Bruit, fureur, sueur, drogues, orgies, excès en tout genres, music-business survolté, groupies en furie et fans prêts à tout: ce bouquin fiévreux fourmillant d’anecdotes sur les coulisses d’une tournée homérique des Stones au faîte de leur créativité est jubilatoire de bout en bout.
Laure Narlina – France 2
Revue de presse
Quand en mai 1972, les Rolling Stones s’apprêtent – après 1966 et 1969 – à entamer leur troisième tournée américaine, ils apparaissent déjà comme un “vieux” groupe.
En effet, des groupes de la British Invasion (Beatles, Kinks, Troggs, Pretty Things…), ils sont les derniers représentants authentiques et crédibles à fouler en héros le continent US.
Dix ans d’âge, dès lors, apparait presque comme une incongruité dans un temps où les splits interviennent la plupart du temps dans les cinq années suivant les épousailles. Mais pas de ça chez les Stones ! Ils laissent aux Beatles, leurs copains liverpuldiens, les adieux à la scène et les séparations cruelles. Les Rolling Stones SONT le rock’n’roll et n’ont pas le temps pour les drames intestins même si désormais ces garçons ne se voient que pour de bonnes raisons – financières ou musicales.
Et ce Stones Touring Party revêt une importance cruciale. Décisive tentative de rédemption du précédent raid après la conclusion sanglante d’Altamont, ce cru 1972 doit solder les comptes des Stones avec l’Histoire et faire d’eux les plus grandes stars planétaires.
Robert Greenfield de Rolling Stone s’impose vite après son formidable témoignage de l’enregistrement d’Exile on Main Street un an auparavant comme le chroniqueur indispensable de cet incroyable barnum.
Respectant le saint adage qui prône de ne jamais devenir ami avec les rock stars dont on couvre les hauts faits, Greenfield va pour la première fois dans l’histoire du rock rendre compte d’une tournée rock (qu’aurait été la chronique de la tournée des stades des Beatles en 1965 ?!) Il le fera sans verser dans l’hagiographie ni partager l’intimité toxique des protagonistes. Grace aussi à une traduction très “impliquée” de Philippe Paringaux, le résultat est prodigieux et fera date dans la bibliographie de la contre-culture….
Jamais texte rock ne fut plus littéraire, jamais – et même par les meilleurs (Stephen Davis, Nick Kent, Barney Hoskyns, Barry Miles…) – la dimension romanesque d’un tel événement ne fut rendue. Greenfield réussit la prouesse de faire de chaque évènement de la tournée (il y en avait PLUSIEURS par jour !) et de chaque personnage impliqué (il y en avait pléthore !) les pièces maitresse du plus grand récit rock’n’rollien écrit à ce jour.
Quand la tournée se met en marche, elle implique managers, attachés de presse, comptables, agents de sécurité, bagagistes, groupies itinérantes, techniciens divers et médecin (le fameux Dr Feelgood en charge de la forme des Stones) Son bon déroulement n’est jamais garanti (Led Zep s’en souviendra lors de ses farouches expéditions yankees) : Mick Jagger, autour duquel tout s’articule, doit être en tout satisfait autant que Keith Richard et ses abus chroniques. Chaque date donne matière à scandale. Quand ce ne sont pas les kids – comme c’était la norme en ces temps là – qui livre combat à la police, ce sont les Stones eux-mêmes qui finissent en prison pour de piètres motifs. Les stars anglaises, en plein maelstrom médiatique, découvrent la rugosité de l’Amérique profonde et de ses pratiques, les salles de concert inacceptables, les ultimatums des autorités… ou des Hell’s Angels venus réclamer trois ans plus tard justice pour Altamont !
Au-delà des concerts, inégaux mais le plus souvent faramineux quand on considère l’occupation névrosée des heures les précédant, les morceaux de bravoure du livre restent incontestablement les quatre jours passés à la Résidence, le baisodrome de luxe de Hugh Heffner, fondateur de Playboy, où les Stones vont traverser une centaine d’heures dans un nuage méphitique d’alcool, de drogue et de sexe.
Au final d’une tournée impensable qui accueillit Truman Capote, nombre de stars du rock, de politiciens et de journalistes de renom, on comprend pourquoi les Stones incarnaient (et incarnent encore) le pur rock’n’roll. Ces garçons – à la différence des Beatles ou de Led Zeppelin – ne sont pas d’immenses compositeurs ni de prodigieux musiciens mais ils incarnent la folie, le danger et toute l’inassouvie révolte du rock.
Jagger, invraisemblable Janus, reste le plus grand show man de l’histoire du show business quand Macca, Lennon ou Plant font figure de statues de sel. Keith Richard est le rocker le plus jusqu’au-boutiste qui – sans calcul – revisite à chaque accord son pacte faustien quand ses homologues du Zeppelin ou des Fab Fours imposaient essentiellement la diversité et la virtuosité.
On termine STP lessivé et ébloui. On aurait voulu que cette lecture ne s’achève jamais. Que jamais ne finisse cette épopée unique, cette saga inoubliable, cette geste sauvage racontée par un maitre. En 1972, L’Odyssée avait pour nom Stones Touring Party et Robert Greenfield était son Homère.
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En reposant le précédent bouquin me suis rappelé que j’en avais un second dans ma bibliothèque du même éditeur, Le Mot et le Reste. Ai lu la quatrième de couverture. J’en ai appris de belle : une rumeur circulerait selon laquelle la première édition parue chez Speed 17 serait interdite par certains membres des Stones eux-mêmes. Dire que j’avais chez moi un objet-culte quasi-clandestin ! L’ai tout de suite retiré de sa caisse pour le relire. A l’époque en 77, j’avais été déçu. M’attendais-je à mieux ? Non à pire.
Cinq ans que l’on parlait de cette fabuleuse tournée aux States ! Se colportaient les informations les plus délirantes. Pas sur les concerts. L’on partait du principe que le plus mauvais concert des Stones était supérieur aux meilleurs concerts de tous les autres groupes de la planète. Ce n’était pas la vérité. Un dogme. Non ce qui filtrait c’étaient les parties fines, les orgies secrètes et rutilantes qui avaient suivi les prestations. N’importe quel crétin était capable de se payer une place pour voir les Stones, mais se promener backstage et assister aux fins de soirée, ce n’était pas à la portée du premier quidam venu.
Inutile de me traiter d’infâme voyeur, d’abord parce que je le revendique, deuxièmement parce que Robert Greenfield a bien été choisi par les Stones pour raconter l’envers du décor. Soyez sûr qu’on lui a laissé l’entière liberté, avec un cahier de charges très pointilleux. Ne vous file même pas une set-list précise pour un seul des cinquante shows. Se contente de quelques lignes plus que rapides du genre, très bon concert bourré d’énergie avec un Jagger en pleine forme. Par contre quinze pages sur la nuit d’hôtel qui suit.
Opération mains propres. Les draps de lits sont un peu moins clean mais les Stones sont en 1972 à la croisée des chemins. Ou ça passe, ou ça casse. En 1972, on ne s’en est pas aperçu, mais à lire le bouquin aujourd’hui c’est évident. Ca me permet même de comprendre pourquoi en ces temps anciens je n’avais pas accroché. Faut le dire, on s’est tous fait manipuler par Jagger. En grande forme le Mick, Greenfield n’en a que pour lui. Richards prend un peu d’importance vers la fin, mais comme caution ombreuse de Mick. On sent qu’il est d’accord sur tout avec le jag. Son silence est un atout tacite qui permet à Jagger de triompher d’une manière des plus retentissantes dès qu’il abat la carte Richards, l’as qui pique mortellement, qu’il sort de sa manche quand on croit qu’il est aux abois.
C’est que la tournée est un sacré enjeu. Trois ans que les Stones n’ont pas visité les USA, pas qu’ils n’en aient pas eu envie. Mais difficile de revenir la bouche en coeur après Atlamont. Sacré point d’orgue de la précédente tournée. Moi, ça ne m’avait pas choqué Atlamont. Les Hells qui faisaient régner la terreur à coups de billes de billards et un malheureux mort en fin de partie, je trouvais cela très Stone. Très rock. Mais à part les fans surexcités devait pas y avoir grand monde de mon avis. Les Stones en premier. En ont interrompu le concert et se sont enfuis en hélicoptère. J’avoue qu’ils m’ont déçu.
Se sont honteusement repliés en Angleterre, puis en France. Exile au calme. Sea, sex and sun. Jagger a dû méchamment méditer. Suivre la pente Atlamont, c’était devenir un groupe maudit. Cinq cents allumés à chaque concert. Une légende noire jusqu’au bout du rock’n’roll. Mais le band n’était pas prêt à tout sacrifier au rock’n’roll. Vont décider de laisser à jamais les chemins de traverse. Suivront les autoroutes balisées. Le S.T.P. sera un quitte ou double. Ou les Stones sont capables de gérer leur propre bordel, ou ils se laissent déborder et ne font que de générer le chaos partout où ils passent.
A la clef, un pacson de fric. Plus de 250 000 dollars pour chacun des membres du groupe, pour deux mois de travail. S.T.P. ce n’est pas encore le gigantisme des futures tournées, l’on tourne dans des stades mais surtout dans de vastes salles. Petit gabarit, en quelque sorte. Jagger fêtera ses trente ans sur le circuit. N’est plus de première jeunesse. S’il veut continuer encore longtemps dans le métier, faut songer à se ménager. S. T. P. mise sur deux tableaux, le plaisir, le sexe, la drogue – chaque kid doit se sentir en osmose idéologique proposé par le combo – mais aussi le professionnalisme, la maîtrise, le savoir-faire.
Et les Stones gagneront les deux courses. Les kids sont au rendez-vous et chacun se reconnaît dans le nombrilisme nonchalant de l’attitude stonienne. Les autorités les aident beaucoup. Les flics matraquent les fans transis qui n’ont pas de billets, interviennent parfois violemment au milieu de la prestation, ressentent les artistes et les spectateurs comme de dangereux dépravés qui seraient mieux à leur place dans un asile psychiatrique… comble du comble, Jagger et Richards se retrouvent en prison pour une légère bousculade avec un photographe, seront vite libérés car les quinze mille spectateurs qui les attendent ne goûtent pas la plaisanterie et l’ambiance houleuse risque de dégénérer en émeute…
Mais les Stones ont bétonné dur. Le staff qui les accompagne est formé de professionnels qui connaissent leur boulot. Nous ne citerons que Marshall Chess l’héritier de la maison Chess, épicentre du blues électrique chicagoan qui fut un des rouages essentiels. Une organisation qui roule sur des roulettes. Sauront récupérer toutes les situations critiques. L’apparence d’un foutoir désopilant mais une discipline de fer. Le paradis de l’orgasme et l’enfer d’une mécanique bien huilée.
La tournée elle-même est très bien analysée. Les appréhensions et l’inquiétude du départ. La fièvre et l’excitation qui montent dès les premières dates, la fatigue et l’ennui au bout d’un mois, les concerts qui se répètent, les nuits folles et blanches qui se ressemblent tellement qu’elles en deviennent grises, la lassitude qui envahit les esprits et le soulagement final, le dernier effort lorsque l’on parvient enfin dans la Grosse Pomme.
Robert Greenfield ne dédaigne aucune turpitude, vous renseigne sur les drogues en circulation et vous dévoile les groupies sans culotte. Les habitudes des uns, les vicelardises des autres. Le cirque et le barnum. Mais attention tout cela ne serait rien si la presse n’avait pas relayé l’annonce de la tournée. En amont, avant qu’elle ne commence. Les plus grands magazines distribués à centaines de milliers et à millions d’exemplaires ont tous consacré leur une aux Rolling Stones. Robert Greenfieid est lui-même un des deux rédacteurs-chefs du Rolling Stone magazine.
Mais l’on a fait mieux. L’on a invité le tout New York. Les intellos et la couche parasitaire de ceux que bientôt l’on appellera la jet-set. C’est la dernière scène du bouquin, la partie finale, les Stones fêtent leur réussite au milieu de gens qui n’ont rien à faire d’eux et encore moins de leur musique. Très symboliquement Truman Capote n’écrira jamais l’article qu’il devait faire sur la tournée. Ne pige rien au phénomène. Selon lui dans trois ans personne ne se souviendra des Stones. Comme il ne perd pas le nord ni ses émoluments, il donnera dix-sept pages d’interview pour expliquer pourquoi les Rolling Stones ne représentent rien. Personne n’écoute Muddy Waters chargé de la musique d’ambiance. Seul Charlie Watts remerciera Count Basie de sa prestation… Les Stones ont choisi. Les Stones ont trahi. Les fans sont dehors. Attendent qu’ils sortent pour essayer de les voir.
Jagger a gagné son pari. Le sang d’Atlamont est définitivement oublié. Un incident malheureux. Vous savez, ces années soixante étaient tout de même porteuses de violence. Heureusement tout cela commence à faire vieux jeu et démodé. Entre le rock-biz et le rock’n’roll les Stones ont choisi. Jagger est capable d’endosser tous les costumes. Homme d’affaires et homme-orchestre. Est-ce un reniement ou une mutation obligée ? Ne peut-on se survivre qu’en oubliant ce que l’on a été ? Ce qui est sûr c’est que Robert Greenfield lui reconnaît un immense talent. En tous les domaines. Qui dirait le contraire ?
La longévité des Stones est à l’image du demi-siècle de leur carrière. Des sixties prometteuses, gonflées d’orage et de colère, des seventies gorgées d’utopies en voie de disparition – mais sur le moment nul ne s’en rend compte – et une lente dégringolade, dès les mollassonnes et désabusées eighties, sur les lits en porte-feuilles d’actions cotées en bourse.
Mardi 15 novembre, 22h20 : lecture d’un extrait de S.T.P. de Robert Greenfield, dans sa version française éditée par le Mot et le Reste, dans l’émission Nova Book Box de Richard Gaitet.
Fa-bu-leux. Ce bouquin est tout bonnement génial. Un livre culte, un de ceux que tout amateur éclairé de rock’n’roll se doit d’avoir dans sa bibliothèque.
La suite sur…
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C’est un livre très recherché que les éditions Le Mot et le Reste viennent de publier. Un livre originellement sorti en 1977, vite épuisé, qui bénéficie d’une nouvelle traduction assurée par Philippe Paringaux, pilier du Rock’n’Folk de la grande époque. Et qui dit Rock’n’Folk dit Stones, dont est ici retracée l’épique tournée américaine de 1972. Robert Greenfield, alors journaliste pour… Rolling Stone, infiltre le cirque stonien en prenant soin de garder ses distances : il est de toutes les fêtes où les filles et la dope abondent, mais ne se place jamais dans la position du « gonzo ». Sa force est de décrire cet instant précis où le plus grand groupe du monde vacille, et le rock’n’roll avec, passant de la trashitude à une étonnante quête de respectabilité. De toute façon, les Stones n’enregistrèrent plus rien de très bon après Exile on main street : ça tombe bien, ce disque est l’objet du prochain bouquin édité par Le Mot et le Reste.
Chronique in situ, haletante et souvent drôle, de la tournée américaine échevelée que menèrent les Rolling Stones en 1972, ce livre est aussi un formidable témoignage sur le rock-business et la société américaine des seventies. Ouvrage culte épuisé en France depuis 30 ans, il revient dans une traduction revue de fond en comble par son traducteur d’origine, le rock-critic Philippe Paringaux. “Après dix années passées à jouer ensemble, les Stones étaient enfin devenus l’attraction musicale numéro un. Ils étaient royauté. Et c’est en Amérique qu’ils venaient se faire couronner”. Sauf que les Stones avaient quelque chose à se faire pardonner: trois ans plus tôt, leur précédente tournée US s’était en effet soldée par un mort à Altamont. Donc, pas question de laisser le chaos régner alors que pour les fans et les médias, et bientôt pour l’ensemble du commun des mortels gagné par la hype, approcher les Stones c’était (déjà!) “comme voir Dieu et baiser sa vedette de cinéma préférée en même temps”. Mot d’ordre du managment, donc: faire une tournée professionnelle. La première sans doute de cette envergure, à la fois absolument folle et à peu près maîtrisée. L’ancêtre des tournées des stades et du Grand Barnum rock. Bruit, fureur, sueur, drogues, orgies, excès en tout genres, music-business survolté, groupies en furie et fans prêts à tout: ce bouquin fiévreux fourmillant d’anecdotes sur les coulisses d’une tournée homérique des Stones au faîte de leur créativité est jubilatoire de bout en bout.
C’est un des livres les plus sauvages de l’histoire du rock, réédité dans une nouvelle traduction après être resté introuvable durant de trop longues années. Le document d’une époque qui semble aujourd’hui presque irréelle.
Les Grecs ne soupçonnent pas leurs trésors archéologiques: il y a huit ans, on pou-vait encore trouver dans l’unique librairie française de Thessalonique deux exemplaires originaux de S.T.P qui prenaient la poussière depuis leur parution à l’été 1977. Ce même S.T.P, vous pouvez l’acheter désormais avec autant de facilité qu’un pain au chocolat. Les marseillais le mot et le reste, valeureux éditeurs d’une quinzaine de livres savants sur la musique, viennent de rééditer (dans une nouvelle traduction de Philippe Paringaux, un des piliers du premier Rock & Folk) cet ouvrage sauvage qui fut longtemps l’un des plus recherchés de France.
Littérature Gonzoïdale
Et tout ça pour quoi? Pour quatre cents pages de description de drogues en tout genre, d’orgies emmenées par une bande d’Attila rock anglais traversant l’Amérique durant l’été 1972 – une Amérique qui s’apprêtait à réélire dans la honte le président Nixon. Pour les Français, S.T. P était surtout le premier des douze volumes édités par les Humanoïdes Associés dans leur collection Speed 17 (dirigée par Philippe Manoeuvre), le plus flamboyant symbole d’une littérature rock éminemment gonzoi-dale. Speed 17 a mis quatre ans (1977–1980) avant de s’autodétruire, non sans avoir fait découvrir à la France éberluée les bitures de Bukowski, les élucubrations du grand Hunter S. Thompson, les prophéties technos d’Yves Adrien et les livres terrifiants d’Hubert Selby Jr. S.TP ressort, donc. L’objet 2008, blanc, poli, presque universitaire, n’arrive pas à reproduire la fièvre de l’édition originale: il manque ici cruellement la photo noir et blanc d’un Mick Jagger écumant, les collages punk bariolés, la typo grosses lettres… Côte à côte, les deux bouquins livrent le même semblant de contraste qu’entre un vinyle d’origine et un fichier MP3: l’un est chaud, l’autre pas. Reste le texte. Ah, au fait, S.TP est un livre sur les Rolling Stones.
Apocalypse now
On a retardé les aveux autant que possible pour ne pas taire fuir le fan de Metronomy,
qui verra dans les Rolling Stones un sujet un tantinet moins bouillant en 2008
qu’en 1972, lorsque Robert Greenfield, membre de Rolling Stone (le magazine) rédi-gea son reportage au long cours (en trois mois, à raison d’un chapitre par semaine, dans un bungalow de Californie semi-inondé). Certes, voir Jagger sur scène aujourd’hui, grimacer comme une vieille Cheetah est un spectacle pénible. Mais S.TP est le récit conradien de l’apocalyptique tournée américaine de 1972 des Rolling Stones. A l’époque, Jagger va sur ses 29 ans, il dit des choses comme «Je ne vois
pas faire ça toute ma vie.» Les Stones n’ont pas foutu les pieds en Amérique depuis 1969, depuis Altamont, ce chant du cygne hippie (les Hell’s Angels chargés de la sécurité avaient tué un jeune Noir sous les yeux des Stones qui continuèrent à jouer, ne comprenant rien à la scène). La tournée S.T.P (Stones Touring Party) durera de fin mai à début juillet 1972, braquant comme une banque une Amérique speedée, perdue, qui a remplacé le LSD par le Quaalude (un somnifère détourné de son usage). Deux mois durant lesquels les Stones inventent les tournées Barnum, brûlent les derniers feux d’un rock dangereux et jettent les bases d’un rock aussi professionnel qu’inoffensif et désincarné.
Bienvenue en enfer
Les grands médias américains envoient le gratin des pigistes à leurs trousses, telle cette vieille méchante de Truman Capote, flanqué de Lee Radziwill (la soeur aînée de Jackie Kennedy, la femme la mieux habillée de toutes les sixties) et dAndy Warhol. Les Stones, de leur côté, confient à Robert Frank en personne le soin de filmer les à-côtés de la tournée. Et engagent Greenfield, jeune rock critic de 28 ans pour accompagner le film d’un bouquin. Greenfield restera deux mois sans faire la moindre interview. Il a tout compris des meilleurs reporters: il ne questionne pas, il regarde. Il est une mouche. Qui tourne autour des gosses qui feraient tout pour arracher un billet de concert. Qui se fond parmi les dealers et les parasites en tout genre. Qui tourne autour des road managers quand ils cassent de nerf les téléphones des hôtels. Qui tourne autour des groupies prêtes à se faire sauter, même par le pire des roadies, du moment qu’il est estampillé S.T.P. et leur permettra d’être de la party d’après concert que Keith Richards donnera dans sa chambre. Greenfield est là quand Hugh Hetner ouvre aux Stones sa demeure Playboy, couvrant les Anglais de Californiennes et d’éclairs au chocolat. Et il est là encore quand des mecs du staff embarquent trois filles dans le fond d’un cockpit pour une partouze sordide que filment Jagger et Robert Frank. Pour cette scène, Cocksucker Blues, le film de Robert Frank, est aujourd’hui encore interdit de toute diffusion par Jagger en personne – il n’a jamais assumé le délire cul-défonce de cette tournée (mais bien sûr, Cocksucker Blues est sur youTube). Ce livre aurait donc dû finir aux Enfers (il a beaucoup été dit que Jagger souhaitait qu’il ne soit jamais réédité), car les Enfers après tout méritent aussi un bon livre.
Eté 71: les Stones enregistrent «Exile on Main Street» sur la côte d’Azur, et c’est l’orgie totale -la french connection n’arrive pas à subvenir aux besoins d’héroïne de la villa stonnienne. Le plus grand groupe de rock an monde enchaîne sur une homérique tournée. C’est l’apogée du mythe. Robert Frank réalise un film sur ce «greatest rock’n’roll tour history»: interdit, trop décadent Robert Greenfield, du magazine Rolling Stone va, lui, pouvoir témoigner.
Des livres sur les Stones, il y en a des tonnes, du flippant (Dance With the Devil de Stanley Booth, génial) du grotesque (Keith me d’Amanda Sthers, même pas drôle), en passant par l’inutile (ceux de Bon et Bégaudeau). STP (Stones Touring Party) de Greenfield cumule quatre atouts: connaissance du sujet, sens de l’enquête, immersion dans le circus, style. Il prend sa source dans l’après-Altamont, quand les Stones, définitivement catalo-gués groupe sulfureux, choisissent de se réinventer non pas en levant le pied, mais en fonçant dans le décor.
Traduit par Philippe Paringaux pour Speed 17, ce collector épuisé ressort aujourd’hui complété. En 1974, il marquait la fin d’une époque: Mick Jagger pourra se consacrer à l’aérobic et Keith Richards, poser pour Vuitton. Et alors? Ils resteront à jamais l’incarnation d’une mythique grandeur (et décadence).
C’est l’événement éditorial de l’automne 2008 : S.T.P. A travers l’Amérique avec les Rolling Stones, le livre maudit de Robert Greenfield, est désormais disponible en traduction française.
On a tout dit sur cet ouvrage et sa rareté n’a fait qu’alimenter la machine à fantasmes. Ceux qui possédaient un exemplaire de la rare édition de 1977 évoquaient une suite ininterrompue d’orgies et de faits scandaleux liés à la drogue et à la violence. Ils ne mentaient pas. S.T.P. est un bouquin d’une puissance inouïe, doté d’un contenu solide et porté par un style admirable. L’histoire racontée est celle de la tournée effectuée par les Rolling Stones durant l’été 1972.
Un cirque rock’n’roll_ – Dès qu’il est rendu public, ce périple de plus de deux mois déchaîne les passions. Les Rolling Stones n’ont pas visité le royaume de l’Oncle Sam depuis l’automne 1969 et leur passage s’est soldé par la déroute d’Altamont, festival gratuit durant lequel un spectateur a été tué par le service d’ordre au terme d’une journée de violence. Cette fois, Mick Jagger et ses camarades entendent prouver à tous qu’ils sont devenus des artistes responsables et professionnels. Au niveau de la logistique, rien n’a donc été laissé au hasard pour que ce grand cirque rock’n’roll fasse le tour du continent nord-américain sans incident.
Dès la mise en vente des billets, tout le monde comprend néanmoins que l’événement va déchaîner les passions. Le magazine Rolling Stone décide donc d’envoyer sur place Robert Greenfield, l’un de ses journalistes les plus pertinents. Comme les Stones ont décidé de se montrer sous un jour avenant, Greenfield se voit offrir par le management un badge «tous accès» qui lui permettra d’être constamment au coeur de l’événement. Avec son carnet de notes et son stylo comme uniques bagages, l’auteur prend place au sein de ce qu’il décrit rapidement comme une bande de dingues défoncés.
Bacchanale permanente – Malgré les efforts de quelques responsables zélés, la tournée des Stones vire rapidement à la bacchanale permanente. Présent jusque dans les chambres, où des parasites ingurgitent toutes les drogues imaginables sous les regards blasés des Stones , Greenfield décide bien vite de transformer son article en bouquin.
Il est là donc lorsque Keith Richard décide par ennui de balancer un téléviseur depuis le dernier étage de leur hôtel building. Il est là encore lorsque le service de sécurité tabasse le dealer principal du même Richard pour le forcer à quitter la tournée. Il est là toujours lorsque le groupe est jeté en prison après avoir rudoyé un photographe, ou lorsque des people comme Truman Capote ou la princesse Lee Radziwill (soeur de Jacqueline Kennedy) se gavent de caviar et de champagne dans les coulisses. Il est là enfin lorsque le photographe et cinéaste suisse Robert Frank demande à des jeunes filles paumées de figurer dans des scènes de sexe non simulées qui doivent ponctuer le film qu’il est en train de tourner. Intitulé «Cocksucker Blues», l’ouvrage en question sera longtemps interdit, mais on peut désormais le visionner sur YouTube…
Emeute en ville – Le S.T.P (terme qui désigne une drogue mais qui signifie ici «Stone Touring Party») de Greenfield sera, lui aussi, modérément apprécié par les Stones, même si ces derniers ne s’opposeront pas à sa diffusion. Tant mieux. Magnifiquement écrit, judicieusement construit, il cumule les anecdotes édifiantes, fascinantes, enthousiasmantes mais aussi choquantes. Tout en permettant au lecteur de plonger au coeur de la dernière tournée sauvage des Stones, il immortalise une Amérique pas si paisible où rôdent des hordes de fils et de filles de bonne famille qui carburent aux amphétamines pour se donner du courage avant d’aller affronter la police dans une émeute qui se perpétue de ville en ville.
Sans aucun doute, le livre de rock ultime.