Revue de presse
Peu de musiciens, notamment de bassistes, peuvent se vanter d’avoir fait partie de deux groupes de rock cultissimes, Joy Division, New Order, d’avoir façonné le son de ces deux entités, en proposant un jeu, un son qui fut et reste la colonne vertébrale de toutes ces chansons produites pendant plus de vingt ans.
Peter Hook est de cette trempe.
Au travers de ces quelques 750 pages, nous découvrons un regard acerbe, une mémoire phénoménale, des anecdotes qui prêtent à rire, une passion à jamais renouvelée pour la musique, teinté d’une pudeur émouvante. Ces jours derniers sortait un live de New Order, le premier sans Peter…
Peter Hook attaque ce livre à partir de cet instant où le groupe se retrouve privé de l’essentiel : une direction artistique, une vision, une voix, une présence, un charisme de chaque instant ou presque. Paradoxalement, les membres du groupe pour survivre, et aussi sous l’impulsion de leur manager Rob, fondent New Order en entamant un virage musical qui en surprendra plus d’un : la musique sera festive, joyeuse, synthétique, électronique, dansante, gaie ? Où elle ne sera pas.
Aussi bizarre qu’il puisse y paraître, saisissant alors les opportunités telles qu’elles apparaissent, le groupe, alors qu’il ne possède que quelques compositions abouties, propose des sets ultra courts qui serviront surtout à déclencher des bagarres dans tous les coins de la terre, à l’instar de tout bon punk qui se respecte.
Malgré cela, le groupe avance, contre tout, contre lui même, les premiers albums s’enchainent comme par magie, juste avant que les soucis inhérents à tout music business, ne fassent leur apparition. La première et non la moindre étant d’ouvrir un club, l’Hacienda, faisant office de label, ce qui sur le papier, pouvait servir les intérêts du groupe, servira surtout ceux de personnes soucieuses de leurs propres poches. Alors que le succès grandissant va générer des sommes astronomiques, qui seront automatiquement réinvesties ou détournées dans ce club, qui au fil des années, malgré l’excellente réputation du label, ne sera qu’arnaque éhontée, imbécilité et jeunesse mal digérée. C’est à peine si, comme tout groupe de rock à succès qui se respecte, nous parlerons de la répartition des droits entre musiciens, droits mécaniques ou droits d’auteur qui relèvent de la même gageure, aussi farfelue que conflictuelle.
Evidemment, les membres tombent peu à peu dans le grand barnum du rock’ n roll, à savoir les filles, la came, les montagnes de came, partout, tout le temps que Peter Hook n’est pas d’ailleurs le dernier à s’envoyer. Les tensions au fil des ans, s’accentuent, les non-dits s’accumulent notamment entre Barney le frontman, compositeur, dont la quête irréelle de sons électroniques pousse à vouloir tout contrôler.
Les hommes comme les machines.
Dans ce chaos que rien ne semble pouvoir stopper, le bassiste à l’éthique inoxydable, livre année après année un combat dantesque afin que son instrument de prédilection reste l’ossature organique de chaque morceau que compose, joue, défend le groupe. Les années passent, les projets parallèles se succèdent pour les uns et les autres, les reformations aussi, les espoirs autant que les désillusions s’enchainent jusqu’à ce jour fatidique de 2007 où le génial bassiste part définitivement.
Vivre enfin.
Mais au delà de ce que nous connaissons déjà de ce genre de livres, l’auteur réussit à apposer sa patte, notamment en fournissant une multitude de détails sur ces décades qu’un généalogiste ne renierait pas. Mais surtout il ne se départit jamais de son humour anglais, de ce ton acerbe et pourtant clinquant dont la justesse nous saisit. Loin des pleurnicheries, il reste égal à lui-même, ne cachant rien de ses frasques, ni de ses échecs, ou de ses angoisses.
Ainsi c’est avec un mélange habile de bollocks et de sérénité retrouvée, qu’il évoque ses déboires amoureux, son alcoolisme, ses addictions, qu’il aborde le temps qui passe, les proches qui disparaissent tandis que les procès continuent de pleuvoir avec ce groupe qui l’a vu grandir et s’envoler. Qui d’autre que Peter Hook pouvait finir ce livre par une page pleine de remerciements dont les derniers mots sont ceux-ci : « Merci à Rebecca, Keth, Kevin… tous les autres peuvent aller se faire foutre ».
Punk un jour…
texte
Le bassiste publie un troisième volume autobiographique, croustillant, détaillé et consacré à ses 31 années passées avec New Order.
Jovial, sans chichi, Peter Book est à Paris pour pratiquer cette activité qu’il adore : raconter sa vie. Le Mancunien sort ici le troisième tome de ses mémoires, un pavé de 700 pages consacré aux années New Order. Le premier racontait la chaotique histoire de l’Haçienda, boîte de nuit montée par Tony Wilson, patron fou du label Factory et dans laquelle New Order· avait des parts. Le deuxième, fabuleux, remontait encore plus loin, aux années Joy Division. Où l’on découvrait, à l’opposé du film noir et blanc d’Anton Corbijn, que la bande d’lan Curtis était aussi une clique de lads plutôt rigolards.
Le plus lourd restait à narrer : l’histoire du groupe fondé par trois membres de Joy Division dans la torpeur qui suivit le suicide de Curtis. Avec Bernard Sumner, Stephen Morris et Gillian Gilbert (qui arrive au bout de quelques mois), New Order a défriché les années 80, s’est éloigné du rock sans jamais vraiment l’abandonner pour aborder des rivages synthétiques qui firent fureur. Avant la prévisible descente, les mesquineries humaines et les embrouilles juridiques, racontées avec force détails dans l’ouvrage, par le légendaire bassiste, clean depuis quelques années et qui joue désormais du New Order et du Joy Division avec son nouveau groupe, The Light.
ROCK&FOLK : Les livres sur l’Haçienda et Joy Division étaient déjà conséquents. Celui-ci raconte trois décennies de votre vie et l’est encore plus…
Peter Hook: Ce qui est intéressant avec ce livre c’est que si j’étais encore dans New Order, je ne l’aurais pas écrit. C’est le genre de livre qu’on écrit après une rupture. Puisque les choses se sont très mal terminées je pensais me plonger dans des souvenirs désagréables, comme quelqu’un qui ne voit plus que les mauvais aspects d’un couple après un divorce. En fait je me suis replongé dans des souvenirs très agréables. Ceux d’un groupe qui en démarrant de rien, a surpassé Joy Division et obtenu un succès énorme. Au départ je pensais que l’écriture serait très rapide. Avec Andrew Holmes, le co-auteur du livre, il nous a fallu trois ans pour arriver au bout. Pendant ce travail, j’ai compris à quel point New Order incarnait les années 80. Nous avons commencé en mai 1980 et notre âge d’or, la période Factory, s’est terminé en 1990 avec la chanson pour la Coupe du monde, “World In Motion”. Notre retour dans les années 90 a également été une réussite, nous nous sommes réunis pour les bonnes raisons. Malheureusement la deuxième lune de miel n’a pas duré aussi longtemps que la première. J’ai compris que je voulais faire du rock et les autres voulaient être complètement électroniques. C’était cette tension qui rendait le groupe unique. Nous n’avions pas beaucoup de talent, mais nous avons essayé de changer le monde. Notre bizarrerie nous a servi. Les gens se souviennent de Joy Division, de Factory Records, de I’Haçienda ou de New Order pour cette raison. C’était formidable d’être bizarre, de ne pas jouer le jeu. Au début, nous avons même tout fait pour ne pas avoir de succès. Nous ne mettions pas les singles sur les albums, nous ne faisions pas de promotion, pas de produits dérivés. Nous étions arty et cela nous semblait très cool. Aujourd’hui tout le monde semble prêt à tout pour avoir un peu de succès, y compris moi. Parce que j’aime ça et que j’ai compris la chance que j’avais de pouvoir continuer à gagner ma vie en faisant quelque chose qui me plaisait. J’ai joué à Birmingham hier, à un festival, j’ai joué du New Order et du Joy Division avec mon groupe et j’ai pris un plaisir pas possible, puis j’ai pris l’avion pour venir à Paris parler de mon livre. J’apprécie ma chance.
R&F : Vous expliquez très bien à quel point New Order· est le fruit d’accidents: le groupe naît du vide laissé par Ian Curtis, tâtonne et développe son identité par hasard en découvrant les synthétiseurs et les boîtes à rythmes.
Peter Hook : Nous avons utilisé des séquenceurs et des synthétiseurs avant les autres. Nous avons croisé le rock et la dance. à notre sauce indie. Nous passions un temps fou à essayer de comprendre comment fonctionnaient des machines dont personne ne savait se servir. Nous avons pourtant réussi à faire de sacrées choses avec : “Temptation”, “Everything’s Gone Green”, “Hurt”... Nous enregistrions encore en analogique, ce qui veut dire qu’il était impossible de corriger les erreurs). Les ordinateurs permettent de tout corriger aujourd’hui, c’est un puits sans fond, dans lequel Barney est tombé. Une fois que la prise était faite sur bande, on ne pouvait plus revenir en arrière. Ça a permis des erreurs magnifiques, uniques. “Blue Monday’’ est remplie d’erreurs, et c’est pour ça qu’elle est si fantastique.
R&F: Vous étiez le punk du groupe, sa pulsation humaine ?
Peter Hook : Regardez mes bras, j’en ai un plus long que l’autre à cause de la basse, mon cou et mon dos sont ruinés. J’ai beaucoup souffert, j’ai tout enduré, sans parler des maladies sexuelles. Mais ça valait le coup. J’ai enrichi une personne : mon chiropracteur. Je le fréquente depuis 1993 et je peux vous dire qu’il a eu du boulot.
R&F : On a rarement vu un livre aussi détaillé, précis. Tout est raconté avec précision, le matériel sur· lequel vous jouiez, les drogues, les maladies sexuelles…
Peter· Hook : Je lis beaucoup de biographies. Certaines sont nulles, certaines géniales. Je viens de finir celle de Steve Jones, formidable. Là je lis celle de Bruce Springsteen. Celle de John Lydon était correcte, celle de Viv Albertine intéressante, celle de Billy Idol abominable. Ce que je remarque en lisant ces livres, c’est qu’aucun musicien ne dit sur quel matériel il jouait, ni comment il écrivait ses chansons. Ce manque de détails me chiffonne. Bernard est un musicien fantastique, très intéressant, mais dans son livre il n’explique absolument pas comment il a écrit toutes ces chansons, c’est très frustrant. C’était une personne abominable à fréquenter en studio, mais j’aimerais tellement savoir comment il écrivait tous ces morceaux. Autre chose : j’adore les listes, alors j’ai voulu mettre des listes dans le livre. Jai écrit le livre que j’aurais voulu lire. C’est vrai que je raconte beaucoup de choses. Je voulais à la fois raconter les histoires de drogues, de filles, mais aussi raconter que nous étions un groupe qui bossait dur en studio. Nous n’avons pas toujours été très bons techniquement, mais nous avons écrit de bonnes choses. Bien jouer est quelque chose qui s’apprend, écrire de bonnes chansons ne s’apprend pas. Sachez qu’avant la publication en Angleterre, des avocats ont relu le livre pour des questions légales. Les meilleures histoires, les trucs les plus salaces ont dû être enlevés. Soit, à peu près un tiers du manuscrit original, un vrai crève-cœur.
R&F : Et l’on découvre que New Order menait une vie de débauche hallucinante.
Peter· Hook : Nous nous amusions bien. Nous étions téméraires. Les apparences sont trompeuses. Je pense à cette fois où nous avons joué avec The Birthday Party. Nous pensions avoir affaire à des gothiques sauvages qui mangent des chauve-souris, nous avons rencontré des gens très calmes qui jouaient aux échecs dans leur loge. Eux pensaient rencontrer des étudiants sages, i1s ont vu des barbares drogués. Nous pouvions faire n’importe quoi mais, heureusement, nous faisions de la bonne musique. J’étais dans un groupe je me sentais autorisé à tout faire. Si le News Of The World, me topait en train de prendre de la drogue ou avec des prostituées, ça ne me posait pas le moindre problème. J’avais ce badge qui me protégeait, j’étais dans un groupe.
R&F : Quand les gens s’arrêtent de boire, ils font souvent acte de contrition. Vous ne semblez absolument pas dans cette démarche.
Peter Hook : C’était une période folle. Je ne regrette rien. Jai eu de la chance. J’ai terminé en désintoxication. J’étais au fond du trou. Je n’aurais pas pu continuer plus longtemps comme ça. J’ai adoré la désintoxication. J’y ai croisé des tas de gens très marrants. Je me suis bien amusé. En revanche le retour au monde réel n’a pas été facile.
R&F : C’est à cette époque que les autres vous virent.
Peter Hook: Quand New Order m’a renvoyé en 2011, les autres m’ont dit des choses terribles qui m’ont donné envie d’écrire le livre. Je comprends qu’ils m’aient viré. Je ne comprendrai jamais pourquoi ils l’ont fait dans mon dos, sans me dire quoi que ce soit en face. Je n’aurais jamais agi comme ça.
R&F : Joy Division et l’Haçienda sont des histoires terminées, bouclées. Celle de New Order semble encore une plaie ouverte.
Peter Hook : Parce que nous sommes encore en train de batailler au tribunal. Je n’y peux rien. J’aimerais croiser Bernard par hasard un jour dans la rue et me réconcilier. Mais c’est impossible. Nous nous haïssons. Il a probablement envie de me tuer. Ce qui est très triste, puisque nous nous sommes fréquentés pendant 31 ans. Notre passé est pourtant inextricable. Chaque fois qu’ils jouent des vieux morceaux, je suis quelque part impliqué : même chose de mon côté. Les chansons sont comme des enfants après un divorce, tiraillées entre leurs parents.
Ego, argent, histoires légales
R&F : Savez-vous si le livre a engendré des réactions chez les autres membres du groupe ?
Peter Hook : Je sais que Gillian a été très mécontente. Mais elle ne m’a pas poursuivi en justice. Elle n’a qu’à écrire un livre si elle veut donner sa version. Mon livre est beaucoup plus libre que celui de Bernard. Je n’étais plus dans le groupe je n’avais plus à me soucier de qui j’allais vexer. Bernard a dû être beaucoup plus prudent dans le sien, difficile pour lui de dire du mal des gens qu’il voit encore aux répétitions.
R&F : Vous semblez pourtant heureux.
Peter Hook : Je suis un optimiste, je vois le verre à moitié plein. Quand j’ai commencé le livre je suis allé sur Google pour voir pourquoi les groupes se sont séparés : la raison est toujours un mélange d’ego, d’argent et d’histoires légales. Les groupes se sont toujours fait avoir. C’est comme ça…
Familles décomposées L’opinion de Peter Hook sur deux autres géants mancuniens douloureusement séparés : “Les Smiths ont été détruits et ne reviendront jamais à cause d’un problème juridique. Ils avaient le même avocat que New Order. C’est le même type. Il a détruit les plus grands groupes de Manchester. Je ne lui pardonnerai jamais. Quant à Liam et Noel… Liam a un problème, c’est Noel qui a écrit toutes les chansons. Il lui sera toujours redevable pour ça. Tant que Noel n’admettra pas que la performance de Liam était également importante, rien ne se résoudra. J’ai lu dans le journal que la fille de Noel s’en prenait publiquement au fils de Liam. Si on en arrive à ce genre d’engueulade, si toute la famille s’en mêle, Oasis ne se réunira jamais. Au moins les Stone Roses se sont reformé et ont vécu une conclusion un peu plus heureuse et bien payée. J’étais ravi pour Mani et Reni, ils méritaient cette reconnaissance.”
Bien qu’aujourd’hui écarté de New Order, Peter Hook remet les pendules à l’heure avec les mémoires-fleuves consacrés au cultissime groupe mancunien.
Quand elles n’ont pas abouti à la séparation de New Order, les tensions entre Bernard Sumner et Peter Hook ont nourri la beauté de leur musique. Mais depuis 2007, Hooky n’est plus le bassiste officiel du groupe. Il a également attaqué les trois autres membres pour l’avoir “exclu financièrement du capital et de l’héritage” de New Order. Si l’affaire semble avoir été réglée tout récemment, Hook en aura au moins tiré Substance, New Order vu de l’intérieur, dernier volet d’une trilogie autobiographico-musicale absolument passionnante. Interview sur le pourquoi du comment de ces confessions (très) intimes.
Pourquoi vous êtes-vous lancé dans l’écriture de ces trois pavés ?
P. H. : Ça faisait des années que mes amis me répétaient que j’étais stupide de raconter mes histoires gratuitement, quand j’étais bourré, alors que je pouvais me faire payer pour ça. Réflexion faite, ils avaient raison. Et ce qui m’a décidé, c’est que New Order a voulu se reconstituer sans moi, d’une façon absolument dégueulasse. Alors j’ai décidé de livrer l’histoire sans tabous. J’ai réussi à ne pas trop écouter ma colère et à être honnête : ce groupe a beaucoup accompli, malgré les adversités. Nous sommes partis de rien et nous avons tout raflé. Finalement, écrire m’a permis de me souvenir de tous les bons moments de New Order et, hélas, de toutes mes bourdes, tant sociales que familiales. Musicalement, j’ai toujours été droit dans mes bottes.
Comment vos enfants ont-ils réagi à la lecture du livre ?
P. H. : S’ils se lancent là-dedans, ils comprendront que je suis passé par de mauvais moments, que j’ai payé le prix fort pour mes erreurs. Mes enfants ne tiennent absolument pas de moi : ils ont la tête sur les épaules. J’ai dû servir de vaccin contre les conneries ! Mon fils Jack a 28 ans et je ne l’ai vu ivre qu’une seule fois !
En vous lisant, la mort de lan Curtis, chanteur de Joy Division, semble être un sujet très douloureux.
P.H. : Depuis sa mort, il ne passe pas une seule journée sans que j’y pense. C’est lui qui a créé Joy Division, qui aurait dû récolter les fruits de son labeur et de son talent. Aujourd’hui, il devrait être avec sa fille en train d’admirer les levers de soleil. Natalie est d’ailleurs une jeune femme charmante, une excellente photographe, très timide et toujours un peu triste. Son suicide reste ancré en moi. J’ai d’autres amis qui ont fini par se tuer, et j’avoue ne pas bien saisir pourquoi ils ont pensé résoudre leurs problèmes de cette manière.
Quelle est votre vision du rock d’aujourd’hui ?
P.H. : Bon sang, je détesterais être dans un groupe. Dans les années 80, l’industrie était encore concentrée sur le disque, on en vendait énormément. Le passage de l’analogique au digital a déplacé les luttes de pouvoir, et influe aussi sur le travail en studio. Avant, on enregistrait et on mixait en un temps record, mais avec les ordinateurs, on peut continuer indéfiniment… Enfin, sur scène, ce n’est plus pareil. Je ne peux pas compter le nombre de fois où on s’est engueulé avec des gens du public, qu’on s’est battus comme des chiffonniers. Désormais, les concerts étant le moyen le plus sûr de faire rentrer l’argent dans les caisses, il faut rester un minimum bien élevé en public… C’est d’un ennui !
Votre plus beau souvenir au sein de New Order ?
P.H. : Quand on a rempli le Hollywood Bowl, quelle fierté ! Le problème, c’est que ces moments exaltants peuvent aussi détruire les relations humaines. Même si, dans l’ensemble, nous avons eu une chance folle. D’abord d’avoir un public prêt à écouter ce qu’on lui proposait, y compris un morceau comme “Blue Monday”, pur geste de rébellion de punks de 24 ans. Ensuite d’être gérés par notre manager, Rob Gretton, et un patron de label (Tony Wilson, ndlr) aussi fous que nous. Le souci, c’est qu’ils étaient nuls en affaires et qu’on a commencé à sombrer dans les embrouilles quand eux ont déraillé, à cause de la drogue ou de la dépression.
Savez-vous si Bernard, Steve et Gillian ont lu votre livre ?
P.H. : Si oui, je pense qu’ils ne le diront pas, ça doit faire partie des questions interdites lors des interviews ! En revanche, j’ai lu celui de Barney, où il passe son temps à me traiter de parasite. Super constructif. New Order était un groupe exceptionnel, mais notre histoire ressemble à un mauvais divorce…
Les mélodies de la basse de Peter Hook étaient au cœur du son de Joy Division, puis New Order. Jusqu’à ce que le chanteur-guitariste Bernard Sumner, son meilleur ennemi, l’écarte peu à peu.
Le sexagénaire de Manchester ne fait plus partie de Ne Order depuis dix ans et exorcise cette blessure dans les 761 pages de Substance. Pitoyable? Jamais. On retrouve l’humour ravageur et l’esprit terre à terre qui ont fait de ses livres précédents de jubilatoires témoignages.
Dans Joy Division vu de l’intérieur, Hook expurgeait de tout romantisme noir la courte saga du plus culte des groupes. Dans L’Haçienda, la meilleur façon de couler un club, il nous régalait de l’histoire dingue de ce night-club légendaire. Substance, New Order vu de l’intérieur valait trente-sept ans de carrière, en ne cachant rien des faiblesses des autres et de son auteur. Pour compenser la subjectivité assumée de ce sacré conteur, des “chronologies” rigoureuses s’intercalent entre les chapitres…
Le légendaire bassiste de New Order publie Substance, pavé de 700 pages qui raconte l’intérieur du groupe le plus dansant de l’histoire. Un éclairage essentiel avec coups bas, foule d’anecdotes et du rire en barre à chaque page.
◗ New Order est un miracle qui n’aurait jamais dû exister. Parce qu’impossible, a priori, de survivre à la fin de Joy Division, ses deux albums post-punk habités par une basse nerveuse et la présence mystique de son chanteur. Ian Curtis, sa poésie, ses danses désarticulées à contretemps, ses crises d’épilepsie, aussi, si terrifiantes qu’elles finirent par le pousser au suicide le 18 mai 1980. Et pourtant, les trois autres membres du groupe allaient poursuivre leur route en changeant tout ou presque. Le nom, la voix, et même le style, pour pondre cinq albums dance-rock parfaits entre 1981 et 1989.
ÉNERGIE DE LA JEUNESSE
Nés sur des cendres qu’ils n’ont jamais vraiment pris soin de balayer, les New Order auraient même pu devenir des monstres de stades. On veut dire : le plus grand groupe du monde, «plus célèbres que ces connards d’Irlandais», selon le bon mot de leur manageur Rob Gretton, en référence à U2. Grâce à leur inimitable mélange d’électronique et de rock, donc, mais aussi un sens de la mélodie imparable, avec comme étendard «Blue Monday» (1983), le maxi 45 tours le plus vendu de l’histoire. Ne plus pouvoir exister, puis devenir immense: une contradiction, une de plus, de celles qui ont fait l’histoire d’un groupe déchiré par un «je t’aime moi non plus» permanent entre ses deux leaders. D’un côté, le chanteur Bernard Sumner, de l’autre, le bassiste Peter Hook, qui lâche toute sa vérité – et pas mal de sa rancœur – dans un réjouissant pavé. Grand lecteur de biographies, «Hooky» se dit souvent frustré par ce qu’il y trouve : «J’espère toujours tomber sur plein de détails et d’anecdotes, mais c’est rarement le cas. Mon livre, c’est d’abord celui que j’aurais eu envie de lire.» Il y écrit comme il parle, pour un rythme impeccable habillé d’une mauvaise foi totalement assumée. Il n’y épargne personne, surtout pas luimême, très conscient de son côté brut, parfois un peu scato, à se traiter de plouc ou de «blaireau de Salford» – la banlieue populaire de Manchester, surnommée Dirty Old. Town. On rit énormément, on insiste, et on aurait pu même rire davantage : la première version pointait à 1200 pages, pour finalement s’échouer à un peu plus de 750. Comment fait-on pour couper autant, d’ailleurs? «Facile, on donne le manuscrit aux avocats avant publication, et à chaque «ouch!», on enlève des passages pour éviter les soucis juridiques.»
MONSTRE DE TRAVAIL
C’est ce qu’il racontait mi-septembre, à Paris. Venu défendre sa prose, Peter Hook se la jouait cabotin juste comme il faut, avec ses petites postures et sa voix de vieil aristo londonien. Sans nier la grande importance de son travail de mémoire : «Ce bouquin m’a servi de thérapie. J’avais fini par penser que New Order, c’était de la merde, surtout vu comment ça s’est terrminé. Mais en fait, quelle extraordinaire réussite! On a carrément inventé un genre de musique.» Beau joueur, il se donne le mauvais rôle dans cette affaire : «Moi, j’étais le vieux dinosaure qui voulait juste jouer. Les autres étaient obsédés par le matériel, obstinés dans leurs recherches, et ils ont réussi à créer ce son. La leçon de tout ça, c’est que rien ne vaut la stupidité de la jeunesse. On croit encore qu’on peut changer le monde à 20 ans. Aujourd’hui, à plus de 60 ans, je sais bien que ce n’est pas possible. Mais l’énergie et l’ignorance de la jeunesse ont provoqué ça.» Peter Hook ne censure rien. Sa consommation de drogues et d’alcool, ses attitudes irresponsables, à se demander comment il a pu tenir aussi longtemps – et comment les autres ont réussi à le supporter. Il rappelle aussi qu’au-delà des clichés rock’n’roll, New Order était un monstre de travail, de recherche et d’obstination. Un groupe d’une authenticité totale, refusant tous les play-back des télés pour mieux jouer en live. Le risque : massacrer certaines versions et passer pour des baltringues, quand les réglages étaient pourris ou leurs arrivées tardives et éméchées – une constante dans l’ouvrage. La récompense : pondre parfois des chefs-d’œuvre d’énergie en une prise et toiser les autres groupes vedettes de l’époque, tels U2, Depeche Mode ou Orchestral Manoeuvres In The Dark, gênés devant le courage des Mancuniens alors qu’eux se contentaient de se trémousser sur des bandes enregistrées. «Pourquoi? Parce qu’on était cinglés. Non, correction : parce qu’on tenait à rester fidèles à nous-mêmes.» Le fil rouge de l’ouvrage reste bien sûr sa relation compliquée avec Bernard Sumner. Amis d’enfance, les deux hommes ont fini par se détester avec les années. «Son mode de survie, c’est d’être centré sur lui-même. A bord du Titanic, il aurait porté une robe et n’aurait pas hésité à te piétiner pour pouvoir s’enfuir sur un bateau de secours», jure Peter Hook. Qui reconnaît, sans se forcer, le rôle de leader dans la composition des chansons et le courage qu’il a fallu à son camarade pour chanter après Ian Curtis. Ses coups de griffe, parfois vachards, transpirent tous une forme de tendresse. De fait, les forces de l’invisible resteront probablement plus fortes que tout : «On est ensemble pour toujours, et on le restera après notre mort. J’ai joué à Birmingham l’autre soir, il était avec moi. Et je suis sûr que je suis avec lui quand il joue quelque part.» Il se montre en revanche nettement moins doux avec Gillian Gilbert (clavier), régulièrement ramenée à son statut de (médiocre) instrumentiste sans aucune influence sur les compositions, sinon les fausses notes sur scène.
PÉCHÉS À EXPIER
Toujours à Paris, Peter Hook naviguait entre tristesse et espoir. Lui jurait avoir été viré du groupe, quand ses camarades estimaient qu’il était parti de lui-même. «Etre exclu, c’est l’un des pires sentiments qui soient. Souvenez-vous quand ça vous arrivait dans les bacs à sable… Et bien, on dirait que les groupes ne sortent jamais des bacs à sable. On n’a plus aucune relation aujourd’hui, peut-être qu’on est tous en train d’attendre un signe de l’autre.» Le signe, minuscule, est venu le 20 septembre, avec l’annonce d’un accord officiel entre Peter Hook et les autres membres de New Order. Le procès en cours, bâti sur de sombres histoires de droits d’auteur et de merchandising, est enfin terminé. Sans regrets apparents : «On était tous tellement cons que même si c’était à refaire, on ne changerait probablement rien.» Aujourd’hui aminci, totalement sobre depuis plus de dix ans, Peter Hook passe son temps en salle de musculation pour soulager un dos massacré par son jeu de basse si particulier. La fin de son ouvrage ressemble d’ailleurs à une confession choc sur son alcoolisme et ses autres addictions. Il répète, encore et encore, à quel point il a pu se comporter comme un «gros con». Il lui a été du coup demandé si Substance avait été une façon de se purifier. Il a souri, une fois de
plus : «Quand on voit la taille du livre, je devais avoir beaucoup de péchés à expier.»
Rencontre avec Peter Hook : de l’ombre à la lumière, la seconde vie de Joy Division
Peter Hook & the light était en concert à Paris au Trianon à Paris fin octobre, Michka Assayas en a profité pour rencontrer le bassiste de légende et le créateur de deux des groupes les plus influents de l’histoire de la musique contemporaine, Joy Division et New Order.
”(...)Outré de s’être vu exclu de la reformation du groupe en 2011, le bassiste Peter Hook, Hooky, de fomenter une sorte de coup d’État. Il a publié en 2012 un livre de mémoires, Unknown Pleasures, Inside Joy Division, publié en traduction française chez l’éditeur Le Mot et le reste, sous le titre Joy Division vu de l’intérieur. Il vient de publier le second tome, un pavé de 700 pages, Substance, New Order vu de l’intérieur, où il balance absolument tout sur ses camarades, ne s’épargnant pas lui-même, et c’est à la fois très drôle, féroce et parfois carrément assassin. Parallèlement, il a créé un groupe, The Light, avec lequel il a décidé de jouer et chanter lui-même tout le répertoire de Joy Division et New Order. Ce qu’il a fait lui-même au Trianon, à Paris, il y a près d’un mois. En marge de ce concert, dans une importante librairie du dix-huitième arrondissement, Peter Hook a signé aux admirateurs du groupe une soixantaine d’exemplaires des deux tomes de son autobiographie. Et, un peu fatigué après cet exercice, il m’a accordé une interview, renâclant un peu, parce qu’il était crevé et voulait préserver sa voix pour le concert. En plus, il relevait d’une longue pneumonie qu’il avait contractée durant une tournée en Australie. Ça a donné à notre entretien une certaine tension qui s’est révélée salubre. J’ai rappelé à Peter Hook que je l’avais rencontré en 1983 et qu’il n’avait pratiquement pas ouvert la bouche. Et que j’étais un peu surpris de le voir être devenu si prolixe.(...)”
Réécouter l’émission de Michka Assayas sur le site de France Inter
Avec la sortie de Substance : Inside New Order, Peter Hook, bassiste et membre fondateur de Joy Division/New Order, lève définitivement le voile sur le groupe qui, dans les années 1980, était réputé comme l’un des plus énigmatiques du monde de la pop. Entre anecdotes sex, drugs & rock’n’roll, aigreur non contenue d’un bassiste toujours en procès contre le reste du groupe, apogée artistique et sacrifices commerciaux, la bible de 728 pages est un essentiel pour décoder le groupe et son microcosme.
L’histoire de Factory Records, de leur club l’Haçienda et de leur rocambolesque « banqueroute », ont déjà nourri de nombreux livres. En fait, plus ou moins toutes les personnes impliquées de près ou de loin dans Factory et l’époque « Madchester » ont déjà sorti un bouquin ou un film : pour exemples, l’excellent 24 Hour Party People de Michaël Winterbottom, autour du charismatique Tony Wilson ; et Control d’Anton Corbijn, centré sur l’histoire de Joy Division.
Après deux premiers livres consacrés à l’Haçienda chez les éditions Le mot et le reste dont on vous parlait lors de la rentrée littéraire et musicale 2014 (L’Haçienda, La meilleure façon de couler un club, 2012) et à Joy Division (Unknown pleasures, Joy division vu de l’intérieur, 2014), Peter Hook reprend donc le stylo-bile avec une bible de 728 pages. Par rapport aux autres livres sur New Order comme Chapter and Verse, l’autobiographie du chanteur Bernard Sumner, parue en 2014 (très distante et peu détaillée), Hook vise ici à coller le plus possible à une approche documentaliste et factuelle, même si, en guise de préambule, Peter Hook nous prévient que « Ce livre est toute la vérité, rien que la vérité…telle que je m’en rappelle. »
New Order 1980–1986 : le dernier groupe de rock’n’roll ?
Forcément, en ouvrant ce genre de bouquin, on s’attend toujours à des dizaines d’anecdotes sex, drugs & rock’n’roll. Hook les annonce presque sans filtre. Et on n’est pas déçus. New Order réussirait (presque) à faire passer les Rolling Stones, Black Sabbath et même Spinal Tap pour des petits joueurs. On n’entrera pas ici dans les détails mais si vous aimez les histoires de défonce, d’adultère et d’initiations à la vie, vous serez servis.
Mais ce ne sont pas les comportements de rockstar, entre perversion et innocence, de ses membres qui ont fait la légende du groupe. Ce qui relève de la mystique, c’est évidemment la qualité des œuvres et la quantité de production sortie dans ce modèle de société « communo-totalitaro-démocratique » inventé par Tony Wilson. Un idéal artistique (politique ?) nourri au punk qui a quand même permis, entre deux gueules de bois, d’engendrer les disques étalon de la pop de la fin du 20ème et début du 21ème siècle.
On peut se permettre de voir dans ce chaos hallucinatoire, le terreau fertile du génie créateur « Made in factory ». Entre 1980 et 1986, New Order confirme le sens du mot rock’n’roll : les musiciens conduisent eux-mêmes les vans lors des tournées, gèrent les équipements et notes d’hôtel , configurent le matériel (notamment les synthétiseurs) aussi bien en studio que sur la route. La petite équipe de roadies est logée à la même enseigne que les artistes et ces derniers ne gagnent rien. Ou presque. Tout cela dans un cadre que l’on pourrait qualifier, avec énormément de respect, de très peu professionnel.
Entre 1980 et 1986, dans ces conditions, New Order compose « Everything’s gone green », « Temptation », « Age of Consent », « Blue Monday », « The Perfect Kiss » et « Love Vigilantes ». En perpétuelle situation de stress, d’entropie et d’(auto)-destruction, confrontés à des imprévus qui feraient renoncer les plus téméraires, le groupe fonce tête baissée et la magie éclabousse sans discontinuer les productions issues de ce crash frontal entre « pub rock » et « dance music » pour geeks.
La fin de l’innocence
À partir de 1987, même si la gestion financière de Factory ne s’améliore pas (en fait la situation est déjà désespérée depuis de nombreuses années), les deals à l’international – notamment la signature chez Qwest, le label de Quincy Jones, aux USA – amènent le groupe dans la célèbre « zone de confort » pour popstars : limousine (individuelle!) jusqu’au stade pour les concerts, backstages orgiaques et after-parties démesurées sur la célèbre méga-tournée de 1989 aux USA.
Peter Hook estime que c’est à partir de ce moment que la démocratie « made in New Order » s’effondre et que l’équilibre magique qui leur permettait de produire des disques pointus, radicaux et d’une sincérité rare, devient difficile à atteindre. Les problèmes égotiques entre Hook et Sumner prennent le dessus sur la fraternité, Rob Gretton (le manager historique du groupe) touche le fond de son addiction à la cocaïne et les intervenants externes (des producteurs comme John Robie et Stephen Hague) semblent être voués, toujours selon Hook, à mettre en péril l’équilibre fragile du son dance-rock du groupe.
Même si la formation semble trouver une dernière période de magie créative et d’insouciance lors du long isolement à Ibiza pour l’enregistrement de Technique (leur cinquième album studio sorti en 1989), les conflits dans la cabine de production sont toujours au premier plan. En effet, la scission du groupe en trois factions (Bernard Sumner dans le rôle du chanteur-dictateur-diva / Hook, la victime qui peut parfois placer une ligne de basse dans le mix final / Stephen Morris et Gillian Gilbert, toujours dépeints comme une entité sans relief et sans volonté propre par Hook) est actée pour l’enregistrement de Republic (sixième album sorti en 1993 – avertissement : cette vidéo contient un court plan contenant David Hasselhof ).
Ce mode de fonctionnement perdurera jusqu’à la « séparation » (ou au départ de Peter Hook, selon les versions) du groupe en 2007.
Des voleurs d’amour et de haine
Si, ces dernière années, la presse fait plus échos du conflit juridique opposant Hook au reste du groupe que de leurs productions actuelles respectives (comme l’excellent Music Complete, dernier album du groupe sorti en 2015 chez Mute) ou des tournées best-of « Peter Hook & the light », New Order reste, à l’échelle de l’histoire du rock, l’une des plus belles « success-stories » artistiques de la musique indépendante et leur histoire est ici pour la première fois racontée de façon terre-à-terre, sans précaution quelconque.
C’est bien sûr la force de ce genre de témoignage « vu de l ‘intérieur » mais c’est aussi ce qui, malheureusement, rend le livre un peu dérangeant car il manque parfois à son auteur le minimum de distance nécessaire dans la description des relations interpersonnelles du groupe et de leur entourage.
Le livre reste un indispensable pour les fans de Joy Division/New Order ainsi que pour les passionnés de la scène de Manchester des 80’s tant celui-ci permet enfin de toucher à la réalité de cette incroyable et bancale aventure. Pour les autres, le livre s’avérera être une lecture distrayante mais assez vite pénible à cause de sa longueur et de la rancœur, trop peu contenue, de son auteur.
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La vague new wave n’a pas fini de déferler sur le paysage culturel du moment. Orchestral Manoeuvres in the Dark, interprète du célèbre titre « Enola Gay », sort un nouvel album et Peter Hook, bassiste du groupe cold wave Joy Division, vient d’écrire un livre racontant New Order de l’intérieur. Retour sur la bande originale des années 80 qui a permis d’intégrer machines et synthés dans la musique rock.
Dans son troisième ouvrage, Substance, New Order vu de l’intérieur, Peter Hook se livre sans détour et se souvient du groupe qu’il a quitté en 2007. Touché au cœur par ses anciens compagnons de route, il défend sa vie et son œuvre, de joy Division à Peter Hook & The Light, sans peur d’écorner la légende au nom de cet humour vache typique du nord de l’Angleterre. Aminci et sobre, amical et sensible, le bassiste donne sa vision d’une histoire sans fin et dézingue au passage ses anciens camarades de jeu.
Que t’évoque la chanson Dom’t Look Back in Anger d’Oasis ?
C’est devenu le cri de ralliement de Manchester après l’attentat du 22 mai 2017, même si les paroles ne me touchent pas personnellement. Oasis a joué son tout premier concert en ouverture de mon ancienne formation Revenge (ndlr. il s’agissait en réalité du premier concert d’Oasis avec Noel Gallagher) et nous nous sommes beaucoup croisés ces vingt-cinq dernières années. Lors d’une audition pour devenir leur bassiste, Pottsy (ndlr. David Potts, fidèle membre de Revenge, Monaco et désormais de Peter Hook & The Light) a voulu changer les accords de Wonderwall, ce qui définit bien son tempérament et ce pourquoi je l’aime tant !
Comment te sens-tu désormais?
Ma vie actuelle me convient très bien : je suis heureux en mariage et voyage à travers le monde, je suis très chanceux. Il est très facile pour une rockstar de faire n’importe quoi et de s’en foutre. Peut-être est-ce lan Curtis qui prend soin de moi ! Le seul nuage à mon horizon demeure le procès en cours avec New Order ; ce qu’ils m’ont fait en 2011 est totalement immérité. Je crois en mon combat et jamais n’abandonnerai, même si je ne peux pas parler tant que justice ne sera pas rendue. Je suis certain que si la vérité éclatait, la majeure partie de nos fans seraient très énervés.
Pourquoi as-tu décidé d’écrire tes mémoires ?
L’idée de L’Haçienda, la meilleure façon de couler un club (2012) est venue naturellement alors que je participais à la triple compilation The Haçienda Classics (2006). J’avais énormément d’anecdotes à partager, et il m’a fallu trois années pour rédiger le livre. li y a peu d’ouvrages au sujet des clubs, et j’ai tenté de relater honnêtement et en profondeur ce qui s’y est passé. Son succès a été retentissant, du coup, pourquoi ne pas faire de même avec Joy Division ! Il m’a fallu deux ans pour écrire Unknown Pleasures, ]oy Division vu de l’intérieur (2014), qui ne traite que de nos trois ans d’existence et un peu de mon adolescence. Je ne voulais rien écrire sur New Order car nos problèmes sont trop importants pour être dévoilés, et que je ne voulais pas détruire le mythe avec ces querelles d’idiots. Mais après le split de 2007 et la lamentable reformation sans moi en 2011, qu’ils aillent se faire voir! Ces six dernières années ont détruit toute l’estime que je pouvais porter au groupe. Je pensais que cela me prendrait à peine un an, mais là aussi j’en ai mis trois… Tristement, aucun de mes ouvrages ne se termine sur une note positive, donc si je devais en sortir un quatrième, j’aimerais raconter le procès, à la fois frustrant, fascinant et technique. Ce serait sûrement un autre bon livre, mais je ne pense pas que les fans l’apprécieraient.
Bernard Sumner a écrit un livre, Stephen Morris et Gillian Gilbert vont faire de même. Du chanteur au batteur en passant par celle qui joue des claviers, à chacun sa vérité sur New Order ?
J’ai hâte de lire ce que va raconter Gillian. Chapter and Verse – New Order, ]oy Division and Me (ndlr. non traduit), la biographie de Bernard, est très pauvre : il résume New Order à une centaine de pages et passe le reste du bouquin à expliquer quel pauvre type je suis. C’est flatteur pour moi, mais les fans n’apprennent rien. Son pamphlet est aussi amer que sa personnalité finalement. Il ne parle pas de lui, ni de sa façon de composer, ni comment nous fonctionnons. Les gens en attendaient plus de lui, et ce qu’il a fait en définitive, c’est “How Not to Do a Book” (ndlr. en référence au titre original de The Haçienda, How Not to Run a Club).
MÉMOIRE ET RANCŒURS
Malgré vos disputes, tu essaies de retenir les aspects positifs du travail de tes anciens complices ?
Nous nous sommes très mal séparés, sans amour. Nous aurions pu en rester là et vivre séparément plutôt que de chercher à détruire l’autre, avec tous ces avocats. Au vernissage de l’exposition True Faith, toute l’équipe juridique qui essaye de m’écraser depuis six ans me tapait dans le dos en me demandant hypocritement comment j’allais. J’ai posté sur Instagram cette photographie de moi devant le tableau d’Henri Fantin-Latour, qui illustre la pochette de Power, Corruption & Lies (1983), en la commentant d’un laconique “Surréaliste”. J’avais l’impression d’être au réveillon de Noël avec mon ex-femme et tous ses proches qui te regardent du coin de l’œil. C’était vraiment bizarre.
Tu te décris comme un archiviste et un lecteur assidu, à l’opposé de ton image habituelle.
Avec notre manager Rob Gretton, nous trouvions les titres des morceaux et même les mentions sur les sillons des vinyles. La création est un processus très complexe et ennuyeux, donc quand tu quittes le studio, tu deviens complètement différent. Tu alternes calme et frénésie, tout en perpétuant le mythe du rock’n’ roll. Aujourd’hui tout le monde peut trouver de la drogue et même les mecs de Guns’N’Roses sont sobres! Les notices techniques du livre prouvent que nous n’étions pas que des drogués incorrigibles, mais aussi de véritables innovateurs qui ont travaillé dur. Barney et Steve ont été des pionniers de la technologie, très difficile à dompter en 1981 ou 1982, et New Order a inventé un tout nouveau genre. Désormais chacun peut télécharger un logiciel pour composer de la musique, mais pas écrire une chanson, alors qu’à l’époque il fallait savoir lier les deux et construire l’ensemble. Nous étions aussi de sacrés accrocs à la drogue, mais nous avons réussi, personne ne peut le contredire. j’ai voulu relater précisément la fantastique écriture de True Faith. Le lecteur peut zapper ce passage et s’en tenir aux choses peu reluisantes, mais je voulais que cela apparaisse.
Tu avais tout noté?
Notre discographie et la liste de nos concerts m’ont servi de prompteur pour me remémorer tous ces souvenirs: “Ah oui la fois où je suis tombé de scène, cela me revient, j’étais tellement saoul!” Histoire de rappeler combien nous étions radicaux et en avance, comment l’on procédait pour écrire un morceau et le jouer sur scène. Notre graphiste Peter Saville a une théorie fantastique selon laquelle dès lors que les musiciens se professionnalisent, ils n’arrivent plus à composer et perdent toute magie. C’est quand tu ne sais pas comment faire que tu écris la meilleure musique. Ceci se vérifie avec New Order, devenu adulte et prévisible : Music Complete (2015) est un bon album, mais ce n’est pas génial.
Ta période favorite dure peu de temps, entre 1981 et 1984.
La situation était alors égalitaire. Aucun d’entre nous n’était responsable, ni plus connu que les autres. Nous étions ensemble. Dès que Bernard a été identifié comme le chef et que nous avons eu du succès, tout a changé.
D’après toi, les chanteurs seraient tous cinglés…
Mais c’est la vérité! Je ne rentre pas complètement dans cette caricature en tant que bassiste, même si je peux chanter et diriger un groupe. Je ne sais pas être vraiment un égoïste, égocentrique et narcissique, comme le sont la majorité des chanteurs. j’ai compris que c’était leur mécanisme de défense. Le pire a été l’enregistrement de Waiting for the Siren’s Call (2005), avec tous ces producteurs, beaucoup moins bons que nous-mêmes. C’était une perte de temps et d’argent, mais Bernard ne voulait rien entendre, préférant se battre avec d’autres plutôt qu’avec moi : encore un compliment ! ll est centré sur lui-même, c’est son mode de survie. S’il avait été à bord du Titanic, il aurait porté une robe et n’aurait pas hésité à te piétiner pour pouvoir s’enfuir sur un canoë de secours. New Order ne l’a jamais intéressé, sauf peut-être au tout début. Seule sa propre personne le préoccupe, et il l’écrit d’ailleurs noir sur blanc dans sa biographie.
UN GROUPE DÉSUNI
Tu as déjà vécu la scène de ton éviction, lorsque tu vois les trois autres débuter un concert sans toi à Washington en 1983.
Tu peux y lire ce qui allait se passer, mais ils étaient beaucoup moins bons sans moi ! (Rires.) J’étais en retard et il fallait commencer, sinon nous aurions dû payer une amende. La mythologie du rock’n’roll n’aime pas les gentils garçons. Les gens adorent Liam Gallagher car c’est un trou du cul, et aussi Noel parce que c’est un connard. Il y a aussi ce concert à Reading en 1989 où je me rends compte que chacun n’entend que sa partie dans les retours et pas les autres : cela m’a brisé le coeur. On n’a jamais fait de bon concert à Paris dans notre première mouture. Mais dans la deuxième avec Phil Cunningham et sans Gillian, il y en a eu plusieurs de pas mal. Peut-être en parlera-t-elle dans son ouvrage. (Ironique.)
Tu es très dure avec Gillian dans Substance.
C’est étrange car il subsiste une méprise dans son influence : elle n’a presque jamais rien écrit ! Là aussi me corrigera-t-elle sans doute, mais je maintiens. Stephen était déjà très inspiré avant que Gillian ne nous rejoigne. Quand ils se reforment en 2011, tout ce qu’ils ont dit sur moi était très dur également, ils m’ont vraiment manqué de respect. Ce n’était pas la peine, à mon avis, de me planter le couteau encore plus profondément dans le dos. Ils ont été horribles avec moi, j’ai réagi en publiant mon opinion, un prêté pour un rendu comme on dit ici.
Tu ne te rappelles aucune scène de joie à quatre ?
Elles n’ont jamais eu lieu. Nous vivions de façon séparée : Bernard avec sa cour, Stephen et Gillian tous les deux, et moi avec l’équipe technique, de 1985 jusqu’à la séparation de 1990, le fossé se creusant progressivement. La reformation pour Republic (1993) a été totalement différente, nous avions besoin d’argent et nous n’étions plus les mêmes. À la disparition de lan Curtis, nous sommes restés longtemps à trois, et on a composé Movement (1981) comme ça, de manière très proche. Peut-être Gillian décrira-t-elle le contraire ! Cette chimie particulière qui nous a permis d’écrire de la musique géniale a duré quatre ou cinq ans, mais c’est la même qui détruit la plupart des relations. C’est vraiment triste mais c’est ce qui s’est passé.
Peut-être parce que lan Curtis assumait le rôle de leader dans joy Divison?
lan était un chef démocratique, parfait dans ce rôle-là car il faisait en sorte que chacun participe et en soit content. C’était mon supporter principal. Mais aussi celui de Barney ou de Steve. Je reste persuadé que lorsqu’il s’est pendu sa dernière pensée a été pour Joy Division qu’il adorait plus que tout au monde. J’ai sans doute mis du temps à réaliser cette absence intellectuelle et sentimentale. Nous pouvions écrire de la très bonne musique, mais il nous manquait quelque chose. Et ce n’est pas faire injure à Gillian que d’affirmer qu’elle n’a jamais pu compenser la perte de lan Curtis.
Tu parles beaucoup d’argent et de l’anticonformisme de Rob Gretton, mais n’est-ce pas ce qui vous a permis de développer cette place singulière?
(Il est très embêté.) C’était un manager très vieux jeu, pensant tout le temps qu’il avait raison et que nous étions des idiots. Il avait deux poches pour l’argent : une pour lui et une pour nous, et il ne se trompait jamais ! Mais personne n’aurait pu planter deux aussi fantastiques groupes, car nous durerons toujours. Nous gagnons toujours beaucoup d’argent aujourd’hui parce que Barney, Steve, même Gillian finalement et moi avons travaillé pour que cela continue, personne d’autre. La seule chose que Deborah Curtis (ndlr. la veuve d’lan Curtis) a fait pour Joy Division, c’est tuer le chanteur ! Je plaisante. Avec le temps, c’est un vrai plaisir de constater les marques indélébiles qu’ont laissé Love Will Tear Us Apart ou Blue Monday, même si le fracas actuel m’empêche de me détendre ou de me retirer.
«Ce livre contient la vérité, toute la vérité, rien que la vérité...enfin, d’après mes souvenirs!» Peter Hook, Substance (Avant-propos)
Bassiste de Joy Division puis de New Order, Peter Hook – 61 ans et toujours actif – n’en finit pas de revisiter son passé. Que ce soit au sein de Peter Hook and the Light avec lequel il interprète avec dévotion l’ensemble du répertoire des deux groupes, ou en nous racontant une histoire faite de magnifiques résiliences, “Hooky” reste fidèle à ce qui l’a construit et paraît, à ce jour, en être la mémoire vivante. Personnalité la plus affable des mythiques formations mancuniennes, il en est à sa troisième publication sur ce qui aura animé le cœur de son existence. Soit écrire et jouer une des musiques les plus étonnantes et novatrices qui fût durant deux décennies au moins – ce qui est un exploit et le signe d’un indéniable tempérament créatif.
Après L’Haçienda, la meilleure façon de couler un club, suivi du très réussi Unknown Pleasures, Joy Division vu de l’intérieur, Peter Hook s’est logiquement attaché à l’envol et à l’apogée puis au déclin (selon lui) de New Order qui naquit, contraint et forcé, au printemps de 1980 sur les cendres de Joy Division. Autant dire une somme! En termes de durée presque la moitié d’une vie – ceci pris pour échelle. Le bassiste “Hooky” ne s’est en effet séparé du reste du groupe qu’en Février 2007, considérant l’affaire close, alors que ses anciens partenaires – avec lesquels il reste en différend juridique – ont décidé de continuer ensemble, ne prisant guère l’annonce qu’il fit il y a dix ans de la fin de New Order, dont il demeure à jamais pilier fondateur et exilé volontaire.
À quoi peut-on s’attendre à la lecture de cet épais volume de plus de sept cent pages? Une revanche, l’exploitation d’un passé glorieux – on n’y croit pas – ou la narration objective de ce qui fût la réalité de quatre musiciens et de leur entourage? Suivant un ordre chronologique Substance relate dans le détail ce qui constitua le quotidien comme les grands moments de New Order, de son management et des personnalités liées à cette entreprise artistique et souvent rocambolesque, où les personnages s’agitent, présentés à quelques épisodes comme d’incontrôlables larrons en foire. Sur deux corpus essentiels “Movement” et “Brotherhood” – titres de deux albums hautement symboliques – le texte se déroule selon un système de composition alternant souvenirs, chronologies d’enregistrements, événements et concerts, listings détaillés et chroniqués des albums et singles. Par le ton employé on retrouve la verve et l’humour so British, parfois grinçant, auxquels les deux précédents livres nous ont habitués. Le style est parlé, direct qui privilégie l’action. La maison d’édition française confiait que la traduction du texte fût un exercice délicat, pour une retranscription en un français conservant au plus près l’esprit de l’auteur iconoclaste. Quoiqu’il en soit, —Substance_ se lit à tout instant – si ce n’est n’importe où –, compte-tenu de l’épaisseur de l’objet! On sourit et rit volontiers aux situations, bien que l’on croule à certains chapitres sous des détails pas absolument utiles, auxquels on aurait préféré un commentaire plus analytique de l’œuvre. Il se dégage ainsi un contraste entre l’image extérieure austère et taiseuse que donna New Order, et la description qui en est faite ici. Interviewé par le NME, Peter Hook répondait, évoquant le livre de Bernard Sumner (guitariste et chanteur de New Order): « Barney a écrit l’histoire de New Order en quarante pages ». C’est évidemment un format un peu court pour sa propre vision des choses.
Viking assagi mais pas encore à la retraite, Peter Hook est en plus d’un bassiste unique, une personnalité attachante, à la franchise imparable et au grand cœur sans doute. Inextricablement lié à son histoire avec Joy Division et New Order, il tourne sans cesse autour et revient sur son passé avec une clairvoyance singulière: « La lucidité peut-être aveuglante » (Substance, Brotherhood, p 698). Avec plus ou moins de nostalgie selon ceux qu’il évoque – Bernard Sumner en prenant largement pour son grade tout au long des chapitres – il n’oublie personne et pense probablement que chaque petite chose compte… Substance est un livre pour fans, bien sûr, écho d’une aventure humaine agitée, qui n’échappe pas à des poncifs qui collent aux travers débridés d’un univers Rock and Roll parfois caricatural. En ce domaine notre homme ne s’est guère épargné. Le lecteur se dira peut-être qu’il aurait pu nous en éviter quelques uns.
Publié aux éditions Le Mot Et Le Reste. 08/2017. Peter Hook a récemment déclaré qu’il envisageait l’écriture d’un prochain livre dont le sujet serait l’histoire de la musique de Manchester. Il sera à La Maison De La Poésie, Paris V, le lundi 18/09 à 19h. Lecture et entretien.
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Suite des mémoires de Peter Hook. On connaissait le bassiste génial, on découvrait le chroniqueur sardonique des années new wave. Le premier volume de son autobiographie, consacrée à Joy Division, nous a valu plus d’un fou-rire. Le deuxième, qui contait par le menu les déboires de l’Haçienda, dévoilait un envers du décor bien plus taré que ce que l’on aurait pu imaginer. Ce troisième volume s’attaque au gros morceau : New Order. La verve est toujours là, les piques envers Bernard Sumner également. Hooky a le chic pour mêler considérations musicales passionnantes et anecdotes ahurissantes. Indispensable, en attendant le recueil de souvenirs de tous ses DJ-sets, hum, légendaires ?
La chronique est en lecture sur le site de Let’s Motiv