En résumé, le lecteur semble tenir ici l’ouvrage définitif sur le rock progressif.
Thomas Dreneau – Arès
Revue de presse
Le 9 juillet dernier, Aymeric Leroy était l’invité de l’émission Bulles noires, dédiée au rock progressif.
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2010 pourra être considérée comme une année faste en ce qui concerne l’étude du rock progressif. En effet, sont parus presque simultanément les livres de Jérôme Alberola, Anthologie du rock progressif, Voyages en ailleurs, et — donc — de Aymeric Leroy, Rock progressif. L’ouvrage de Alberola, à cet égard, est peut-être le moins réussi ; du fait qu’il s’agit plus de l’œuvre d’un fan amateur de rock progressif que d’un véritable chercheur à l’instar de Leroy lequel a su parfaitement mettre en avant son talent de synthèse dans tous les domaines, c’est-à-dire musical, économique et historique.
En résumé, le lecteur semble tenir ici l’ouvrage définitif sur le rock progressif. Il faut dire que Leroy a pu bénéficier du travail pionnier de Frédéric Delâge (Chroniques du rock progressif 1967–1979, 2002), mais aussi de Christophe Pirenne (Le rock progressif anglais 1967–1977, 2005). Et si le premier a en partie inspiré l’auteur du présent livre relativement à son choix des disques et des groupes majeurs ou secondaires de ce genre musical, le second, quant à lui, a donné les éléments sociologiques et historiques de base à une pleine compréhension du style en tant que tel. Toutefois, il serait faux de croire que le livre de Leroy a rendu négligeable le travail de ses prédécesseurs. Delâge propose une analyse approfondie de chaque disque choisi parmi les plus emblématiques du rock progressif ; tandis que Pirenne s’attarde longuement sur les origines de celui-ci, tout en proposant une étude musicologique non dénuée d’intérêt — même pour le néophyte. Bref, ces livres complètent le travail de Leroy ; bien qu’il faille avouer que ce dernier les a, en quelque sorte, « dépassés ».
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revue Arès
Le volume est épais, 452 pages au compteur. Aymeric Leroy est connu pour avoir fondé la revue de musiques progressives Big Bang et pour avoir développé, dès 1996, le site Web Calyx, une mine d’informations sur l’école de Canterbury, l’une des branches les plus ramifiées du rock prog. Avec cet ouvrage il propose un long voyage dans le temps en s’appuyant sur le parcours, suivi année après année, de groupes qui deviennent peu à peu des mastodontes du rock progressif, voire du rock tout court : King Crimson, Emerson, Lake & Palmer, Yes et Genesis. On remonte d’abord en des temps reculés, la fin des années 1960, où la préhistoire du genre fut écrite par les Beatles, Cream, Procol Harum ou encore les Moody Blues. Avant donc que le cri primal du rock progressif ne soit projeté par un roi cramoisi : King Crimson et son premier album In The Court of Crimson King en 1969 (à noter au passage que le pacha du hip-hop Kanye West sample “21st Century Schizoïd Man” sur le titre “Power” en 2010).
A partir d’In The Court of Crimson King en 1969 démarre le rock progressif en tant que tel. Aymeric Leroy ne perd pas de temps à établir une impossible définition, préférant convoquer un ressenti empirique et exposer quelques critères, comme la virtuosité et un grand format instrumental hérité de la musique classique. En fait, l’ouvrage peut être considéré comme une immense définition du genre. Les albums de chacun des mastodontes précités sont disséqués à la loupe sous l’éclairage d’une lampe halogène. Leurs albums et ceux de nombre de groupes relativement moins reconnus: Soft Machine, Caravan, Hatfield and The North… Disons l’école de Canterbury au complet, d’autres Anglais encore, des Américains, les scènes italiennes, françaises, canadiennes, allemandes, la mouvance Zeuhl engendrée par Magma, le Rock In Opposition… L’excellente construction chronologique du récit permet de les situer les uns par rapport aux autres sur un même pied d’égalité, celui du contexte historique et de son évolution.
De 1969 à l’orée des années quatre-vingt on voit le rock progressif passer par des sommets de créativité, des coups de mou, des succès commerciaux énormes (avec exil fiscal à la clé pour certains !) ou encore par des abysses d’inconsistance. On voit également beaucoup de groupes très créatifs naître dans l’indifférence ou ne susciter que le mépris des médias (du fait même de l’évolution du contexte, notamment l’essor de la vague punk). On en voit beaucoup mourir ou (pire ?) se vautrer dans le rock FM des années quatre-vingt, alors même que le rock néo-progressif apporte du sang neuf, dès 1983. La dissection est à la fois analytique et passionnante. Louanges et sévérité sont toujours finement mesurées et argumentées, ce qui occasionne par moments de nécessaires longueurs dans le propos. Les arguments sont très judicieusement puisés dans les changements de line-up et dans le contexte économique, en particulier l’évolution des grandes maisons de disques vers une logique industrielle et les conséquences esthétiques du “progrès” technologique. Ce regard très précis et situé dans le temps permet de battre en brèche nombre de clichés mais aussi de mieux comprendre les grands travers d’un genre loin d’être homogène.
Ce livre est évidemment indispensable à tous les fans de rock progressif. Il est aussi à conseiller à ceux qui le détestent : ils en ignorent sans doute encore certains recoins pouvant leur convenir. S’ils se sentent éternellement réfractaires, ils pourront au moins mieux affûter leurs arguments.
Fascinant laboratoire musical, trop hâtivement classé comme musique expérimentale ou intellectuelle, le rock progressif est né au crépuscule des années 1960, terreau fécond sur lequel ont poussé les fleurs les plus vénéneuses et, parfois, les plus luxuriantes de cette époque musicale bénie où tout était possible. Une parenthèse enchantée qui a vu se cotoyer la noirceur envoûtante de King Crimson, le raffinement symphonique de Genesis, l’exaltation mystique de Yes, les rêveries sonores de Pink Floyd, la virtuosité extravagante d’Emerson Lake & Palmer… Sans oublier des groupes plus méconnus mais non moins passionnants tels Van der Graaf Generator et son leader charismatique Peter Hammill, Jethro TulI, Gentle Giant, Soft Machine… Autant de groupes qui ont cherché et souvent réussi à inventer une musique au delà des distinctions de genre et du formatage commercial. Le rock progressif représente un legs artistique d’une variété et d’une richesse exceptionnelles. S’il a connu l’apogée de sa créativité et de son succès dans les années soixante dix, son impact s’est révélé aussi profond que durable, à travers ses nouvelles déclinaisons mais aussi son influence avérée sur certains des groupes actuels les plus aventureux et novateurs (Radiohead, The Mars Volta…).
Cet ouvrage revient sur le contexte historique et artistique exceptionnel qui a favorisé l’émergence et l’épanouissement du rock progressif, et décortique ses oeuvres phares, portant sur ce genre musical un regard à la fois érudit, passionné et sans complaisance. Un ouvrage de référence écrit par un passionné du genre.
Je me permets, avec une certaine malice, de réunir ces deux ouvrages (Rock progressif et Hard’n’Heavy 1966–1978) dont les auteurs se sont donné beaucoup de peine pour définir précisément les champs sonores concernés par l’un et par l’autre : il est ainsi désormais impossible de confondre hard et heavy ! Cette association se justifie simplement parce que les périodes concernées sont presque les mêmes (bascule des sixties aux seventies) et que surtout, à cette époque là, les classifications importaient peu, pour les amateurs de « pop musique » (on utilisait ce terme). J’écoutais aussi bien Alice Cooper que King Crimson en 1972, et je ne me fournissais pas dans deux magasins différents ; la question des genres ne se posait pas (c’est ainsi que les « majors » produisirent jusq’au milieu des années 70 des musiques considérées comme expérimentales (comme CBS avec « Soft Machine » ou la grande époque de Miles Davis). Autres temps, autres moeurs… (d’ailleurs, il n’y a plus de magasins…), et puisqu’il faut aujourd’hui classer, classons… Premier intérêt (et amusement) pour moi, celui de constater que finalement je suis plus hard que prog. La guitare, sans doute, si bien que Robert Fripp (chef de file prog, donc) fut vraiment celui qui bouscula mes certitudes lors d’un concert de 1973. Ensuite, ces micro-encyclopédies, non exhaustives (je me permettrais ainsi, par pur souci de rattraper un oubli permanent, de signaler le pataphysicien groupe de hard-rock jurassien « Guidon, Edmond et Clafoutis » qui éclaira quelques nuits psylocibiennes dont j’ai malheureusement égaré le seul et unique enregistrement disponible en son temps, de même que l’activité incessante depuis près de trente ans de Daniel Koskowitz avec le très progressif « Jagger Naut »), mais finement documentées, nous évitent de vaines recherches sur le net, et permettent d’aller droit au but (qui a fait quoi, avec qui et quand). Le système de fiche (déjà rencontré dans des ouvrages précédents de PHILIPPE ROBERT) est efficace, mais la prose d’AYMERIC LEROY nous plonge plus avant dans l’aventure.
Entre « Born to be wild » et « 21st Century Schizoïd Man », mon coeur balance, pour toujours…l’équilibre étant obtenu par la sensation et l’expérience…l’expérience de la sensation.
On l’a compris, j’ai beaucoup de tendresse pour la plupart des musiques évoquées dans ces deux ouvrages, même si je crains que le contenu de beaucoup de galettes faiblisse avec le temps…de quoi et ce n’est pas négligeable, relativiser l’importance de quelques phénomènes surclassés (« Emerson, Lake and Palmer », pour n’en citer qu’un). Beaucoup de respect pour le travail de recherche et d’analyse que représente ce type de compilation, et beaucoup d’intérêt pour les glissements permanents du main-stream vers la marge. Que la marge continue à tenir la page…
Pour beaucoup de personnes, le rock progressif demeure une sorte de mystère insondable, une variante intellectuelle du rock qui, par définition, serait idiot. Rien n’est plus faux. Souvent considéré comme prétentieux et pompeux, le rock progressif est pourtant le plus fascinant des laboratoires musicaux.
La meilleure façon de le défendre serait aussi de reconnaitre que la plupart de ceux et celles qui le conspuent en écoutent sans même le soupçonner. En effet, à partir du moment où il y a un son, nouveau ou différent, il y a une évolution, une progression. Pour en savoir plus, rien ne vaut la lecture d’un bon bouquin récapitulatif du phénomène. Hélas, la plupart sont écrits (par des auteurs sans style et un brin fermés) comme des thèses ennuyeuse et s’adressent souvent à une élite qui sait déjà de quoi il retourne. Ce n’est heureusement pas le cas de Aymeric Leroy, trente-sept ans, fondateur de la revue Big Bang et rédacteur inspiré à qui on doit un excellent bouquin sur Pink Floyd publié chez le même éditeur que le présent ouvrage. Utilisant un style frais qui donne l’impression de lire Rock & Folk, n’oubliant jamais de parler des musiciens en même tant que de leur musique, Leroy réussit l’exploit de rendre son bouquin digeste, l’inscrivant dans une véritable continuité sociologique de l’histoire du rock.
Le seul défaut que l’on peut lui reprocher, comme à tous les auteurs avant lui, c’est de privilégier le passé au présent, n’accordant qu’une infime partie de son ouvrage aux trente dernières années et oubliant (volontairement ?) les contributions remarquables de la scène Metal (Led Zeppelin, Iron Maiden, Queensrÿche, Helloween, Tool, A Perfect Circle, Nine Inch Nails, etc.) ainsi que les nombreux artistes indie rock, trip-hop et neo prog apparus depuis deux décennies (Mogwai, Portishead, Anathema, Recoil, Mansun, Massive Attack, etc.), le rock progressif n’étant plus un genre à part entière aujourd’hui mais bien un moyen de faire de la musique différemment, même au cœur d’un genre musical supposé autre. A n’en pas douter, on attend toujours le bouquin qui viendra référencer avec le même souci de l’exactitude le rock progressif des années 2000. Bon, Aymeric, tu nous ponds la suite bientôt ?!
Rendons hommage à l’entreprise titanesque d’Aymeric Leroy qui a réussi, après de nombreuses années consacrées aux musiques progressives, un travail d’analyse critique exhaustif, à partir de recherches historiques fouillées.
A la lecture de cette somme, véritable « labour of love », vous saurez tout sur ce mouvement complexe qui a commencé en 1969 : plus de quarante années d’activité pour plus de soixante groupes dans le monde, en Europe essentiellement et surtout en Angleterre, depuis l’acte fondateur de KING CRIMSON (KC pour les intimes) avec l’extravagant Robert Fripp aux commandes du sensationnel « XXst Century Schizoïd man » ( Chapitre « A king is born »).
Le parti pris est chronologique et non thématique pour mieux couvrir et cerner une réalité complexe : de la parfaite adéquation entre artistique et commercial des premières années, à l’apogée (Effervescence 1970/ Masterworks 1972), au déclin, (1978 Annus horribilis) et autres soubresauts des années 80 (Survival), jusqu’à l’actualité de la dernière décennie du XXème siècle (Revival).
La conclusion ne laisse aucune place au doute, se concentrant sur l’héritage de cet âge d’or dans notre période actuelle troublée et confuse pour la création.
Le lecteur trouve la perspective nécessaire, et parcourt, selon la hiérarchie mise à disposition l’histoire du rock, véritable et incessant combat.
Les grands groupes sont évoqués longuement : KC, YES, GENESIS (celui de Peter Gabriel), JETHRO TULL, ELP, VAN DER GRAAF GENERATOR: tous les grands disques ont une histoire passionnante, chaque album est analysé précisément avec ses principaux titres, une prise en compte de la symbolique très riche, des « messages » littéraires ou visuels (les pochettes de Roger Dean, plus démentielles les unes que les autres, essentielles pour entrer dans l’univers de YES !).
Les principales caractéristiques sont commentées avec pertinence et ainsi apparaît en pleine lumière ce que l’on avait pu ressentir confusément : comment et pourquoi toutes ces musiques sont reliées entre elles. Ce livre est un formidable document sociologique sur la fin des « trente glorieuses », un retour sur une époque révolue aujourd’hui.
Comme le pense l’Anglais Nick Hornby, grand amateur de football et de musiques rock, auteur de « High Fidelity », la notion de « fan » est essentielle dans l’évolution de la musique anglo saxonne, dès le blues boom de la scène britannique en 1965–1966.
Un préambule limpide et un chapitre passionnant sur le Protoprog, donnent les principales clés sur les origines (britanniques) de ce courant avec les Beatles de 1967 et leur concept album « Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Bands », Cream, trio d’instrumentistes impressionnants, mais aussi Procol Harum, The Moody Blues, les Who (« Tommy »), Pink Floyd (« Ummagumma », « Meddle » et « Live at Pompeï »), Traffic.
De l’autre côté de l’Atlantique, on observe un certain parallélisme dans l’orientation de groupes en recherche : Buffalo Springfield et ses compositions sophistiquées, The Doors, l’iconoclaste Zappa (le plus ambitieux dans ses choix et appartenances musicales).
Ce formidable paysage musical revit sous nos yeux. L’amateur un tant soit peu éclairé et attentif, comprend comment les pièces du puzzle de son affectivité musicale ont pu s’emboîter. Aymeric Leroy aide nombre d’entre nous à prendre conscience de ce qui a pu engendrer cette prédilection pour le rock progressif. Comme une psychanalyse qui révèle les ressorts d’une addiction. Il devient enfin plus évident de saisir ce qui nous a transporté dans ces musiques. Cette époque respirait l’aventure, la rébellion, une recherche de spiritualité intense, les groupes partaient vers des horizons inconnus, avec des fulgurances inspirées, clairement expérimentales, un sens de l’accroche et un esprit ludique tout à fait jubilatoires. Ce qui n’excluait pas des délires mystico-philosophiques.
Non moins passionnant est le rapport compliqué et pas toujours fraternel avec les autres musiques savantes, complexes que sont le classique et le jazz. C’est une tentative assez unique dans l’histoire musicale et aussi une tentation utopique de fondre les genres, de s’unir dans l’improvisation, de souligner prouesses instrumentales et virtuosité du chant, de réunir et réconcilier enfin ces deux aspects tout à fait complémentaires de la musique, de sortir du formatage commercial (suites épiques de plus de 20 minutes), de créer des compositions aussi urgentes et lointaines à la fois : symphonisme « mellotronesque », échappées lyriques de guitares, orgues dégoulinant, « crescendo de l’intimisme acoustique au maximalisme électrique ». Chaque concert, chaque album est une cérémonie d’initiation dont le public ne ressort pas indemne.
Il est déterminant de savoir pourquoi on aime les choses. I know what I like and I like what I know du Genesis de “Selling England by the Pound”.
Ajoutons qu’en dépit de la passion absolue que porte l’auteur, spécialiste reconnu, entre autre, de l’Ecole de Canterbury, ses jugements ne sont jamais complaisants : les groupes ou les personnalités de certains leaders apparaissent avec parfois une brutale crudité. Il sait montrer les contradictions internes, les vertiges mégalo de certains leaders….
C’est une lecture sincère, passionnée et objective que nous fait partager Aymeric Leroy : s’il ne peut fouiller dans ses souvenirs, il est beaucoup trop jeune pour avoir vécu cette période de l’intérieur, il en a acquis une connaissance réelle, par la lecture et une écoute méticuleuse. Il ne rachète pas des petits bouts de sa jeunesse, voire des pans entiers au petit bonheur de la pop et de la prog, mais il sait en parler comme un véritable spécialiste.
Ce livre de la très intéressante maison d’éditions Le Mot et le Reste comblera tous les amateurs de musiques sans œillères. Quant à ceux qui sont déjà convaincus et adeptes de ce rock progressif populaire, émancipateur, évolutif, post moderne, ils saisiront mieux d’où peut venir cet intérêt jamais démenti, cet amour sans faille pour cette musique originale.
Merci donc pour ce Rock progressif éminemment salutaire, indispensable dans toute bibliothèque de mélomane. Jalon de l’histoire musicologique de la fin du XXème siècle, ce livre permet de surcroît d’apprécier les créations actuelles, à l’aune d’un passé proche ; on peut ainsi mieux suivre ce qui se fait aujourd’hui, sans état d’âme et nostalgie.