Revue de presse
On croyait tout savoir sur Yes, tout connaître de sa longue carrière chaotique… Pourtant, à la lecture de ce nouvel ouvrage (le second en français, après celui de Lionel Daloz) sur le mythique groupe britannique, on en apprend des vertes et des pas mûres sur les motivations de Jon, Chris… et de tous les autres. Notre confrère Aymeric Leroy a réalisé un travail monumental et à quatre niveaux : recherche biographique, chroniques musicales, analyse des textes des chansons et enfin rédaction de l’ouvrage (345 pages).
Pour la bibliographie, Aymeric s’est basé sur plusieurs ouvrages anglo-saxons (ceux écrits par Dan Hedges, Chris Welsh, Tim Morse, Bill Martin et David Watkinson notamment), à laquelle il faut ajouter l’interview fleuve de Jon Anderson que l’auteur avait réalisé pour la revue Big Bang. La somme d’informations ainsi recueillie (dans la langue de Shakespeare, s’il vous plait !) est par conséquent impressionnante.
Concernant les chroniques, nulle inquiétude, on pouvait faire confiance à Aymeric pour nous livrer une analyse pointue des albums au regard de sa culture encyclopédique du rock progressif. On peut ne pas être d’accord avec lui (et c’est souvent le cas d’ailleurs, car Leroy a une vision élitiste des “musiques progressives”), mais ses avis tranchés sont toujours argumentés et à fortiori intéressants.
Pour l’étude des structures rythmiques yessiennes – pas piquées des vers – Aymeric a eu recours à l’expertise de François Labat, batteur d’AndYouAndYes, l’excellent tributeband français.
Ce que nous n’attendions pas forcément de cet ouvrage, et qui nous a agréablement surpris et passionné, c’est l’analyse des textes poético- philosophico- nébuleux de Jon Anderson. Il fallait oser se lancer dans le “commentaire de textes” et Leroy s’en tire avec les honneurs. Il nous permet de mieux cerner tous ces “mots qui vont très bien ensemble” mais dont on ne comprend pas toujours le sens.
Je vous vois venir : 345 pages sur Yes, n’est-ce pas trop pénible à lire ? J’avoue avoir été inquiet, connaissant la propension naturelle d’Aymeric d’intellectualiser à outrance, d’utiliser un vocabulaire et des tournures de phrases compliqués pouvant nuire à la fluidité du propos… Je vous rassure tout de suite : ce bouquin se lit comme un roman ! Il est clair, net et précis. Les anecdotes sont nombreuses et Aymeric fait souvent preuve d’humour (British, of course). Le récit est historique, alternant chapitres dédiés aux albums et chapitres de transition (intitulés : ”Changes”) relatant les changements (nombreux !) de musiciens. Bref, pas d’innovation hasardeuse qui risquerait de ‘casser’ les tribulations de nos héros. Pour ma part, la lecture s’est étalée sur 2 ou 3 soirées et c’est bien parce que je devais reprendre le travail le lendemain que je ne l’ai pas dévoré en une seule nuit !
De nombreuses photos d’archive en noir et blanc – loin d’être esthétiques – parsèment l’ouvrage, aérant le propos. Le but de Le Mot et le Reste n’a jamais été d’éditer de beaux livres artistiques, mais plutôt des ouvrages de référence sur des artistes ou des courants musicaux. Objectif largement atteint en ce qui concernce ce Yes qui fait honneur à cette maison d’édition.
Cousin Hub
En découvrant ton nouveau livre sur Yes, qui arrive après ceux sur Pink Floyd et King Crimson, on en arrive très vite à se demander pourquoi tu n ‘as pas commencé par celui-ci. Comment se fait-il donc que tu aies tant attendu avant de “t’attaquer” à Yes ?
Yes aurait en effet pu venir avant King Crimson, dans le sens où cette chronologie a été en partie dictée. en concertation avec mon éditeur, par une logique consistant à partir de sujets plus accessibles pour préparer le terrain au projet qui était initialement le mien, celui sur l’École
de Canterbury. D’où l’idée de commencer par Pink Floyd puis de continuer par un ouvrage général sur le rock progressif. Yes faisait depuis longtemps partie des possibilités mais KC s’est sans doute imposé parce qu’au moment de commencer à écrire le livre, Robert Fripp avait annoncé sa retraite, décision sur laquelle il est heureusement revenu depuis, mais l’idée était plutôt de s’ attaquer à des groupes dont la carrière était révolue. Avec Yes, on n’est pas techniquement dans ce cas de figure, mais artistiquement, il en va bien sûr différemment…
Pour rebondir sur la première question, en te lisant, on prend assez vite conscience que tu considères Yes comme le groupe progressif par excellence. Est-ce une impression fondée? D’ailleurs, selon toi, en quoi Yes représente une forme de quintessence du rock progressif ; et en quoi possède-t-il une singularité irréductible ?
Ce qui distingue Yes des autres candidats possibles à ce titre, c’est qu’en près de cinquante ans de carrière, l’étiquette “rock progressif” demeure la plus adéquate pour désigner l’ensemble de son parcours. Autant Genesis, qui a rompu dans les années 80 avec le style et le son de ses albums de la décennie précédente, pour ne plus jamais y revenir – sans que la dimension progressive disparaisse totalement de sa musique –. autant Yes a régulièrement été tenté de renouer avec son âge d’or des années 1970–77, quasi unanimement désigné comme tel par ses amateurs. Le succès de Yes durant la période Rabin fut considérable mais éphémère. laissant une marque trop peu profonde pour faire de l’ombre à sa période purement progressive. Quels autres groupes pourraient disputer à Yes ce titre de “groupe prog par excellence” ?
Concernant ELP, on se beurte à la fois à une question de longévité, mais aussi à l’absence d’unanimité à son sujet y compris parmi les amateurs de prog déclarés. Quant à King Crimson, malgré son rôle majeur, et même fondateur, la relation de Fripp au rock progressif a été trop ambivalente, dans le discours comme dans les faits, pour en faire un ambassadeur désigné du genre. Pour résumer, parmi ces groupes, Yes est le seul que l’on puisse qualifier de groupe de rock progressif sans faire suivre cela de réserves ou de nuances.
À lire ton ouvrage, on sent que le travail de préparation a dû être considérable : la dimension informative est très développée, avec quelques anecdotes savoureuses, et des analyses détaillées des albums. Quelles ont été tes sources ? Sur combien de temps la préparation et la rédaction se sont-elles étalées?
Un peu plus d’un an, mais évidemment, la matière s’est accumulée sur une période beaucoup plus longue. J’écoute Yes depuis près de trente ans, écris sur ce groupe depuis vingt-cinq et étais, par mes diverses lectures, au fait de son histoire et de ses nombreuses turpitudes. Pour autant, je suis quand même allé beaucoup plus loin pour cet ouvrage, en écoutant ou en lisant un nombre considérable d’interviews, afin de trouver la matière d’un récit aussi riche en détails que possible, mais aussi pour trancher entre les versions pas toujours concordantes racontées par les uns et les autres. ll y avait presque un aspect d’enquête policière, pour
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Suite de l’entretien dans le numéro d’octobre de Big Bang
Au fil de ses ouvrages successifs, Aymeric Leroy, cofondateur de Big Bang, est en train de devenir l’auteur français de référence sur le rock progressif. Après ses sommes synthétiques sur le Rock Progressif et L’Ecole de Canterbury, il signe une troisième monographie, succédant à celles déjà parues sur Pink Floyd et King Crimson. Cette fois, c’est à un groupe symbolisant à merveille le rock progressif de l’âge d’or des années 1970 qu’il s’attaque, capable du pire comme du meilleur. Certes, il y avait déjà eu, il y a quelques années, l’ouvrage de Lionel Dalloz, Yes. Un Sentiment Océanique Dans Le Rock, mais au-delà de ses qualités (une grande quantité d’informations factuelles), le livre souffrait d ’être écrit par un fan pour des fans, sans prendre suffisamment de distance critique à l’égard de son sujet. Ce n’est pas le cas de celui d’Aymeric Leroy, qui s’efforce de peser le pour et le contre, allant au-delà de la simple dichotomie entre le Yes le plus ambitieux et prog, et son double plus commercial et opportuniste.
Après une introduction insistant entre autres sur la capacité de la musique de Yes, dans ce qu’elle a de meilleur, à réenchanter le monde, le récit suit le strict déroulement chronologique : un chapitre pour chaque album, avec régulièrement des chapitres intermédiaires consacrés aux multiples changements d’effectifs connus par le groupe (et malicieusement intitulés “Changes”, du nom d’un des morceaux du répertoire de Yes). L’étude est richement documentée, pourvue d’un certain nombre d’ anecdotes souvent frappantes. On retiendra. au hasard, que le lieu ayant servi à la conception de The Yes Album, est devenu par la suite la demeure de Steve Howe, séduit par ce souvenir intense ; ou encore que Trevor Rabin a bien failli intégrer Asia en tant que cinquième membre avant son aventure avec Yes…
Tout commence en 1968, par la rencontre entre Jon Anderson et Chris Squire, ce dernier intégrant le chanteur à son groupe du moment, Mabel Greer’s Toy Shops ; ils seront ensuite rejoints par Bill Bruford, Peter Banks et Tony Kaye (alias «king of the keyboards» !!). Le changement de nom en Yes s’ est visiblement fait en suivant l’idée du guitariste, et à cet égard, Aymeric Leroy lui rend un hommage mérité en évoquant sa vie après Yes, tant ce musicien mérite mieux que l’ombre qu’il est devenue au fil du temps. C’est avec l’intégration de Steve Howe (après des démarches auprès de Robert Fripp) que l’apogée de la carrière de Yes s’entrouvre, et c’est à compter du Yes Album que les analyses d’Aymeric Leroy sur chaque disque sont plus étoffées, plus fournies. À cet égard, il faut absolument souligner l’importance accordée aux textes, souvent plus profonds que la seule spiritualité béate à laquelle on a souvent tendance à réduire Anderson. Il en est ainsi en particulier de “Yours Is No Disgrace”, évoquant tout à la fois les folies de la société consumériste et les affres de ces soldats contraints d’obéir à des ordres meurtriers. De cet album fondateur, Aymeric Leroy souligne la grande liberté ayant présidé à sa conception, « (…) point d’équilibre stylistique jamais vraiment retrouvé par la suite (…) entre un ancrage classic rock garant d’un accès au grand public et une ambition plus progressive. » (p. 65). Pour Fragile, dont la pochette et le concept d’ensemble se sont retrouvés liés par pur hasard (!), le thème central, la délicate mais nécessaire harmonie entre homme et nature ( “Roundabout” ), est déclinée à travers la violence de la nature (“South Side Of The Sky”) et l’aliénation urbaine (“Heart Of The Sumise”), sans oublier une autocritique de l’idéologie hippie (“Long Distance Runaround” ). Musicalement parlant. Aymeric Leroy souligne le rôle crucial joué par Rick Wakeman, tout juste intégré au groupe. grâce à sa science des harmonies et son sens des arrangements. Close To The Edge, le chef d’œuvre incontesté, voit la complémentarité artistique entre Howe ct Anderson à son acmé, le chanteur insufflant de l’ampleur aux idées musicales du guitariste. Au-delà de l’influence du Siddharta d’Herman Hesse, l’album, et spécialement sa suite éponyme, est dirigé contre les religions instituées, appelant à un éveil spirituel alternatif. L’interprétation du célèbre passage joué par Rick Wakeman à l’orgue puis au mini moog est à cet égard lumineuse : l’orgue d’église se voit détruit par la modernité du synthétiseur, avant l’introduction d’un orgue électrique, stade supérieur d’une spiritualité harmonieuse (p. 106). Sur les Tales From Topographic Oceans, la critique est logiquement plus dure, tant cette œuvre mitigée aurait sans doute mérité d’être condensée sur un seul disque. A l’inverse. Relayer voit Yes aller le plus loin dans la révolution musicale. L’auteur compare la démarche du groupe à cette date à celle d’un Mahavishnu Orchestra, et décrypte les paroles de “The Gates Of Delirium”, appel à la violence débouchant ensuite sur le bonheur tant espéré. A ce sujet, la critique d’ Aymeric Leroy nous semble excessive : “Bien qu’Anderson se garde de prendre clairement parti, le simple fait de s’en être fait l’écho peut être jugé sévèrement à quatre décennies de distance.” (p. 1 61). En 1974. la lutte armée n’a pas encore sombré dans les tragédies italienne ou allemande, et à moins d’un parti pris non violent par principe, on peut trouver exagéré de rejeter tout appel à la violence afin de changer le monde. Disons plutôt que Yes, par la voix d’Anderson, a été à ce moment précis de son histoire un révélateur voire un amplificateur de l’esprit d’une époque (particulièrement sensible en Italie, voir le témoignage d’Alessandro Stella, Années De Rêve Et De Plomb. ou le roman de Mathieu Riboulet, Entre Les Deux Il n’y a Rien). Les textes de Going For The One témoignent d’ailleurs à l’inverse d’un basculement du monde, fait de “philosophie de la réussite” (p. 192) personnelle et d’individualisme, jusque dans l’introspection d’“Awaken”. Sur les albums suivants, souvent moins bien considérés, Aymeric Leroy fait preuve d’un jugement nuancé et généralement stimulant. Si, pour Tormato, sa critique du Polymoog de Rick Wakeman va de pair avec une louable volonté d’expérimentation, Drama incarne à ses yeux une direction prometteuse que le groupe aurait pu suivre dans les années 1980, afin de faire pertinemment évoluer sa musique. Quant à 90125 ou Big Generator, ils ont droit à un certain nombre d’éloges ! (”(…) persistance de ses inclinations progressives. D’autres éléments plus inattendus, novateurs ou expérimentaux, achèvent de faire un sort à l’idée (…) d’une musique calibrée pour le succès commercial (…) Ne voir en 90125 qu’un produit formaté pour le marché serait injuste : il l’est en réalité beaucoup moins que bien des albums dont il affronte alors la concurrence.”, pp. 252–251). Quant à Big Generator, certaines de ses chansons témoignent d’un engagement plus politique vis-à-vis des États-Unis et du commerce des armes. A l’inverse, Union se voit dévoilées des coulisses proprement scandaleuses, d’un producteur plus qu’intrusif à des parties de Howe ou Wakeman refaites par des musiciens de studio. en passant par des petits arrangements entre maisons de disques…
Dans une certaine mesure, on allait retrouver des méli mélos proches pour Open Your Eyes, volte face totale par rapport aux Keys To Ascension dans un but clairement commercial. Si Aymeric Leroy en souligne la « platitude des mélodies » (p. 301 ), il ne dit rien sur la fausse longue suite finale : le dernier titre du disque affiche en effet vingt minutes au compteur, mais à l’issue de la chanson proprement dite, ce ne sont que bruits de relaxation durant un quart d’heure, une véritable escroquerie ! Pour Talk, on retiendra en particulier une réalisation usant largement de l’informatique (via 24 ordinateurs !) ; et si Aymeric Leroy nous semble un peu sévère sur son contenu, il en extrait bien sûr son joyau, “Endless Dream”, un des meilleurs titres de l’ère Rabin avec “Hearts”, à ses yeux.
Bien sûr, on peut trouver quelques manques dans un ouvrage déjà copieux : l’oubli de biographies détaillées (sur Steve Howe ou Rick Wakeman, par exemple), un sous-traitement de la dimension visuelle (les pochettes de Roger Dean ou même le logo emblématique), des analyses d’albums plus succinctes à compter des années 1990, ou l’absence de tout album solo après la pause du milieu des années 70. Mais en l’état, cette biographie est indéniablement une étude de référence sur le sujet. D’ailleurs, et une nouvelle fois, c’est en écoutant les œuvres de Yes simultanément à la lecture de cet ouvrage que la pertinence de celui-ci se révèle pleinement. Aymeric Leroy a su prendre le recul nécessaire pour globaliser sa pensée et affiner sa vision d’un groupe, certes au parcours quelque peu erratique, mais symbolisant à lui seul la quintessence des musiques progressives. À ce titre, Yes est assurément l’un de ses meilleurs (son meilleur?) livres, en tout cas celui où sa passion (plusieurs passages, notamment l’annalyse de “Awaken”, font même preuve d’un lyrisme inattendu) et sa rigueur analytique ne font qu’un. Plus qu’un livre passionnant, le guide du voyageur ‘yessien’…
Aymeric Leroy a la plume agitée ces derniers temps. Un an et quelques après le volumineux L’École de Canterbury (qui lui-même suivait de près un ouvrage sur Pink Floyd), voici qu’il s’attaque ni plus ni moins à un autre géant du panthéon du prog’ : Yes. Et s’il est un groupe sur lequel il y a des choses à dire, c’est bien celui-ci, tant les remous ont été nombreux (et le sont encore) dans cette entité mythique et multicéphale capable du meilleur comme du pire, dont le grand public ne connaît généralement que le tube « Owner of A Lonely Heart ».
Fidèle à ses habitudes, l’auteur a écrit un livre incroyablement bien documenté, puisant ses informations à de nombreuses sources. Après une introduction sur la période pré-Yes, ce ne sont rien de moins que trois cents pages qui décrivent le parcours chaotique de ce monument presque cinquantenaire à l’histoire émaillée de départs et retours en tous genres, de batailles d’egos surdimensionnées, de petites et grandes trahisons, de déboires juridiques, le tout sur fond de disques inégaux, entre chefs d’œuvre (The Yes Album, Fragile, Close To The Edge…), albums boursouflés de prétention (Tales From Topographic Oceans, Relayer), redites inutiles (Heaven And Earth…) et criants faux pas (Open Your Eyes…). Malgré un amour évident pour le groupe, Leroy reste lucide et plutôt objectif (si tant est qu’on puisse l’être en la matière) sur le contenu artistique comme sur les caractères des musiciens. De nombreuses anecdotes et autres petits détails parsèment cette riche biographie et font de sa lecture un moment agréable quand une analyse presque musicologique pourrait la rendre fastidieuse pour le non musicien. Cette dissection quasi maniaque des titres a tout de même le mérite de mettre en lumière et de revaloriser le parent pauvre des compositions dans le rock progressif : les paroles. On (re)découvre ainsi qu’Anderson n’écrivait pas (toujours) des paroles ésotériques et inaccessibles.
En guise de conclusion de ce qui ne peut devenir qu’un ouvrage de référence, Aymeric Leroy résume bien ce que représente Yes aujourd’hui : deux entités distinctes revendiquant chacune une légitimité qu’il n’y a plus lieu de se disputer (surtout depuis la mort de Chris Squire), dont la production musicale actuelle ou à venir ne peut être qu’ anecdotique en regard des pièces majeures déjà produites. Car il y a tant à (ré)écouter dans ce qu’a donné le groupe, en studio comme en live, qu’il ne vaut guère la peine d’y ajouter quoi que ce soit.
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Le grand spécialiste du prog rock Aymeric Leroy vient de signer un nouvel ouvrage de référence, consacré à Yes cette fois.
Il fut un temps où il fallait choisir son camp. Dans les cours de récré ou en salle de perm’, les discussions allaient bon train, le ton montait parfois : on était Beatles ou Rolling Stones, Led Zeppelin ou Deep Purple, Téléphone ou Trust, Genesis ou Yes.
Aah, Yes… Personnellement, j’ai toujours placé le groupe de Jon Anderson, Steve Howe, Bill Bruford & Co loin devant Genesis – sorry Peter, mais c’est surtout solo que vous adore, et quant à vous Phil, c’est dans “Face Value”, avec Brand X, Brian Eno et, encore lui, Pete Gab’ que je vous aime.
Sans doute parce que sans m’en rendre compte – vous croyez qu’à quinze ans on prend le temps d’analyser pourquoi on écoute de la musique ? –, j’étais déjà en quête d’excellence instrumentale, à la recherche de solistes capables de me faire basculer dans d’autres dimensions, là où les codes se brouillaient, là où les barrières tombaient.
Et avec Yes, comme avec King Crimson et Emerson, Lake & Palmer d’ailleurs (pour rester dans le domaine du rock dit “progressif”), j’y trouvais plus que mon compte.
La voix diaphane, haut-perchée, un rien androgyne et étrange de Jon Anderson me fascinait au moins autant que celle de Robert Plant. Les rugissements et les vrombissements de la basse électrique de Chris Squire m’emplissaient d’aise – aurais-je découvert la basse grâce Chris Squire ? Allez savoir… Les envolées de Steve Howe me firent comprendre que l’on pouvait être un guitar hero d’un autre genre, d’une autre manière. Quant à Bill Bruford, il incarnait une sorte d’incontestable perfection dans sa façon de faire sonner sa batterie, de tramer et de tisser des arabesques rythmiques d’une rigueur mathématique et fiévreuse à la fois. Certes, il y avait aussi Rick Wakeman, et certains de mes camarades de classe férus d’Histoire adoraient ses disques solos, mais moi, Jon, Chris et Bill suffisaient à mon bonheur.
Ainsi, nous apprîmes par cœur “The Yes Album”, “Fragile”, “Close To The Edge” bien sûr, mais aussi “Relayer” et “Going For The One” – “Tales From Topographic Ocean” ? J’avoue que… (Et puis un double-album, ça coûtait cher !) “Drama” ? « Celui avec les mecs des Buggles ? » Curieusement, on ne l’accepta que bien plus tard (et on l’aima même, si, si…).
Puis les années 80 commencèrent, et à notre grande surprise, Yes (re)devint pour toute une génération – la mienne ! – un groupe dans le coup, capable d’assumer son passé glorieux et d’incarner le présent. Tout cela grâce à Owner Of A Lonely Heart, tube en or massif. Tout cela grâce à la guitare mordante du nouveau venu Trevor Rabin et grâce à la production high tech de Trevor Horn, futur (et génial) sound designer de Frankie Goes To Hollywood (Relax !) et Grace “Slave To The Rhythm” Jones.
Bref, entre Let’s Dance de David Bowie et Every Breath You Take de The Police, il y avait une place pour Owner Of A Lonely Heart de Yes. Owner Of A Lonely Heart n’avait certes rien de “progressif” mais tout de la pop song plus progressiste qu’elle en avait l’air, et “90125”, l’album dont elle était la locomotive, nous accompagna des mois durant.
J’avoue qu’ensuite je perdis le fil, laissant à d’autres le soin d’apprendre par cœur “Big Generator” et tous les albums suivants – Yes changeait de personnel à chaque nouvel album, je n’y comprenais plus rien, les pochettes étaient de plus en plus moches, j’avais la tête ailleurs, et même le prometteur “Anderson Bruford Wakeman Howe” me laissa sans réaction.
Pour autant, je n’ai jamais cessé de revenir régulièrement aux opus cités plus haut, d’acheter les versions remasterisées, sans jamais penser que cette musique avait vieilli, qu’elle était d’une autre époque ou je ne sais quoi. La musique de Yes a des rides, certes, mais ce sont de belles rides. Elles ressemblent à des (micro)sillons gorgés d’une sève musicale toujours aussi délectable.
Grâce au Yes d’Aymeric Leroy, j’ai replongé comme jamais dans l’univers yessien. Aymeric Leroy, il sait de quoi il parle : ses ouvrages font référence, de King Crimson à Rock progressif en passant par L’École de Canterbury. Toujours à portée de main, leur sérieux, leur précision et leur clarté impressionnent. Son Yes ne déroge pas à la règle. Il pèse le pour et le contre, distingue les forces et les faiblesses et mesure les attraits et les excès de cette musique à nulle autre pareille. (Comme la nôtre, sa passion yessienne se focalise sur les grands classiques seventies.) Sa façon d’analyser les paroles et la musique de chaque album rend justice à l’héritage de ce groupe d’exception, qui méritait bien toute cette considération. Quarante-six ans après “The Yes Album”, voici “The Yes Book” – « Yes, yes, going for the book, going for this book ! »
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