Ce livre nous emporte dans un périple nostalgique fascinant pour retrouver les utopies, les rêves et l’idéalisme de ces hippies encore si mal connus de nos jours.
Raymond Sérini – Nouvelle Vague
San Francisco, été 1967. Le Summer of Love bat son plein et des milliers de jeunes arrivent par vagues de tous les États-Unis pour atteindre le quartier de Haight-Ashbury, le laboratoire de l’utopie libertaire des sixties. Fruit de la rencontre de l’activisme et de l’idéalisme d’une jeunesse révoltée, elle a pris forme en quelques années sous l’action des Beatniks, des Diggers, des Merry Pranksters, des Hippies, des Hell’s Angels, des artistes et de toutes les tribus du San Francisco psychédélique. Ces utopistes aspirent à bien plus que le traditionnel Peace and Love caricaturé par les clichés formatés des médias. Ils défendent la liberté, la gratuité, la spiritualité, l’autonomie, la solidarité et nombre de valeurs libertaires, dans la perspective d’un monde plus juste et plus harmonieux.
Ce livre revient sur la société alternative qui a vu le jour à San Francisco, fruit de l’émulsion de toutes ces tribus pourtant si dissemblables. De leurs imaginations et de leur capacité à vivre ensemble dans une utopie libertaire est né un monde qui continue de propager aujourd’hui ses initiatives contre le système dominant, proposant d’autres alternatives, notamment l’écologie, face à l’individualisme forcené.
Revue de presse
Pour ceux qui n’en connaissent rien, n’ayez aucune inquiétude, la photo en couverture est largement expliquée par le livre. Première remarque : chapeau à l’auteur qui a su ne jamais rendre ennuyeux un historique plus complexe qu’il n’y paraît et surtout le rendre lisible. Je ne vais ni résumer, ni raconter. Je me contenterai de vous parler des quatre idées qui me sont venues à l’esprit en lisant.
La première concerne un des « groupes » qui ont participé à l’utopie, les « diggers ». Imaginez des gens qui prônent la gratuité et ouvrent des magasins où les objets « proposés » sont gratuits. Il est même question de soins médicaux gratuits… Nous sommes dans les années 1960 aux Etats-Unis… Et ils sont les héritiers d’autres groupes. Ces audaces ont mis bien longtemps à revenir à la surface de nos réflexions et projets … Sans doute à cause de ma deuxième idée… En France, ces idées et mouvements, peut-être à cause du LSD – dont un reportage sur « 5 colonnes à la Une » avait montré les méfaits – et autres drogues qui les entachaient, trouvaient peu d’écho.
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C’est par le biais de ces événements que l’on peut comprendre une des raisons de l’échec des mouvements. Les querelles de personnes et d’égos y jouent un très grand rôle… Comme si l’important était pour chacun de tirer la couverture à soi et non de voir triompher le mouvement…
Bonne lecture, lente pour assimilation en écoutant Janis Joplin, par exemple…
L’ère psychédélique est toujours regardée dans le rétroviseur avec fascination. C’est le temps de l’amour sans frein et de la créativité infinie. L’esprit n’a jamais été aussi ouvert qu’en ces années où l’on traversait les portes de la perception en écoutant Grateful Dead, un livre d’Allen Ginsberg ou de William Burroughs à portée de mains. Le psychédélisme est une contre-culture de vaste dimension qui possède ses connaisseurs, parmi lesquels Philippe Thieyre, Steven Jezo-Vannier et Bill Graham. Leurs éclairages rendent intelligibles le Psychedelic Sound et l’art rétinien des affiches de la Bay Area aussi hermétique que trippant.
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The Psychedelic Experience, l’ouvrage que Richard Alpert, Timothy Leary et Ralph Metzner ont publié en 1964 est un manuel célébrant Carl Gustav Jung et le Bardo Thödol dans le but d’expliquer les étapes du voyage à l’acide. A ce moment, la révolution psychédélique est en marche.
Cette double promotion par The Psychedelic Experience et les Merry Pranksters qui ont acheté, au printemps 1964, un bus scolaire International Harvester aboutit à l’éclosion des acid tests, “une épreuve individuelle et collective” (Steven Jezo-Vannier) pour connaître l’aventure intérieure, celle que promet le LSD et qui réalise, à travers des visions, la disparition des contours entre l’usager et le reste du monde.
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Les Pranksters ont de bonnes fréquentations. Pour le développement de leurs tests, ils comptent sur un ami de choix. Bill Graham, organisateur du Trips Festival de San Francisco qui réunit, en janvier 1966, Grateful Dead, Allen Ginsberg, le Living Theathre de Julian Beck et Judith Malina, Big Brother & The Holding Company, Steward Brand, éditeur du Whole Earth Catalogue, bible de la contre-culture, est le gérant du Fillmore Auditorium, l’une des grandes scènes de la musique psychédélique, qui verra se produire Pink Floyd, Quicksilver Messenger Service, Jefferson Airplane et Janis Joplin.
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Entre 1966 et 1971, près de 600 affiches sont réalisées par une poignée de graphistes maniant le code psychédélique avec un sens aigu de l’hermétisme qui est le vocabulaire secret des initiés. Leurs messages destinés à rameuter aux portes du Filmore, de l’Avalon Ballroom et du Matrix les hipsters en mal de sensations fortes deviennent bientôt des objets de culte.
Bill Graham se souvient : “Je partais sur le coup de 4 heures du matin, je roulais jusqu’à Berkeley et je recouvrais d’affiches tous les murs de la ville, avec une préférence pour les chantiers, avec leurs grandes palissades. Quand les gens se réveillaient le matin, il y en avait partout. Au début, les affiches coûtaient 5 ou 600 chacune à imprimer. J’en faisais fabriquer 5000. Ensuite le prix a beaucoup augmenté. Bichromie, quadrichromie… Certaines étaient quasiment illisibles ! Au point que je disais aux dessinateurs “si on garde ce dessin, il faudra rajouter un astérisque, et une légende en bas pour tout expliquer.” Mais ça a fini par devenir le jeu à la mode, chaque semaine : essayer de déchiffrer ce qui était écrit sur l’affiche !”
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L’art psychédélique rétinien expire en 1971 avec la fermeture des deux Fillmore de Bill Graham, laissant derrière lui une cohorte de morts (Jimi Hendrix, Alan Wilson, Janis Joplin, Neal Cassady, Lenny Bruce…) alors que se profilent Goa et Katmandou, ces routes cul-de-sac où s’étiolent les derniers hippies aux cerveaux incolores, accrochés machinalement à une seringue psycholeptique.
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Des pratiques mutantes de 68 aux “icitopies” du jour
Sont parues à peu près simultanément deux études chouagas sur les utopies… Du jour au lendemain dans le quartier de Haight-Ashbury décrit par Steven Jezo-Vannier dans San Francisco, l’utopie libertaire des sixties (éditions Le Mot et Le Reste), l’usage de l’argent devient quasiment caduc. A l’initiative surtout du légendaire digger Emmett Grogan et de ses merry pranksters (joyeux farceurs), des as de la fauche et des combines gonflagas, on se met effectivement à nourrir gratos plein de monde. “Le free food n’était pas tant un effort pour aider les pauvres que pour libérer les gens du salaire asservissant et montrer comment une société idéale pourrait fonctionner.” Dans un même état d’esprit louftingue, on ouvre des free stores sans gérants, sans employés, sans caisse enregistreuses où on peut s’approvisionner aussi bien en outils et en électroménager qu’en meubles et en instruments de musique (jusqu’à des pianos !). Et on se lance dans des “pratiques mutantes, sources de nouvelles alternatives” en multipliant, par exemple, les bacchanales psychédéliques ou les acid trips collectifs “abattant les inhibitions et décuplant l’imagination”.
Vu d’Europe, les origines du phénomène hippie restent une énigme historique.
Il s’est en effet développé sans référence à la lutte des classes ni révérence pour Marx, ce qui le distingue de mouvements contestataires apparus en Europe dans la seconde moitié des années 1960. Or, la mémoire collective associe un peu vite les différentes formes de contestation qui s’exprimèrent à cette époque dans le monde occidental. Quoi de commun pourtant entre la Gauche prolétarienne en France et la New Left américaine ? En matière de mœurs, le conservatisme de l’une tranche très nettement avec le libéralisme de l’autre, par exemple…
En Californie même, Steven Jezo-Vannier rappelle que les membres du Free Speech Movement (FSM), que fondèrent des étudiants de Berkeley très politisés à l’automne 1964, faisaient souvent mauvais ménage avec les « tribus » hippies. Faire l’histoire du San Francisco contestataire des les années 1960, c’est donc insister d’abord sur la complexité du phénomène hippie et de son rapport à des mouvements plus simplement politiques.
Du San Francisco de Sueurs froides à celui des hippies
Le mouvement hippie a connu une importante postérité en Europe. Mais ses origines sont en Californie. Il naît peut-être à La Honda, près de la Silicon Valley, où Ken Kesey s’installe en 1963–1964 avec la tribu des Merry Pranksters. Il s’éteint probablement à Altamont, en décembre 1969, lorsqu’un festival de musique est endeuillé par la mort de plusieurs spectateurs. Entre ces deux dates, l’épicentre du mouvement se situe à San Francisco, plus précisément de dans le quartier de Haight-Ashbury, près du Golden Gate Park.
Pourquoi là et pas ailleurs ? Le quartier était bon marché. En outre et comme beaucoup de ports, San Francisco cultivait depuis le XIXe siècle une réputation d’ouverture. La ruée vers l’or y avait attiré des populations très diverses. Enfin, c’est à San Francisco que la Beat Generation incarnée par Jack Kerouac, Allen Ginsberg, Neal Cassady ou William Burroughs notamment avait établi ses bases dans les années 1950. Or, les beatniks ouvrirent à maints égards la voie au mouvement hippie. Ils revendiquèrent par exemple le droit de vivre une sexualité dégagée des lois de la morale : Ginsberg et Burroughs étaient homosexuels, Kerouac et Cassady bisexuels. La Beat Generation marqua aussi son intérêt pour les philosophies orientales – et surtout celles de l’Inde, léguant ces références aux hippies.
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Pour consulter l’article dans son intégralité : trop libre
Le Mot Et Le Reste continue de sortir des ouvrages hyper intéressants (pour mémoire le Actuel, STP, Nellcote, Geoff Emerick.chroniqués dans ce magazine) ainsi ce San Francisco L’utopie libertaire des sixties signé Steven Jezo-Vannier est encore un super bouquin. L’auteur, en cinq parties distinctes, présente les différentes familles ( les Beatniks, Grogan et ses Diggers, les Hell’s Angels, Ken Kesey et ses Merry Pranksters, Timothy Leray et sa Ligue for Spiritual Discovery, Bill Graham, Chet Helms et le San Francisco Sound, Jerry Rubin, Abbie Hoffman et les Yippies, Bobby Seale et les Black Panthers la free press avec les journaux L’Oracle et le Berkeley Barb.) qui ont mené cette incroyable odyssée San franciscaine entre 1965 et 1969, d’une manière aussi complète que précise. Mais plus qu’un énième livre
d’Histoire racontant (très bien) cette période fascinante, San Francisco. L’Utopie Libertaire des Sixties, donne vraiment toutes les clés pour bien comprendre ce mouvement, constitué de tribus pourtant dissemblables, qui aura révolutionné pas mal de mentalités. Et Steven Jezo-Vannier, dans son épilogue, dresse un constat très positif, finalement, de ce que ce mouvement a engendré, notamment en matière d’écologie. Quelques photos (signées Bernard Plossu et Alain Dister) viennent agrémenter, en fin de volume, ce livre que tout freak se doit de posséder. C’est bien connu : Hippie un jour, hippie toujours.
EASY RIDER N°1090
Dans l’émission du dimanche 12 Décembre 2010, focus sur San Francisco, l’utopie libertaire des sixties, présenté comme le livre du mois.
Pour réécouter l’émission :
Easy Rider
La moisson est particulièrement abondante et nous vous proposons un choix de dix titres à offrir à vous-même ou aux personnes que vous aimez. En premier lieu, les Editions le Mot et le reste continuent de nous proposer des ouvrages incontournables. San Francisco, l’utopie libertaire des sixties de Steven Jezo-Vannier nous emporte dans un périple nostalgique fascinant pour retrouver les utopies, les rêves et l’idéalisme de ces hippies encore si mal connus de nos jours. Avec Revolution In The Head de Ian Mac Donald, le même éditeur marque l’anniversaire des 40 ans de la séparation des Beatles et nous guide dans leur œuvre foisonnante avec une analyse impressionnante et détaillée de toutes les chansons de leur œuvre de 1963 à 1970. (...)