Cosmetic metal music, manicured noise : afin d’annoncer un concert des Buzzcocks, ce slogan inventé par Linder Sterling, spécialisée dans le collage iconoclaste et future membre de Ludus, groupe culte de l’après-punk, donne en quelque sorte le ton de ce qui adviendra – dans l’immédiat tout au moins.
Quasi simultanément, chaperonné par David Bowie, qui, à l’instar d’un Brian Eno, a su flairer de nouvelles tendances intéressantes dans le krautrock de Kraftwerk et Neu!, Iggy Pop chante : “Je suis le passager, (...), je vois le ciel (...) au dessus des faubourgs éventrés de la ville.”
Assez peu l’ont alors remarqué : un langage nouveau s’inventait-là. Un langage fondé sur une sorte de désengagement tout à fait inédit car teinté d’acceptation. Un langage – une novö-langue diront certains – faisant fi des aspirations originelles du punk-rock à la révolution, jusqu’à prendre ses distances avec le réalisme social et le politique.
Revue de presse
Philippe Robert est une plume virtuose que j’ai découvert comme beaucoup dans les Inrocks mais qui officie aussi comme auteur de très bons livres sur la musique, notamment « ROCK POP, un itinéraire bis en 140 albums » déjà édité chez Le Mot Et Le Reste.
Des cendres encore brûlantes du grand incendie Punk, qui culmina à cheval sur l’année 1976/77, un autre mouvement musicale en est née : le post-punk. Il fut à la fois une suite et une rupture d’avec le punk qui dès le départ était divisé.
Le post-punk garda certaines de ses références et particularités musicales (urgence, minimalisme, etc.) mais se détacha de son activisme politique pour se recentrer sur l’introspection mentale personnelle (la psyché) et surtout l’Art comme seule voie possible. En quelque sorte, les groupes Post-punk furent les pionniers de l’Art rock. Si on veut être exact, le véritable premier groupe Art rock fut le Velvet Underground qui, avant tous, associa la musique avec d’autres formes artistiques comme la peinture et la vidéo.
En même temps, d’autres courants très proches sont apparus avec celui-ci comme la no wave, l’indus et le noise. C’est de ces quatre-là que traite superbement le livre. Je rajouterai la cold wave qui, bien que présente par certains de ces groupes phares, n’est pas mentionnée comme telle dans cet ouvrage.
Le livre est composé de deux parties.
La première analyse le contexte de départ et chacun de ces mouvements pour les définir. Bien que relativement synthétique (une trentaine de pages), elle n’en est pas moins pertinente. La seconde est comme une grande playlist chronologique des disques indispensables. Elle couvre plus de trois décennies et va ainsi de « The Modern Dance » de Pere Ubu (1978) jusqu’à « Returnal » de Oneohtrix Point Never (2010). Une double page leur est ainsi consacrée avec photo de la pochette et analyse de l’auteur. Cette partie est tellement réussie que j’ai (re)découvert nombre de bons disques méconnus et, depuis, j’ai envie de tout écouter ou réécouter. Pour les néophytes, cette liste sera une excellente porte d’entrée et d’exploration du Post-punk & Co….
De par son analyse pointue tout en étant très accessible, « Post Punk, No Wave, Indus & Noise » s’adresse autant aux initiés du genre qu’à ceux qui désirent découvrir tout un pan méconnu de l’histoire de la musique rock.
Alors, si vous voulez vous replonger dans la musique de cette période « glaciale » mais ô combien créative, vous savez ce qu’ils vous restent à faire. A bon entendeur salut !!!!!
Ma Note : * * * * * * (6)
Le journaliste Joseph Ghosn nous parle de ses coups de coeur dans son blog. En mai, il lisait Post-punk, no wave, indus & noise de Philippe Robert.
Philippe Robert nous a habitué à ce type d’ouvrage puisqu’il a déjà publié aux éditions le Mot et le Reste divers titres sur la great black music, les musiques expérimentales, le rock… Une des remarques essentielles, chère au sein de notre magazine, c’est le fait de reconnaître la nature indissociable de l’histoire de ces musiques à l’objet disque. Cette fois-ci, il s’attaque aux courants nés des cendres du mouvement punk, basé sur la recherche et l’expérimentation sonore effectuées principalement par des groupes anglais de post-punk et new wave new-yorkais entre 1978 et 2000. Après la fin du mouvement punk, certains groupes ressentent la nécessité de revenir aux racines underground que les groupes phares du punk avaient en quelque sorte délaissées suite à leurs signatures sur des major. D’où viennent des groupes tels que Liquid Liquid, Joy Division, DNA ? Quelle a été leur influence sur l’industrie du disque ? L’auteur souligne les ponts avec les expériences musicales des futuristes italiens (Luigi Russolo), les courants artistiques dadaïstes et situationnistes, sans oublier l’influence fondamentale des musiques électroniques allemandes des années 70. Il se penche sur la musique industrielle des divers Frank Zappa, Captain Beefheart, Velvet Underground, King Crimson, Brian Eno, etc. Puis la noise où toutes concessions sont abandonnées au seul profit d’une recherche expérimentale sans limite que certains critiques avaient vite eu fait de caractériser comme étant privées de mélodie. On découvre, parmi les cent trente noms cités, d’illustres inconnus, démontrant une fois de plus la vivacité de ces mouvements dont la portée est expliquée au fil des 300 pages.
Comme pour plusieurs de ses précédents ouvrages Philippe Robert opte pour la formule de deux pages par album choisi comprenant la pochette du disque agrémentée de notes « à écouter aussi » et « également conseillés ». Cette formule d’articles courts, plutôt que de longs chapitres, produit une dynamique qui colle très bien aux courants Post-Punk, No Wave, Indus et Noise, pas seulement parce que, au moins pour le Post-Punk, les morceaux brefs étaient très répandus, mais surtout parce que ces étiquettes regroupent un monde très hétérogène et fragmenté. Il y colle peut-être mieux d’ailleurs que l’ouvrage de Simon Reynolds Rip It Up and Start Again, Post-Punk 1978–1984, dont la traduction est parue chez Allia en 2005. Ce pavé aux chapitres fleuves a surtout pour lui l’intérêt de cerner les groupes emblématiques dans leurs moindres détails, mais seulement sur une poignée d’années.
Le grand intérêt de l’ouvrage de Philippe Robert est justement de ne pas rester cloisonné aux quelques années avant et après 1980. Ce fut une période où les groupes avaient pour ambition commune, les termes reviennent souvent au fil du livre, la déconstruction, le déconditionnement et/ou de « bousculer le catéchisme du rock ». La période fut donc « refondatrice ». Sur ces nouvelles bases allaient se développer une incroyable frénésie créatrice. Aller au-delà, jusqu’à 2010 même, avec l’album Returnal d’Oneohtrix Point Never (chez Mego), c’est justement s’ouvrir à toutes les explorations concomitantes et qui suivirent. Y compris en France, l’ouvrage abordant, entre autres, Alesia Cosmos, Ruth, Alain Bashung… Aux côtés de Siouxsie And The Banshees, des Talking Heads, de Throbbing Gristle ou encore de Blurt, Merzbow et des Raincoats, cela donne une idée succincte de la quelque dizaine de douzaines de groupes que l’on peut découvrir ou mieux connaître. Et cela non pas à travers de plates notices biographiques, mais par une approche de leurs démarches, qui souvent se recoupent (d’où les « chassés-croisés » du titre) et par l’habileté de la plume de Philippe Robert. Elle nous chatouille souvent au point de nous pousser à saisir un crayon et du papier pour vite noter une référence, sans que ce soit d’ailleurs celle de l’album choisi en titre de section !
Le post-punk : une manière de révolution musicale qui, certes, s’étaie sur la révolte du punk, en perpétue l’esprit do it yourself, mais qui, surtout, l’excède.
En interrogeant la matière sonore même, voire son support : qu’est-ce qu’une chanson ? Qu’est-ce qu’un instrument ? En analysant la pertinence de l’opposition (que réfute Luigi Russolo dans L’Art des bruits) entre son et bruit – le bruit devient alors « une composante possible », prend aussi une dimension politique en tant que rupture avec la musique qui constitue « un énième attribut du pouvoir et un lien de domination de ses sujets ».
D’où une certaine forme de déconstruction (qui n’est pas sans rapport avec l’art abstrait) de la mélodie, puis la quête d’un état pré-harmonique.
Ainsi de la no wave, très arty s’il en est, new-yorkaise d’essence, considérée telle « une exacerbation de ce que le rock contenait jusque-là de sauvagerie ».
Ainsi de la musique industrielle qui produit « un véritable mur de bruit blanc, fait de masses sonores écrasantes au point de ressembler à une sorte de silence paradoxal », peint « des paysages en fusion », invente « des martèlements infernaux allant sans cesse crescendo ».
Jusqu’au noise qui, au-delà de ses paroxysmes soniques, de ses dévastations dionysiaques, de ses extases, légitime définitivement le bruit, comme positivité et non plus comme subversion.
S’il est étude et analyse, Post-punk, no wave, indus & noise, est également spicilège où sont colligés, avec érudition, plus d’une centaine de groupes, d’albums sortis entre 1978 et 2010 : de Père Ubu à Whitehouse, SPK, Section 25, The Wake, en passant par Throbbing Gristle, James Chance and the contorsions, Masonna, Magazine, Hijokaidan, DNA, Marquis de Sade…
Rien que du bon. Rien que du bonheur.
Quelles sont les influences de LCD Soundsystem ou The Rapture ? Quelle a été la part de rayonnement de groupes comme Liquid Liquid, Joy Division, DNA ou Throbbing Gristle ? Le journaliste et écrivain Philippe Robert se penche sur les cendres du punk dans son livre Post-punk, no wave, indus & noise. Un ouvrage qui donne un éclairage érudit sur ces quatre mouvements musicaux surgis dès la fin des années 1970. Quatre genres qui dessinent les lignes forces de l’underground dans cette période pré-techno.
Journaliste chevronné __ de Coda aux Inrockuptibles en passant par Vibrations ou Jazz magazine __ aux passions musicales plurielles, Philippe Robert a déjà rédigé quatre livres enrichissants sur différents styles ou périodes : Rock, Pop – Un itinéraire bis en 140 albums essentiels; Great Black Music – Un parcours en 110 albums essentiels; Hard’n’Heavy 1978/2010 – Zero Tolerance for Silence; Musiques expérimentales – Une anthologie transversale d’enregistrements emblématiques. “Les ouvrages que j’ai écrits consistent à revenir sur une partie déterminée de l’histoire de la musique, et à la faire à la lueur d’albums, parce que j’aime l’objet-disque. Il me parait indissociable de cette histoire propre au XXe siècle. Chacun de mes livres raconte une histoire possible, rien d’autre. J’ai horreur des livres exprimant des opinions définitives. Je propose donc des parcours.”
Fertilisations croisées
Le parcours proposé par Philippe Robert compte 130 albums, de 130 formations, avec des “groupes incontournables (PiL, Gang of Four, DNA, Throbbing Gristle) et des singuliers mais pas moins importants (Raincoats, Ludus). Mais je n’écris ni dictionnaires ni guides d’achat sous prétexte que je parle de disques. Je déroule une histoire, finalement très personnelle, où l’objectivité et la subjectivité sont intimement mêlées, et dans laquelle j’essaie d’ouvrir des champs d’investigation encore inexplorés.”
Un copieux addenda et de multiples renvois complètent la sélection de disques qui se présente de manière chronologique : “Tous les courants sont perméables aux influences extérieures, ils se nourrissent même les uns les autres au point que l’on pourrait évoquer des fertilisations croisées. IL valait donc mieux mêler post-punk, no wave, musique industrielle et noise. Seule la new wave n’a pas été retenue car elle me semble participer d’autre chose, directement relié à une certaine idée de la pop.”
En fouillant dans les archives, Philippe Robert s’est penché sur tous les groupes de cet underground qui “innovent, tracent la voie dans laquelle s’engouffrent les autres. On les reconnaît à leur singularité, à ce qu’ils apportent de révolutionnaire.” Mais la richesse du livre est aussi de s’ouvrir sur le présent : “Des groupes comme Cold Cave, Erase Errata ou Oneohtrix Point Never proposent aujourd’hui des choses extrêmement intéressantes. L’underground n’a jamais été aussi vivace !”
La chronique d’une certaine actualité musicale.
“Beaucoup d’entre vous connaissent certainement la maison d’édition marseillaise Le Mot et Le Reste. Je vous en parle régulièrement au cours de cette émission puisque l’une de leur collection (Formes) est réservée aux livres grand public consacrés à la peinture, la littérature et bien sûr la musique. L’éditeur vient de faire paraitre un nouvel ouvrage de Philippe Robert intitulé Post-Punk, No Wave, Indus & Noise. On connait l’amour et la connaissance encyclopédique de cet auteur pour ces styles musicaux, on n’est donc guère surpris d’y découvrir ou retrouver une centaine d’albums édités entre 1978 et 2010 et, comme toujours, judicieusement présentés. Pour faire court disons que ces mouvements musicaux (Post-Punk, No Wave, Indus & Noise) sont nés de l’explosion de la scène punk et on été influencés par les expériences musicales des futuristes italiens, par les attitudes artistiques dadaïstes et situationnistes, par les musiques électroniques allemandes des années 70, par les performances sonores industrielles anglaises et les œuvres isolées d’artistes hors normes comme les fabuleux Frank Zappa et Captain Beefheart, le Velvet underground, King Crimson, Brian Eno et bien d’autres… Le journaliste Philippe Robert donc retenu une bonne centaine d’albums, un choix toujours très subjectif mais très cohérent d’autant plus qu’il ajoute pour chacun d’entre eux une liste d’albums du même auteur A écouter aussi et une liste d’artistes également conseillés. Bref de quoi se faire une excellente discothèque et de disposer des clés indispensables à la compréhension de ces tendances musicales riches et toujours influentes.”
Pour réécouter l’émission du 21 mars 2011 :
Tapage nocturne
Post-punk, No Wave, Indus & Noise, Chronologie et chassés-croisés, est une photographie subjective de certaines froideurs musicales signée du prolifique Philippe Robert. L’auteur y livre les clefs de forme et de fond d’une protubérance sonore tribale ou pré-harmonique. Nerveux et passionnant.
Plus interview bonus (et fleuve) sur Obskuremag.net
Dans son émission Easy rider (n°1102, dimanche 27 mars 2011), Olivier sacre Post-punk, No Wave, Indus & Noise livre de la semaine.
Réécouter l’émission : Easy rider
C’est toujours vers Greil Marcus qu’il convient de se tourner lorsqu’on interroge l’histoire du mouvement punk. Lipstick Traces (Éditions Allia, 1998) est ce grand livre dans lequel il est montré que l’aventure des Sex Pistols s’origine chez les gnostiques. Ils affirmaient que le monde est vicié parce que créé par un Dieu pervers. Faut-il rappeler que ces profanateurs du dogme ont connu l’Enfer. Des bûchers collectifs léguèrent au Saint-Esprit le corps des hérétiques. Sans doute est-ce l’une des bonnes raisons qui explique la mauvaise humeur des toujours punks lorsqu’ils eurent vent qu’une exposition à la villa Médicis (où fut interné naguère le dangereux Galilée) proposait, sous vitrine, jusqu’au 20 mars 2011, des vestiges aussi séditieux que les T-shirts griffés Malcolm Mc Laren et Vivienne Westwood. Cela sentait l’hérésie un peu comme sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps, l’hommage rendu à l’Internationale Situationniste en 1989 par le Centre Georges Pompidou, suscita l’ire des révoltés toujours nerveux, forcément. Il y a des feux inextinguibles. Greil Marcus, dans son grand livre, dessine une flèche du temps punk sur laquelle il place gagnant les gnostiques, l’anabaptisme de Jean de Leyde, dada et les situationnistes.
Dans Post-punk, no wave indus & noise, le formidable érudit Philippe Robert ne manque pas de jeter à travers le temps les passerelles qui relient les Sex Pistols à dada et à la politique. Il confirme ce que Greil Marcus avait vu. Punk et dada, c’est le même bruit. C’est la même fureur. Seulement, il précise l’importance d’un gamelan à suivre : Francesco Balilla Pratella, auteur du Manifeste des musiciens futuristes, publié en 1911, inconnu des éditeurs en langue française. Un coup de tonnerre puisque Luigi Russolo lui dédie L’Art des bruits (L’arte dei Rumori), le grand acte du bruitisme sorti deux ans après que Pratella eut lâché son vacarme. Philippe Robert ne revient pas sur les premiers pas de bébé punk. Il nous le montre grandi, affranchi, libéré d’un passé fulminant où brillent d’un noir vif Clash, Damned, Stranglers, Buzzcocks, Blondie, Television, ces noms aujourd’hui bibliques. Philippe Robert expose une autre trajectoire, celle qui vient de l’après-punk déconstructeur cherchant noise aux conformismes, toujours devant pour faire table rase et ce « brouhaha éternel » appelé par Kierkegaard, une émeute dans laquelle on retrouve Throbbing Gristle, Merzbow, Psychic TV, Sonic Youth, Catalogue, Kas Product, Glenn Branca, Tuxedomoon, Joy Division, The Flying Lizards, Devo, The Red Crayola … Il faut bien abréger la liste. Philippe Robert à qui l’on doit (et je dis bien à qui l’on doit) une floraison d’ouvrages essentiels sur le rock et la pop hors des limites géométrisées par le marketing nous apporte dans ce recueil de choix ses lumières, celles d’un spéléonaute de l’underground. Car il n’y a que l’underground. Le mainstream n’intéresse personne.
Le mainstream n’intéresse personne et c’est pourquoi on ne voit rien venant de l’Est. Le punk médiatisé UK obombre les révoltes réelles, pour ne pas dire logiques selon le mot d’Arthur Rimbaud. Car tandis que le monde bouge, les yeux se fixent toujours sur les étiquettes de la consommation. À quelques lettres près, consommation devient consumation. Lisez le livre de Jürgen Teipel et vous verrez comment le punk à certains endroits du monde fut sérieusement connecté à la révolution. Lisez ce livre et vérifiez. Le punk est l’ennemi juré des hippies, ces remuants apparents mais adorateurs de l’ordre US. Ils n’ont rien fait que titiller. Jürgen Teipel a enquêté et il ressort que le mouvement punk coïncide avec Elf uhr nachts (Pierrot le fou), Godard Belmondo associés, poing dans le poing. Blitzkrieg Pop et troublemakers ont sévèrement à voir avec l’anti-pacifisme, soit l’idée reçue dans les années 1970 à la suite de quelques messages envoyés sous la doctrine du hippiedom ou hippie dogme.
LIPSTRICK TRACES, Greil Marcus, Folio Gallimard, 602 p., 13 €
POST-PUNK, NO WAVE INDUS & NOISE, Philippe Robert, 300 p., 20 €
DILAPIDE TA JEUNESSE, UN ROMAN-DOCUMENTAIRE SUR LE PUNK ET LA NEW WAVE ALLEMANDS, Jürgen Teipel, 432 p., 25 €
Philippe Robert a publié six ouvrages chez le mot et le reste (Rock Pop, Great Black Music, Musiques expérimentales et Hard’n’Heavy en deux volumes avec Jean-Sylvain Cabot).
Sur les cendres du mouvement punk, quatre courants musicaux à l’émergence quasi concomitante ont tracé la voie d’une approche nouvelle basée sur l’expérimentation et le non-conformisme : le post-punk (surtout en Angleterre) ; la no wave (presque principalement à New York) ; la musique industrielle (partout dans le monde) ; et enfin le noise (essaimant progressivement au niveau international en se référant aux deux derniers). Entre autres exemples, viennent à l’esprit les noms de PUBLIC IMAGE LIMITED, WIRE, GANG OF FOUR, GLENN BRANCA, DNA, RHYS CHATHAM, MARS, THROBBING GRISTLE, EINSTÜRZENDE NEUBAUTEN, MERZBOW ou CARLOS GIFFONI. En ce qui concerne le post-punk, dès la fin des années soixante-dix / début des années quatre-vingt, la démarche s’est enracinée dans une certaine forme de déconstruction n’excluant toutefois pas la mélodie. Ce n’est qu’avec la no wave, puis la musique industrielle, et enfin le noise, que toutes concessions au rock seront quasiment abandonnées au seul profit de recherches d’un état que l’on pourrait qualifier de pré-harmonique (en tous cas pour les deux derniers mouvements). Au travers de nombreux chassés-croisés, cette histoire est racontée au fil d’albums sortis entre 1978 et 2010.
Décidément, on ne l’arrête plus. Après avoir consacré des ouvrages similaires au pop rock, à la musique expérimentale, à la black music puis, avec Jean-Sylvain Cabot et en deux volumes, au hard et au heavy metal, Philippe Robert remet le couvert, cette fois avec quatre mouvements clés nés après le punk (post-punk, no wave, indus, noise), et qui ont partagé le projet de bousculer, de maltraiter, de défier, voire de nier le rock.
Que dire de neuf cette fois ? Que dire de plus par rapport aux ouvrages précédents puisque, là encore, le critique fait preuve d’un goût sûr et d’une érudition sidérante ? Que, non content de nous présenter en détail une bonne centaine d’enregistrements, Philippe Robert nous cite aussi d’autres disques cousins, qu’il complète tout cela d’une discographie complémentaire encore plus riche, doublée d’une biographie touffue, et bien sûr, en introduction, d’une mise en perspective des quatre genres abordés ? Qu’il sait mêler quelques choix plus personnel aux grandes références des genres abordés ? Qu’il établit des parallèles entre les pionniers de ces mouvements et leurs héritiers d’aujourd’hui ? Que, loin de s’arrêter au seul univers anglo-saxon, il sait trouver quelques pépites ailleurs, notamment en France, fort bien représentée dans le cas présent?
S’il faut souligner les points communs avec les précédents ouvrages, on peut aussi revenir sur ceux qui fâchent : un style parfois lourd, un propos difficile à suivre, à force de phrases en tiroirs, d’apartés et de parenthèses qui s’efforcent à grand peine de canaliser un flot puissant de connaissances, de références et d’anecdotes ; ou encore, ce lourd magistère que fait peser Wire sur ce nouveau livre, à tel point que Philippe Robert, dans l’article sur le What Happened de Emeralds, emploie à son tour le concept de “pop hypnagogique” que le fameux magazine anglais se sent obligé de nous refourguer depuis des mois.
Toutefois, il y a davantage à dire sur cette dernière livraison de Philippe Robert. Et tout d’abord, que ce Post-Punk, No-Wave, Indus & Noise vient réparer un manque, un oubli : cette sous-représentation des années 80 que l’on regrettait dans son volume sur le pop rock, très largement consacré à la décennie d’avant. Cette fois, au contraire, et quitte à revenir sur des disques qu’il a déjà commentés dans l’autre livre (Cut des Slits, Colossal Youth des Young Marble Giants), ce sont les 80’s qui ont les honneurs, fort logiquement, puisqu’au moins trois des mouvements traités ici s’y sont principalement épanouis.
Qui plus est, Philippe Robert aborde les quatre genres sous le bon angle. Dans son ouvrage de référence sur le post-punk, Rip It Up & Start Again, l’Anglais Simon Reynolds avait un peu triché. Il avait regroupé sous cette étiquette tout ce qui lui avait plu dans l’après-punk, sans que tout cela relève à proprement parler de la démarche post-punk. Le Français, lui, ne se livre pas à cette petite supercherie. Il identifie quatre mouvements qui partagent pour de bon un projet commun, ce souci de déconstruction, sinon de destruction, cette volonté d’aller au-delà du rock. Rien n’est hors-sujet, ici. Ah, si, peut-être les Psychedelic Furs, moins expérimentaux et iconoclastes que beaucoup d’autres, ou le Gun Club, qui prônait davantage un retour aux racines du rock que son dépassement.
Mais dans son avant-propos, l’auteur avait prévenu qu’il se permettrait de telles exceptions, accompagnant ses dires d’une citation très juste de Günter Brus contestant que l’Histoire, et a fortiori celle de l’art ou de la musique, puisse être linéaire et unilatérale, et donc qu’on puisse la segmenter en tendances et en genres purs et parfaits. Et puis on peut bien lui accorder toutes les exceptions qu’il souhaite, puisque les disques qu’il présente sont toujours, sinon des classiques, au moins de vraies curiosités ou des must-have.
Avec Philippe Robert, donc, on adhère à chaque fois. Qu’il parle de post-punk ou d’autre chose, on a en toujours pour son compte. Qu’il se décide, la prochaine fois, à nous parler de séga mauricienne ou de chant diphonique mongol, et on achètera. Tiens, à propos, la discographie complémentaire de ce dernier volume se termine pas ces mots : “il va sans dire que new wave et hardcore américain méritent chacun un ouvrage dédié à leur cause”. Ah ben oui, tiens, un tout nouveau livre sur la new wave ou le hardcore…
Chiche ?