Un ouvrage en deux parties, une première tout à fait passionnante consacrée à l’analyse des conditions de naissance et d’évolution de la culture musicale pop-rock et une seconde partie qui présente 90 albums qui firent les grandes heures de cette période musicale d’une inventivité sans limite.
Éric Serva – France Musique // Tapage Nocturne
Revue de presse
La collection Le mot et le reste est basée pratiquement toujours sur le même principe. Après avoir replacé le thème dans son contexte, les auteurs analysent soit des musiciens (Free jazz), soit des albums, ce qui est le cas ici. La période est très restreinte, s’étale sur trois ans, avec en introduction le chapitre intitulé “Naissance d’une culture underground’. En 1967, c’est la naissance de l’âge d’or de la contre-culture, le développement des écoles d’art notamment en Angleterre, l’envolée des communautés, qui débouchera sur le Summer of Love, Woodstock, la libéralisation des mœurs et tutti quanti. Mais cette jeunesse insouciante sera rapidement rattrapée par la violence d’une société toujours (et encore) basée sur l’argent et le pouvoir, à travers les guerres (Vietnam) ou la politique (l’envahissement de la Tchécoslovaquie par l’armée russe). C’est l’objet du dernier chapitre intitulé “La fin des illusions”.
Reste de cette époque créative une prolifération de groupes parfois éphémères, parfois durables, qui ont produit quelques pépites devenues incontournables d’une certaine musique populaire au sens noble du terme. C’est ce que Guillaume Ruffat analyse disque à disque dans la seconde partie du livre. Alors, pour les plus anciens, cela permet de retrouver quelques souvenirs et d’apprendre encore quelques détails qui avaient pu échapper à l’époque, et pour les plus jeunes de connaître une période qui continue à laisser des traces dans les musiques actuelles.
Au fil des pages, on peut ainsi (re)découvrir Soft Machine, Frank Zappa, les Beatles et les Stones, Captain Beefheart… mais aussi Brigitte Fontaine et l’Art Ensemble, Terry Riley ou… Serge Gainsbourg.
Révolution musicale
Avec en sous-titre : « 1967–1969 de Penny Lane à Altamont » et quatre illustrations fort célèbres dans le genre pochettes de vinyle : Between the Buttons, la banane d’Andy Warhol, Tommy et Abbey Road (essayez de mettre un nom de groupe sans regarder les images). Attention ce livre ne s’adresse absolument pas uniquement à ceux qui auraient eu vingt ans ou pas loin en mai 1968. Je dirais qu’il intéresse tous les passionnés, les curieux de musique.
Guillaume Ruffat propose une lecture musicale du monde sur trois années à partir de quatre-vingt-dix albums. Vous avez le choix : après avoir lu les soixante-dix premières pages qui résument la vie artistique pendant les trois ans choisis, soit vous lisez la présentation et le commentaire concernant les albums dans l’ordre, soit vous allez directement page 356 consulter la liste par groupe des albums analysés et vous lisez en commençant soit par ceux que vous n’avez pas, soit par ceux que vous avez – il serait étonnant que vous possédiez tous les albums cités… Je pencherais personnellement pour la première méthode et cela pour deux raisons. D’abord les surprises (Qu’est-ce qu’il/elle fait là ? Ah bon c’est de la musique qui révolutionne !?) devant les noms des groupes et puis la surprise devant la reproduction noir et blanc des pochettes. Pas mal de psychédéliques et surtout un certain nombre de jamais vues… Vous me direz que tout cela peut être parfaitement subjectif et que n’importe qui d’autre donnerait une suite différente d’albums pour la même période. Peut-être, mais je n’en suis pas sûr du tout. Pour une raison simple, Guillaume Ruffat ne confond pas ce qui fut tube et autre succès émotionnel de vacances ou de rentrée avec ce qui apporte du nouveau, du changement sur la scène musicale, se renouvelle ou achève. Il serait intéressant de savoir si en bon francophone vous connaissez les quatre albums « français » qui figurent dans ce livre : (cités par ordre alphabétique) Brigitte Fontaine : Comme à la radio (août 1969) – Serge Gainsbourg : Initials BB (juin 1968) – Françoise Hardy : Ma jeunesse fout le camp (juin 1967) – Pierre Henry : Messe pour le temps présent (août 1967). Ne vous étonnez pas de Pierre Henry, on trouve aussi Miles Davis et Terry Riley ou Johnny Cash…
Bonne promenade musicale…
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Au moment où l’on fêtait les quarante ans de Mai 68, Guillaume Ruffat publiait cet ouvrage où l’on parle de musique mais pas seulement : les disques séminaux dont il est ici question traduisirent toutes les mutations de leur époque. La bande-son d’une génération en marche.
Remarqué pour ses rééditions d’études classiques de Maurice Dommanget sur le 1er mai et le Drapeau rouge, les éditions Le mot et le reste développent de plus en plus leur dimension de critique musicale, ainsi avec l’étude d’Eric Deshayes, Au-delà du rock , qui s’intéressait au courant progressif allemand des années 70, électronique en particulier. Guillaume Ruffat, pour sa part, en enseignant passionné qu’il est, nous propose une approche particulièrement intéressante sur un tournant de trois années qui ont révolutionné la musique, compris entre la parution de l’album Penny Lane des Beatles et le tragique festival d’Altamont, en décembre 1969, qui se solda par quatre morts.
Son ouvrage débute par une analyse précieuse du contexte de cette ébullition de la seconde moitié des années 60, à la confluence de plusieurs évolutions : l’émergence d’une jeunesse nombreuse, aux exigences nouvelles, et plus éduquée (l’insistance sur les « Art schools » anglaises semble pertinente) ; une politisation surtout sensible aux Etats-Unis (lutte des Noirs, opposition à la guerre du Vietnam), et qui s’exprime à travers le folk d’un Dylan ; le développement de la consommation de drogues, essentielles dans l’émergence du psychédélisme, et d’un syncrétisme spirituel… (les 300 premiers exemplaires de l’album Anthem of the Sun de The Grateful Dead étant même commercialisés avec une dose d’acide !). C’est dans cette ambiance que la musique rock connaît une véritable crise de croissance, avec l’apparition de l’album concept (Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles et Days of Future Passed des Moody Blues), et le soin renforcé apporté aux textes et au visuel, aussi bien pour les pochettes que sur scène.
Mais le corps du livre, ce sont les pages critiques de 90 disques, sélectionnés par ses soins, et considérés comme spécialement marquants et représentatifs de la problématique privilégiée, non seulement dans la veine rock, mais avec des incursions assez larges, y compris dans la variété française (Françoise Hardy, Serge Gainsbourg et Brigitte Fontaine). La subjectivité, inhérente à ce genre de classement, est totalement assumée. Il n’en reste pas moins que certains disques, assez peu révolutionnaires, sont à la limite du hors sujet, ainsi de The Dubliners ou de l’album Speak Like a Child d’Herbie Hancock, tourné vers le jazz des années 50. La plupart des 33 tours choisis témoignent d’une volonté d’enrichir le rock par l’apport d’arrangements et d’instruments extérieurs. C’est le cas d’artistes déjà connus, comme les Rolling Stones (Beetween the Bottom), Georges Harrison (Electronic Sound, réalisé entièrement au moog), The Hollies (le bien nommé Evolution), The Who (Sell Out ou le chef d’œuvre Tommy), The Grateful Dead, Sly and The Family Stone (Stand ! et son « funk progressif »), ou de jeunes arrivés, The Doors, le Velvet Underground de Lou Reed, la fusion d’un Traffic ou de Carlos Santana, le rock symphonique des Moody Blues (utilisation d’un orchestre et du mellotron), Love et son « rock baroque », ou Jimi Hendrix (Electric Ladyland). Sans parler de l’émergence d’artistes hors normes, Frank Zappa et ses Mothers of Invention (Absolutely Free et son melting pot musical), son ami Captain Beefheart alias Don Van Vliet, l’œuvre météoritique de Pierre Henry (Messe pour le temps présent, jalon de la musique électronique), ou la confirmation d’un Terry Riley (A Rainbow in Curved Air). La politique n’est jamais très loin, ainsi de Hendrix qui, à la fin de sa trop brève vie, se déclarait proche du Black Panther Party, tout comme James Brown, MC5 fondateurs d’un White Panther Party, Zappa qui s’en donne à cœur joie contre le modèle étatsunien, ou le groupe The Bonzo Dog Doo-Dah Band, dont l’humour rock revendiquait sa proximité avec le mouvement dada. On notera en tout cas que bon nombre de groupes, à la suite des Moody Blues, se mettent à utiliser le mellotron, y compris les plus inattendus (Rolling Stone, The Kinks). Le courant du rock progressif proprement dit est bien sûr représenté : Pink Floyd (présent pour The Piper At The Gates of Dawn et Ummagumma), The Soft Machine, The Moody Blues, King Crimson, Caravan (encore très pop, mais avec l’annonciateur « Where But For Caravan Would I ? »), et même The Can, futur Can, pour l’Allemagne. Il est clair, au vu de la fertilité et des expérimentations tous azimuts, que le qualificatif de musiques progressives est pour cette période particulièrement pertinent.
Le seul bémol que l’on peut émettre par rapport à ce précieux travail réside dans l’éclairage sans doute un peu trop exclusif porté sur ces « trois glorieuses » : la révolution musicale dont il est ici question se poursuit en effet pendant quasiment dix ans à travers l’œuvre de divers groupes (citons Magma, Yes ou King Crimson, de nouveau). Certes, la profusion d’albums de qualité sortis à ce tournant pose pour beaucoup les bases de styles développés la décennie suivante, reggae (Toots and the Maytals), rock sudiste (Creedence Clearwater Revival), rock progressif (Pink Floyd, Moody Blues, King Crimson), punk (MC5, Velvet Underground, The Stooges) ou hard rock (Cream, The Jeff Beck Group, Led Zeppelin). Mais la fin du « rêve hippie » que Guillaume Ruffat diagnostique ressemble un peu trop à l’acte de décès proclamé du gauchisme français avec l’enterrement de Pierre Overney en 1972. L’insistance est d’ailleurs portée sur les morts, celles de figures musicales dues aux drogues, celles causées par Charles Manson et celles, enfin, ayant lieu dans le cadre du festival d’Altamont, parallèlement à la fin de quasiment tous les labels indépendants.
Chefs-d’œuvre reconnus ou trésors souvent méconnus, ces 33 tours sont témoins d’un paysage sonore et social en pleine mutation.
La révolution musicale du rock se dévore au fil des pages.