 93) et à présent sur The Dark Side of the Moon.
Une longue contextualisation est nécessaire, afin de montrer que ce nouvel album de Floyd bénéficia de l’expérience acquise dans l’écriture de chansons pour Obscured By Cloud (réévalué à la hausse par l’auteur) et de la volonté maintenue d’expérimentation, déclinée aussi bien dans l’expérience du Live At Pompei que dans la collaboration avec les ballets de Roland Petit ( sur ces productions, voir le récent coffret Pink Floyd The Early Years 1972). Philippe Gonin se penche ensuite sur les textes, dans lesquels il voit l’influence conjointe des idées de Henry David Thoreau, de passages de la Bible et des analyses du psychiatre Ronald David Laing, chantre de l’antipsychiatrie, sur l’aliénation sociale des individus. Il est toutefois dommage que le contexte social et politique, celui des révolutions culturelles et de la contestation générationnelle, ne soit pas également pris en compte. Sur les conditions d’enregistrement, au-delà du rôle connu d’Alan Parsons, on notera l’insistance sur celui de Chris Thomas pour le mixage, qui réussit à transcender les vues opposées de David Gilmour et Roger Waters sur la question.
Un décryptage de l’album morceau par morceau s’ensuit. On apprend ainsi que sur “Speak To Me”, titre reprenant une phrase rituelle d’Alan Parsons durant l’enregistrement, les battements du coeur furent obtenus par trucage, et que le rire est celui de Peter Watts, père de l’actrice Naomi Watts. Pour “On The Run” la jam initiale durait huit bonnes minutes, et si le Synthi A, clavier novateur pour l’époque, fut largement utilisé. Gilmour usa également d’un pied de micro sur ses cordes ! ”The Great Gig In The Sky” fut pour sa part le résultat d’une lente évolution, où différents essais furent tentés (comme l’utilisation d’enregistrements d’échanges entre astronautes d’Apollo), avant que Clare Torry ne soit chargée de vocaliser en pensant ”à la mort, à l’horreur”. Enfin, pour ce qui est de “Us and Them”, le titre était basé sur une musique de Rick Wright composée en 1969 pour le film Zabriskie Point, mais refusée par le réalisateur. C’est d’ailleurs de Wright également que vient l’idée d’une pochette sobre, un projet d’utilisation du Surfer d’Argent ayant un temps été proposé...
Le succès de l’album est abordé par Philippe Gonin, mais sans doute un peu trop rapidement; il insiste néanmoins sur l’effet de l’investissement marketing déployé par la maison de disques. Les tournées qui suivirent sont ensuite longuement décryptées, évoquant à la fois les innovations scéniques, les films projetés, mais aussi l’apogée du groupe que représenta la fin de 1973 (un jugement évidemment sujet à discussion) et la rupture croissante avec un public en pleine extension et mutation.
Bien que le livre soit intéressant en l’état, il est regrettable qu’au vu de sa taille limitée, Philippe Gonin n’ait pas abordé la réception critique internationale de l’album (il le fait en partie pour les concerts) ni les multiples reprises effectuées des morceaux de The Dark Side of The Moon (citons entre autres les tribute de Magma Carta ou de Billy Sherwood) : l’entretien qu’il nous accorde permet de comprendre pourquoi, et ouvre sur la possibilité future d’un travail exclusivement consacré aux réappropriations plurielles de l’œuvre de Pink Floyd.
ENTRETIEN AVEC PHILIPPE GONIN
Alors que tu as écrit un livre de référence sur Magma, groupe sur lequel il n’existait rien depuis le livre d’Antoine de Caunes, pourquoi t’être penché à plusieurs reprises sur Pink Floyd, sujet à la fois plus parcouru et plus connu ?
C’est à chaque fois une réponse à une sollicitation. Atom Heart Mother était au programme du Bac (et j’étais un peu ”responsable” de cela), The Wall est une demande d’Yves Jolivet, qui savait que je m’intéressais au groupe, alors que Waters faisait sa tournée The Wall… De là est née l’idée de parcourir la discographie du groupe. Après The Wall, Dark Side… semblait être un choix évident…
De quelle manière as-tu travaillé pour ce nouvel ouvrage ? Tu sembles avoir réalisé des entretiens inédits, mais pas de façon systématique. Avais-tu un calendrier d’écriture très stricte ?
Recherche des sources, lecture des ouvrages déjà parus (ceux en anglais du moins) et tenter de contacter certains acteurs sans que ce soit forcément les membres du groupe (j’avais rencontré Nick Manson au moment de l’écriture de Atom Heart Mother). On a une date limite pour rendre le manuscrit. Mais je dois bien avouer que pour Dark Side.. est un album sur lequel il a été beaucoup dit. Il fallait à la fois tenter de trouver parfois un angle nouveau, ou du moins différent, sans pour autant négliger de redire ce qui est déjà connu, mais que je ne pouvais pas me permettre d’ignorer non plus. Parfois aussi tenter une analyse qui s’échappe un peu des terrains connus.
Ton livre offre un tour complet de la réalisation de The Dark Side of The Moon. Pourquoi avoir retenu cet album précisément ? Penses-tu qu’avec Atom Heart Mother et The Wall, sur lesquels tu as également écrits, il soit l’un des meilleurs du groupe ?
Après The Wall, je l’ai dit, est née l’idée d’une ”collection” Pink Floyd pratiquement album par album pour Le Mot et le Reste. On ne pouvait pas vraiment penser tout de suite à un ouvrage sur Animals ou The Final Cut. Dark Side… est venu naturellement. Et puis il n’en existe aucun consacré à ce seul album en français.
Pourquoi ne pas avoir consacré de chapitres à la réception critique internationale de l’album, contemporaine et ultérieure, ainsi qu’aux multiples reprises qui ont été faites des morceaux de The Dark Side of The Moon ?
C’est un choix. Il y a quelques éléments sur les concerts, mais la réception critique n’apportait pas grand-chose à l’ensemble (du moins de mon point de vue). On sait ce que l’album est devenu, on sait que ce fut quasiment immédiat. Trouver un article disant qu’il est mauvais ? Oui j’aurais pu chercher… En ce qui concerne les reprises, il y a un chapitre (à l’état de brouillon et donc inédit) qui était prévu dans le plan de départ. Mais les reprises intégrales de l’album ont été nombreuses en jazz, en dub, fidèle à l’album jusqu’à N’Guyen Lê et son Celebrating The Dark Side of The Moon par ailleurs excellent, ou le travail de la compagnie Les Inouïs (le nom de mémoire). En fait, je me suis rendu compte qu’il aurait fallu pratiquement un volume entier uniquement consacré aux ”lectures” qui ont été faites de cet album. On sortait sensiblement du sujet.
Tu montres que The Dark Side of The Moon n’est pas une œuvre purement commerciale, mais qu’il résulte d’un processus complexe, où l’expérimentation avait encore sa part. A partir de quel moment considères-tu que l’on puisse parler d’album purement commercial ? Je te pose d’autant plus la question que tu as abordé la problématique du commerce de l’œuvre dans Grandeur et Décadence Des Pink Floyd…
A partir du moment où il se vend et se vend bien, on peut dire qu’il est commercial. Il y a tout ce chapitre dans le livre qui parle de l’action de Capitol en faveur de l’album, campagne de presse, choix de sortir un single pour booster les ventes et atteindre une deuxième cible. Tout ça, c’est du business. Sans toute cette camapgne (c’est Mason qui dit cela je crois), il se serait sans doute vendu, mais moins bien. Il y a dans cet album un côté ”right thing at the right time”. Et puis, c’est quand même un excellent disque.
Quels sont tes projets futurs ? Une autre monographie sur un album de Floyd ? Un livre sur Roger Waters et sa carrière solo, sujet qui mériterait incontestablement un traitement à part entière ? Quel est d’ailleurs ton album fétiche de Pink Floyd, et pourquoi ?
J’ai eu dans l’idée de faire un Roger Waters The Solo Years. Et puis un bouquin est sorti en anglais. Alors je le garde sous le coude (d’autant que j’aime assez son dernier disque, contrairement à celui de Gilmour, un peu fade à mon goût). Les prochains bouquins qui doivent paraître sont un Marquis de Sade et un Wire (consacré à l’album Chairs Missing) puis un autre Floyd, sans doute The Early Years (de 1965 à je ne sais pas trop encore, 1968 ? 69 ?). J’aimerais surtout écrire assez vite un volume sur Animals. Un album passionnant. Tout comme The Final Cut d’ailleurs. Quant à mon album fétiche (qui n’est pas forcément mon préféré, car cela varie suivant les moments), c’est incontestablement Atom Heart Mother. C’est le premier que j’ai acheté, le premier que j’ai joué sur scène au début du siècle, et c’est celui que je vais jouer encore dans quinze jours en Belgique – le 21 avril Festival les Intemporelles à Soignies – et Dunkerque le lendemain (22 avril) avec cuivres et choeur !
Au Royaume-Uni, on considère qu’un foyer sur deux possède la précieuse galette dans sa discothèque. Si ces chiffres sont invérifiables et relèvent presque de la légende urbaine, il est vrai que les ventes de l’album culte de Pink Floyd, The Dark Side of the Moon, feraient rêver n’importe quel apprenti chanteur sorti de The Voice.
Pensez : depuis 1973, il s’en est vendu près de 45 millions d’exemplaires à travers le monde. Album référence
de toute une génération, The Dark Side of the Moon est l’objet du nouveau livre de Philippe Gonin, musicologue et maître de conférence à l’université de Bourgogne, déjà auteur d’ouvrages sur le groupe britannique, comme The Wall et Atom Heart Mother.
En quelque 140 pages, l’auteur revient sur la genèse du disque de tous les records, analyse avec pertinence sa
musicalité, décortique les prestations live, et offre un plongeon passionnant dans les paroles habitées de Roger Waters. Une mine d’informations destinée aux amateurs éclairés comme aux fans acharnés.
Le journaliste Laurent Bourdelas chronique le dernier livre de Philippe Gonin.
Une chronique à réécouter en podcast sur le site de France Bleu